La Révélation sinaïtique (Fin)

La Torah circule d’une génération à la suivante comme un ensemble théorique associé à des actes pratiqués régulièrement chaque jour, et à des objets accompagnant ces mêmes actes (talith, tefilines, loulav, etc.) (Dispositif de défense n°1).

Cela signifie que si le système de défense de la transmission de l’objet permet une bonne communication, à plus forte raison cela sera-t-il le cas d’un dispositif sophistiqué et combiné comme celui que nous venons de décrire. Chaque matin, nous nous attachons des tefilines identiques à celles que portèrent nos ancêtres. Le jeune garçon atteignant l’âge de la majorité (13 ans) reçoit de son père une paire de tefilines et, pour les mettre, procède de la manière dont il voit faire celui-ci. Cela ne peut être changé. Imaginons qu’un homme arrive à la synagogue et se fixe des tefilines aux lanières d’or… En réponse aux questions étonnées des présents, il s’exclame : “C’est la nouvelle mode !” Il risque tout simplement de se faire renvoyer de la synagogue ! La Michna (Souka 4, 9) rapporte qu’un jour de Soukoth, un prêtre effectua les libations d’eau (lesquelles constituent une offrande spécifique à la fête) sur ses pieds au lieu de le faire sur l’autel. La réaction ne se fit pas attendre : “Tout le peuple le lapida avec des ethroguim”…

Or, il ne s’agit pas d’une seule mitsva, d’un acte isolé, mais d’un ensemble d’actions accomplies perpétuellement, génération après génération. Comment pourrait-on introduire des modifications, mêmes minimes, dans un système dont la transmission passe par une pratique ininterrompue ?

La Torah est transmise accompagnée d’un document écrit contenant son condensé (dispositif de défense n°2).

La Torah est sans cesse étudiée et approfondie au fil de l’histoire (dispositif de défense n°3), conformément à sa propre injonction (Devarim 6, 7) : Tu les inculqueras à tes enfants et tu en parleras…, ou selon celle communiquée par le prophète Yecha’ya (59, 21) : Et Moi, celle-ci est Mon alliance avec eux, dit Hachem : Mon esprit qui est sur toi et Mes paroles que J’ai placées en ta bouche ne s’écarteront pas de ta bouche et de la bouche de ta descendance, et de la bouche de la descendance de ta descendance, dit Hachem, dès à présent et à jamais… Voilà un processus semblable à celui par lequel l’enfant déclare le mot à cinquante reprises. De fait, pas une année ne s’est écoulée dans l’histoire sans avoir été marquée par l’apparition de centaines d’œuvres toraniques ; pas un jour n’est passé sans que des milliers d’enfants aient étudié la Torah avec leurs parents ou leurs enseignants…

Les générations successives parcourues par la Torah ne forment pas une simple chaîne, mais un lacis de chaînes se déployant sur le monde entier (dispositif de défense n°4). Certaines d’entre elles se sont trouvées complètement détachées les unes des autres pendant des siècles, mais en fin de compte, elles ont toutes rejailli avec les mêmes Torah écrite et orale, les mêmes six sections de la Michna, le même Talmud babylonien, les mêmes six cent treize mitsvoth et les mêmes articles de foi. Cela ressemble aux files parallèles formées par les enfants, dans le jeu du “téléphone” : une même déformation ne peut survenir chez tous à la fois !

Les Juifs répètent quotidiennement la même prière, exécutent les mêmes commandements (dispositif de défense n°5), semaine après semaine, mois après mois, exactement comme cet exercice répétitif qui, accompli plusieurs jours durant, donne invariablement le même résultat – ce fait attestant la préservation exacte du message[1].

Ceux qui ont transmis la Torah ont considéré celle-ci avec un sérieux sans égal (dispositif de défense n°6). Rabbi Yichma’el a déclaré à son disciple Rabbi Méir, qui était scribe : “Mon fils, sois vigilant à l’ouvrage, car celui-ci est une œuvre sacrée ! Si tu omettais ou ajoutais une lettre [au Séfèr Torah que tu écris], tu te trouverais en train de détruire le monde entier !…” (‘Erouvin 13a).

Ayant saisi l’importance extrême de leur rôle, les Maîtres chargés de la transmission de la Torah n’ont économisé aucun effort pour la communiquer aussi précisément que possible, et ils y sont parvenus d’une manière exceptionnelle. La Torah est recopiée par des hommes. Or, la reproduction d’un document contenant plus de trois cent mille lettres mène forcément à certaines erreurs ; à plus forte raison en sera-t-il ainsi des transcriptions suivantes. Au terme de nombreuses années, il y a tout lieu de s’attendre à l’émergence de multiples versions, différant les unes des autres par des lettres, voire par des mots entiers.

De fait, dans les livres copiés – y compris dans ceux dont les scribes avaient tout intérêt à se préoccuper de leur parfaite exactitude – diverses altérations se sont glissées. Prenons pour exemple les Évangiles, pierre angulaire du christianisme. Il s’agit d’un livre relativement court – comprenant environ cent quarante mille lettres – âgé de quelque mille neuf cents ans. Or, il en existe actuellement de très nombreuses versions, alors que la Torah – qui ne fait pas moins du double en taille et en âge – a été conservée dans son intégralité, auprès de toutes les communautés, dans toutes les régions de la diaspora, sans aucune différence significative8 !

Plus d’une fois, nous avons entendu parler de Juifs qui se sont montrés prêts à renoncer à tous leurs biens, voire à se jeter dans les flammes pour sauver un séfèr Torah…

Chaoul : Le texte des rouleaux de la Torah est d’une grande précision, et il existe assurément un important dénominateur commun entre les Juifs pratiquants issus de toutes les communautés. Mais que fais-tu de toutes les ma‘hloqoth, les divergences d’opinions ? Comment ont-elles vu le jour ? Ne constituent-elles pas la preuve criante d’une inexactitude cybernétique ?

El‘hanan : Des désaccords existent, certes, mais considérons-les dans leur juste perspective et leur exacte proportion. En effet, malgré ces discordances, 95 % de l’ensemble demeurent dans le consensus, et cette “part du lion” inclut tous les éléments fondamentaux – les treize articles de foi9, les vingt-quatre livres du canon biblique, les six traités de la Michna, le Talmud babylonien, etc. qui sont communs à tous. Les discordances s’appliquent à des détails de la pratique, alors que les fondements de la Torah et toutes les mitsvoth sont adoptés pareillement par tous. Il n’existe aucune discussion quant à la forme ou à la configuration des tefilines, sur les lois de chabath, etc. Les divergences se limitent aux seuls domaines où il n’y a pas eu de décision formelle et où il était clair que des désaccords pourraient surgir.

Le judaïsme a développé une puissante motivation et encouragé une volonté de transmettre le message dans toute son exactitude (dispositif de défense n°7), en exaltant abondamment les qualités de ceux qui s’adonnent à l’étude de la Torah et qui la communiquent avec précision. L’abnégation et les innombrables sacrifices déployés en faveur des moindres détails des commandements ont exprimé cette motivation tout au long de l’histoire juive, dans toutes les régions de la diaspora. Combien de mères juives ont-elles élevé autour de la Torah cette fantastique muraille de protection appelée messirouth néfech – abnégation ?! Combien ont éduqué leurs enfants en leur disant : “Si des ennemis vous déclaraient : ‘Observez les commandements, étudiez la Torah et conformez-vous à toutes ses injonctions. Effacez-en seulement une lettre pour montrer que son intégralité ne vous tient pas tellement à cœur’, laissez-vous mourir plutôt que d’en changer un iota !…”

Maintes occasions, malheureusement, ont été données à notre peuple de prouver son abnégation pour la Torah et son attachement au Dieu d’Israël. Ni les Chrétiens, ni les Musulmans, ni les décrets qu’ils émirent, ni les potentats et leur violence ne réussirent à réprimer ce renoncement. Innombrables sont les descriptions de cet esprit de sacrifice qui accompagnent l’histoire juive. Prenons pour exemple ces quatre cents enfants qui se jetèrent à la mer pour ne pas devoir transgresser de graves interdictions de la Torah, à l’époque de l’exil romain, comme le rapporte le Midrach Raba sur Eikha (Lamentations). Lisons les récits sur l’époque des Croisades et des expulsions en tous genres, pendant lesquelles les sources de subsistance se réduisirent pour les Juifs à leur expression minimale, voire moins, et alors qu’ils auraient pu, d’un simple mouvement de main ou d’un seul mot, se voir offrir tous les privilèges auxquels avaient droit les apostats… Un grand nombre – il ne s’agissait pas seulement de talmidei ‘hakhamim et de grands Maîtres en Torah, mais beaucoup de “simples Juifs” – préférèrent la mort au parjure. Plus près de nous également, dans les sombres jours de la Choa, ils furent des multitudes à continuer de prier, d’étudier la Torah et d’observer les mitsvoth, bravant tous les décrets, les menaces de mort ou les dangers de souffrances plus amères encore que la mort. Rien n’y fit… Dans les plus terribles conditions, les Juifs se sont acharnés à étudier et à pratiquer la Torah10.

Ces récits d’héroïsme ne révèlent pas seulement la trempe de cette nation et sa fidélité à ses valeurs. Ils constituent une preuve de la précision dans la transmission de la Torah : si tant de Juifs n’ont pas renoncé au moindre de ses détails et à la moindre de ses lettres, comment ses commandements auraient-ils pu être mal transmis et dénaturés ? Quiconque désirerait adjoindre un élément à l’une de ses mitsvoth (ou, pire encore, voudrait carrément en générer une nouvelle), se ferait aussitôt rejeter. On ne le laisserait pas ajouter la moindre lettre !

Toutes ces caractéristiques forment ensemble un dispositif de défense inégalable, et confèrent l’assurance de l’impossibilité absolue de changement ou de dénaturation.

Résumé de la “preuve historique”

Chaoul : Peux-tu me résumer ce qui a été dit jusque-là ?

El‘hanan :

1. La Torah a été donnée lors d’un événement public.

2. Cet événement de masse fut unique et ne s’est jamais répété (la Torah ayant assuré d’avance qu’il ne se produirait jamais plus).

3. La Torah se transmet selon une succession historique publique ininterrompue.

4. Il n’y a eu aucune possibilité d’“implanter” la Torah “quelque part au milieu”, et ce pour les raisons suivantes :

a. Le “transplanteur” aurait dû convaincre les masses d’accepter un système contenant entre autres des lois inhabituelles fort difficiles à comprendre.

b. Il aurait dû les persuader de telle manière que sa force de conviction laisse en leur cœur une empreinte durable jusqu’à leur dernier jour.

c. Comment donc le “transplanteur” a-t-il disparu de la mémoire nationale historique ? Où encore a disparu “l’événement de la greffe” pour que personne ne l’ait consigné ?

d. La Torah est rédigée de telle manière que le peuple ne l’aurait acceptée que de Moché au moment des faits, et non d’un homme qui serait arrivé plus tard.

e. Elle a été donnée comme une seule et même entité.

5. Le syndrome du “téléphone réparé” :

a. Répétition ininterrompue.

b. Chaînes de transmission parallèles.

c. Étude jour après jour.

d. Transmission exacte des commandements actifs, accompagnée d’une étude approfondie.

e. Les principes essentiels sont transmis par écrit.

f. Récompense pour les zélés, et punition pour les négligents.

g. Éveil du sentiment de responsabilité par le développement de la motivation.

h. Abnégation pour que ne soit modifié aucun détail.

6. Il est écrit dans la Torah que sa rédaction fut achevée quand les enfants d’Israël étaient encore dans le désert. Cette Torah, libellée près des événements décrits par elle, et donnée au peuple qui les vécut, constitue un argument supplémentaire selon lequel toutes les conjonctures dépeintes qui apparurent aux yeux du peuple se déroulèrent effectivement de la façon relatée. Tu ne peux en effet raconter à un peuple des événements auxquels il a assisté, à un moment où personne n’a rien vu. Et si cela n’était pas vrai et que les enfants d’Israël n’avaient pas reçu la Torah alors qu’ils étaient dans le désert, cela signifierait qu’il s’agit d’un document contrefait. Or, il n’est pas possible de falsifier une pièce si complexe et si longue sans que cette déformation ne soit découverte et rejetée.

7. Les neumes – signes de cantillation – en guise d’exemple de la précision de la Tradition : dans toutes les communautés, ils sont restés les mêmes.

8. La conformité des mois de l’année dans tous les points de la diaspora – les fêtes y ont toujours été célébrées à la même date.

9. Transmission de la Torah par le biais d’autorités ayant recueilli l’ordination.

10. Le rouleau originel de la Torah fut conservé pendant 850 ans, et lorsqu’il fut dissimulé, la Torah avait déjà été diffusée dans toutes les régions du monde. Il y est dit explicitement que l’on ne peut modifier aucun détail des commandements ou y adjoindre quoi que ce soit. Personne n’a donc rien ajouté au livre après qu’il fut transmis.

11. De multiples mitsvoth ont été enjointes aux enfants d’Israël afin qu’ils se souviennent de la sortie d’Égypte. Or, on ne pourrait guère accomplir des actes “en souvenir” d’un événement que l’on ne se rappellerait aucunement…

12. Les descriptions de miracles transmises de génération en génération – des prodiges auxquels les masses assistèrent et qui se prolongèrent longtemps.

13. La description détaillée des événements présentée par le Texte se révèle comme exacte également sous l’éclairage archéologique. Même plus : une telle précision atteste en soi l’époque de la rédaction de la Torah ; c’est uniquement près des faits que l’on a pu écrire sur eux avec tant d’exactitude.

El‘hanan : Voyons maintenant comment ce qui vient d’être dit constitue un argument logique et répond aux remises en cause du reniement :

À partir du moment où la Révélation sinaïtique est un fait historique, et où les descriptions de la sortie d’Égypte et de la vie dans le désert relatent des événements qui se sont bel et bien produits, nous savons qu’une Force domine la nature et l’histoire (n°13 – descriptions des miracles), et qu’Elle a donné la Torah comme manuel d’utilisation destiné au fonctionnement de l’homme et du monde, d’où le devoir d’observer ces instructions.

Chaoul : Comment saurons-nous que la Révélation et tous les événements constituent des faits historiques probants ?

El‘hanan : Un événement public (n°1) qui se transmet de génération en génération (n°3), dont il a été assuré qu’il serait absolument unique dans toute l’histoire, ajouté au fait que personne n’ait réussi à l’imiter ou à en innover un semblable montre qu’il est impossible de l’inventer, ou que celui qui a assuré que l’on ne trouverait jamais un tel récit savait ce qui se produirait dans l’avenir. Il est absolument inconcevable de commencer une histoire pareille au milieu – la “greffe” aurait échoué (n°4).

Des millions de Juifs par-delà toutes les frontières géographiques et historiques observent les mitsvoth en souvenir des événements qui se produisirent dans le désert (n°11). Or, il est impensable, pour qui ne se souvient pas, de se lancer dans l’accomplissement de tels commandements.

La Torah se présente comme celle ayant été donnée au peuple qui vécut les événements par elle rapportés. Si cela n’était pas vrai, cela signifierait que le document est contrefait. Or, nous avons montré qu’il est absolument impossible de falsifier une pièce pareille (n°6).

Chaoul : Et comment saurons-nous que la description a été transmise avec exactitude sans subir d’altérations ?

El‘hanan : Le critérium du “téléphone salubre” (n°5) garantit que le message est passé avec exactitude dans ses moindres détails – il préserve la justesse de la transmission et de l’histoire biblique telle qu’elle est exprimée dans les paragraphes 7, 8, 9, 10, 11, 13.

Conclusion : La Torah a été donnée au Sinaï, par une Force surpassant la nature et l’histoire, et ses moindres éléments sont précis.

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[1]. Cette idée permet également de répondre à la question souvent posée : quel sens a cette obligation de prier selon un rituel fixe et d’accomplir chaque jour les mêmes actes ? Le phénomène de l’habitude n’est-il pas galvaudant ? N’eût-il pas mieux valu servir Dieu spontanément, et donc de manière sincère ?

Le fait qu’il s’agisse d’actes récurrents constitue en soi un système de défense “cybernétique” assurant que la Torah s’est perpétuée dans son exactitude sans aucune déformation. (Cela était dit en passant, mais n’explique pas la raison majeure d’un service divin fixe.)

8. À l’exception de quelques lettres en plusieurs endroits du Texte, comme dans le terme (Devarim 23, 2) daka qui se termine avec un alef ou un hé, ou dans des mots aux graphies pleine ou défective, ce qui ne change cependant absolument rien à la signification ou au décompte des mots de la Torah.

9. Bien qu’il existe diverses opinions concernant ce qu’il y a lieu de compter parmi les principes fondamentaux de la foi juive (Maïmonide et l’auteur du Séfèr ha‘Iqarim), il n’y a aucune discussion quant au fait qu’ils sont tous justes, précis et impératifs.

10. Nous conseillons vivement à ce sujet les ouvrages haGuevoura haA‘héret de Ye‘hiel Graendtsein, et la série d’ouvrages biQedoucha ouviGuevoura de Yehochoua’ Eibeschuetz. [N.D.T.] De même, en français : Des ténèbres à la lumière de Rav ‘Ezriel Tauber (Éditions Emounah).

Titre: Expédition vers les hauteurs du Sinaï;

Auteur: Rav Mordekhaï; Neugroeschel

Editeur: EMOUNAH

Adaptation française : Gilla PELL.

Le livre est en vente dans les librairies juives.