Après avoir reçu l'ordre divin de construire l'arche, Noa'h reçoit des instructions supplémentaires : « (…) tu entreras dans l'arche, toi et tes fils, et ta femme et les femmes de tes fils avec toi », (Béréchit, 6, 18). Or, il semble aller de soi que si Noa'h entre lui-même dans l'arche, sa famille, en y pénétrant également, sera bel et bien avec lui. N’est-il pas donc étrange que le verset stipule ici avec insistance « avec toi »… ?
L'illustre rabbi Arié Leib Tzintz zatsal (1768-1833), qui fut le rabbin de Plotsk, nous éclaire sur cette question à l'aide de la parabole suivante rapportée par le Talmud (Traité Taanit, page 21/b).
Dans la ville de Soura où résidait l'illustre talmudiste Rav, une terrible épidémie se déchaîna soudain, faisant de nombreuses victimes… Or dans la rue où résidait Rav, aucune personne ne fut contaminée ! La rumeur se répandit aussitôt, en attribuant ce « miracle » au mérite du tsadik de la ville…
La nuit qui suivit, les Sages de Soura rêvèrent tous simultanément que les habitants de cette rue n'avaient en fait pas été épargnés grâce au « mérite » de Rav, mais plutôt grâce à celui de l'un de ses autres résidents. Ce dernier avait en effet l'habitude de prêter aux fossoyeurs de la ville les outils nécessaires pour enterrer les défunts…
Le Gaon de Plotsk ajoute à cela une explication très « pointue » : selon lui, Rav, l’incontestable Juste de la ville, avait de si grands mérites qu'il n'était nullement concerné par l'épidémie et que la maladie pouvait même passer le seuil de sa porte sans lui causer le moindre ennui, tandis que les gens de son proche entourage risquaient très gros ! Par contre, celui qui a moins de vertus, mais mérite quand même d'être sauvé, doit être éloigné de l'épidémie pour ne pas être atteint, ce qui contribue aussi à sauver son proche entourage…
Ce paradoxe intervient déjà chez Noa'h. Comme le rapporte Rachi au début de notre Paracha, Noa'h était un tsadik « relativement » à sa propre génération : le fait d'être sauvé du déluge l'obligeait donc à se tenir à une certaine distance du fléau, ce qui assurait un sas de sécurité à sa famille…
La Torah vient donc préciser à Noa'h que le sauvetage de sa famille était dû au fait que ses membres étaient à ses côtés (d’où l’apparente redondance, dans le verset précité, de l’expression « avec toi »), alors qu'il évitait lui-même de justesse les affres destructrices du déluge…
Par C. Chalom, en partenariat avec Hamodia.fr