La troisième plaie qui frappa l’Egypte fut celle de la vermine, à savoir une invasion de poux qui infestèrent le pays des Pharaons. Si l’on examine attentivement les versets évoquant ce fléau, on notera qu’il se distingue quelque peu de ses semblables…
Dans la description que donnent la Torah et les Midrachim des différentes plaies, il apparaît que la terre de Gochen – où résidaient les Hébreux – en fut systématiquement épargnée. On peut lire ainsi au sujet des animaux malfaisants : « Je distinguerai la province de Gochen où réside Mon peuple… » ou encore concernant la mort du bétail : « Tout le bétail des Egyptiens périt, et du bétail des Hébreux, il ne périt pas une bête. » Exception faite de la plaie de la vermine, pour laquelle il n’est mentionné nulle part que la terre de Gochen fut préservée. De plus, le verset lui-même laisse entendre que les poux pénétrèrent également dans cette région : « Frappe la poussière de la terre, elle se changera en vermine dans tout le pays d’Egypte » – c’est-à-dire visiblement dans l’ensemble du territoire égyptien.
Une autre remarque mérite d’être relevée ici : contrairement aux autres plaies, Pharaon ne pria jamais Moché de le débarrasser de la vermine. Pourquoi ?
Promesses vaines
Rav Chalom Schwadron (Lev Chalom) résout ces différentes difficultés à l’aide d’une très belle démonstration. Après la plaie des grenouilles, Pharaon promit à Moché de libérer les Hébreux. Mais lorsque la plaie cessa, il ne se priva pas de revenir sur sa promesse. Au constat que les grenouilles n’étaient pas pour autant revenues, le monarque égyptien se dit qu’il avait là un moyen sûr de se débarrasser de toutes les plaies futures : il lui suffirait de promettre, d’attendre que le fléau passe, puis de se rétracter…
A travers la plaie de la vermine, D.ieu prouva à Pharaon que non seulement ses fausses promesses ne lui seraient d’aucun secours, mais qu’en outre, Il pouvait même l’empêcher de les formuler. Voyons comment.
Distinguer Israël des autres peuples
Chacune des plaies d’Egypte renfermait une punition double pour le peuple égyptien : d’une part, ils souffrirent des fléaux proprement dits, et d’autre part, ils ne souffrirent pas moins de constater que les Hébreux en étaient pour leur part épargnés. Telle est en effet la nature humaine : le plus frustrant pour quelqu’un qui souffre est, bien souvent, de voir que ses antagonistes vivent dans le bien-être.
Cette tendance naturelle apparaît clairement dans la paracha de Choftim, concernant les préparatifs à l’approche d’un combat martial. A cette occasion, le Cohen préposé aux armées annonçait aux soldats : « Si quelqu’un a bâti une maison neuve, et n’en a pas encore pris possession, qu’il parte et s’en retourne à sa maison ; car il pourrait mourir dans la bataille et un autre en prendrait possession (…). Si quelqu’un a promis mariage à une femme et ne l’a pas encore épousée, qu’il parte et s’en retourne chez lui ; car il pourrait mourir dans la bataille et un autre homme l’épouserait » (Dévarim 20).
De prime abord, le fait de ne pas avoir encore pu profiter d’une maison nouvellement construite, ou d’avoir choisi une épouse sans avoir encore pu concrétiser le mariage, semble justifier à lui seul qu’on soit dispensé des combats. S’il en est ainsi, pourquoi la Torah précise-t-elle par ailleurs : « … et un autre en prendrait possession …et un autre homme l’épouserait » ? Ce que souhaite le soldat, c’est surtout de pouvoir profiter de sa maison ou épouser sa promise ; quant à leur sort après son éventuel décès, cela l’importe visiblement bien peu à cet instant-là. Pourquoi ces détails a priori superflus ?
Manifestement, la Torah nous révèle ici une tendance profondément ancrée dans la nature humaine : la frustration d’un homme est démultipliée au constat qu’autrui profitera de son malheur. A cet égard, si le soldat partant au combat avait, pour unique peine, l’idée qu’il ne pourrait pas profiter de sa nouvelle maison ou de s’unir à son épouse, il n’est pas certain que cette frustration justifie son retour du front. Ce qui le taraudait profondément – au point qu’il ne puisse pas mener les combats convenablement –, c’est l’idée qu’autrui allait prendre sa place !
On raconte à ce sujet l’anecdote suivante : un important notable comparut un jour devant le Tribunal rabbinique, pour dénouer un litige l’opposant à l’un des Juifs de la ville. Le différend portait sur une somme dérisoire, mais le combat n’en fut pas moins farouche : défendant ses intérêts avec véhémence, le notable accusa son adversaire de tous les torts, se démenant comme si sa vie était en jeu.
Quelque mois plus tard, survint la fête de Pessa’h. Pendant le grand nettoyage, le notable tomba sur un gros fût de vin, et s’aperçut qu’il pouvait probablement contenir des résidus de levure. Il alla aussitôt interroger le rav de la ville, celui-là même qui avait présidé le jugement quelques mois plus tôt. Le rav examina le tonneau, et trancha que le vin devait être entièrement déversé.
Se soumettant à la décision halakhique, le notable s’exécuta sur-le-champ. Sans mot dire, il fit transporter le tonneau dans la rue et en déversa tout le contenu dans le caniveau.
À ce spectacle, le rav, qui n’avait pas oublié l’épisode du jugement, l’interrogea : « Expliquez-moi quelque chose : comment se fait-il qu’à cause d’un éventuel risque de ‘hamets, vous soyez prêt à perdre de telles quantités de vin sans sourciller, alors que pour quelques miséreux roubles, vous vous êtes battu sans relâche ? » L’homme répondit avec conviction : « J’accorde bien peu d’importance à mon argent, et si je dois le jeter dans le caniveau, je m’y plie sans broncher. Mais ce qui m’est intolérable, c’est qu’un autre en profite ! Que mille tonneaux de vin soient versés, mais que pas un sou m’appartenant revienne à autrui ! »…
Mourir, pourvu de tuer !
A la lumière de ces explications, toutes les questions posées plus haut sont désormais résolues. Dans son commentaire sur la Michna (Pirké Avot 5, 4), Maïmonide écrit que de fait, la vermine envahit également le territoire de Gochen. Cependant, pas un Juif n’en souffrit. Pourquoi susciter cette plaie qui n’importuna personne ? Pour induire Pharaon en erreur.
En effet, lors de l’avertissement des deux plaies précédentes, Pharaon fut informé que seuls les Egyptiens en souffriraient, et non les Hébreux. Lorsque survint l’annonce de la plaie de la vermine, il nota qu’à ce moment-là, Moché ne lui avait pas indiqué que les Hébreux en seraient épargnés. Et de fait, lorsque les poux infestèrent le pays, le monarque envoya des émissaires pour vérifier l’état de la région de Gochen, et ils découvrirent que là-bas aussi, la vermine était présente. Sans prendre note que les Hébreux n’en souffraient pas, ils allèrent annoncer aussitôt à leur roi que cette fois-ci, toute l’Egypte souffrait de la plaie, sans exception.
A ce moment, Pharaon tint le raisonnement suivant : « Si je demande à Moché de faire cesser ce fléau – en usant de promesses fallacieuses – les Hébreux en profiteront tout autant. Eh bien je préfère mourir, plutôt que de les voir profiter de moi ! Que cette plaie continue encore pendant des mois, pourvu seulement que les Hébreux en souffrent également ! »
Dès lors, Pharaon se trouva incapable d’employer la ruse qu’il avait trouvée lors des plaies précédentes – à savoir promettre puis se rétracter aussitôt la plaie écartée. À son corps défendant, il fut incapable de formuler cette promesse à Mocjé, ni même de lui demander de faire cesser la plaie, car alors ses ennemis jurés en auraient également profité ! Voilà pourquoi, contrairement aux autres plaies, la vermine apparut également en terre de Gochen, et ne cessa pas sur la demande de Pharaon…
Ceci est un exemple probant de que le verset annonce plus loin : « Afin que tu racontes à ton fils ce que Je me suis joué de l’Egypte. » À travers les dix plaies, D.ieu railla Pharaon, le contraignant à adopter des décisions parfaitement ridicules sans même qu’il s’en rende compte.
Par Yonathan Bendennnoune,en partenariat avec Hamodia.fr