L’une des bénédictions qu’Its’hak offrit à Yaacov fut : « Puisse l’Eternel t’enrichir de la rosée des cieux » (Béréchit 27, 28).
Sur ce verset, le Midrach propose l’exégèse suivante :
« Yaacov s’exclama : ‘Parce que je me suis adonné à la Torah qui est comparée à l’eau, j’ai mérité la bénédiction de la rosée des cieux. » Pour comprendre le sens de ce Midrach, le Ktav Sofer nous invite à découvrir un texte talmudique remarquable.
La Torah n’est pas dans le ciel
Citant le verset : « La Torah n’est pas dans le ciel » (Dévarim 30, 12), le Talmud lui propose deux explications : « Rava dit : ‘La Torah n’est pas dans le ciel’ – c’est-à-dire qu’on ne la trouvera pas chez celui qui la traite avec orgueil, comme s’il était le ciel. Rabbi Yo’hanan dit : ‘La Torah n’est pas dans le ciel’ – c’est-à-dire qu’on ne la trouvera pas chez les hommes arrogants… » (Erouvin 55/a).
De prime abord, ces deux Sages semblent dire la même chose : quiconque souhaite acquérir la Torah doit faire preuve d’humilité. Mais si le Talmud cite ces deux opinions de la sorte, c’est forcément qu’une nuance les différencie. D’autant plus que chacune d’elles cite le verset dans sa propre exégèse, comme si leur lecture ne coïncidait pas. Selon le Ktav Sofer, ces deux avis évoquent en vérité deux attitudes bien distinctes.
A de nombreuses reprises, les Sages nous mettent en garde de ne pas utiliser la Torah comme un moyen pour atteindre nos buts. Rabbi Tsadok enseigne à cet égard dans les Pirké Avot : « N’en fais pas une couronne pour te distinguer, ni une bèche pour creuser le sol » (4, 5). Il est question ici d’une personne ne jouissant d’aucune dignité particulière, et qui utiliserait la Torah comme un moyen de se mettre en valeur aux yeux de la société. Dans la mesure où la Torah elle-même sert sa soif d’orgueil, son étude est donc non seulement sans valeur, mais elle lui est même néfaste. Au sujet d’un tel homme, nos Sages disent qu’il aurait été préférable qu’il n’étudie pas la Torah, car celle-ci sera la cause de sa perte : « Elle deviendra pour lui comme un poison » (Taanit 7/a). C’est précisément ce type d’attitudes que Rava condamne : « On ne trouvera pas la Torah chez celui qui la traite avec orgueil » – c’est-à-dire qui utilise la Torah pour assouvir son orgueil.
Notons au passage qu’il convient de bien distinguer cette attitude intéressée de celle dont nos Sages disent : « Il convient d’étudier la Torah même pour des motifs intéressés, car à travers cette étude surgira l’étude désintéressée » (Pessa’him 50/b). En effet, étudier de manière intéressée signifie simplement utiliser les avantages que procure l’étude comme une source de motivation, pour s’engager dans cette voie et y persévérer. En revanche, placer les marques d’honneur comme unique objectif de son étude ne saurait être toléré.
Venons-en à présent au commentaire de Rabbi Yo’hanan : « On ne trouvera pas la Torah chez les hommes arrogants. » Renchérissant sur l’avis de Rava, Rabbi Yo’hanan soutient quant à lui que même si un homme est simplement doté d’une nature orgueilleuse, la Torah ne pourra reposer chez lui. Il s’agit là d’un homme qui n’utilise nullement la Torah pour assouvir sa soif d’orgueil – par exemple parce qu’il la satisfait déjà à partir d’un autre savoir ou de sa situation. Mais néanmoins, la Science divine ne trouvera pas de place chez lui, car elle ne saurait cohabiter avec une nature prétentieuse.
Un don divin
Pourquoi tant de contraintes ? Parce que, nous révèle le Talmud dans un autre passage (Méguila 6/b) : « Pour conserver son étude [et ne pas l’oublier – Rachi], il faut une aide du Ciel. » La Torah est en effet un don divin, dont les enseignements dépassent les facultés humaines. Son ineffable réalité spirituelle ne saurait être naturellement contenue dans un corps sombre et opaque. C’est la raison pour laquelle une intervention divine est impérative pour ouvrir à l’homme l’accès aux connaissances de la Torah.
Or à qui D.ieu offre-t-Il la Torah ? La prophétie l’annonce : « Je suis dans les cœurs contrits et humbles, pour ranimer le cœur des affligés… » (Ichaya 57, 15). Nos Sages disent encore à cet égard : « Quiconque étudie la Torah en toute discrétion, D.ieu le révélera aux yeux du monde. » Mais celui qui, au contraire, clame son érudition et son assiduité sur tous les toits ne restera pas indéfiniment maître de son savoir, car son orgueil finira par avoir raison de lui.
C’est en ce sens que la Torah dit de Yaacov qu’il « vivait dans les tentes » – c’est-à-dire dans les tentes de l’étude. Or, il est intéressant de noter la forme plurielle employée dans ce verset : pourquoi n’y parle-t-on pas plutôt de « la » tente ? Parce que, explique le Ktav Sofer, Yaacov se mettait le plus possible à l’abri des regards, en s’enfermant dans une tente elle-même cachée par une autre tente. S’il agissait ainsi, c’était pour s’assurer qu’aucune trace d’orgueil n’accompagnait son étude, car il connaissait de l’importance de l’humilité pour acquérir la Torah. Et, comme le dit le Midrach cité plus haut, le jour où son père lui annonça dans sa bénédiction : « Puisse l’Eternel t’enrichir de la rosée des cieux », il comprit aussitôt que « c’est parce que je me suis adonné à la Torah, que j’ai mérité cette bénédiction ».Par Chlomo Messica, en partenariat avec Hamodia.fr