Une très ancienne tradition, véhiculée dans les dynasties hassidiques, veut que, pendant cette période de Pénitence, l’on s’efforce de découvrir des arguments de défense pour le peuple juif. De la sorte, on espère susciter l’Attribut de Miséricorde qui accordera une année bienveillante pour l’ensemble de la nation juive.
L’un des maîtres dans ce domaine fut un homme qui mérita d’être lui-même appelé le « défenseur du peuple juif » : Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev. Dans les cercles hassidiques, on soutient même que le simple fait de mentionner son nom constituait un « argument de défense » pour le peuple juif, entraînant un adoucissement du jugement.
En réalité, cette idée trouve son origine dans le Talmud lui-même. Dans une michna du traité Yoma (3, 1), on apprend que le matin même de Yom Kippour, on envoyait des hommes vers les hauteurs des murailles pour apercevoir le soleil à l’instant même où il poindrait à l’horizon (afin de pouvoir commencer aussitôt le service sacerdotal). En voyant les premiers rayons du soleil, on annonçait : « Tout l’est s’est illuminé jusqu’à ‘Hebron ». Pourquoi évoquait-on à ce moment précis la ville de ‘Hebron ? Afin, écrit Rachi, d’évoquer le mérite des Patriarches qui y reposent. D’où nous apprenons que le simple fait de mentionner la ville d’un Juste est suffisant pour invoquer son mérite.
Le mérite du Kédouchat Lévi
Rabbi Eliézer Zoussia de Skolen avait l’habitude, pendant les prières des Jours de Pénitence, de poser sur le pupitre de l’officiant le livre « Kédouchat Lévi », écrit par le saint Rabbi Lévi Its’hak. Lorsqu’il arrivait au passage de la prière où l’on dit : « S’il n’y a pas de défenseur pour s’opposer à l’accusateur… » (rite ashkénaze), il posait sa main sur le livre du maître de Berditchev comme pour dire : « Maître du monde ! Voici un défenseur pour le peuple juif ! ». Précisons au passage que le Rabbi de Skolen gardait toujours le Kédouchat Lévi à portée de main et il l’étudiait continuellement, notamment avant les repas de Chabbat. Même lorsqu’il fut jeté dans les prisons de la Roumanie communiste, il usa de tous ses moyens pour avoir le droit d’y emporter cet ouvrage avec lui.
Le Rabbi de Ruzhin ne tarissait également pas d’éloges sur Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev. Il disait à son sujet que dans sa manière de défendre le peuple juif, il suivait en fait l’exemple de le Créateur dont il est dit : « Il n’aperçoit pas d’iniquité en Israël, Il ne voit pas de mal en Israël » (Bamidbar 23, 21) ; de ce fait, il n’est donc pas étonnant que « l’Eternel fut avec lui », comme l’indique la suite du verset.
A une autre occasion, l’Admour de Ruzhin dit également : « Certains Justes craignent D.ieu à un point tel que leur crainte est visible sur tous les membres de leur corps. Mais chez des Justes comme le maître de Berditchev, la crainte est telle qu’elle les tétanise, et les empêche de bouger serait-ce un seul membre de leur corps ! ».
Des sonneries retardées
Rabbi Na’houm Mordékhaï de Tchortkov raconta qu’un jour de Roch Hachana, avant la sonnerie du chofar, Rabbi Lévi Its’hak était allé s’immerger dans un mikvé pour se purifier avant la mitsva. A son retour, il saisit le chofar et toute l’assemblée s’apprêtait à entendre retentir les sonneries, avec la gravité et l’enthousiasme que l’on connaissait bien au maître des lieux. Mais les minutes passèrent, et seul le silence répondit à leur attente ; le rav de Berditchev semblait hésiter, il saisissait le chofar, le tenait quelques secondes entre les mains puis le remettait en place. Le manège se répéta à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le maître déclare soudain :
« Pendant que nous récitions tous ensemble nos prières, il y avait ici-même, à l’entrée de notre synagogue, un pauvre Juif, qui fut captif pendant de longues années parmi les nations et qui ne connaît rien de notre tradition. En nous entendant prier, son cœur s’est rempli d’un profond désir de s’adresser également à D.ieu. En pleurant comme un enfant, il a levé les yeux au Ciel et a dit : ‘Maître du monde ! Tu comprends toutes les prières, Tu connais l’origine de chacune d’elle et les intentions qui l’ont accompagnée. Quand à moi, je n’ai jamais appris à prier. La seule chose que mes parents m’aient enseignée, quand j’étais enfant, est l’alphabet hébraïque. C’est pourquoi, Maître du monde, je vais me contenter de réciter les vingt-deux lettres de l’alphabet et je T’implore, dans Ta grande miséricorde, de former avec ces lettres les mots d’une prière qui trouvera grâce à Tes yeux’ ».
« Mes amis, reprit le rav de Berditchev, en ce moment même, le Maître du monde est en train d’assembler les lettres sorties de la bouche pure de ce Juif si sincère. Nous devons donc patienter encore un peu ».
Sommes-nous des menteurs ?
On raconte qu’on entendit un jour, de la bouche de Rabbi Lévi Its’hak, cet autre « argumentaire » intéressant en faveur du peuple juif : « Qu’est-ce qui distingue donc notre génération de celles qui nous précèdent ? C’est qu’à l’époque, lorsque les Juifs se rassemblaient dans les synagogues à Yom Kippour et entamaient leurs prières dans la contrition la plus totale, ils prononçaient exactement comme nous les longs vidouyim de ‘al ‘heth’ en se frappant le torse. A la différence près que l’on pouvait s’étonner d’eux : étaient-ils donc des menteurs pour avouer des fautes qu’ils n’avaient pas commises ? Ces hommes étaient en effet des Juifs parfaitement purs, dénués de la moindre faute envers le Créateur, et même les plus simples d’entre eux étaient un Juste authentique !
Quant à nous, poursuivait l’Admour de Berditchev, lorsque nous prions et implorons D.ieu de nous pardonner, en énumérant de longues listes de péchés, il nous faut bien admettre, à notre propre détriment, que tout ceci est parfaitement exact. Nous avons effectivement fauté tout au long de l’année, nous avons mis notre Créateur en colère et nous sommes rebellés contre lui. Seulement, nous possédons un avantage par rapport aux générations passées : dans nos prières, nous ne disons que la stricte vérité ! Et comme D.ieu chérit la vérité et signe Lui-même Son Nom avec le sceau de la vérité, ceci constitue donc un grand mérite à notre avantage. Et ce mérite suffira à lui seul à faire décréter pour tout le peuple juif une année remplie de joie et de douceur ! ». En partenariat avec Hamodia.fr