« L’IDEE MAITRESSE »
Le judaïsme : son programme, ses buts, ses fins
1. Une société juste
Etablissement d’un système de justice
C’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher.
(Deutéronome 16, 20)
Tu institueras des juges et des magistrats dans toutes les villes que l’Eternel, ton Dieu, te donnera, et ils devront juger le peuple selon la justice.
(Deutéronome 16, 18)
Si Je l’ai distingué [Abraham], c’est pour qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la loi de Dieu, en pratiquant la vertu et la justice.
(Genèse 18, 19)
Que le bon droit jaillisse comme l’eau, la justice comme un torrent qui ne tarit point.
(Amos 5, 24)
Apprenez à bien agir, recherchez la justice. Rendez le bonheur à l’opprimé, faites droit à l’orphelin, défendez la cause de la veuve.
(Isaïe 1, 17)
Tu ne porteras pas contre ton prochain de faux témoignage.
(Exode 20, 13 ; Deutéronome 5, 17)
1°- Etablir une société juste
La Torah considère qu’aucune société ne peut exister à long terme si elle n’a pas institué un système de justice sociale. Cette obligation, inscrite parmi les sept lois noa’hides applicables à l’ensemble de l’humanité, s’impose donc à toutes les sociétés non juives.
La Torah a été donnée à un peuple, non à des individus. Son but premier n’est pas de « sauver des âmes », mais de façonner ce qui est d’une extrême rareté dans les affaires humaines : une société juste. Elle tend à imprégner et à sanctifier, par un esprit de justice et d’amour qui forme le sommet de son contenu, toutes les facettes et toutes les institutions de cette société.
Dieu nous a promis que nous deviendrons, par la Torah, une « nation sainte ». Cet état implique notre totale consécration à des relations justes et intègres entre les hommes, entre l’homme et la femme, entre le citoyen et l’étranger, entre le fort et le faible.
2°- Des institutions judiciaires
Puisque nous sommes des êtres faillibles, il faut cependant, avant d’atteindre cet idéal, faire face aux réalités. Il est donc indispensable que soient institués des tribunaux et des organes de justice aptes à résoudre les différends (v. Deutéronome 16, 18-20), à faire appliquer la loi et à empêcher l’exploitation du faible par le fort et celle du pauvre par le riche.
Le Beth Din selon la Torah possède également un rôle éducatif. Le Grand Sanhédrine (Deutéronome 17, 8-12), qui était composé des sages les plus éminents de la génération, détenait le pouvoir d’édicter des décrets (ibid. 17, 10-11)1 afin d’aider les gens à observer les lois de la Torah. On appelle ces décrets les Taqanoth dérabbanane, et nous en rencontrerons fréquemment dans la suite de cet ouvrage.
L’approbation du Sanhédrine était indispensable avant toute décision intéressant la sûreté de l’Etat, notamment pour une déclaration de guerre2. Il nommait les juges et statuait comme juridiction d’appel au plus haut niveau.
Mais surtout, le rôle du juge selon la Torah est de « redresser les torts de celui qui est dans l’abandon et dans la solitude, de protéger la dignité du pauvre et de sauver l’opprimé des mains de son oppresseur »3.
3°- Témoignage et jugement4
« Tu ne porteras pas contre ton prochain de faux témoignage ». Cette défense constitue l’un des Dix Commandements. Le sort de celui que l’on juge dépend de nos paroles. Nulle part ailleurs que devant un tribunal la bonne foi et la vérité ne détiennent une telle importance.
Selon la Torah, les deux témoins qui établissent la vérité dans un procès, qu’il soit civil ou criminel, doivent être totalement étrangers à la cause. Ils ne doivent pas être en parenté l’un avec l’autre, ni avec les parties au procès, ni avec les juges, et ils ne doivent être liés par aucune forme d’intérêt à l’issue du litige. La fonction qu’ils exercent est une fonction publique, et elle leur fait représenter tout le peuple juif.
Si l’on vient à établir contre eux le moindre comportement fautif, ils s’en trouvent disqualifiés en tant que témoins5. Mais s’ils sont honnêtes et s’ils craignent Dieu, leurs dépositions sont acceptées, dès lors qu’elles ne contiennent aucune contradiction. Le juge ne doit pas mesurer leur crédibilité selon le rang qu’ils occupent dans la société. L’honnêteté du témoin suffit à accréditer son témoignage, qu’il soit balayeur de rues ou universitaire de renom.
Le juge a le devoir, notamment, de garder complètement ses distances par rapport aux parties et à l’enjeu du procès. Il s’interdira de tenir compte du niveau social des plaideurs, ni de témoigner à l’un plus d’égards ou plus d’exigences qu’à l’autre6.
Il les écoutera l’un et l’autre avec la même attention, et c’est sans aucune crainte qu’il prononcera son verdict, quelles qu’en puissent être les conséquences. L’existence même du monde dépend de la justice. Comme l’ont souligné nos sages, « celui qui prononce un jugement conforme à la vérité est comme un associé de Dieu dans l’ouvre de la Création ».
4°- La sensiblerie envers le criminel est
une insensibilité envers la victime
La Torah d’amour est également Torah de justice. Il ne peut en être autrement car il ne peut y avoir d’amour sans justice. Une société qui ne réclame pas justice contre les malfaiteurs est incapable de voir l’amour fleurir en elle.
C’est de cette manière que la Torah résout le dilemme de la liberté. Les sociétés occidentales, qui tiennent pour un bien absolu la bienveillance envers tous leurs membres, s’acharnent à vouloir éradiquer de leur sein toute forme de violence. Il en résulte souvent une plus grande attention pour le criminel que pour sa victime. La Torah enseigne, quant à elle, que toute complaisance envers le crime est mauvaise et que c’est la violence employée contre les malfaiteurs qui est bonne. Comme le soulignent les sages, « qui est bienveillant envers le criminel finira par être cruel envers l’innocent »7.
On a besoin de violence pour mettre un terme à la violence. Mais qui saura décider, à des fins positives et non égoïstes, de la légitimité de son emploi ? La loi juive renvoie, pour ce choix décisif, au Sanhédrine d’Israël, incarnation de la sagesse de la Torah. Ses décisions, et elles seules, dépassent les considérations personnelles et politiques et ne reflètent rien d’autre que la Vérité.
5°- Les solutions à long terme
Il n’empêche que le problème de la violence devra être résolu, à plus long terme, par d’autres moyens que la violence elle-même, pour légitime qu’elle soit.
On ne pourra le régler que par l’adoption de l’ensemble du programme que la Torah propose pour l’épanouissement de la société et celui de l’individu, tel que nous le décrirons dans ce livre. La mise en ouvre de ce programme créera de nouveaux types de pensée et de comportement et, en rehaussant l’image que les gens se font d’eux-mêmes et des autres, elle leur ôtera toutes velléités d’actes de violence.
Les agissements violents et antisociaux sont très rares, on le sait, dans les milieux fidèles à la Torah. C’est ainsi que l’on a pu observer, chez les individus libérés des prisons israéliennes, un taux de récidive d’environ cinquante pour cent, ce taux n’étant que de dix pour cent pour les anciens détenus revenus à la Torah et pris en charge dans un environnement religieux.
¨ Halakhah
® Celui qui vit au sein d’une société injuste et corrompue et qui a perdu tout espoir de pouvoir exercer sur elle une influence positive, est tenu de la quitter au plus vite et de se joindre à un milieu plus proche des idéaux de la Torah8.
® L’acceptation de présents corrupteurs, fût-ce sous une forme détournée comme des faveurs, des services rendus, des attitudes de courtoisie, même si elle ne prive pas le juge de son désir de rendre un jugement impartial, a pour effet de le discréditer9.
® Un témoignage rétribué n’est pas un témoignage valable10.
® Il n’est pas permis de retenir par-devers soi les preuves du bon droit de son prochain. [v. chap. 35-3°]
Un panier de fruits11
Rabbi Ismaël avait un métayer dont il avait droit à la moitié des récoltes. Cet homme apportait au Maître, chaque vendredi matin, un panier de fruits prélevés sur la quote-part due à celui-ci.
Un jour, il lui présenta son panier le jeudi matin au lieu du vendredi, expliquant qu’il avait, le jour même, un procès en ville et qu’il avait donc profité de l’occasion pour effectuer sa livraison par anticipation. « Qui sera le juge dans votre procès ? lui demanda Rabbi Ismaël.
– Mais vous-même ! répondit le paysan.
– Certainement pas ! rétorqua le Rabbi. En m’apportant mes fruits plus tôt que d’habitude, vous m’avez rendu un service. Vous devrez donc faire juger l’affaire par l’un de mes collègues. »
Pendant le procès, Rabbi Ismaël, qui écoutait depuis un recoin discret les arguments des deux plaideurs, se surprit à imaginer ceux qu’il aurait lui-même formulés s’il s’était trouvé à la place de son métayer. « Ah ! soupira-t-il. Voilà à quoi peut nous mener l’acceptation d’une faveur ! Que ne se serait-il passé si c’est moi qui avais été juge dans cette affaire ! Si jamais quelqu’un venait m’affirmer qu’il peut accepter une faveur sans que cela le prive de son impartialité, je ne le croirais pas ! »
Notes :
1. Deutéronome 17, 10-11. Voir MT, « Lois sur les rebelles » 1, 2 : « Selon la règle qu’ils t’indiqueront : cela s’applique aux ordonnances, aux décrets et aux coutumes qu’ils promulgueront dans la société pour faire respecter la loi et pour assurer le bien public. »
2. Michna Sanhédrine 1, 5.
3. Attribué à Rabbi ‘Hayim de Brisk (1853-1918).
4. D’après H 54 394.
5. Michna Sanhédrine 3, 3.
6. Ibid., « Lois sur le Sanhédrine », chap. 21.
7. Midrach Rabba Qohéleth 7, 16.
8. MT, « Lois sur la conduite » (Dé’oth) 6, 1.
9. Ketouboth 105b.
10. Ketouboth 105a.
11. D’après Ketouboth 105b.
Partie n°2 >>
Titre: « L’IDEE MAITRESSE »
Auteur: Aryeh CARMELL
Editeur: EMOUNAH
Adaptation française : Jacques KOHN.
Le livre est en vente dans les librairies juives.