« L’Orient, c’est le règne de l’arbitraire. À l’intérieur des nations et à plus forte raison d’une nation à l’autre »… Ce vieil adage diplomatique semble se vérifier une fois de plus.


Cette fois, il s’agit d’Israël et de la Turquie. Les deux pays ont entretenu pendant près de soixante ans – de 1949 à 2008 – des relations à la fois stables et de plus en plus amicales. Mais en 2009 et en 2010, tout a été brutalement remis en question : la Turquie a adopté une attitude extrêmement hostile envers l’État juif, qui a culminé, le 31 mai 2010, avec l’affaire de la soi-disant « flottille de la paix ». Un revirement qui ne pouvait qu’inciter Israël à se rapprocher des adversaires traditionnels de son ancien allié, notamment la Grèce et Chypre. Aujourd’hui, non moins soudainement, Jérusalem et Ankara semblent se rapprocher à nouveau. Ce n’est pas encore une réconciliation, mais ce n’est plus la confrontation.


Du point de vue israélien, ce va-et-vient obéit à des considérations relativement simples. L’État juif a trop « investi » en Turquie – en termes politiques, stratégiques, militaires, mais aussi économiques – pour ne pas chercher à préserver ou à rétablir de bonnes relations avec son voisin, dès lors que celui-ci en manifeste l’intention. Deux facteurs parmi beaucoup d’autres pèsent dans ce sens : le rôle militaire pivotal de la Turquie face à la Syrie et à l’Iran ; et l’ampleur du commerce bilatéral, qui atteint 2,5 milliards de dollars en 2011, avec un solde positif de 500 millions pour Israël (la Turquie est le 3e marché israélien à l’exportation).

Ce qui est plus étrange, c’est l’attitude turque… On peut comprendre que le gouvernement néo-islamiste de Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2002, ait fini par céder en 2009 à sa logique idéologique en prenant parti contre Israël. Mais pourquoi en revient-il aujourd’hui à une attitude plus modérée ? Y compris à propos d'un autre projet de « flottille » où, cette fois, il a décidé de prendre des mesures afin d’empêcher tout départ vers Gaza à partir de ses côtes ou avec l’appui des ONG turques ?

Quatre explications au moins ont été avancées par les experts.
Tout d’abord, l’efficacité diplomatique israélienne. Le gouvernement de Benjamin Nétanyaou a su rallier la plupart des puissances à une attitude relativement favorable à Israël sur deux dossiers cruciaux : la « flottille » et l'éventuelle proclamation unilatérale d’un État palestinien indépendant et souverain « dans les frontières de 1967 » lors de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre 2011. Erdogan et son ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, ont donc dû en prendre acte.

Ensuite, l’impact des « révolutions » arabes de 2011. Elles déstabilisent tous les États arabes et islamiques. Et elles amènent la plupart d’entre eux à mettre la « Palestine » entre parenthèses.

Troisièmement, le rôle d’un chef religieux, Fethullah Gülen. Né en 1941, ce dernier vit aux États-Unis depuis près de vingt ans. Il a créé, en Turquie même et dans le reste du monde, un empire intellectuel : écoles, universités, journaux, télévisions. Officiellement, il enseigne une forme modernisée du soufisme, la mystique musulmane sunnite. En fait, il semble œuvrer en vue d’une sorte d’« islamisation douce » de l’Occident. Ses disciples fournissent aujourd’hui une bonne partie des cadres de l’AKP.

Mais Gülen, à la différence d’Erdogan, semble attacher beaucoup d’importance à de bonnes relations avec Israël et le monde juif, soit par conviction, soit par tactique… En 2010, à la surprise générale, il a condamné l’envoi de la « flottille de la paix » et rappelé que, selon le droit international, Israël continuait à administrer l’accès à Gaza. Plus récemment, il a mis Erdogan en garde contre divers « excès » de sa politique. Or si le chef de l’AKP a gagné les dernières élections législatives, le 12 juin 2011, il n’a pas obtenu une majorité absolue, comme il l’espérait. Ce qui l’aurait rendu plus attentif aux admonestations de Gülen.

Ultime considération : l’économie. La popularité d’Erdogan et de l’AKP repose avant tout sur la prospérité. Depuis leur arrivée au pouvoir en 2002, le PNB a crû de 6 % en moyenne (7,3 % en 2010). Mais cette croissance semble déboucher aujourd’hui sur une surchauffe : inflation, chômage, baisse de productivité et endettement. Erdogan lui-même vient de demander au pays de « consommer moins », ce qui est un aveu ! Dans un tel contexte, il vaut mieux garder un profil bas. Et éviter des conflits avec ses voisins. Y compris Israël…
Par Michel Gurfinkiel,en partenariat avec Hamodia.fr