L'exigeant public de Bayreuth a fait un triomphe mardi à un orchestre israélien qui a brisé un tabou en interprétant un morceau de Richard Wagner, compositeur préféré des nazis.


Invité dans cette ville du sud de l'Allemagne en marge du festival Richard-Wagner, l'Orchestre de chambre israélien (OCI) a clos son concert en jouant "Siegfried-Idyll" de Wagner, un compositeur qui reste interdit en Israël du fait de son antisémitisme affiché et des liens étroits entre ses descendants et Adolf Hitler.

L'orchestre avait déclenché une controverse en Israël et parmi les survivants de la Shoah en acceptant l'invitation de la ville de Bayreuth, qui cherche à se défaire de son image de ville modèle du nazisme

"Je viens tous les ans à Bayreuth depuis 1951 et on vient de vivre un moment historique", a confié à l'AFP Mechtild Habiger, 80 ans.

"C'était vraiment un grand moment, mais en plus l'orchestre était vraiment très bon. Ils ont très bien joué, avec beaucoup d'empathie, et l'ovation debout du public était justifiée", a-t-elle ajouté.

Pendant de longues minutes, les mélomanes venus à la Stadthalle, faisant un détour hors des sentiers battus du festival Richard-Wagner, qui a débuté lundi et qui est tout entier consacré aux opéras du compositeur, ont acclamé l'OCI.

Katharina Wagner, co-directrice du festival et qui a parrainé la venue de l'OCI, a assisté au premier rang au récital. Elle s'est éclipsée dès la fin des vivats mais pas avant que le chef d'orchestre autrichien, Roberto Paternostro, lui eut offert le bouquet de fleurs qu'il avait reçu à la fin du concert, qui a duré presque deux heures, dont 15 minutes pour la pièce finale.

"Je l'ai juste remerciée pour son immense soutien", a-t-il confié à l'AFP au sujet des quelques mots échangés lors de la poignée de main avec l'arrière-petite-fille de Richard Wagner.

Un peu plus tard, il a également tenu à féliciter ses musiciens, lors d'une petite réception avec les responsables politiques et culturels locaux.

"C'était un plaisir de jouer du Wagner ici pour vous. Les musiciens ont joué incroyablement bien et avec un énorme engagement", a-t-il souligné.

Une performance d'autant plus remarquable que l'OCI n'avait pas préparé la pièce de Wagner en Israël, et n'a donc entamé ses répétitions que quelque 48 heures avant la représentation.

"C'est un soulagement", a commenté, au sortir du concert, Bambi Zucker, 29 ans, qui joue du hautbois dans l'orchestre. "Un soulagement parce que cela s'est bien passé musicalement, professionnellement et avec le public".

La première fois que le projet lui a été présenté, "je me suis dit +cela ne se concrétisera jamais, c'est un phantasme+, je n'y croyais pas", a-t-elle raconté à l'AFP.

"Avant le concert, j'étais un peu inquiète de savoir comment le public réagirait et comment nous, nous allions réagir dans cette situation (…) on nous avait préparé à la possibilité que des gens crient pendant le concert ou essayent de l'interrompre", a-t-elle ajouté.

Le Rassemblement américain des survivants de l'Holocauste et de leurs descendants a regretté mardi dans un communiqué que l'OCI soit "resté sourd à la souffrance des victimes qui ont vécu l'instrumentalisation de la musique de Wagner pour diffuser la haine".

Bambi Zucker assure "comprendre l'opposition" au projet. Mais Wagner "est une telle référence dans l'histoire de la musique, l'ignorer c'est comme ignorer Shakespeare", dit-elle.
[Source :AFP]