« Yossef ordonna aux médecins, ses
serviteurs, d’embaumer son père
[Yaacov] ; et les médecins embaumèrent
Israël. Quarante jours furent
achevés, car c’est le nombre
de jours qui s’écoulent pour celui
qu’on embaume. Les Egyptiens le
pleurèrent soixante-dix jours. Les
jours de son deuil passèrent (…).
Yossef monta pour ensevelir son
père. Tous les serviteurs de Pharaon,
les anciens de sa maison et
tous les anciens d’Egypte montèrent
avec lui, ainsi que toute la
maison de Yossef, ses frères et la
maison de son père (…).
Parvenus
jusqu’à la Grange d’Epines, au-delà
du Jourdain, ils y tinrent de grandes
et solennelles funérailles, et il
célébra pour son père un deuil de
sept jours », (Béréchit 50, 2-10)
Cet ordre donné par Yossef d’embaumer
son père fait question… Il
est déjà l’objet d’une âpre discussion
entre les Tanaïm (voir Midrach Béréchit
Rabba, chapitre 100, 3), ainsi
qu’il est enseigné : « Pour quelle
raison Yossef décéda-t-il avant ses
frères ? (Rabbi et les Sages) Rabbi
dit : ‘Parce qu’il fit embaumer son
père. D.ieu lui dit : – Ne serais-Je
pas capable de conserver les hommes
intègres, pourtant Je lui ai
promis [à Yaacov] : N’aie crainte,
Yaacov, le vermisseau, (Isaïe 41,
14) – ce qu’il faut lire : ‘Yaacov
n’aie crainte de la vermine !’. Mais
les Sages disent : ‘C’est lui-même
[Yaacov] qui a ordonné à ses enfants
de l’embaumer, comme il est
écrit : Ses fils agirent à son égard
comme il le leur avait ordonné
(Béréchit 50, 12)’. Selon l’avis de
Rabbi, la réponse est claire. Mais
pour les Sages, il faut comprendre
[que si Yossef est décédé avant ses
frères], c’est en vertu du fait que
Yéhouda dit à près de cinq reprises
[4 fois dans la paracha Vayigach et
une fois à la fin de la paracha Mikets]
: ‘Ton serviteur notre père’,
(Béréchit 43, 28), et Yossef l’écouta
sans réagir’ ».
Ainsi, selon l’avis des Sages – c’est-à-
dire de la majorité -, c’est Yaacov
Avinou lui-même qui ordonna
qu’on l’embaume.
La raison habituellement évoquée
pour expliquer cette anomalie
– puisque en-dehors du fait de
porter atteinte à l’inviolabilité du
corps humain après la mort, le
Talmud (Traité Sanhédrine, page
47/b) stipule explicitement que la
putréfaction du corps constitue le
moyen d’accomplir l’expiation des
fautes commises ici-bas – consiste
à dire, comme le fait le Or ha’Haïm
haKaddoch (rabbi ‘Haïm Ben Attar)
que la dépouille de Yaacov ne
devant pas subir le processus de
désagrégation du corps (ainsi que
l’indique expressément le verset
du prophète Isaïe cité par Rabbi et
comme c’est le cas d’autres Tsadikim
restés intacts après leur mort),
les Egyptiens lui auraient certainement
voué un culte idolâtre…
Pourtant le Zohar (page 250/b)
justifie l’embaumement de Yaacov
d’une autre manière : « ‘En quoi
consiste cet embaumement ?’, demande
Rabbi Abba. Rabbi Chimone
lui répond : – Si tu veux le savoir tu
n’as qu’à interroger les médecins,
car en-dehors de son aspect technique
(Mélakha), il n’y a ici aucune
sagesse particulière. En revanche,
si tu veux savoir pour quelle raison
D.ieu fit en sorte qu’on embaume
Yaacov… Viens et regarde :
‘Yossef ordonna aux médecins, ses
serviteurs, d’embaumer son père
[Yaacov] ; et les médecins embaumèrent
Israël’. Penses-tu vraiment
que cet embaumement est de même
teneur que ceux des autres hommes
ou qu’il avait pour but de préserver
intact le corps de Yaacov en vue
du long voyage qui le conduirait
jusqu’en terre d’Israël ? (…). C’est
bien plutôt parce que telle est la
réalité qui convient aux rois (Derekh
haMélakhim). On les enduit
d’une huile de qualité (Chémen
Tov) qui pénètre leur corps [par le
biais de l’ombilic] jour après jour
pendant quarante jours afin de les
conserver longtemps. Or, parce que
la terre d’Egypte et la terre de Canaan
ont pour nature d’accélérer la
putréfaction et la destruction du
corps, c’est pour cette raison qu’on
agit de la sorte. Et c’est parce que
Yaacov avait atteint l’accomplissement
(béKioum) de son âme que le
Saint béni soit-Il fit en sorte que
son corps matériel soit à la mesure
(Rémez) de son corps spirituel
(Gouf Elione) qui incarne le secret
de l’harmonie (Tiférèt) », (adaptation
de la traduction du « Matok
miDvach » sur le Zohar).
Ce texte répond donc explicitement
à la question de savoir pourquoi
Yaacov fut embaumé et de
quelle manière. En effet, comme
le souligne le Ramak (Rabbi Moché
Cordovéro) dans son livre « Or
Yakar » (paracha Vayé’hi) : « C’est
grâce à l’huile avec laquelle le
corps de Yaacov fut recouvert que
l’embaument eut lieu, c’est-à-dire
sans qu’il fut nécessaire d’ouvrir
ses entrailles ‘has véChalom ».
Par ailleurs, c’est parce que Yaacov
avait atteint le niveau d’Adam
haRichone – comme le dit la Guémara
: « Le visage de Yaacov était
comme celui d’Adam haRichone »,
(Traité Baba Métsia, page 84/a)
– que D.ieu avait décrété qu’il demeurerait
dans son intégrité originale,
même après sa mort.
« Maudit soit Canaan ! »
Il nous reste toutefois à faire remarquer
que dans ce passage du
Zohar, il est écrit noir sur blanc
que cette nécessité d’embaumer
Yaacov Avinou reposait aussi sur
le fait que « la terre d’Egypte et la
terre de Canaan ont pour nature
d’accélérer la putréfaction et la
destruction du corps ». Or, chose
pour le moins étonnante, si l’on
garde encore à l’esprit – alors que
nous touchons au terme de notre
lecture du Séfer Béréchit – ce
que nous avons lu dans la paracha
Noa’h, on se souviendra que
‘Ham, le troisième fils de Noa’h,
enfanta « Kouch, Mitsraïm, Pout et
Canaan », (Béréchit 10, 6). Et que
– après qu’il « se fut enivré et qu’il
se découvrit au milieu de sa tente »
-, Noa’h « prit conscience de ce que
lui avait fait son fils », (ce que nos
Sages commentent en expliquant
que l’expression « avait fait » laisse
deviner qu’il s’agissait d’une action
matérielle, au point où certains
soutiennent que le fils avait
rendu son père infirme, et d’autres
qu’il se livra avec lui à un acte immoral
! – Traité Sanhédrin, page
70/a) ; et ‘Ham fut alors maudit
par son père, (Béréchit 9, 22-25).
Or, Rachi rapporte sur cet épisode
de la Torah les paroles du Midrach
Tan’houma (15) au sujet du verset :
« Chem et Yafèt prirent la couverture,
la déployèrent sur leurs épaules
et marchèrent à reculons. Puis, le
visage détourné afin de ne pas voir
la nudité de leur père, ils couvrirent
la nudité de leur père », (Béréchit
9, 23). « En quoi D.ieu les récompensa-
t-Il ?, demande le Midrach.
A Chem, Il offrit en récompense la
mitsva du Tekhélèt et des Téfilines
avec lesquels il se couvrirait désormais.
Et à Yéfèt, D.ieu attribua
l’enterrement en terre d’Israël (…)
comme il est dit : ‘En ce jour [lors
de la guerre de Gog ou Magog], Je
donnerai un lieu pour la sépulture
de Gog’, (Ezéchiel 39, 11). A Chem :
lorsque les fils d’Aharon pénétrèrent
dans le Saint des saints, ‘un
feu sortit de devant l’Eternel et
les consuma’, (Vayikra 10, 2); que Yossef au point où Moché
lui-même s’occupa (bien plus
tard) de sa dépouille ! En effet,
Moché, qui fut l’homme le plus
important d’Israël, mérita d’emporter avec lui les ossements de
Yossef, comme il est dit : ‘Moché
prit avec lui les ossements de
Yossef’. Or, qui fut plus méritant
que Moché, au point où le Saint
béni soit-Il Lui-même S’occupa
de sa dépouille, comme il est dit :
‘Il l’enterra dans la vallée’ ! ».
Il semble assez évident que
ce rapport persistant entre
Yossef et Moché, qui s’acccentue
dans ces différentes
démarches funéraires, n’est
certainement pas fortuit.
Dans le Traité Chabbat (page
152/a), le Talmud explique que
pendant les sept jours qui suivent
le décès d’un homme, « son
âme se lamente sur lui-même ».
Dans son commentaire sur ce
passage, le Maharcha explique
quant à lui que si l’âme observe
le deuil pendant cette période
de « chiva », c’est en hommage
pour le corps auquel elle était
liée pendant la vie « qui retourne
alors à la poussière ».
Ainsi, ces sept jours de deuil
– observés par les proches du
défunt – permettent-ils en fait
aux vivants de partager la souffrance
de l’âme qui, pendant
cette même période, s’endeuille
sur son corps retournant à son
état originel.
Autrement dit : pendant ces sept
jours où l’âme se lamente sur la
« perte » de son corps, c’est en fait
l’essence de l’homme – son aspect
le plus éminent : cette « parcelle
divine venue d’En-Haut » – qui
s’afflige et partage la douleur de
la décomposition du corps qui
constitue quant à lui son aspect
ordinaire et prosaïque, composé
d’une matière qui ne le différencie
en rien des autres êtres
de la Création. En ces jours-là,
l’homme réalise que le divin doit
lui aussi comprendre et partager
la douleur de l’ordinaire, dans la
mesure où la venue au monde
de l’âme fut précisément destinée
à « le purifier, pour l’aider à
s’extraire de sa vulgarité, de son
opacité et de sa matérialité, afin
de l’élever jusqu’aux niveaux les
plus éminents » (Ram’hal dans
Daat Tvounot).
Par conséquent, quoi de plus naturel
que cette période de deuil
fût finalement instaurée par
« les plus importants personnages » de ces générations, Yossef
et Moché, qui eux seuls purent
réaliser combien l’éminence et
le prestige ne peuvent jamais se
passer du simple et de l’ordinaire
! Car c’est lorsque l’on est en
haut de l’échelle que l’on s’aperçoit
combien chaque échelon est
indispensable pour permettre
une ascension.
C’est donc précisément à la
hauteur de leur importance respective
que Yossef – pour s’être
chargé de l’enterrement de son
père – eut l’insigne mérite que
Moché en personne s’occupât
ensuite de sa propre dépouille
et que lui-même, lorsque son
heure vint, fut enterré par nul
autre que… le Saint béni soit-Il !
Y. Bendennoune
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