Constatant que, contrairement à sa soeur, elle ne
parvient pas à enfanter, Ra’hel s’adresse à son
mari et, frustrée, elle s’écrie : « Rends-moi mère,
autrement j’en mourrai ! », (Béréchit, 30, 1).
Loin de traduire un simple éclat de colère, cette
expression révèle au contraire la grandeur de
notre Matriarche…
EN RÉALITÉ, c’est tout le thème
de la stérilité des Matriarches
qu’il convient d’approfondir
ici : pour quelle raison furentelles
toutes soumises à une épreuve
si accablante ? Certes, nos Sages
justifient leur stérilité par le fait
que « le Saint Béni soit-Il aspire à
entendre leurs prières » (Béréchit
Rabba 45,4), mais cette réponse
manque elle-même a priori de pertinence
: comment le simple désir
d’ « entendre des prières » peut-il
légitimer tant de douleurs chez des
personnages si élevés ?
Selon le Chem miChmouël, la réponse
à ces questions se trouve
dans la déclaration faite ici par
Ra’hel : « Rends-moi mère, autrement
[véIm aïn] j’en mourrai ! ». Ce
vocable de « aïn », peu usuel dans
le verset, renvoie en fait à l’une des
expressions de la Divinité, ellemême
appelée « Aïn ».
Cette expression apparaît dans un
autre verset, dans un contexte fort
différent, après la première fois
que les enfants d’Israël réclamèrent
de l’eau dans le désert : « On
appela ce lieu Massa et Mériva (…),
parce qu’ils avaient tenté l’Éternel
en disant : ‘Nous verrons si l’Éternel
est avec nous ou non [aïn] ». A
ce sujet, le Zohar s’étonne : « Les
enfants d’Israël étaient-ils sots au
point d’ignorer cela ? Ils voyaient
pourtant la Chékhina et les Nuées
de Gloire devant eux ! (…) Rabbi
Chimon dit : Ils voulaient voir
la différence entre [l’Attribut de]
‘Atika Stimaa [l’Ancien caché]’,
désigné par Aïn, et [l’Attribut de]
‘Zéïr Anpin [le petit Visage]’ désigné
par le Nom divin », (Zohar,
Chémot page 64/b).
Cette dimension du « Aïn », explique
encore le Chem miChmouël au
nom de son père, est un domaine
où l’homme n’a pas sa place. Car à
ce niveau-là, tout se déroule dans
le monde par Charité divine pure
et absolue, c’est-à-dire sans nullement
recourir à l’intervention
humaine. Lorsque cet Attribut se
manifeste, nul droit ou mérite de
l’homme n’est invoqué : c’est par
la seule Générosité divine que les
bienfaits lui sont prodigués, et le
maintien de cette charité peut
donc aisément être remis en cause.
Le Zéïr Anpin en revanche est
une expression divine qui prend
en compte les actes des hommes :
c’est du fait de la contribution de
l’homme que les événements sont
suscités. Dans ce mode d’Administration
divine, toute gratification
est fonction directe de l’implication
de l’homme et, une fois celle-
ci établie, le mérite devient un
« droit » qu’il n’est guère aisé de
révoquer.
Lorsque nos Sages disent que D.ieu
« aspire aux prières de nos mères »
et les frappe de stérilité pour les
obtenir, c’est en fait là une extraordinaire
preuve de bonté. Si
nos Matriarches avaient enfanté
« naturellement » et sans avoir
recours à leurs intenses prières,
l’engendrement des tribus aurait
été tributaire d’une charité peu
méritée. Le cas échéant, l’existence
de chaque tribu aurait pu
être aisément remise en question
face à chaque nouvel écueil de
l’Histoire. C’est donc pour leur
permettre de dûment « mériter »
leur postérité – et donc non pas
par l’Attribut du « Aïn » – que
D.ieu « aspira à entendre leurs
prières », afin qu’elles-mêmes
suscitent leur maternité par leur
dévotion. Par là même, elles
bénéficièrent d’un appui divin
indéracinable tout au long des
générations !
Les paroles de Ra’hel s’inscrivent
également dans cette pensée : la
Matriarche savait parfaitement
qu’elle était destinée à donner
naissance à des tribus et que sa
stérilité ne remettait nullement
cette réalité en cause. En s’adressant
ici à son mari, elle l’implore
de prier pour elle (voir Rachi) parce
qu’elle appréhende par-dessus
tout de donner jour à une descendance
par seule Charité divine.
Elle s’écrie donc à son adresse :
« Rends-moi mère par tes prières,
car si cela doit être par le ‘Aïn’,
ma postérité ne pourra perdurer,
et alors j’en mourrai »…
YONATHAN BENDENNOUNE
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