Six mois après le début de la vague populaire déferlante qui a renversé le régime Moubarak, plusieurs signes attestent déjà de la structuration et de l’influence grandissantes du mouvement des Frères musulmans, donné favori pour les prochaines élections législatives de l’automne.
Fait hautement significatif des changements politiques de fond qui sont en train de se faire jour en Egypte : le Conseil suprême des Forces armées (CSFA), qui fait office dans ce pays de « gouvernement militaire provisoire » depuis la départ de Moubarak, vient de légaliser au début du mois de juin le parti des Frères musulmans – lequel était pourtant resté jusque-là « hors-la-loi » depuis 1954.
Durement brimé et réprimé pendant les trois décennies du régime Moubarak, alors qu’il était l’unique parti plus ou moins structuré de l’opposition frontale au régime, le mouvement des Frères musulmans a donc décidé de changer de nom pour porter désormais celui – bien plus « présentable » au plan électoral – de « Parti de la Liberté et de Justice » (PLJ)…
D’ailleurs, pas une semaine ne passe sans que la direction du PLJ n’annonce – à grands renforts de slogans euphoriques publiés dans la presse nationale – la création de plusieurs nouvelles sections aux quatre coins du pays. Ainsi, d’après plusieurs experts de la scène politique égyptienne, alors qu’il ne comptait qu’environ 100 000 membres et sympathisants juste avant la chute de Moubarak, ce mouvement islamiste en regrouperait à présent six fois plus, soit 600 000 – un chiffre qui atteste de sa croissance numérique à grande vitesse et aussi de ses efforts de structuration interne !
En février dernier, au plus fort des émeutes de la Place Tahrir, les Frères musulmans avaient eu l’habileté d’intégrer la fameuse « Coalition des Jeunes Révolutionnaires » pour participer activement – et plus discrètement – au renversement du régime Moubarak. Mais aujourd'hui les forces les plus « progressistes » de cette coalition comme les membres de l’Académie du Changement, les universitaires internautes et les groupes féministes, se sont marginalisés… pendant qu’au contraire les islamistes sortent de l’ombre pour apparaître comme une force autonome de plus en plus crédible et pour tout faire afin d’accroître leur influence.
Un processus semblable à celui intervenu en Iran en 1979… avec le feu-vert de la Maison-Blanche !?
D’après plusieurs experts israéliens et occidentaux, cette montée en puissance des Frères musulmans égyptiens n’est pas sans rappeler le phénomène très vite intervenu en Iran après la chute du Shah et l’avènement de la Révolution islamique promue par l’ayatollah Khomeiny : « Les développements qui se font actuellement jour dans l’Egypte d’après Moubarak, écrit ainsi Jagdish N. Singh, un expert de la presse indienne dont les analyses sont publiées par le Centre Begin-Sadate d’Etudes stratégiques de l’université Bar-Ilan, commencent à ressembler de près au processus d’islamisation qui est intervenu en Iran dans le sillage immédiat de la révolution de 1979. Ainsi, les Frères musulmans gagnent-ils sans cesse en influence, alors que les forces progressistes – qui ont pourtant beaucoup agi pour tenter de transformer l’Egypte en démocratie – sont devenues silencieuses… ».
Alors que dans l’entourage de Barack Hussein Obama, on a sans cesse tenu à minimiser le danger des Frères musulmans en insistant sur le fait qu’il s’agissait d’une « mouvance composite » regroupant aussi certaines élites appartenant à plusieurs secteurs de la société égyptienne, le programme politique, social et culturel de ce mouvement reste dans son intégralité celui de la charia et de la loi coranique la plus stricte (lequel fait d’autant plus penser à la Charte du Hamas que les islamistes de Gaza ne sont en fait que la branche palestinienne de la grande confrérie des Frères musulmans née et enracinée en Egypte depuis les années 1920 !)
Pire encore : d’après certaines analyses, l’administration Obama, qui redoutait un « vide du pouvoir » après les premières émeutes égyptiennes, aurait elle-même encouragé la formation en Egypte de cette alliance politique d’un nouveau genre entre un gouvernement militaire assumant la « transition » et le mouvement des Frères musulmans : un « schéma-type » pour les « révolutions arabes » en cours, que Washington tenterait de propager aussi ailleurs…
Mais cela, au risque d’exporter le paradoxe qui intervient actuellement en Egypte : alors que le CSFA est tout occupé à tenir les rênes du pouvoir en vaquant au plus pressé (relancer l’économie, ramener les capitaux étrangers et les touristes, créer des emplois, tenter de redistribuer les maigres richesses du pays, tout en essayant de reprendre le contrôle sécuritaire du Sinaï), les Frères musulmans sont la seule force politique crédible qui a désormais tout le temps et le loisir de se structurer pour apparaître lors des prochaines élections comme la seule force nationale « crédible »… Par Richard Darmon,en partenariat avec Hamodia.fr