LE THÈME de « Chéélat ‘Halom »
est abordé avec le
plus grand sérieux par les
auteurs traditionnels. Cette « interrogation
par le rêve » consiste
en effet à jeûner, à s’épancher en
prières et à se repentir plusieurs
jours consécutifs, puis à formuler
une question dont la réponse est
transmise depuis le Ciel à travers
un rêve. Or d’innombrables sources
portent le témoignage de telles
manifestations parfaitement
authentiques qui furent prises
en compte pour des implications
rigoureusement concrètes et halakhiques.
C’est ainsi que dans le Séfer ‘Hassidim,
oeuvre du très illustre rabbi
Yehouda ha’Hassid (décédé en
1217), on peut lire les lignes suivantes
: « Les ablutions à la fin du
repas sont une obligation (…) et qui
se montrerait permissif à leur sujet
verrait les jours de sa vie livrés au
laxisme. Telle est la réponse que
l’on donna du Ciel au frère du Mordékhaï,
au moyen d’une ‘chéélat
‘halom’ ».
Dans son Chem haGuedolim (notamment
dans le Maarékhet guedolim,
A, 199), le ‘Hida rapporte
également plusieurs circonstances
dans lesquelles des décisions
halakhiques formelles furent
confirmées ou infirmées suite aux
révélations d’un rêve. Il rapporte
ainsi que le Radvaz (1479-1573)
avait statué dans l’un de ses responsa
qu’il était possible de modifier
des Téfilines de Rabbénou
Tam pour les adapter à l’opinion
de Rachi. Or la nuit même, on lui
révéla en rêve que cette décision
n’était pas exacte, après quoi il
dut se rétracter. « Vois la grandeur
de nos Maîtres, poursuit le ‘Hida,
qui à peine s’éloignaient-ils de la
vérité qu’on se manifestait à eux
en rêve, comme c’était courant du
temps des Sages de la Michna et
du Talmud ».
Il apparaît donc que, même bien
après l’ère talmudique, des Sages
et des décisionnaires tenaient
compte des révélations qui leur
apparaissaient en rêve. Toutefois,
le ‘Hida fait lui-même remarquer
que cette approche ne fait visiblement
pas l’unanimité, et ce, en
référence au passage du Traité talmudique
Sanhédrin (voir notre article
« Au-delà des rêves »). A cet
égard, le Chakh, qui fut l’un des
plus importants décisionnaires de
notre ère, put déclarer en réponse
à une décision provenant justement
des révélations d’un rêve que
ceux-ci « n’ont aucune incidence
halakhique » !
Concluons par une petite anecdote
remarquable dans laquelle le rav ‘Haïm de Volozhin, illustre disciple
du Gaon de Vilna, prit parti de
manière déroutante pour ce dernier
point de vue…
Un marchand vint un jour relater
au maître de Volozhin un rêve
troublant qu’il avait eu la nuit précédente
: il se voyait marcher en
chemin, accompagné de charrettes
chargées de marchandises, en
route pour la foire annuelle. Son
itinéraire le conduisait jusqu’à un
pont traversant une large rivière,
qu’il franchit. Mais soudain, le
pont s’effondra et il tomba corps
et biens dans les eaux profondes
de ce grand torrent. Emporté par le
courant, il se vit périr…
Or il s’avérait que le marchand
s’apprêtait précisément à se rendre
à cette foire et qu’en outre, il
connaissait parfaitement l’endroit
de ce passage. Troublé par ces révélations
nocturnes, il était donc
venu demander conseil au rav,
pour savoir comment réagir face à
de telles circonstances.
Conformément aux conclusions de
la Halakha, le rav ‘Haïm de Volozhin
répondit à cet homme qu’il
pouvait sans crainte se rendre à
la foire comme il comptait le faire,
dans la mesure où « les rêves n’ont
absolument aucune incidence » !
Le marchand entreprit donc son
voyage. Il arriva au niveau du pont,
le franchit et… le pont s’écroula,
si bien qu’il périt, emporté par le
courant de la rivière…
Lorsqu’on vint rapporter ces faits
au rav ‘Haïm, il ne s’en émut
aucunement ! Bien que déplorant
le décès du pauvre marchand, il
expliqua en effet que dans la mesure
où la Halakha établit que les
rêves n’ont aucune incidence, telle
est donc la réalité des choses ! Par
conséquent, ajouta-t-il, le fait que
cet homme ait ainsi péri était totalement
indépendant de son rêve et
même s’il n’avait pas entrepris ce
voyage, il serait aussi très certainement
mort…
YONATHAN BENDENNOUNE
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