(Suite du chapitre n°1)
A un niveau plus profond, l’homme est constitué de deux éléments, l’animal et le divin, ces deux entités s’opposant dans un conflit permanent.16 La part de divin l’attire en direction du spirituel, celle de l’animal vers le physique et le terrestre. Lorsqu’une personne commet un péché, il lui faut donc apporter un animal en sacrifice, élevant celui-ci vers Dieu. En même temps, l’animal contenu dans l’homme, assimilable à celui sur le point d’être immolé, est également sublimé. L’ayant incité à pécher, il est maintenant rétabli dans son assujettissement au divin.17
Toutes ces raisons n’expliquent en réalité que superficiellement la notion de sacrifice, laquelle fait appel aux idées les plus profondes du Judaïsme. Il est manifeste que les rites sacrificiels pourraient apparaître brutaux et barbares s’ils ne se situaient dans une atmosphère religieuse proche de la perfection. Seule une nation parvenue au niveau éthique et spirituel le plus élevé peut en être digne. C’est la raison pour laquelle, compte tenu de la déchéance morale et de la dégénérescence spirituelle du peuple juif, le système sacrificiel a fini par être aboli.18
Les sacrifices ne pouvaient être offerts qu’en un seul lieu, le Saint Temple (Beth haMikdach). Ceci est prescrit explicitement par la Torah : " Au lieu choisi par l’Eternel, votre Dieu, pour y asseoir Sa résidence, c’est là que vous apporterez vos holocaustes et vos sacrifices, vos dîmes et vos offrandes " (Deutéronome 12, 11). A partir du moment où le Temple a été construit à Jérusalem, les sacrifices n’ont pu être apportés en aucun autre endroit du monde.
Offrir un sacrifice hors du Temple de Jérusalem est considéré comme un très grave péché.19 On retrouve ici l’idée selon laquelle ce geste doit être accompli en un lieu d’une extrême sainteté, afin que les rites qui l’entourent ne dégénèrent pas en quelque chose de barbare et de brutal. L’auteur du Séfer ha’Hinoukh écrit que l’abattage sans motif d’un animal, exclusif de la recherche d’une nourriture ou du culte divin au lieu approprié, équivaut à un meurtre.20 C’est ainsi que le système sacrificiel nous enseignait en fait le respect de toute vie, même de celle d’un animal. Les peines les plus sévères étaient prévues contre celui qui aurait abattu un animal hors d’un lieu saint et contrairement à la loi applicable.
Ainsi, selon la Torah, celui qui venait offrir un sacrifice devait l’apporter au Temple de Jérusalem : " Quant aux choses saintes que tu posséderas et à tes offrandes votives, tu les apporteras au lieu que Dieu aura choisi " (Deutéronome 12, 26).21 En outre, il était important que l’offrant soit présent physiquement afin d’appuyer ses mains sur son animal avant qu’il soit dédié. Il était certes permis de transmettre son sacrifice à Jérusalem par l’entremise d’un intermédiaire, mais celui-ci ne pouvait pas accomplir le rite de l’imposition des mains sur l’offrande. Cette dernière, il est vrai, était valable en l’absence de ce geste rituel, mais le pardon n’était pas complet.22 Quant à l’abattage effectif du sacrifice, il ne pouvait, bien sûr, être effectué que par un Cohen.
Ainsi, toutes les fois que l’on commettait un péché nécessitant un sacrifice, on était tenu en fait, pour obtenir son pardon, d’effectuer un pèlerinage à Jérusalem. Une signification particulière était attachée à cette obligation du pèlerinage. Par sa faute, le pécheur avait manifesté que sa relation à Dieu n’était pas parfaite et complète ; aussi lui fallait-il se rendre en ce lieu pour la raffermir. Ce n’est qu’en cette ville qu’il pouvait recouvrer sa plénitude spirituelle, renouveler son engagement et se garder ainsi de récidiver.
Le Temple a été détruit par les Romains en l’an 68 de l’ère vulgaire et les sacrifices ont cessé d’être offerts depuis lors. On pèche aujourd’hui si souvent que si l’on devait apporter un sacrifice pour chaque faute, on le ferait tous les jours. Nous déclarons à Yom Kippour, pendant l’office de Né’ilah : " Nos sacrifices ne finiraient point, nos holocaustes seraient sans nombre s’ils étaient proportionnés à nos fautes. " Comme indiqué plus haut, c’est là la raison essentielle de l’abolition du système sacrificiel. Nous remplaçons aujourd’hui les sacrifices par la prière et par l’étude de la Torah, comme l’a dit le prophète : " Nous remplacerons les taureaux par les offrandes de nos lèvres " (Osée 14, 3).
Il se dégage de ce qui précède une très importante leçon. Ce n’est pas par l’effet du hasard qu’une seule ville ait occupé une position aussi centrale dans le Judaïsme. La Torah la désigne à maintes reprises comme étant " le lieu que Dieu choisira ", et elle prescrit un grand nombre de rites qui obligeront le Juif à s’y rendre souvent en pèlerinage. Dieu savait que, pour que le peuple juif devienne digne de remplir sa mission, il lui faudrait un tel centre comme point de rassemblement.
Certes, la plupart de ces pratiques ont cessé aujourd’hui d’être observées. Jérusalem n’en a pas moins conservé son statut de point focal du Judaïsme. C’est Dieu Lui-même qui a décidé qu’elle serait une ville sainte, et ce qu’Il a décidé ne peut plus être rétracté. C’est pourquoi son statut de ville sainte n’a jamais cessé d’être en vigueur.24 Dieu considère qu’il est nécessaire qu’un tel point focal existe même de nos jours. Jérusalem continue d’être au cour du peuple juif, et de former le centre de sa mission.
Notes :
16. " Ainsi, l’homme est comme un ange de trois manières, et comme un animal de trois autres " (‘Haguigah 16a). Voir aussi Tan’houma Vayikra 8, Zohar 2,94b, 3,33b. Ramban sur Genèse 1,20, Lévitique 17,24, Ralbag sur Proverbes 12,10, Cha’aré Kedouchah 1,1, Or ha’Hayim sur Genèse 1,21, Lévitique 17,10, Likouté Amarim (Tanya) 1,1 (5b).
17. Etz ‘Hayim, Cha’ar Kitzour Abya 2 (Editions Aslag, Tel Aviv, 5720), 2ème volume, p. 395. Cf. Ramban sur Genèse 2,8, 3,22.
18. Cf. Yoma 9b, 39b, Tossefta, Mena’hoth 13,4, Yerouchalmi, Yoma 1,1 (4b), Bamidbar Rabba 7,10. Voir aussi Isaïe 1,11, Jérémie 7,11, Psaumes 50,12.
19. Yad, Ma’assé Korbanoth 18,2.
20. ‘Hinoukh 186.
21. Yad, Ma’assé Korbanoth 18,1, ‘Hinoukh 453.
22. Lévitique 1,4, 3,2, 3,8, 3,13, 4,4, 4,24, 4,29, 4,33, 16,21, Mena’hoth 93b, Yad, Ma’assé korbanoth 3,6 à 8.
23. Yoma 86b, Chemoth Rabba 38,4, Pessikta 6 (60b), Yalkout 2,479. Voir aussi Mena’hoth 110a, Ta’anit 27a, Meguilah 31a, Roch, Roch haChanah 4,14, Ora’h ‘Hayim 1,5.
24. ‘Hinoukh 95, Yad, Beth haBe’hirah 6,16.
Titre: « JERUSALEM, OEIL DE L’UNIVERS »
Auteur: Arieh KAPLAN
Editeur: EMOUNAH – NCSY/ORTHODOX UNION
Adaptation française : Jacques KOHN.
Le livre est en vente dans les librairies juives.