Israël demande la reconnaissance par les Palestiniens de l’Etat d’Israël comme Etat juif ou comme le pays du peuple juif. Pour les Palestiniens, il n’existe aucune possibilité d’une telle reconnaissance, étant donné qu’une telle exigence est considérée par eux comme une trahison des principes de l’islam. Malgré les dissensions entre l’OLP et le ‘Hamas, une chose les unit : ils ne veulent pas et ne peuvent pas reconnaître Israël en tant qu’Etat juif. 

Lors d’un discours prononcé à l’Université Bar-Ilan en juin 2009, Binyamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël, a émis l’exigence que les Arabes reconnaissent Israël comme étant un Etat juif ou comme l’Etat du peuple juif, en tant que prémisse de toute négociation future. Différentes personnalités du monde arabe et islamique ont accueilli cette « nouvelle » exigence avec dérision en la refusant et ont donné de nombreuses explications quant à leur réaction. 

L’explication quasi traditionnelle de ce refus est que la raison de l’exigence de reconnaître Israël comme pays des Juifs est destinée à empêcher le droit de retour des réfugiés à l’intérieur de l’Etat d’Israël et le transfert de la minorité arabe qui habite en Israël, inacceptables pour le monde arabe. 

D’autres explications « techniques » ont été également avancées. En fait, il est question de quelque chose de beaucoup plus profond et d’essentiel. La perception d’Israël comme Etat sans légitimité n’est pas liée à ses frontières. Cette perception est composée de cinq éléments : 

1-      Exigence de trahir l’islam 

Dans la conception islamique, la religion juive a disparu avec l’apparition du christianisme et le christianisme a disparu avec l’avènement de l’islam. Cette conception est énoncée dans le Coran de la façon suivante : « la seule religion pour Allah est l’islam », ce qui signifie qu’Allah ne reconnaît aucune religion hormis l’islam. L’islam – tel qu’il se définit lui-même – est apparu comme l’annonce de la vérité, après que les juifs et les chrétiens, chacun à leur tour, ont transformé et falsifié la parole d’Allah qui leur avait été transmise, et pour cette raison Allah leur a retiré leur rôle religieux et le message théologique qu’ils véhiculaient et l’a transmis aux musulmans, qui seuls sont les « croyants » authentiques. 

En conséquence, selon cette approche, l’islam n’est pas apparu pour coexister avec les religions antérieures comme leur égal, mais pour les remplacer. 

Il s’ensuit que si le judaïsme est une religion qui a perdu sa signification et son rôle dans le monde, comment est-il possible de créer un Etat juif ? Comment est-il possible de prétendre qu’il existe une terre sainte pour le judaïsme après que cette religion ait été abolie ? Comment peut-on prétendre que les Juifs – appartenant à une religion qui n’a plus aucune signification – aient le droit d’un Etat sur une quelconque terre, après que ses fils aient « trahi » Allah et n’aient pas accepté la religion de vérité, l’islam ? 

De fait, l’islam a accepté les Juifs en tant que « peuple du Livre »  et non comme des infidèles, mais à condition qu’ils vivent soumis au pouvoir de l’islam comme dhimmis, c’est à dire de statut inférieur et s’acquittent du paiement d’un impôt personnel. 

Avec la conquête de la Palestine, les juifs perdirent les droits qui leur avaient été octroyés par le Pacte d’Omar édicté apparemment par le Calife Omar al-’Khattâb lors qu’il conquit le pays d’Israël en 638, et par lequel il régit les relations entre le pouvoir musulman et  les populations soumises, chrétiens et juifs. 

En conséquence, l’exigence d’Israël que l’islam reconnaisse l’Etat d’Israël comme le pays du peuple juif, est en opposition totale avec la conception la plus fondamentale de l’islam, à savoir que le judaïsme a disparu et a perdu toute signification. L’exigence formulée par B. Nétanyahou équivaut à exiger que l’islam reconnaisse le judaïsme comme religion légitime après qu’Allah ait décidé en personne dans le Coran que « celui qui choisit une religion autre que l’islam ne peut être accepté ». 

2-      Invention d’un peuple juif

Le judaïsme, selon la conception de l’islam, est la religion d’un groupe communautaire et ne constitue pas une entité ethnique ou nationale. Pour exemple, l’Irak est peuplé de nombreux groupes religieux : des musulmans, des chrétiens, des zoroastres, des mandéens, des bahá’is, des yézidis et des juifs. Ils font tous partie du peuple irakien et leur place est en Irak. Il y a donc des arabes irakiens musulmans, des arabes irakiens chrétiens et également des arabes irakiens juifs, appartenant à des communautés religieuses qui sont partie intégrante du peuple irakien. 

Il en est de même au Yémen, où il y a des arabes yéménites musulmans et des arabes yéménites juifs. La situation est identique au Maroc et dans les autres pays de l’islam où il existe des communautés juives de la même façon qu’il existe des communautés musulmanes et chrétiennes. 

De surcroît, il en va de même – d’après la conception islamique – dans les autres pays : un juif polonais est d’ethnie polonaise et juif de religion. Le juif français est un fils de la nation française dont la religion est juive et en conséquence il n’y a pas dans le monde de groupe ethnique juif, de la même façon qu’il n’y a pas de groupe ethnique chrétien ou musulman. 

De façon surprenante, les communautés juives [de différents pays] décident soudainement qu’elles constituent un même peuple, qu’elles appartiennent au même groupe ethnique et que tous les juifs du monde entier se ressemblent, parlent la même langue, ont les mêmes coutumes, mangent les mêmes aliments, ont des coutumes vestimentaires et des danses semblables. 

Du point de vue de l’islam, il s’agit d’un mensonge éhonté du mouvement sioniste, qui a créé un peuple juif ex nihilo et tente de persuader le monde qu’un tel peuple existe. Plus grave encore, ces communautés juives décident de se rendre en Palestine, d’en évincer ses habitants d’origine et d’y instaurer un Etat dont le nom ne rappelle pas le peuple juif mais les fils d’Israël. Comment est-il possible de reconnaître cet Etat en tant qu’Etat d’un « peuple juif » qui n’existe pas ? 

           3-  A qui appartient la terre ? 

La Palestine a été « sanctifiée » en tant que terre musulmane par deux actes : le premier par sa conquête lors du règne du calife Omar ibn al-’Khattâb aux environs de 630. De ce point de vue, la Palestine fait partie du groupe des pays qui étaient autrefois sous la domination de l’islam tels l’Italie, l’Espagne, la Sicile et une partie des Balkans, qui ont été islamiques dans le passé et en conséquence doivent réintégrer le sein de l’islam. 

Le second acte est ancré dans la tradition islamique qui prétend que le calife Omar ibn al-Khattâb a défini le statut de la Palestine, de la mer jusqu’au Jourdain comme terre waqf  islamique [donation religieuse faite à perpétuité] qui appartient à tous les musulmans pour l’éternité. Comment donc les juifs – dont la religion n’a aucune légitimité et ne constituent pas une ethnie –  peuvent-ils prétendre exiger que les musulmans reconnaissent la conquête du pays de Palestine qui n’est « sanctifiée » qu’aux musulmans et uniquement à eux ? 

4- Qu’en est-il de Jérusalem ? 

L’islam craint qu’après que la Palestine ait été conquise en 1948, puis Jérusalem en 1967, les juifs entreprennent la construction du [troisième] Temple, ce qui aura pour effet pour le judaïsme de redevenir une religion pertinente. Cette situation vient interpeller l’islam né, comme expliqué ci-dessus, pour remplacer le judaïsme.  

            5- L’honneur arabe offensé

 La reconnaissance d’Israël par le monde arabe comme Etat du peuple juif signifie l’acceptation de sa défaite en 1948 et de toutes les défaites qui ont suivi. La honte liée à un tel aveu est intolérable pour la nation arabe. 

C’est ainsi que pour l’islam, l’Etat d’Israël n’est pas légitime d’un point de vue religieux du fait même du caractère caduc de la religion juive. L’Etat ne peut pas constituer le foyer d’une nation juive qui n’existe pas mais a été inventée par le mouvement sioniste et sa terre est une terre appartenant au waqf islamique « sanctifiée » pour les musulmans. En conséquence, l’exigence de B. Nétanyahou de reconnaître l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif ou Etat du peuple juif est opposée à la foi islamique et met en cause l’essence même de l’islam qui a construit sa pertinence depuis plusieurs génération sur la caducité du judaïsme. 

Le narratif  historique de l’islam, qui a pris naissance au 7ème siècle, nie intégralement l’histoire juive en Erets Israël, bien qu’elle ait commencé deux mille ans avant l’islam. 

En conséquence, la conclusion qui s’impose est que l’essence de la lutte [menée par l'islam] en ce qui concerne la légitimité d’Israël est fondamentalement religieuse, même si elle revêt apparemment la forme d’un combat territorial ou national. Même si l’Etat d’Israël subsiste sur un territoire d’un millimètre carré, il n’obtiendra pas la reconnaissance du monde arabe et musulman en tant qu’Etat juif. 

Beaucoup de personnes me disent : « Vous transformez une querelle nationale et territoriale en querelle religieuse » et pensent qu’étant donné que cette querelle est nationale ou territoriale, un compromis territorial entraînera la reconnaissance par les Arabes et les musulmans de la légitimité de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat du peuple juif. 

Cette assertion repose sur l’hypothèse que le monde arabe et musulman est laïc comme nous le sommes [les israéliens] et que leur univers conceptuel et leurs valeurs sont identiques aux nôtres et que leur ordre de priorités est identique au nôtre. 

Cette approche est la résultante de l’ignorance israélienne en ce qui concerne l’islam et le monde arabe. Elle provient du fait que nous ne comprenons pas et ne lisons pas la langue arabe et que nous n’avons pas conscience de l’amère vérité du discours tenu dans notre région, soigneusement dissimulé par les porte-parole du « dialogue interreligieux » qui ne sera porteur d’aucun espoir tant que l’islam se considère comme « l’unique religion auprès d’Allah » et que les juifs sont définis par le Coran comme « descendants des singes et des porcs » et « assassins des prophètes ». 

Cela explique le fait que malgré la querelle entre l’OLP et le ‘Hamas et un profond désaccord sur tous les sujets, une chose les unit : l’incapacité de reconnaître Israël comme Etat juif ou comme l’Etat du peuple juif. Saïb ‘Ariquat, Nabil Sha’ath et le Président d’Egypte, ‘Hosni Moubarak, vieux interlocuteurs d’Israël, ont clairement affirmé qu’ils ne reconnaîtront pas Israël comme Etat juif, même dans mille ans. 

La conclusion qui résulte de cette analyse est que nos accords de paix avec l’Egypte et la Jordanie sont fondés sur l’intérêt des régimes et non sur la volonté de leurs peuples. Du point de vue de l’islam, religion dominante dans notre région, il s’agit d’accords temporaires, sur le modèle du traité d’al-’Houdaybiyya de 628, qu’un musulman peut conclure avec un « infidèle » lorsqu’il ne peut le vaincre. Tant qu’Israël sera fort – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur – ces accords de paix seront pérennes, mais ils seront annulés dès l’instant où Israël sera perçu comme un Etat faible. 

Dr Mordechai Kédar, diplômé de l’Université Bar-Ilan, est un universitaire israélien qui enseigne à cette même université et est spécialiste de littérature arabe. Il est expert des Arabes israéliens et a servi durant vingt-cinq ans dans les services de renseignement de Tsahal en tant que spécialiste des groupuscules islamiques, de la politique des pays arabes, de la presse et des media arabes et en particulier de la politique syrienne. Mordechai Kédar a milité dans les années 90 dans le mouvement « Nétivot Shalom ».

Il a été interviewé à plusieurs reprises par les médias arabes, en particulier Al-Jazeera en juin 2008 et a contredit le modérateur qui affirmait : « Vous ne pouvez pas effacer Jérusalem du Coran » en rétorquant … que Jérusalem n’y figurait pas.

Dr Mordechai Kédar *   Université de Bar-Ilan – Israël 

Traduction de l’hébreu par David Pasder 

Source Arouts7