Jamais les pères fondateurs de Chaaré Tsédek, inauguré, le jour de Tou biChevat 1902, n'auraient pu imaginer que, 110 ans plus tard, ce petit hôpital qui comptait alors une vingtaine de lits deviendrait l'un des complexes hospitaliers les plus importants d'Israël, accueillant plus de 60 000 patients par an dont… 14 000 nouveau-nés !
Nous sommes en 1837. Le Yichouv juif de Jérusalem se développe, mais malgré les maladies et les épidémies, il ne possède pas d'hôpital digne de ce nom. Les malades sont soignés chez eux, ou font appel aux médecins non-juifs, qui les dirigent souvent vers des cliniques et dispensaires dirigés par des missionnaires catholiques.
En 1839, après une visite en Israël de laquelle il ressort horrifié face à l'insalubrité et à la morbidité qui règne à Jérusalem, le philanthrope juif anglais Moché Montefiore décide de régler ce problème en initiant la création d'un hôpital juif qui fournirait des soins gratuits à tout celui qui en aurait besoin. Il fait toutefois face à l'opposition inébranlable de Tsvi Hirsh Lerhan, banquier et mécène juif hollandais orthodoxe, responsable de la caisse de bienfaisance locale, une des plus grandes donatrices du Yichouv. Lerhan craint que la construction d'un hôpital n'ouvre la voie du modernisme dans la ville sainte et il va même jusqu'à menacer les rabbanim de Jérusalem de cesser tout transfert de fonds si le projet de Montefiore devait se concrétiser.
En 1844, alors que les Turcs règnent sur le pays, le consulat britannique prend l'initiative de développer un centre d'aide médicale qui, sous couvert de soins destinés aux Juifs, cache, en fait, un centre de missionnaires dirigé par la « Société londonienne de développement du christianisme ». Le médecin et le pharmacien sont des Juifs convertis, des mézouzot sont placées à toutes les portes, la nourriture est casher. Très vite, ce centre attire tous les malades juifs de la ville.
Et ce qui devait arriver arriva : en 1840, trois étudiants se convertissent, à la suite de leur hospitalisation. Le scandale provoque une terrible onde de choc dans la population de la ville. Il devient indispensable, pour tous les notables traumatisés, de créer un hôpital juif. Malgré l'opposition de Lerhan, Montefiore renouvelle son offre et en 1843, le Dr Chimon Frankel, nouvel immigrant allemand, ouvre le premier dispensaire juif, le dispensaire Montefiore.
En 1854, le Baron de Rothschild ouvre un hôpital portant son nom dans la Vieille Ville. Il est dirigé par son conseiller, le docteur Albert Cohen. Les élèves du Gaon de Vilna, surnommés les Prouchim, ne sont pas enthousiastes à l'idée de se faire soigner dans un hôpital dirigé par un Juif non religieux qui, selon eux, privilégie les patients allemands et autrichiens sur le compte des Russes et Polonais.
Ils créent donc en 1867 l'hôpital Bikour 'Holim qui souffre durant les premières années de disputes constantes entre 'Hassidim, Prouchim, Hollandais-Allemands et Russes-Polonais… À ces dissensions s'ajoute le fait que les Juifs séfarades se sentent quelque peu mis de côté dans le « paysage hospitalier » de Jérusalem. Ils décident donc de créer, en 1879, leur propre centre hospitalier financé par les riches Juifs de Salonique, qui portera le nom de « Misgav Lada'h ».
Durant toutes ces années, la concurrence entre les trois hôpitaux bat son plein. Mais c'est l'arrivée d'un jeune médecin juif, le Dr Moché Wallach, originaire de Cologne, qui va tout changer. À peine installé, le Dr Wallach ouvre un dispensaire qui va très vite connaître un franc succès. Il se rend donc ensuite en Allemagne pour collecter les fonds nécessaires à la construction d'un nouvel hôpital. Et d'emblée il fait savoir que cet hôpital sera dirigé selon les lois les plus strictes lois de l'orthodoxie juive et qu'il accueillera tous les patients sans la moindre distinction. Wallach se montre particulièrement persuasif et les mécènes juifs allemands le mandatent pour l'achat d'un terrain situé à l'extérieur des murailles, sur la grande rue de Jérusalem, la rue Yaffo. C'est sur ce terrain que se dressera le premier bâtiment de l'hôpital Chaaré Tsédek.
L'origine du nom Chaaré Tsédek (les portes de la justice) se trouve dans les Psaumes (118, 19) : « Ouvrez moi les portes de la justice, je viendrai à elles et remercierai D.ieu ». À cette époque, le quartier qui fait face au terrain qui accueillera l'hôpital est le plus excentré de la ville et il constitue donc la « porte » de Jérusalem. Il porte donc le nom de Chaaré Tsédek, nom qui sera ensuite donné à l'hôpital qui lui fait face.
La construction débute le 13 août (15 Av) 1897. Très vite, le bâtiment est qualifié de « bijou architectural moderne » et les journaux locaux rivalisent de descriptions sur son ascenseur et sur l'eau courante dont l'hôpital dispose. On se demande combien d'ouvriers faudra-t-il pour terminer cette œuvre. Une anecdote intéressante : durant la construction, le Dr Wallach se rend tous les jours sur le chantier pour proposer aux ouvriers juifs de mettre les téfilin…
L'hôpital compte trois bâtiments : l'un destiné aux femmes, l'autre aux hommes et le troisième aux patients souffrant de maladies contagieuses. Les bâtiments sont entourés d'un jardin, ce qui fait dire à Éliezer Ben Yéhouda, père de l'hébreu moderne, qu'il s'agit du « bâtiment le plus beau de Jérusalem ». Sa construction aura coûté un demi-million de francs de l'époque !
Le 15 Chevat 1902, l'hôpital est inauguré, en présence des grands rabbins, des représentants des différentes communautés, du Pacha turc, du consul allemand et de hauts fonctionnaires turcs. Le Dr Wallach est nommé directeur du centre hospitalier. La personnalité du Dr Wallach est si dominante que jusqu'à aujourd'hui, à Jérusalem, les anciens appellent le bâtiment de Chaaré Tsédek « Wallach ».
Dr Wallach ne se mariera jamais et passera toute sa vie dans l'enceinte de l'hôpital.
Lors de la Première Guerre mondiale, Chaaré Tsédek servira de centre de premiers soins pour les blessés turcs et lors de la conquête de la ville par les Britanniques, c'est dans son enceinte que seront transmises les clés de la ville au général Allenby.
Dans les années 30, de nombreux médecins originaires d'Allemagne rejoignent le personnel hospitalier, mais durant la Seconde Guerre mondiale, avec l'arrêt des dons en provenance de la communauté juive allemande, Chaaré Tsédek connaît des difficultés financières qu'il parvient à surmonter grâce à l'efficacité de son directeur, qui quitte cependant son poste en 1947. Le Dr Wallach décède dix ans plus tard, à l'âge de 91 ans. Il sera inhumé aux abords du bâtiment qu'il n'a quasiment jamais quitté. Sont également inhumés dans ce petit cimetière : le rav Yossef Tsvi Douchinski et son fils, rav Israël Moché Douchinski, tous deux présidents du tribunal rabbinique de la Éda 'harédit de Jérusalem, et le rav Me'hel Shlésinger, roch yéchiva de Kol Torah.
En 1948, lors de la guerre d'Indépendance, l'hôpital, de par son emplacement stratégique, est l'un des principaux centres d'accueil pour les blessés juifs. Très vite, son importance est décuplée lorsque l'accès à l'hôpital Hadassa Har Hatsofim devient inaccessible.
Les années passent et le nombre de patients ne cesse de croître. Le petit bâtiment de la rue Yaffo devient trop exigu pour satisfaire à la « demande ». En 1980, le centre hospitalier Chaaré Tsédek déménage dans ses nouveaux et imposants locaux, situés en contrebas du quartier de Bayit Végan, tout près du boulevard Herzl.
On raconte que le Dr Wallach exigeait de son personnel médical et infirmier des qualités humaines aussi élevées que les aptitudes médicales. Aujourd'hui, son successeur, le Pr Yonathan Halévy (voir encadré) poursuit cette voie. Chaaré Tsédek est certes aujourd'hui l'un des plus grands hôpitaux du pays, mais il a su garder son authenticité et ses valeurs. Après 110 ans d'activité, c'est une énorme réussite !
Par Laly Derai en partenariat avec hamodia.fr