« Lorsqu’un veau, un agneau ou un chevreau vient de naître, il doit rester sept jours auprès de sa mère » (Vayikra 22, 27). Et dans le commentaire « Ahavat ‘Haïm haChalem », on peut lire : « C’est chose connue que la Torah s’adresse à trois types d’hommes différents, au tsadik, au bénoni (l’homme moyen) et au racha.
S’attacher aux sages
Le veau, c’est l’homme moyen, il lui arrive d’encorner, mais parfois il tire la charrue pour retourner la terre. De même que le bénoni parfois fait la tsédaka et des mitsvot, prie, etc., mais parfois aussi, commet des fautes. L’agneau, c’est le tsadik, comme il est dit : "Comme un troupeau de saints, le troupeau de Jérusalem", ou ainsi qu’il est écrit : "Et vous êtes mon troupeau, le troupeau de mes frères". Et ne lit pas "kévès" (l’agneau) avec un "sin", mais "kovech itsro", (avec un "chin") celui qui domine ses penchants. La chèvre, c’est le racha qui fait preuve d’arrogance, comme il est dit : "L’arrogant rejoint les enfers", ou encore : "Le scélérat va la tête hautaine" ».
Or, la question reste posée de savoir pour quelle raison la Torah a-t-elle cru bon de les citer dans cet ordre précisément : le veau, puis l’agneau et enfin la chèvre. N’aurait-il mieux valu mentionner tout d’abord l’agneau, c’est-à-dire le tsadik, puis ensuite seulement le veau et la chèvre ? Mais voilà, si la Torah estime normal de suivre cet ordre et de placer l’agneau entre l’homme moyen et le scélérat, c’est dans le but de nous enseigner que nous devons toujours garder à l’esprit que seul le juste est susceptible de les ramener tous les deux à la téchouva, au repentir authentique. C’est en ce sens en effet qu’il nous faut comprendre cet enseignement de nos Sages qui stipule que « le bien du tsadik est profitable à ceux qui l’entourent ». Et ce, parce que le juste, en vertu de sa sagesse et de son intégrité, est capable de trouver la route qui ramènera le racha et le bénoni vers le droit chemin…
Au fond du puits
Ainsi, commentant ce verset des Proverbes : « Telles des eaux profondes, les idées abondent dans le cœur humain, et l’homme avisé sait y puiser » (Proverbes 20, 5), le Midrach (Béréchit Raba, paracha « Vayigach ») explique que se trouvant au fond d’un puits dans lequel il est impossible de descendre, ces eaux restent inaccessibles au commun des mortels. Seul l’homme avisé qui, accrochant un seau à une corde, le fait lentement glisser jusqu’à elles, est susceptible de les porter jusqu’aux hommes afin qu’ils s’en abreuvent… Et, à la fin de l’introduction qu’il rédigea à son ouvrage, l’auteur des « ‘Hovot haLévavot » explique que les eaux dont il est question ici représentent les forces cachées au plus profond de tout homme. Il revient en effet à chacun d’entre nous de descendre en nous-mêmes pour en puiser les trésors.
Afin d’apprécier à sa juste valeur cette idée, l’auteur propose la métaphore suivante : s’il se trouvait sous terre un trésor, quiconque voudrait s’en emparer devrait creuser sans relâche. Or, il peut très bien arriver qu’après avoir foré le sol de cette manière, l’on ne trouve toujours rien. Cette déconvenue ne signifie pourtant pas nécessairement que ne se trouve pas sous nos pieds un véritable trésor, mais seulement que nous n’avons pas encore assez creusé et qu’il encore faire preuve de persévérance… Ainsi en est-il de notre monde intérieur. Au plus profond de chaque âme juive sont enfouis des trésors inestimables qui ne se laissent pas devinés en surface. Pour les faire jaillir à la lumière, il convient encore de s’obstiner et de descendre toujours davantage dans les profondeurs de l’âme. L’auteur ajoute encore qu’il peut aussi arriver qu’après avoir creusé avec acharnement nous dévoilions des réalités qui jusqu’alors se trouvaient enfouies sous la terre et la boue. Pensant alors qu’elles n’ont aucune valeur, il s’agit le plus souvent de véritable trésors qui, sous l’effet du temps, ont été recouverts de rouille, de dépôts sédimentaires et autres scories. Il faudra alors, pour en révéler la vraie nature, les frotter sans répit jusqu’à ce que l’argent se remette à briller de toute sa lumière…
Ainsi en est-il de l’homme qui recherche au fond de lui-même les trésors et les joyaux de la sagesse authentique. Il arrive parfois que ceux-ci soient recouverts de boue à cause de la masse des appétits matériels et du poids des fautes. Pourtant, quiconque fait preuve de perspicacité saura bientôt qu’il est nécessaire de gratter la rouille et de travailler dur, car c’est seulement de cette manière qu’il trouvera alors en son âme les forces et les secrets pour s’élever dans la Torah et la sagesse…
« L’homme avisé » dont parle le roi Chlomo est donc en définitive l’homme lui-même, à qui il revient de travailler dur pour perfectionner son être. Pourtant, dans la mesure où tout le monde n’est pas capable de nettoyer son âme des débris et de la bourbe qui la recouvrent, il convient de s’en remettre à un autre « homme avisé », au tsadik, qui saura comment rendre à l’âme sa pureté et la débarrasser du limon qui s’y est accumulé.
100 roubles
Afin de s’en persuader, on rappellera l’anecdote suivante : alors qu’on était sur le point de célébrer un mariage dans la ville de Lyadi où habitait l’auteur du « Tania », le rav Chnéor Zalman zatsal, des non juifs kidnappèrent le ‘hatan, laissant les convives sous le choc. Les autorités rabbiniques de la ville mirent immédiatement tout mis en œuvre pour procéder à un pidion chevouim (le rachat des prisonniers). Ils étaient persuadés en effet que le duc de la région avait tout manigancé avec les kidnappeurs afin de soutirer l’argent de peuple juif. On contacte le baal haTania afin de s’entretenir avec lui de la marche à suivre pour ramasser l’argent nécessaire. Et telle fut sa réponse : « Il y a dans notre yéchiva un jeune homme très brillant du nom d’Ist’hak Lévy. Il serait judicieux que vous le fassiez venir afin qu’il vous conseille sur la marche à suivre ». Lorsque l’élève se présenta devant les personnalités rabbiniques de la ville, il déclara sans préambule : « Rabbotaï, je vous prie de m’excuser, mais je ne suis prêt à vous aider qu’à une seule et unique condition : que tout ce que j’entreprendrai soit accepté sans la moindre opposition de votre part ». N’ayant pas d’autre solution, les sages acceptèrent les conditions étonnantes de l’aide qui leur était proposée. Ils rédigèrent même à cette fin un contrat écrit avec ce chalia’h hors norme Le jeune homme prit le papier et sortit vers les quartiers riches de la ville afin de ramasser la somme demandée : 100 roubles.
Alors qu’il se trouvait en chemin, il passa devant une magnifique bâtisse. « Qui habite ici ? », demanda-t-il. « C’est un Juif extrêmement riche, lui répondit-on, mais aussi connu pour son avarice ». Le jeune homme déclara qu’il désirait commencer par cette maison. « Tu perds ton temps », lui déclarèrent ceux qui l’accompagnaient. « Si vous ne venez pas avec moi, dit-il, j’annule notre contrat ». Et c’est donc à contre gré que les rabbanim l’accompagnèrent et qu’ils frappèrent à la porte. Le propriétaire se trouvait justement sur le point de sortir de chez lui, il tomba nez à nez avec le cortège. Il s’enquit aussitôt de la raison de cette visite, et Its’hak répondit : « N’ayez crainte, nous ne sommes pas venus pour vous demander de l’argent, mais seulement pour nous entretenir quelques minutes avec vous ». « Soit, parle ! De quoi il s’agit ? », demanda l’homme. « Je m’excuse, mais il ne sied pas que je parle pendant que les sages de notre communauté restent là debout », répondit l’étudiant. L’homme fit alors appeler son major d’homme et lui ordonne d’apporter des chaises. Mais Its’hak reprit : « Encore mille excuses, mais ce n’est pas faire honneur aux sages que de les faire asseoir sur le pas de la porte. Faites-les donc entrer à l’intérieur, et alors je parlerai ». L’homme acquiesça à contre cœur et les fit pénétrer dans sa splendide demeure. Rabbi Its’hak prit alors la parole. Après s’être entretenu avec lui de sujets qui amadouèrent son cœur, il ajouta : « Je suis venu pour que nous rachetions un prisonnier ». Le propriétaire des lieux répondit d’un ton sec : « Je suis connu comme un homme terriblement avare. Même si tu étais venu me prendre la vie en contrepartie de quelques pièces, je ne t’aurais rien donné. Prends si tu veux la vieille pièce rouillée que voilà ». Rabbi Its’hak accepta humblement cette maigre consolation, puis il prit aussitôt les deux mains de l’homme tout en le bénissant. Les rabbanim qui se tenaient à ses côtés avaient de la peine pour ce qu’il était obligé de faire. Ils décidèren,t de se lever et de prendre le chemin du retour. Mais le maître de maison entendant les bénédictions dont il était submergé, sortit une autre pièce et la tendit à l’étudiant. Rabbi Its’hak l’accepta et reprit de plus belle ses bénédictions. Etonné, l’homme commençait à éprouver de la gêne. Il sortit cette fois de sa poche un rouble. Les sages n’étaient pas encore sortis du vestibule qu’il les appela : « Un instant je vous prie ! Ce jeune homme me fait du bien, cela vaut la peine que je vous offre encore cinq roubles ». Rabbi Its’hak redoubla alors de louanges et de bénédictions tant et si bien que notre homme lui offrit un billet de dix roubles. Voyant cela, les rabbanim le remercièrent vivement et se dirigèrent vers la porte. Mais l’homme demanda alors : « A combien s’élève le montant de la libération ? ». « A cent roubles », répondit Its’hak. « Très bien, dit-il, je suis prêt à en payer la moitié ». Et rabbi Ist’hak le bénit à nouveau. Alors que l’assemblée avait déjà franchi la porte d’entrée, il les appela à nouveau : « Je me rends bien compte que ces hommes sont déjà vieux, et cela les fatigue de ramasser autant d’argent. Je suis prêt à vous offrir la totalité de la somme ». Rabbi Its’hak s’arrêta et remercia le généreux donateur, en le comblant de nouvelles bénédictions. Tout le monde sortit ravi, et le propriétaire de cette somptueuse maison plus que tout autre. Il souriait de béatitude. Les rabbanim suffoqués interrogèrent le jeune Its’hak : « Que s’est-il passé ? ». « Maîtres, répondit-il, sachez qu’il régnait dans cette maison une très forte hostilité à la tsédaka. Le Satan avait pour ainsi dire pris place dans cette vieille pièce toute rouillée que cet homme tendait à quiconque venait lui demander sa contribution. Le problème est que jamais personne ne l’a acceptée. Il est même arrivé plusieurs fois qu’on la jette au visage de ce grippe-sou, pendant le Satan dansait de jubilation. Lorsque j’ai vraiment pris possession de cette pièce au lieu de la jeter comme d’autres l’ont fait, j’ai libéré cet homme. Son cœur s’est alors progressivement ouvert jusqu’à ce notre heureux donateur ait été disposé à payer la totalité de la rançon, libéré qu’il était des fers du yétser haRa ».
Rabbi Chnéor Zalman reçut cet argent et se rendit immédiatement auprès du duc. « Votre majesté, lui dit-il, l’un des élèves de notre yéchiva a disparu, et nous devons absolument le faire passer sous le dais nuptial ». « Tu sais que cela coûte beaucoup d’argent, lui répondit mielleusement le scélérat. Je suis obligé de faire sortir mes gardes dans toutes les rues. Sais-tu combien me coûte un seul de mes gardes ? ». « Combien voulez-vous ? » demanda le rav. « Cent roubles ». Rabbi Chnéor Zalman sortit alors une bourse pleine de pièces et la posa sur la table qui lui faisait face. Voyant l’argent le duc sourit et congédia le rav tout en lui promettant qu’il ferait de son mieux pour retrouver le futur marié. Après quelques heures seulement, le jeune homme était assis dans la maison du rav. Le mariage fut célébré le soir même… Par Yehuda Ruck,( Soure : Hamodia.fr) A partir d’un passage du livre KéAyal Taarog, du rav R. Abitbol chlita