Dans les dernières lignes de notre paracha, la Torah décrit les hommages rendus à Yaacov au moment de sa mort, ainsi que
le deuil qu’observèrent Yossef, ses frères et tout le pays d’Égypte en le portant jusqu’à sa dernière demeure. On nous y relate
qu’outre les soixante-dix jours de deuil observés en Égypte après son décès, une immense procession funèbre l’accompagna
jusqu’à sa dernière demeure dans la caverne de Makhpéla en terre de Canaan… au point où un lieu porte le nom de « Ével
Mitsraïm » destiné à rappeler cet immense deuil qui fut porté par les Égyptiens !

Même au risque de paraître
lugubre, le thème du deuil
mérite que l’on s’y attarde
quelque peu… Que signifie ainsi
« porter le deuil » pour un défunt ?
Est-ce à dire que nous serions « peinés
» pour son sort ? Ou bien ces
pleurs viendraient-ils manifester
plutôt la douleur de la séparation
d’un être cher ?

Au début de la paracha ‘Hayé Sara,
le Or ha’Haïm révèle que ces deux
propositions sont parfaitement exactes.
Il relève en effet qu’au moment
où Avraham pleure la disparition de
Sarah, le verset fait mention de deux
attitudes distinctes : « Avraham y
vint pour dire sur Sarah des paroles
funèbres, et pour la pleurer » (Béréchit
23, 2). Aux yeux du Or ha’Haïm,
les paroles funèbres et les pleurs sont
en fait les deux expressions d’hommage
que les vivants rendent aux
défunts : « En d’autres termes, il
[prononça des paroles funèbres] sur
Sarah parce qu’elle a quitté le monde,
et il pleura en outre le manque occasionné par sa disparition ; ou encore,
on pourrait [interpréter ces versets]
inversement : Avraham [dit des paroles
funèbres] sur Sarah, eu égard
à sa piété et au manque occasionné
par sa perte, et il pleura pour elle même
parce qu’elle goûta du calice de
la mort et parce que sa lumière s’est
alors éteinte ».

Dans un sens comme dans l’autre, le
Or ha’Haïm nous dévoile ici les deux
dimensions du deuil : l’homme se
lamente pour lui-même – pour avoir
perdu un proche -, et il pleure ausssi
le sort de son proche qui a ainsi
« quitté le monde et goûté du calice
de la mort ».

Si nous comprenons fort bien les
larmes versées par une personne
endeuillée pour la perte d’un proche
– c’est-à-dire littéralement pour
l’absence et le manque consécutifs
à cette disparition -, il n’en reste
pas moins que par cette approche,
l’homme va alors s’affliger davantage
sur son propre sort : il déplore
en effet la séparation d’un proche
dont il regrette l’absence et dont le
manque le fait souffrir. Or, il est évident
que cette forme de deuil ne peut
se suffire à elle-même, car le deuil –
dans sa dimension plénière – implique
nécessairement (tout au moins
dans la même mesure) autant une
affliction pour le défunt que pour
nous-mêmes ! C’est pourquoi le Or
ha’Haïm relève qu’au sujet d’Avraham,
ces deux aspect du deuil figurent
distinctement : « Dire sur Sarah
des paroles funèbres et la pleurer ».
Or cette second facette du deuil mérite
elle aussi quelques explications :
l’un des principes les plus élémentairres
de notre foi veut que « D.ieu de
vérité, jamais injuste, agit constamment de manière équitable et parfaits
tement juste », (Dévarim 32, 4). Si elle
constitue un passage « douloureux »,
la mort s’inscrit néanmoins dans une
justice parfaitement droite et équitable…
Et si nous déplorons un évènement
douloureux, jamais nous ne remettons
en cause sa légitimité ni ses
motifs ! A cet égard, les pratiques de
mortifications qui sont souvent celles
des autres nations sont-elles vues
avec la plus grande rigueur par la Torah
: « Ne tailladez pas votre chair à
cause d’un mort ! », (Vayikra 19, 28).
La voie qu’il convient donc d’adopter
en toute circonstance douloureuse,
et particulièrement à la perte d’un
proche, consiste en fait à « accepter le jugement divin [Hatsadkat
hadin] » comme un décret juste et
droit, (Traité Béra’hot, page 19/a). Et
parce que toute épreuve humaine est
nécessairement estampillée du sceau
de la justice, parce que notre douleur
ne saurait en aucun cas imputer
la moindre iniquité à la marche des
évènements, l’être humain est même
appelé à accepter cette souffrance
par le biais d’une bénédiction, comme
il doit aussi le faire systématiquement
à l’annonce d’une bonne
nouvelle : « L’homme est tenu de bénir le mal comme il bénit le bien »,
(Michna Béra’hot 9, 5).

Par conséquent, il semblerait que
cette seconde dimension du deuil,
évoquée dans les paroles du Or
ha’Haïm, ne corresponde pas à cette
vision des choses : la justice de D.ieu
étant absolument parfaite, qu’est-ce
qui nous laisse supposer que la mort
soit un événement « tragique » pour
la personne défunte ? Accepter pleinement
le jugement divin ne revient-il
pas à voir dans tout événement une
manifestation de la bienveillance de
D.ieu à notre égard ? Et n’implique-t-
il pas que la mort ne soit pas une
fin en soi ? Bref : pourquoi devrions-nous
déplorer le sort d’un proche dispparu
après qu’il a ainsi « bu le calice
de la mort » ?

Pour répondre à cette question, il
nous faut reconsidérer notre idée du
mal, dont la mort est l’une des émanations
les plus expressives.

Le mal – une nécessité
du bien !

Si nos Sages affirment que « le Satan
n’est autre que le Yétser haRa [littéralement
: l’incitateur du mal] et
l’Ange de la mort », c’est que la mort
constitue sans nul doute l’oeuvre la
plus significative et importante de
ce « Préposé au mal »…

Or, à l’instar de toutes les choses qui
composent la Création, le mal fut
créé pendant les six premiers jours
de ce monde. Au moment où D.ieu
acheva la Création toute entière, le
verset déclare en effet : « D.ieu examina tout ce qu’Il avait fait : c’était
éminemment bien. Le soir se fit, puis
le matin, et ce fut le sixième jour »,
(Béréchit 1, 31).

Dans son commentaire sur ce verset,
le Ramban explique que par l’emploi
du mot « éminemment » [Méod], la
Torah rétablit une notion qui avait
été omise par les versets précédents :
« Parce qu’en ce sixième jour, le vers
set évoque l’ensemble de la Création
où se trouve nécessairement une part
de mal, (…) c’est à cet égard que les
Sages déclarèrent dans Béréchit Rabba (9, 5) : ‘Le bien était éminent : le
bien était la mort’ ,(…) parce que le
mal est tributaire du bien comme il
est dit : Il y a un temps pour tout,
et chaque chose à son heure sous le
ciel’, (L’Ecclésiaste 3, 1) ».
Ainsi, au sixième jour de la Création,
D.ieu proclame que l’excellence de Sa
Création englobe tout autant le bien
que le mal et la mort ! Or ce qu’il y a
d’étonnant ici, c’est que visiblement
cette déclaration fut prononcée avant
que la mort ne devienne le lot commun
de tous les hommes puisqu’elle
fut proclamée avant même que le
premier des hommes n’ait commis la
faute qui le chassa du Gan Eden et
de la Vie éternelle !

Nécessairement, il nous faut
conclure de cette remarque que déjà
dans les prémices de l’existence,
avant même qu’il ne se manifeste
par la faute du premier homme, le
mal était bel et bien présent dans
les fondements de la Création. C’est
que le mal s’avère un élément incontournable
de la Création sans
lequel nul être n’aurait pu avoir été
créé !

En effet, parce que l’Existence impérative
et absolue ne peut être que celle
de l’Infini -autrement dit D.ieu ! -,
toute « création » ne peut voir le jour
que si elle naît avec une mesure de
néant : ce n’est qu’à travers cette forme
de « voilement » de l’Être absolu
– c’est-à-dire une part d’absence de
l’Être suprême – que peut éclore une
création nouvelle. Pour exister, l’être
requiert ainsi le non-être, la matière
réclame l’antimatière : toute création
– puisqu’elle n’est pas absolue –
suppose fatalement qu’une place soit
faite au néant !

Ainsi, ce que nous désignons par
« mal », c’est cette corrélation établie
entre l’être et le néant, la mort
étant cette dépendance vis-à-vis du
non-être qui permet à la Création…
d’exister. Par conséquent, avant
même que la faute n’ait été perpétrée
par Adam harichone, les jalons
du mal et de la mort avaient déjà été
posés en ce monde, bien que leur rôle
se borna alors à n’être qu’un potentiel.
Le « bien éminent » dont parle le
verset suppose donc effectivement le
mal et la mort qui accusent la dimension
de finitude de tout être créé.
Par conséquent, si la mort est effectivement
un drame, ce n’est pas
tant en vertu du mauvais sort ou
des présumées « souffrances » qui
frapperaient le défunt : le deuil que
l’on porte sur un proche disparu est
en fait l’expression de notre saisissement
face au néant – ce néant qui
nous habite et dont nous ne pouvons
réchapper.

Lorsque l’on déplore la disparition
d’un juste ou celle d’un proche, c’est
non seulement notre propre perte
que nous pleurons, mais en cette occcasion,
nous nous remémorons aussi
la fatalité de notre condition d’« être
créé » impliquant cette part du mal
et du néant qui se manifeste au moment
de la mort. Le deuil ainsi observé
prend une toute autre dimension
: chaque larme que l’endeuillé
verse porte en elle tout le chagrin de
cette fatalité de la mort qui néanmoins,
elle seule, peut ouvrir à
l’homme les portes du bonheur et
de l’éternité.

Yonathan Bendennoune

Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

Il est interdit de reproduire les textes publiés dans Chiourim.com sans l’accord préalable par écrit de Hamodia.
Si vous souhaitez vous abonner au journal Hamodia Edition Francaise ou publier vos annonces publicitaires, écrivez nous au :
fr@hamodia.co.il

Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

Il est interdit de reproduire les textes publiés dans Chiourim.com sans l’accord préalable par écrit de Hamodia.
Si vous souhaitez vous abonner au journal Hamodia Edition Francaise ou publier vos annonces publicitaires, écrivez nous au :
fr@hamodia.co.il