Au début de la paracha Chémot, lors de l’épisode du buisson ardent, Moché se voit enjoint de
« prendre ce bâton dans sa main » (Chémot 4, 17), celui-là même qui s’était auparavant changé en
serpent, car « c’est par lui que tu opéreras tous les miracles » en Égypte. Or, il s’avère que cette canne
n’avait en fait rien d’ordinaire puisque le verset la désigne ensuite comme : « Le bâton de l’Éternel »
(verset 20). Tentons de retracer à travers les sources traditionnelles le cheminement et les
implications de ce bâton prodigieux…

De fait, ce bâton semble suivre
la destinée des Hébreux
tout au long de leurs nomb
breux périples : tous les miracles
des Dix plaies d’Egypte furent accomplis avec son « aide » et c’est
en le brandissant que la mer Rouge
s’ouvrit devant les enfants d’Israël
(Chémot, 14, 16). C’est encore lui
qui leur offrit de l’eau douce en
frappant le rocher à deux reprisb
ses (voir Chémot, 17, 5 et Bamidbar, 20, 8) ; et c’est encore lui qui,
levé en direction du ciel, offrit la
victoire à Israël face à Amalek
(Chémot, 17, 8).

Or il s’avère qu’en réalité, ce bâton
providentiel mérita sa désignation
de « Verge de l’Éternel » pas seulement en vertu des nombreux mirb
racles qu’il opéra puisque de nombreuses sources confirment que
ses origines sont parmi les plus
suprêmes qui soient…

Depuis les prémices
de la Création…

S’il est en soi intéressant de découvrir la manière dont ce merveilleux
bâton arriva entre les mains du
sauveur d’Israël, ces descriptions
nous aideront davantage encore à
en saisir la nature et à tenter d’en
découvrir le secret.

Dans les Pirké Avot (chapitre 5, 6),
la Michna énumère dix créations
qui virent le jour « au crépuscule », à savoir à la veille du premier
Chabbat qui conclut l’OEuvre du
monde. On y trouve notamment :
« l’arc-en-ciel, la Manne, et le bâton ». Contrairement à ce que l’on
peut croire, ce bâton n’avait en fait
rien d’une branche de bois : à de
nombreuses reprises, la tradition
talmudique (Yalkout Chimoni ibid.
et chapitre 261, Zohar page 272) le
décrit comme étant taillé à partir
d’une matière appelée « Sanpirinon » (que l’on rapproche – certainement à tort – du saphir) avec
laquelle furent également gravées
les Tables de la Loi (Zohar Chémot,
page 84/b). Sur ce bâton, étaient
inscrits le Nom divin, les noms des
Patriarches ainsi que les dix plaies
d’Égypte sous la forme des acronymes que l’on formule dans la Haggb
gada de Pessa’h : « Datsa’h Adach
Béa’hav », (Pirké déRabbi Eliézer,
chapitre 40).

Allant dans le même sens que
cette Michna, le Midrach (Yalkout
Chimoni, Chémot 173) décrit pour
sa part les nombreuses péripéties
de ce bâton depuis le jour de sa
création :

«‘Tu prendras ce même bâton avec
toi’ : ce bâton qui fut créé au crépuscule fut offert à Adam le preml
mier homme dans le Gan Eden ;
lorsqu’il fut chassé du Jardin
d’Eden, Adam l’emporta avec lui
et le transmit à ‘Hanokh qui le
donna à son tour à Chem ; Chem
le transmit à Avraham, Avraham
à Its’hak, Its’hak à Yaacov et Yaacov l’emporta avec lui en Égypte où
il le donna à Yossef. A la mort de
Yossef, tous ses biens furent saisis et entreposés dans le palais de
Pharaon. En ces temps-là, Yithro
était l’un des mages de Pharaon
et voyant le bâton, il le convoita.
Il s’en empara, l’amena chez lui
et le planta dans son jardin. Mais
depuis lors, il ne put l’approcher…
Lorsque Moché se rendit à Midyan,
il pénétra dans le jardin de Yithro
et voyant le bâton, il lut les inscriptions qui y étaient gravées, il
tendit la main et le saisit. Voyant
cela, Yithro se dit : ‘Cet homme est
celui qui délivrera Israël d’Égypte’,
et c’est pourquoi il lui donna pour
femme sa fille Tsipora ».

On le comprend aisément : cet
« objet » n’avait rien d’ordinaire
puisque pendant toutes ces générations, il se retrouva systématiqb
quement entre les mains des personnages les plus importants de
leurs temps.

Un instrument divin

Façonné à l’aube de la Création
et transmis à travers les générations avec d’infinies précautions,
ce bâton semble avoir toujours été
d’une valeur inestimable ; et c’est
en outre par son biais que furent
opérés tous les nombreux miracles de l’épopée des Hébreux juste
avant, pendant et après la Sortie
d’Egypte.

Mais quelle était donc la nature
exacte de ce bâton extraordinaire
?

C’est certainement dans cet autre
passage traditionnel – extrait du
Midrach Tan’houma (Vaéra, 8) –
que se dessinera plus précisément
à nos yeux l’essence de cet instrument de miracle : « …Car le Roi des
rois, le Saint Béni soit-Il, accorde
une part de Son honneur à ceux qui
Le craignent. (…) Comment cela ?
Chez un roi de chair et de sang, on
ne prend jamais place sur son trône, mais le Saint Béni soit-Il fit assl
seoir le roi Chlomo sur Son trône !
(…) Chez un roi de chair et de sang,
on n’utilise jamais son sceptre,
mais le Saint béni soit-Il transmit
son sceptre à Moché comme il est
dit : ‘Moché prit dans sa main le
bâton de l’Éternel’ ! ».

« Charvit » – le sceptre – représente, aussi bien dans la tradition
juive que pour toutes les monarchies de l’Histoire, le pouvoir et
l’autorité placés entre les mains
d’un monarque. Comme le révèle
le Ibn Ezra (Esther, 4, 11), le terme
« charvit » possède la même racine
étymologique que le mot « chévet »
– c’est-à-dire le « bâton » à proprement parler – dans la mesure où il
symbolise par excellence le pouvoir coercitif et l’emprise exercée
par une autorité sur une nation.
Nous voyons
par exemple que c’est par
son sceptre
que le roi
Assuérus
accor dait
– ou
r e f usait –
– la grâce à ceux qui se présentaient à
sa cour sans y être conviés.
Aussi, dans un passage où le roi
Chlomo s’étonne que sa mère envisage d’accorder la main d’Avichag
la Sunamite à son rival Adoniya,
le roi d’Israël déclara : « Que ne demandes-tu pour lui la royauté ? »,
(Rois I, 2) – expression que Rachi
commente par cette image : « Dès
lors qu’il fera usage du sceptre du
roi, son pouvoir reprendra ! ».
Ainsi, si chez les rois mortels le
sceptre se veut le symbole d’un
pouvoir absolu, c’est dans le même
esprit que nous devons concevoir
ce « bâton de l’Éternel », autrement
dit le sceptre du Roi des rois… En
effet, les Sages nous enseignent
qu’il existe trois « clefs » que le
Saint Béni soit-Il livre parfois, en
fonction des circonstances, entre
les mains de Ses serviteurs : la clef
de la fécondité, la clef des pluies et
la clef de la résurrection de morts
(voir Rabbénou Bé’hayé, Béréchit,
30, 2).

Défiant la rigueur de la nature,
ces différentes « clefs » sont celles
qui permettent d’ouvrir des portes
n’appartennant qu’à D.ieu et qui,
dans certaines situations parfaitement exceptionnelles, sont parfois
confiées à des hommes d’un très
haut niveau. Ce fut notamment le
cas dans l’épisode où le prophète
Elicha ressuscita l’enfant mort de
la Sunamite de manière miraculeuse. Or, si ces trois clefs offrent
un pouvoir aux hommes auxquels
elles sont confiées, leur influence
se limite cependant à leur propre
domaine : chaque clef n’est susceptible d’ouvrir qu’une seule et
unique porte…

La clef des clefs

Mais il s’avère ici qu’il existe en
fait « une clef des clefs », c’est-à-
dire un instrument par lequel
l’homme détient entre ses mains
tous les pouvoirs de la nature : le
bâton de l’Éternel – ce sceptre divin qui représente à lui seul l’empb
prise divine sur toutes les forces de
la nature !

C’est dans cet ordre d’idées que
l’un des grands maîtres de la ‘Hassidout, rabbi Lévi Its’hak de Berditchov zatsal, écrivit dans son
ouvrage « Kédouchat Lévi » (sur
Béchala’h) que le mot « maté » [bâton] découle en hébreu de l’idée de
« faire pencher » [léhatot] des éléments. Voilà pourquoi, poursuit cet
auteur, Moché déclara avant d’entamer la bataille contre Amalek :
« Le bâton sera dans ma main »
– en sous-entendant : « Ce pouvoir que détient D.ieu Béni soit-
Il de faire pencher le monde et de
le diriger suivant Sa volonté, il se
trouve ici dans ma main, dans la
mesure où je peux faire pencher le
monde suivant ma volonté » !
Ce sceptre de D.ieu n’était donc
pas seulement un « symbole » de
pouvoir comme on peut le concevoir pour les sceptres ordinaires
puisqu’il se manifesta au contraire comme le véritable « canal »
par lequel les miracles divins
étaient véhiculés. C’est en ce sens
que le Midrach peut déclarer que
le Créateur cède une part de Son
honneur à ceux qui Le craignent
dans la mesure où, en confiant ce
sceptre à Moché, D.ieu lui offrit
en fait le pouvoir de contrôler la
nature et d’en modifier les règles
à son gré !

Par ailleurs, si les Pirké Avot mentionnent que ce bâton fut l’une des
créations advenues au monde à la
veille du premier Chabbat, la relation entre ces différents éléments
paraît à présent comme une évidence : de fait, comme l’explique
le Rambam dans son commentaire sur la Michna, ces différentes oeuvres créées in extremis ont
toutes pour point commun le fait
qu’elles s’extraient totalement du
cadre des lois de la nature. Or de
prime abord, ce bâton – de par son
aspect – ne semble en rien être
« surnaturel », contrairement à la
« bouche de l’ânesse » de Bilaam ou
au ver du chamir capable de broyer
la pierre sans produire de déchet
qui étaient par nature foncièrement exceptionnels. Mais comme
nous l’avons vu, si le bâton de Mocb
ché défiait à ce point les lois de la
nature, c’est n’est pas tant par sa
forme physique mais plutôt en vertu de son pouvoir… car il était par
essence la clef sur laquelle la nature n’avait plus aucune emprise.

Yonathan Bendennoune


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