Guidôn et Yéhochoua
Afin de justifier son choix lors de la bénédiction d’Efraïm et Ménaché, Yaacov répond à Yossef : « Je le sais, mon fils, je le sais ; lui aussi deviendra un peuple, lui aussi deviendra grand, mais son jeune frère sera plus grand que lui et sa postérité remplira les nations » (Béréchit 48, 19). Sur quoi Rachi écrit : « "Lui aussi deviendra un peuple" : Et il grandira, car dans le futur Guidôn sortira de son sein et D.ieu accomplira par son biais des miracles. "Mais son jeune frère sera plus grand que lui" car, dans le futur Yéhochoua sortira de son sein, il conduira Israël et lui enseignera la Torah ».
Tout le monde connaît Guidôn (Gédéon en bon français) dont le livre des Juges (Choftim, chapitres 6, 7 et 8) nous conte l’histoire héroïque, et qui à l’aide de 300 hommes seulement parmi les plus intègres du peuple juif (comme le montre l’épisode du cours d’eau) s’attaqua aux armées midianites et amalécites « nombreux comme les sauterelles », composées de plus de 120 000 guerriers ! Pourtant, Rachi nous révèle ici que, comparé au tsadik Guidôn, pour qui l’Eternel réalisa des miracles, et qui libéra le peuple d’Israël, Yéhochoua est plus éminent encore, et ce, parce qu’il enseigna la Torah à Israël…
De la fidélité
On retrouve cette idée dans le commentaire que, dans son livre « Emek Davar » (paracha Béalotekha), le Nétsiv de Volozine donne du verset : « Mais non : Moché est mon serviteur. De toute Ma maison, c’est lui le plus fidèle – nééman hou » (Bamidbar 12, 7). Voilà ce qu’il écrit : l’épithète « fidèle – nééman » ne s’applique qu’à celui qui a les possibilités d’agir à son gré en utilisant les avantages que lui procure la connaissance de la Torah, mais qui ne le fait pas. Or, Moché fut honoré de cet adjectif, parce que, bien qu’il connaissait le Nom ineffable de D.ieu avec lequel les Cieux et la Terre furent créés, c’est en toute « confiance » qui ne l’utilisa pas à des fins personnelles. Puis, dans un autre commentaire, le « Ra’hav Davar », le Netsiv ajoute au nom du Sifri que l’expression « de toute Ma maison » fait référence aux anges. Et ce, parce que Moché connaissait aussi les noms de tous les anges qu’il était capable d’utiliser comme bon lui semble. Mais, là encore, en toute loyauté, il ne le fit pas. Comme l’enseigne le Sifri (verset 45), Moché avait en effet le pouvoir de transformer l’eau en terre grâce à la combinaison des lettres saintes, mais pour la même raison, il évita d’avoir recours à de tels procédés. Et, en vertu de cette « fidélité » au message de la Torah, ce sont les anges eux-mêmes qui vinrent à lui lors de l’ouverture de la mer rouge…
Nous pouvons tirer de ces enseignements la conclusion suivante : quand bien même un érudit aurait le pouvoir de réaliser de « prodigieux miracles », seul est appelé « fidèle – nééman », celui qui ne le fait pas et qui, au lieu de cela, enseigne la Torah à Israël dans la discrétion et la retenue. Et telle serait la dimension propre à Moché Rabbénou.
Voilà pourquoi le roi Chlommo déclare : « Celui qui a bon œil sera béni » (Michlé 22, 9). Un verset que nos Sages interprètent ainsi : « Ne lis pas sera béni, mais bénira ». Il est connu en effet que les érudits authentiques sont appelés « les yeux », comme il est dit : « Un devoir se substitue aux yeux de l’assemblé » (Vayikra 4, 13), car seuls les sages, parce qu’ils sont liés à la Torah de l’Eternel qu’ils étudient jour et nuit, sont susceptibles de se faire les outils de la bénédiction divine.
Afin d’illustrer cette idée, on rappellera l’histoire suivante que l’on trouve dans le Traité talmudique Avoda Zara, p.17/b. Alors que le peuple juif était soumis au joug des décrets sévères de l’envahisseur romain – en particulier à l’interdiction d’étudier la Torah, le gouverneur convoqua un beau jour rabbi ‘Hanina ben Tradion et lui demanda : « Pour quelle raison as-tu étudié la Torah ? ». Sans sourciller, rabbi ‘Hanina ben Tradion répondit ouvertement : « Parce que mon Créateur me l’a ordonné ». Immédiatement, il fut décrété qu’il soit brûlé vif. Et Rachi de commenter : « Pour quelle raison rabbi ‘Hanina ben Tradion fut-il puni si sévèrement ? Parce qu’il prononçait le Nom de D.ieu en toutes lettres dont il interprétait les quarante-deux lettres, et faisait grâce à cela ce qu’il voulait ». Or par la suite, la Guemara (p.18/a) raconte que, quand ils l’emmenèrent pour l’exécuter, rabbi ‘Hanina ben Tradion, méditant au sens de son verdict, déclara : « Lui, notre rocher, Son œuvre est parfaite » (Devarim 32, 4). « D.ieu, explique le Maharcha, créa le monde avec les lettres de son Nom, comme il est dit : "Car c’est par [les lettres] Youd et Hé que D.ieu a créé les mondes" (Ichaya, 26, 4). Voilà pourquoi rabbi ‘Hanina ben Tradion s’exclama : " Son œuvre est parfaite ! Tandis que moi-même, qui utilisais et prononçais les lettres de son Nom selon mon bon vouloir, mon œuvre ne peut être parfaite !" ». Quelle que soit la grandeur de la Torah de rabbi ‘Hanina ben Tradion, la violence de son verdict fut proportionnelle à la liberté que le Tana avait prise quant à l’utilisation personnelle de la sainteté du Nom de D.ieu. Elle exprime un manquement vis-à-vis de cette fidélité (néémanout) que le verset vante chez Moché Rabbénou.
Une guerre de 12 minutes
On ramène à cet égard au nom du Gaon de Vilna, qu’avant la venue du Messie, une terrible guerre surviendra qui ne durera que douze minutes ! Et dans le livre « Touvkha Yabiou » (paracha Nitsavim), on peut lire que le Gaon haRav Chevadron zatsal raconte avoir entendu de la bouche du machguia’h de Poniowicz, haGaon rabbi Livenstein que cette guerre ne sera pas une guerre de missiles et de canons. Malgré les prédictions stratégiques, elle ne prendra pas la forme d’une attaque nucléaire. Elle sera une guerre quant à l’essence même de la foi ! Qu’est-ce à dire ? Comme nous le récitons à l’occasion des Hochanot du rite ashkénaze : « Sauve-nous, nous t’en prions – Hocha na… pendant trois heures – chaloch chaot ! », avant la venue du Messie, il y aura trois heures de confusion totale. Trois heures pendant lesquelles la foi du peuple juif se trouvera en détresse et sera sur le point de perdre tous ses repères. Et pour cause : parvenant à arrêter le soleil dans sa course, un homme que l’on prendra alors pour le Messie amènera à sa suite une très grande majorité d’hommes et de femmes en quête d’un chef exceptionnel et démonstratif dont les actes « héroïques » auront la force de rassembler les foules… Seul alors un petit nombre de Juifs, comprenant qu’il s’agit d’un faux messie, remettra pourtant en cause la véracité de ces miracles et, se tournant vers le Tout-puissant, Créateur des Cieux et de la Terre, ils exigeront un signe indéfectible de la vérité divine… Cette constance et cette fermeté dans leur foi, ces justes authentiques les auront trouvées dans leur fidélité, dans leur dévouement et leur probité, à la Torah seulement.
Les ailes d’un oiseau rare
Afin de mieux comprendre les mérites que procure l’étude assidue de la Torah, rappelons l’anecdote suivante : le Gaon, rabbi Akiva Eiger, le rav de la ville de Posen, avait l’habitude d’accomplir la mitsva de rendre visite aux malades dans les hospices de la ville. Un jour, un citadin était atteint d’une effroyable maladie. Or, alors qu’il se trouvait à son chevet, on fit savoir au rav Eiger que le médecin du roi se trouvait dans la ville. Le rav alla le trouver pour lui demander d’ausculter ce patient. Mais le médecin répondit : « Je ne vous comprends pas ! Ne savez-vous pas que cette maladie est incurable ? » Rabbi Akiva Eiger répondit alors : « Si c’était le roi qui souffrait de ce mal, n’auriez-vous pas fait tout ce qui est en votre pouvoir pour le sauver ? ». Le médecin réfléchit quelques secondes et dit : « Et bien ! Sachez qu’il y a quelques mois sa majesté fut atteinte de cette maladie et qu’à l’époque aussi j’avais déclaré ne pas pouvoir le soigner. Jusqu’à ce que je me souvienne qu’il existe effectivement un remède unique extrêmement difficile à se procurer : dans une terre reculée, vit un oiseau rare que l’on ne peut capturer qu’après une traque de plusieurs jours. Pourtant, il suffit que le malade mange de sa chair pour qu’il guérisse aussitôt de son mal. C’est ainsi que le roi fit envoyer un escadron de ses meilleurs archers vers cette terre sauvage. Les soldats redoublèrent d’efforts avant de repérer cet oiseau, de l’abattre et de le présenter à leur roi, qui guérit immédiatement après en avoir goûter la chair. Mais comment voulez-vous que ce simple citoyen se procure un tel oiseau ? ». Sur ces mots, rabbi Akiva Eiger rentra chez lui, et entama une prière : « Maître du monde, tes enfants sont des rois, et aujourd’hui l’un d’eux a un besoin urgent de cet oiseau extraordinaire. Je te le demande, envoie-nous cet oiseau ». Il ne se passa pas beaucoup de temps avant qu’un oiseau vienne cogner à la fenêtre du rav qui ordonna aussitôt qu’on l’attrape, le fasse cuire et qu’on le donne à manger au malade. Il demanda cependant qu’on lui coupe les ailes chez lui que le rav désirait conserver chez lui. Après avoir goûté de la chair de cet oiseau, le malade recouvra la santé sur le champ. Quelques mois plus tard, alors que le médecin du roi se trouvait à nouveau en ville, rabbi Akiva Eiger lui fit parvenir les ailes de cet oiseau. Quand il les vit, il déclara : « Seul un Juif érudit est capable d’un pareil miracle »…
Y.R., en partenariat avec Hamdia