Le Rav Yehia Benchetrit est sur le terrain depuis plus de 25 ans pour diffuser la Torah et rapprocher le maximum de Juifs. Depuis 1992, il donne un cours hebdomadaire à Paris et en 1995, il créé l’association Mekor Daat pour promouvoir la connaissance de la Torah auprès du plus grand nombre. Aujourd’hui le Rav Benchetrit est un conférencier demandé dans le monde entier et donne des centaines de conférences par an. Connu et apprécié pour son style et le travail accompli depuis toutes ces années, le Rav Benchetrit a accepté de répondre aux questions de LPH sur sa vision du rapprochement des Juifs.
Le P’tit Hebdo : Quelle est votre définition du « kirouv », le rapprochement des Juifs vers la Torah ?
Rav Yehia Benchetrit : Le principal est de montrer le chemin pour se rapprocher de D’. En cela, le « kirouv », pour moi ce n’est pas simplement enseigner la religion mais inciter à faire un travail sur soi. Il s’agit d’éduquer une génération. La construction personnelle doit être placée soit en amont, soit en parallèle du cheminement d’évolution vers Hachem. Le Rav Haïm Vital disait que si l’on commet des fautes c’est en raison de ses mauvaises midot, et si l’on accomplit des mitsvot c’est grâce à ses bonnes midot. Donc, son comportement, son accomplissement personnel est aussi important dans le processus de retour vers la Torah.
LPH : Y a-t-il de bonnes et de mauvaises méthodes dans cette optique ?
Rav Y.B. : Le Maharal de Prague nous enseigne que le peuple d’Israël est comme un corps. Il est constitué de différents membres qui nécessitent une attention particulière. Ainsi, chaque personne du peuple juif a besoin qu’on lui parle d’une certaine façon qui le touchera. Le kirouv nécessite donc une approche plurielle. Certains seront plus réceptifs aux discours émotionnels, d’autres aux discours intellectuels.
LPH : On note aussi une certaine tendance à vouloir culpabiliser ceux qui ne pratiquent pas, à chercher à leur faire peur.
Rav Y.B. : Je ne suis pas favorable à ce genre de méthodes qui selon moi sont contre productives et laissent souvent des traumatismes. Il faut faire prendre conscience mais ne pas traumatiser les personnes. Ceci dit, je répète que cela dépend des personnes. L’assimilation est telle aujourd’hui que parfois il faut un choc pour réveiller. Toute la question est de savoir comment ce choc sera exploité. Comment ces personnes sont ensuite prises en main, guidées et accompagnées ? Avec 25 ans d’expérience, je peux vous dire que l’on est parfois tenté de faire de la provocation. Mais il faut être prudent parce que les conséquences de ces électrochocs doivent pouvoir être canalisées.
LPH : Vous avez choisi l’humour comme méthode, peut-on dire. Pourquoi ?
Rav Y.B. : J’ai beaucoup d’humour mais en fait je ne rigole jamais. L’humour va agir un peu comme le lubrifiant qui permet aux pièces de métal de ne pas se bloquer dans le mécanisme. Si j’ai choisi cette méthode c’est parce qu’au départ je m’adressais surtout à des jeunes. Ce public a une durée d’attention assez limitée… Il fallait donc que je réussisse à l’accrocher sur une heure ou une heure et demie. Quand on attend la prochaine blague, on reste plus facilement attentif. Je préfèrerais parler pendant deux heures à un niveau élevé mais la plaisanterie permet d’ouvrir le cœur et les oreilles. Si vous analysez bien vous verrez que dans chacune des plaisanteries se trouve le message de ma conférence. Je le fais passer de différentes façons, par le message classique de Torah mais aussi par une approche psychologique, philosophique et humoristique. Chacun captera et retiendra celle qui lui correspond, qui lui aura permis de comprendre. La Guemara évoque un Rav qui commençait toujours son cours par une blague. Car le niveau de pénétration de l’enseignement est conditionné par l’ouverture du cœur qui le précède. Cet humour est donc loin d’être superficiel : il permet aussi de faire techouva et le résultat est le même que celui qui y sera parvenu par des approches plus psychologiques ou thoraïques.
LPH : Parfois on compare les Rabbanim qui attirent les foules et les font changer de vision des choses à des gourous. Que répondez-vous à cela ?
Rav Y.B. : Il faut distinguer entre pédagogie et démagogie. Le cours est une invitation, une proposition. Un cours doit être bien préparé et inciter le public à être autonome, à prendre ses responsabilités. Ma porte est ouverte : celui qui ne se sent pas à l’aise dans mes cours peut les quitter. Un jour, une personne est venue me trouver après une conférence et m’a dit : « Je sais que vous avez raison mais je ne suis pas d’accord avec vous ». Je m’adresse à la partie de l’auditeur qui est venu pour apprendre et donc pour lutter contre cette partie de lui qui l’empêche d’évoluer. Un gourou est un homme qui ramène tout à sa personne. Un peu comme le terminus. Alors que le Rav, lui, se met en retrait et incite son élève à poursuivre son chemin vers Hachem qui est l’objectif final. Le Rav n’est qu’un point de passage pour aller plus loin.
LPH : Autre reproche que l’on entend : celui des dangers de rapprocher des personnes qui parfois sont mariées et n’évoluent pas en parallèle avec leur conjoint, créant ainsi des situations de conflit.
Rav Y.B. : Le couple est confronté au même problème face à toute évolution et tout changement dans la vie, pas seulement ceux liés la religion. Pour ma part, je fais très attention à toujours impliquer les deux conjoints afin qu’aucun n’ait un jour le sentiment de ne plus former un couple avec l’autre.
LPH : Vous êtes également présent sur Internet. Est-ce un bon outil de « kirouv » ?
Rav Y.B. : Des milliers de personnes m’écoutent par le biais d’Internet. C’est un outil qui permet de toucher des Juifs partout dans le monde. Certains n’ont même pas accès au savoir autrement que par Internet. Il arrive même qu’ils fassent techouva grâce à ce lien virtuel. Mais je pense qu’Internet doit rester une accroche. Faire Techouva uniquement sur Internet n’est pas l’idéal. Ce processus comprend une part importante de pédagogie, d’évolution personnelle au niveau des connaissances mais aussi de la crainte de D’ et d’une Torah vécue qui est indispensable. C’est pourquoi des cours sur Internet ne pourront jamais remplacer le bénéfice d’écouter des cours non virtuels et de participer à la vie communautaire accompagnée d’un rav.
LPH : Au final, fort de 25 ans d’expérience, la méthode que vous avez choisie est-elle efficace et surtout résiste-t-elle à l’épreuve du temps ?
Rav Y.B. : Je me compare à un chercheur d’or avec son tamis. Parfois il trouve de la poussière d’or, parfois des pépites, parfois des grosses pépites. J’ai des élèves qui sont aujourd’hui Rosh Kollel et ont écrit plus de livres que moi. D’autres ont progressé lentement, d’autres enfin se sont refroidis. Je ne peux m’engager sur le résultat mais seulement sur la qualité et la sincérité de la proposition que je mets à la disposition de celui qui écoute. Il faut dire que le discours évolue avec le temps, l’expérience et les différents publics qui viennent écouter.
LPH : Notez-vous ces dernières années une tendance à un retour plus important vers la Torah ?
Rav Y.B. : J’ai plutôt le sentiment que la classe moyenne est en train de disparaître, pour prendre une parabole économique. Les Juifs assimilés le sont vraiment plus profondément et ceux qui sont attachés à la religion sont plus pratiquants et tendent vers l’orthodoxie. Je dirais qu’il y a davantage une tendance au renforcement des deux catégories que sont les laïcs d’une part, aidés en ce sens par les mouvements libéraux, et les orthodoxes d’autre part. Mais il est vrai qu’on ne peut que constater une tendance, une meilleure écoute, une grande soif de savoir et une amélioration de la pratique. Nous avons une très belle communauté et c’est à nous d’être à la hauteur de ses attentes.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay pour lph