Voilà plus de cinquante ans, le rav Guershon Libman zatsal dispensait ce discours au sein de sa Yéchiva « Or
Yossef », à Fublaines à l’approche de ‘Hanouka. Que ces quelques lignes soient un hommage pour ce grand maître !

A la fin des nombreuses épreuves
qu’endurèrent les fils
de Yaacov, Yéhouda se
présente finalement devant Yossef,
le gouverneur d’Égypte, pour
lui tenir des propos d’une grande
audace : « Tu es semblable à Pharaon », lui déclare-t-il notamment
en sous-entendant : « Ton
sort sera finalement le même que
Pharaon… » (d’après Rachi au
nom du Midrash).

Par ailleurs, il se déclare prêt à
se livrer corps et âme, proposant
à Yossef qu’il l’assujettisse lui-même
au service de Pharaon en
tant qu’esclave à la place de son
jeune frère Binyamin : « De tous
les points de vue, je suis meilleur
esclave que lui, poursuit Rachi.
Et si tu te demandes pour quel
motif suis-je ainsi prêt à m’impliquer davantage que mes autres
frères…? C’est que je suis lié à cet
enfant par un lien puissant, car
pour lui, je peux risquer ma part
des deux mondes ».

De prime abord, cette attitude
agressive de Yéhouda pourrait
sembler certes surprenante :
n’est-il en effet pas exagéré de sa
part de se responsabiliser autant
pour son jeune frère ? Son abnégation
fut telle qu’il n’hésita pas
à renoncer intégralement à toute
sa condition d’homme libre, à se
dépouiller de son honneur et de
toute forme de volonté pour devenir
l’esclave soumis du Maîttre
de l’Égypte… N’était-il pas
conscient que cette sujétion signifierait
pour lui une perte totale
de son libre-arbitre et l’abandon
de toute forme d’autonomie ?
Or, il semble fort improbable de
considérer que son engagement
vis-à-vis de son jeune frère fût
réellement à un tel point sans
bornes et sans limites !

Certes, tout homme est tenu par
un engagement tacite à l’égard
de son frère juif, engagement
qui lui impose de prendre soin de
son âme et de son corps, tout en
veillant à ce que sa spiritualité ne
sombre pas dans les tourmentes
de la faute. Mais par ailleurs, il
ne fait aucun doute que ce devoir
ne s’applique que dans la mesure
des moyens de l’homme, et jamais
il ne sera imposé à quiconque
de s’exposer aux abîmes de
la déchéance et à sa propre perte
pour apporter le salut à autrui !
Il semble donc bien pour des personnes
de notre niveau, l’attitude
de Yéhouda dépasse totalement
notre entendement ! Lorsque
l’on nous demande par exemple
de consacrer une partie de notre
argent pour une bonne cause
ou de renoncer à certains de nos
desseins pour venir au secours
de notre prochain, quand bien
même accepterions-nous ce rôle,
nous ne le ferions pas trop de
gaîté de coeur… Pourquoi ? Parce
que nous sommes sans cesse assaillis
par des questions qui ne
nous laissent aucun répit : comment
renoncerai-je à toutes mes
ambitions ? Comment mettrai-je
fin à tous les projets que j’avais
nourris pour me consacrer aux
seuls besoins d’autrui ? Comment
puis-je abandonner ma vigne
pour celle de mon prochain,
alors qu’elle a encore tant besoin
de mes soins et de mon attention
?

Et par conséquent, combien l’atttitude
de Yéhouda peut-elle nous
sembler hors contexte ! Alors finalement
quelle fut exactement
son intention lorsqu’il s’avoua
prêt à renoncer à sa propre vie
pour rendre sa liberté à son frère
Binyamin ?

En fait, la réponse à cette question
complexe réside dans cette
déclaration de Yéhouda : « Car
ton serviteur a répondu de cet enfant » ! Cette situation d’engagemment
à l’égard de son jeune frère
habitait Yéhouda si intensément
et si profondément qu’il n’aurait
trouvé aucun répit s’il ne s’était
acquitté de son engagement…
Bien que personne ne le lui ait
demandé et bien que sa proposition
de sujétion totale à Pharaon
dépassât toutes les limites
de son devoir, ce fut cependant
la conscience de ce devoir – « J’ai
répondu de cet enfant » – qui fut
la motivation précise de sa décision.
Or, celle-ci ne relève aucunement
d’une résolution sensée,
logique et rationnelle : c’était en
fait la voix du devoir qui brûlait
en son for intérieur et qui
lui criait de ne pas abandonner
Binyamin entre les mains de la
déchéance et de la souillure de
l’Égypte d’antan !

Cette crainte que le jeune homme
n’en vienne à perdre son âme
dans cette décadence immonde
ne lui laissa aucun répit, et le
tourmenta tant et si bien qu’il se
résigna à se constituer esclave
à jamais pour le prix de la délivrance
spirituelle de Binyamin.
On retrouve une idée semblable
dans l’attitude des Hasmonéens
à l’occasion du miracle de ‘Hannouka.
En ces temps aussi, le
danger spirituel était immense,
alors que le peuple d’Israël était
soumis aux caprices de l’envahisseur
grec. Or, c’est alors que
Matityahou, le Cohen Gadol, et
ses fils se sentirent responsables
de la situation : ils ressentirent
au fond d’eux une responsabilité
brûlante et un devoir impérieux
de voler au secours de leur peuple
et de l’arracher des griffes de
l’influence de la culture grecque.
En fait, personne ne les avait désignés
comme « responsables « de
cette situation, mais néanmoins,
c’est en leur for intérieur que s’attisa
l’étincelle du devoir et de la
responsabilité vis-à-vis de la nation
toute entière ! Et c’est sous
cette impulsion qu’ils déclenchèrent
et menèrent un combat
face à une armée nettement plus
nombreuse et entraînée qu’eux.
Par cette haute conscience comparable
au « J’ai répondu de cet
enfant » prononcé par Yéhouda,
ils éprouvèrent ce devoir de
maintenir l’étincelle spirituelle
de notre peuple et, quels que furent
les risques, ils accomplirent
leur devoir sans spéculation ni
inertie !

Ce sentiment si profond et si
intense surpassa toutes leurs
craintes : il occulta en eux toutes
les considérations d’un combat
consistant à se confronter avec
une armée faible et peu nombreuse
à une puissance forte et
innombrable ! Et c’est ainsi qu’ils
parvinrent à surmonter l’épreuve
pour devenir un symbole éternel
au sein de notre peuple.

De ces différents exemples, un
clair message nous est adressé
sans ambages : chacun de nous
a le devoir impérieux de ressentir
ce devoir et cette responsabilité
à l’égard de l’ensemble du
peuple d’Israël ! À tout moment,
nous devons porter notre attention
sur la situation spirituelle de
nos frères et nous sommes tenus
de vivre chaque seconde de notre
vie animés de cette phrase :
« Comment retournerai-je auprès
de mon père sans ramener son
enfant ? » – Comment pourrions-nous
nous présenter devant notre
Père, notre Créateur, sans ramener
avec nous ces jeunes âmes
de Son peuple par faute d’insouciance
ou d’inconscience ?

Prenons donc ce message des
Hasmonéens très à coeur, et grâce
à l’impulsion de leur totale abnégation,
que le miracle survenu
« ces jours-là » se reproduise en
« ces temps-ci » !

Cours retranscrit par
Aharon Sorasky,
adapté en français par
Y. Bendennoune

Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

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