Pour cette période de deuil que nous traversons actuellement, nos Sages instaurèrent des lois particulières, comme l’interdiction de consommer de la viande ou de porter des habits neufs. Et ce, en souvenir de la destruction du Temple de Jérusalem, la fierté du peuple juif qui est à présent foulé aux pieds des nations.

Malheureusement, ces pensées ne nous accompagnent guère dans notre quotidien. Qui peut affirmer qu’il est habité, durant toute cette période, par l’affliction et le désespoir face à l’exil ? Pourtant, nous savons qu’à une époque, des hommes savaient apprécier ces jours à leur juste valeur, et sentir le poids de la tristesse sur le cœur.
Je me souviens encore de cette époque où des hommes pieux se lamentaient profondément sur la perte du Temple, et récitaient chaque nuit le tikoun ‘hatsot pour l’exil de la Chékhina. Qui de nos jours peut s’affliger ainsi sur la douleur de la Chékhina ? Avec le temps, les épreuves sont devenues naturelles à nos yeux, la vie suit son cours et l’on évolue comme si rien ne nous faisait défaut.

"Dix miracles se déroulaient quotidiennement dans le Temple"

La tristesse nous inonde en nous remémorant l’époque où Tsion brillait dans toute sa splendeur, où ceux qui se rendaient à Jérusalem, la ville sainte, pouvaient y admirer la splendeur de la Chékhina. Dix miracles se déroulaient quotidiennement dans le Temple ; tout homme ayant fauté pouvait se tourner vers ce lieu saint et y recevoir le pardon et l’expiation, comme le disent nos Sages : « Jamais un homme n’a passé la nuit à Jérusalem en ayant encore une faute sur la conscience. Pourquoi ? Parce que le sacrifice perpétuel du matin expiait les fautes commises pendant la nuit, et le sacrifice du soir expiait les fautes commises pendant la journée, comme il est dit : ‘La justice y veille’ ».
Toute personne qui se rendait sur le Mont du Temple était aussitôt inspirée par l’atmosphère de pureté qui y régnait. Il percevait la sainteté des lumières de la Ménora, il respirait les senteurs de la Kétoret, qui répandait non seulement de bonnes odeurs, mais des odeurs provenant du Gan Eden lui-même, capables d’inspirer à chacun un profond élan de regrets et de repentir.
Si toutes ces pensées nous habitaient vraiment, nul besoin ne serait d’user de moyens artificiels pour nous souvenir du Temple et de Jérusalem. Nos pères n’avaient nul besoin de ces méthodes pour avoir continuellement à l’esprit le deuil et l’exil de la Chékhina.
Voilà pourquoi je pleure

« Que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens pas toujours de toi »

Dans la Méguilat Eikha, le prophète Jérémie se lamente : « Voilà pourquoi je pleure : mes yeux, mes yeux ruissellent de larmes, car autour de moi, il n’est personne pour me consoler, pour relever mon courage. Mes fils sont dans la désolation, car l’ennemi a vaincu » (1, 16). C’est lui, Jérémie, l’homme qui vit par prophétie tous les malheurs qui surviendraient dans l’avenir du peuple juif, tous les exils qu’il devrait affronter. En voyant les jeunes juifs exilés, les enfants pris en captivité, il fut saisi d’un grand effroi : comment ces enfants vont-ils grandir dans l’exil ? Car dans cet exil, rien ne peut garantir l’avenir spirituel des générations futures.
De fait, de quoi à l’air notre propre génération ? Tant d’enfants se sont éloignés de leur Source, se mélangent aux nations et s’inspirent de leur mode de vie ! Ils sont eux-mêmes la cause des sanglots de Jérémie, de toutes ces larmes qui inondèrent son visage. Ce ne sont pas les souffrances physiques endurées par le peuple qui suscitèrent ces larmes, ni le dénuement dans lequel il vécut. Ce sont tous ces enfants qui s’éloignent inexorablement de la Torah et qui s’attachent aux nations du monde. Ce sont ces milliers de garçons qui ont été arrachés des valeurs du judaïsme et conduits jusqu’à un désert de spiritualité. C’est enfin l’âme de cet enfant pur, perdue dans l’exil, mais qui reviendra assurément jusqu’à la Source de son existence. C’est pour eux que Jérémie se lamenta ainsi, et qu’il déplora la victoire de l’ennemi sur les fils d’Israël.
Si nous nous souvenions de notre situation d’exil, si nous cessions d’oublier la destruction de Jérusalem, nous serions sans envie ni tentation. Mais parce que nous oublions ce drame, nous nous laissons attirer par la culture de notre temps, pour améliorer notre condition et accroître notre confort. C’est à ce sujet que le verset dit : « Que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens pas toujours de toi » (Téhilim 137, 6). Autrement dit, si je ne prends pas garde de ne pas oublier Jérusalem, ma langue – l’organe de la parole – risque de s’attacher à mon palais, c'est-à-dire à des valeurs superficielles vouées à assouvir ma faim et ma convoitise. Les Psaumes poursuivent : « Si je ne place Jérusalem au sommet de toutes mes joies » – tant que la destruction du Temple ne surpassera pas toutes mes joies personnelles, quelle garantie aurais-je quant à ma fidélité à la Torah ?

"Nous ne prions pas convenablement pour le retour de la Chékhina."

On rapporte au nom de Rav Chmelke de Nikolsburg une interprétation originale de ce verset : « Pourquoi le fils d’Ichaï n’est-il pas venu, ni hier ni aujourd’hui pour le repas ? » (paroles attribuées à Chaoul, qui interrogeait son fils Yonathan sur l’absence de David – ndlr). Dans le Zohar, nous trouvons des mots troublants à ce sujet : « Tous crient comme des chiens : ‘Donnez, donnez-nous du pain !’, mais personne ne réclame le retour de la Chékhina ». C’est en ce sens que le verset s’exclame : « Pourquoi le fils d’Ichaï n’est-il pas venu ? » – pourquoi le Machia’h n’est-il toujours pas arrivé ? Ce à quoi il répond lui-même : « Parce qu’hier et aujourd’hui, tout va au pain » – notre unique souci est d’obtenir notre pain, et nous ne prions pas convenablement pour le retour de la Chékhina. En partenariat avec Hamodia.fr