Durant 64 ans, il n'est resté d'elle qu'une porte donnant sur une cour, à quelques pas du Cardo. Détruite et profanée par les Jordaniens pendant la guerre d'Indépendance, la synagogue Tiféret Israël, que les anciens appellent « Nissan Bek Shul », a été durant des décennies le symbole de la présence juive dans la Vieille ville de Jérusalem, aux côtés de sa « grande sœur », la 'Hourva.

Alors que la municipalité de Jérusalem a récemment décidé de remettre à neuf ce joyau architectural du judaïsme, Hamodia remonte le temps pour nous faire revivre l'histoire de cette synagogue qui a forcé l'admiration des princes. 
Une date symbolique pour un site symbolique : le 29 novembre dernier, alors que les Palestiniens recevaient à l'ONU le statut d'État observateur, à la municipalité de Jérusalem se tenait un vote d'un tout autre acabit. Le conseil municipal a en effet décidé de rénover l'un des symboles de la présence juive à Jérusalem, la synagogue Tiféret Israël, située à quelques pas du Cardo, au centre de la Vieille ville. Ce projet, évalué à 50 millions de shekels, va être financé par l'État et par le même donateur qui a permis la reconstruction de la 'Hourva, l'ukrainien Vadim Rabinovitch.
Depuis 64 ans, seules les photos d'époque témoignent de la splendeur passée de cet édifice. Les photos, des murs et une porte en arcade, derniers vestiges de la synagogue monumentale.
Il ne reste donc quasiment rien de ce que l'on appelait à l'époque, la Nissan Bek Shoul, qui a été détruite et profanée le 22 mai 1948 par les Jordaniens, juste après les batailles hyérosolimitaines de la guerre d'Indépendance. Pour les Jordaniens, pas question de préserver le bâtiment ni même de s'en servir pour leurs propres besoins. Il fallait détruire le moral des troupes israéliennes et pour cela, effacer l'emblème du yichouv juif à Jérusalem est le meilleur moyen de parvenir à cette fin.

Rabbi Israël de Rojin versus le tsar Nicholas

C'est au milieu du 19e siècle qu'est entamée la construction de la synagogue Tiféret Israël – nommée ainsi en l'honneur de rabbi Israël Friedman de Rojin – par un groupe de 'Hassidim de Rojin et de Sadigora. La légende raconte comment rabbi Israël a envoyé dans l'urgence la somme nécessaire à l'acquisition du terrain, de peur que les délégués de l'Église russe provo slave, désireux d'y construire une église, ne coiffent les Juifs au poteau. Le tsar Nicolas, l'instigateur de cette tentative d'achat avortée, se serait alors exclamé, fou de rage : « Encore une fois, ce Juif, Israël Friedman, parvient à me battre ! » Nicholas n'avait manifestement pas oublié comment rabbi Israël de Rojin avait fui la prison où il l'avait enfermé, insupporté par le train de vie royal de l'Admour, dont le palais splendide faisait de l'ombre au sien. Il n'a pas oublié comment le rabbi avait traversé la frontière ni comment ses 'Hassidim avaient torpillé sa demande d'extradition aux autorités roumaines…
Quoi qu'il en soit, après ce revers, les Russes se replient à l'extérieur des murailles de Jérusalem, où ils font l'acquisition de ce qu'on appelle aujourd'hui le Migrach Haroussim, le « terrain des Russes », à quelques pas du centre-ville.
Mais les Juifs ne font pas uniquement face à l'Église orthodoxe dans leur course contre la montre pour l'achat de la parcelle. Ils doivent également dépenser bakchich sur bakchich pour faire déplacer la tombe du cheikh musulman située en plein cœur du terrain. Même après toutes ces péripéties, ce n'est que grâce à l'implication directe de l'empereur François Joseph 1er d'Autriche que l'autorisation de construire est accordée.
En marge de l'Admour de Rojin, le véritable moteur derrière le projet grandiose de Tiféret Israël se nomme Nissan Bek, un éditeur et imprimeur né à Berditchev en 1815 et monté en Israël avec sa famille alors qu'il était adolescent. Installé d'abord à Tsfat, Nissan Bek rejoint Jérusalem où il devient le représentant officieux de l'Admour de Boyan.
Pour lui, la construction de la synagogue Tiféret Israël est le projet d'une vie. Il tient à ce que les hassidim possèdent également une « schule » somptueuse, au moins autant que celle des Prouchim (lituaniens), la 'Hourva. Il y consacre toute son énergie, à tel point que dans le quartier juif de Jérusalem, Tiféret Israël est appelé jusqu'à aujourd'hui par les anciens ''Nishess Shoul'', la synagogue de Nissan.
C'est lui qui a récolté les sommes nécessaires à la construction, c'est lui qui a dessiné les plans, c'est lui qui a supervisé les longues années de travaux (de 1857 à 1872) et c'est lui qui a été nommé gabaï de la Beth Knesset jusqu'à sa mort en 1889.

Quand une synagogue tire son chapeau à l'empereur

11 mètres de long sur 11 mètres de large, le tout s'élevant à une hauteur peu habituelle à cette époque : les mensurations de la synagogue sont à l'image des merveilleux ustensiles d'or et d'argent qui l'ornent, venus des lointaines communautés hassidiques de Russie et d'Europe. Mais le chantier qui n'en finit pas coûte finalement beaucoup trop cher et l'argent vient à manquer. Les murs sont construits, mais le dôme qui devait recouvrir l'édifice ne peut être terminé et le bâtiment reste orphelin de toit jusqu'en 1870. Cette année-là, l'empereur François-Joseph se rend en Terre sainte et à Jérusalem. Invité à visiter la synagogue qu'il a aidé à faire construire, l'empereur autrichien est surpris de voir qu'il lui manque sa coupole. Devant son étonnement, les administrateurs lui fournissent une réponse qui restera gravée dans les annales de l'Empire : « Votre Majesté, la synagogue vous a tiré son chapeau ». Comprenant l'allusion, François Joseph fait alors un don de 1 000 francs qui permettent de terminer la construction du dôme.
Mais là aussi, tout ne se passe pas exactement comme prévu : la ''kippa'' du bâtiment est peinte en vert, ce qui a le don d'irriter la population musulmane, pour qui cette couleur est sacrée. Ayant eu vent des frictions autour de la couleur du dôme, le Baron de Rothschild décide de régler la question une fois pour toutes : il envoie à Nissan Bek la somme nécessaire pour offrir à la synagogue une kippa à la couleur moins ''provocatrice''.

Grandeur et décadence

Finalement, la Beth Knesset est inaugurée au mois de Av 5632 (1872). À l'occasion de la cérémonie, Nissan Bek fait distribuer du pain et de la viande à 400 habitants de la Vieille ville.
Pour l'Admour de Rojin, qui a initié la construction, il s'agit ni plus ni moins que d'un événement métaphysique : « Au temps où le Beth Hamikdach était parmi nous, les prières de chaque Juif, où qu'il se trouve, passaient par lui avant d'arriver au Trône céleste. Aujourd'hui, alors que le peuple juif est en Galout, les prières passent par la synagogue Tiféret Israël », affirmera-t-il.
Au début du 20e siècle, la Beth Knesset attire toujours autant de monde, mais pour faire face aux dépenses courantes, les ustensiles d'or et d'argent sont hypothéqués. Les administrateurs de la synagogue ne parviennent pas à les racheter et, en 1910, Éliézer ben Yéhouda décrit une synagogue dont la façade extérieure est certes imposante, mais dont l'intérieur est laissé à l'abandon…
Lors de la guerre d'Indépendance, alors que les combats dans Jérusalem font rage, Tiféret Israël tout comme la 'Hourva servent de QG aux forces militaires juives. Mais lorsque la Vieille ville est conquise par les Jordaniens, ceux-ci se dépêchent de détruire ce symbole, ne laissant intacte qu'une petite partie de l'enceinte si impressionnante qu'elle avait forcé l'admiration des empereurs et des barons…     Par Laly Derai,en partenariat avec Hamodia.fr