La Révélation Sinaïtique : Un fait historique
Chaoul : Je voudrais que tu m’expliques ce qui incite tant de gens à soumettre leur existence à la Torah d’Israël et à ses commandements. La pratique des mitsvoth inclut-elle tous les domaines de la vie, pose-t-elle ses nombreuses limites sur tous les champs de l’existence ?
El‘hanan : Ceux qui observent les mitsvoth croient fermement que le Créateur a donné la Torah à l’homme et que celle-ci inclut Ses instructions précises sur la manière adéquate de faire fonctionner l’être humain et le monde.
Chaoul : Que veux-tu dire par “croient” ? Celui qui a été élevé depuis sa naissance avec l’idée que la Torah a été donnée au Sinaï et que ses commandements sont les directives de Dieu peut-il seul se compter parmi ceux qui observent les mitsvoth ? Une personne qui n’a pas été instruite dans la foi depuis sa jeunesse ne pourra-t-elle jamais se joindre à leur assemblée ?
El‘hanan : Lors de notre premier entretien (dans Expédition vers les profondeurs de l’Être), nous avions discuté de la possibilité de démontrer l’existence du Créateur à un homme qui n’a pas été formé à la foi depuis son enfance. Il nous incombe à présent d’examiner de quelle manière nous pouvons établir l’origine divine de la Torah, et ce à l’intention également de celui qui n’a pas été élevé depuis sa jeunesse dans la tradition sinaïtique et qui ignore que la Torah d’Israël est celle de Dieu.
Chaoul : N’est-ce pas là encore une question de foi ?
El‘hanan : De foi – oui ! De foi aveugle – non ! Combien des nôtres se sont-ils jetés dans le feu ou dans l’eau en clamant haut et fort leurs convictions ?! Mais la foi spécifiquement juive ne se fonde pas simplement sur l’intuition individuelle, ou sur l’éducation reçue depuis l’enfance. Quiconque a évolué dans un milieu où on ne l’a pas élevé dans cette croyance, qui n’a jamais entendu parler d’un Dieu Créateur et de l’existence de la Torah n’en est pas moins soumis à tous les commandements. Car selon le judaïsme, chacun peut atteindre la conscience intellectuelle selon laquelle la Torah a été donnée au mont Sinaï par le Créateur et Maître du monde.
Chaoul : Je serais heureux de t’entendre me le démontrer.
El‘hanan : Que dirais-tu si, un beau jour, quelqu’un te racontait que Dieu lui est apparu et lui a remis des consignes ?
Chaoul : J’affirmerais qu’il s’agit d’un rêve ou d’un fantasme.
El‘hanan : Et si de nombreuses personnes prétendaient avoir vécu la même expérience ?
Chaoul : Peut-être ont-elles toutes été associées à la même hallucination…
El‘hanan : Et si ce n’est pas un groupe limité, mais un peuple entier formé de millions d’individus qui a traversé cette expérience au cours de laquelle des instructions ont été confiées à tous les présents, et que ceux-ci, jusqu’à leur dernier souffle, ont considéré l’événement comme absolument réel[1] ? Que diras-tu alors ?
Chaoul : Assurément, un peuple entier ne peut inventer un récit dont les nombreuses versions concordent dans les moindres détails. De plus, il est impensable que les membres d’une nation aient tous vécu une expérience fictive exactement de la même manière. Voilà pourquoi si une personne arguait que le récit a malgré tout été inventé, la charge de le prouver lui incomberait indéniablement… Ce sera à elle d’établir que l’événement n’a été qu’un tour de passe-passe ou un effet de l’imagination collective… Et aussi longtemps qu’elle n’aura pas assuré cette démonstration, ceux qui affirment qu’il s’agit bel et bien d’une révélation devront être considérés comme étant dans le vrai (et seront estimés comme tels pas seulement au bénéfice du doute, mais de manière formelle ! – v. Appendice n°5).
El‘hanan : Plus encore ! Puisque nous nous situons déjà au stade où l’existence de Dieu est une réalité objective située au-delà du doute (v. Expédition vers les profondeurs de l’Être), rien ne nous empêche de considérer que Dieu, qui existe assurément, puisse Se révéler à un peuple…
Chaoul : Doucement ! Quel rapport te permets-tu de déduire entre l’existence d’un Dieu grand, tout-puissant et spirituel, et la crédibilité d’une révélation ? C’est plutôt le contraire qui est vrai ! Ne profanez-vous pas Son Nom, vous les religieux, lorsque vous affirmez qu’Il S’intéresse aux hommes, si insignifiants, et qu’Il entre en contact avec eux pour leur enseigner ce qu’ils doivent faire ? Après qu’a été clairement établie l’existence du Créateur, il Lui “sied”, certes, de créer l’univers, mais pas de Se manifester aux hommes et de révéler de l’intérêt pour leur conduite et leurs actions…
El‘hanan : J’opposerai deux réponses à ton objection :
a. Toutes ces idées ne résisteront pas à l’épreuve de la réalité, lorsque toi-même et quelques millions d’individus vivrez l’expérience d’une révélation ! Vous devrez bien reconnaître alors que Dieu Se révèle à un peuple…
b. L’idée selon laquelle Il est tellement grand qu’Il ne S’intéresse pas aux êtres humains si petits et négligeables est loin de L’exalter ; bien au contraire, elle Le déprécie ! En t’exprimant de la sorte, tu fais du Créateur infini un être limité, et je vais t’expliquer pourquoi :
Imaginons que Réouven et Chimon fassent la course vers un but situé à l’infini, et que Réouven prenne une avance de cent foulées sur son rival. Qui donc se situe le plus près de l’objectif ?
Chaoul : Tous deux se trouvent exactement à la même distance, puisqu’une infinité d’enjambées et une infinité moins cent enjambées constituent la même mesure : l’infini ! En d’autres termes, toute grandeur – aussi vaste soit-elle – ne signifie rien dès lors qu’il s’agit de l’infini…
El‘hanan : S’il en est ainsi, que fait celui qui affirme qu’il “sied” à Dieu de créer un monde mais pas de Se préoccuper de nos petits problèmes ou de Se révéler à nous ? Il prétend que le fossé entre nos “menus soucis” et le vaste univers a rapproché, à notre détriment, l’univers de Dieu. En d’autres termes : étant considérablement plus grand que nous, l’univers est plus proche que nous de Lui… Une pareille affirmation restreint le Divin en L’appréhendant comme une entité finie influencée par des considérations ou des différences de formats. Qu’Il nous préserve d’une telle pensée, Lui qui est infini et au regard duQuel la distance qui Le sépare des sujets et affaires les plus nobles équivaut parfaitement à celle qui Le distingue des moindres vétilles ! S’Il a néanmoins créé le monde, c’est uniquement parce qu’Il l’a voulu. De ce fait, rien n’empêche qu’Il ait également voulu Se révéler aux humains et “S’intéresser” à leurs “maigres sorts”[2]…

Chaoul : Explique-toi, s’il te plaît !
El‘hanan : Puisque Dieu est transcendant et au-dessus de l’univers entier, ce n’est pas parce qu’il “Lui sied” de créer le monde qu’Il l’a effectivement fait naître à l’existence, mais parce qu’Il l’a voulu, ce pour des motifs qui Lui appartiennent – lesquels peuvent également faire qu’Il S’intéresse à nos “petits problèmes”.
De surcroît, il nous est absolument impossible de déterminer ce qui est une “petite” ou une “grande” considération, du fait que nous ne disposons pas de la perspective adéquate. Ce qui, à nos yeux, peut (ou risque de) sembler grand et capital peut paraître accessoire sous un autre regard, et vice versa.
Chaoul : Revenons à notre sujet : nous étions d’accord sur le fait que celui qui assiste à un événement, au cours duquel lui-même et des multitudes voient Dieu, ne peut douter qu’il s’agit bel et bien de la réalité et non d’un tour joué par son imagination. Où voulais-tu en venir ?
El‘hanan : Analysons ensemble la citation suivante :
Les enfants d’Israël n’ont pas prêté foi à Moché Rabbénou en raison des prodiges qu’il a réalisés […] Qu’est-ce qui les a incités à se fier à lui ? Par la révélation au mont Sinaï, où nos yeux et non [ceux de] l’étranger ont vu, où nos oreilles et non [celles d’] un autre ont entendu le feu, les tonnerres et les éclairs, et lui qui s’approchait de la brume alors que la voix lui parlait et que nous entendions : “Moché ! Moché ! va leur dire ceci et cela…” (Rambam, Hilkhoth Yessodei haTorah 8, 1).
La Révélation sinaïtique constitue le fondement de la croyance juive. Cet événement est absolument unique dans l’histoire. Aucun peuple au monde ne fait valoir le récit d’une situation comparable, dans laquelle Dieu Se serait manifesté aux foules humaines. Chaque religion voit ses annales débuter par un individu qui a raconté maints prodiges sur lui-même. Aucune d’entre elles ne fait mention d’une théophanie patente en présence de multitudes entières, à l’instar de la Révélation sinaïtique. Et même si certaines ont repris les fondements du judaïsme à leur avantage, aucune ne s’est attribué l’idée de cette révélation ! Tu penses bien que s’il avait été possible d’inventer un récit pareil, elles auraient été fort heureuses de le faire et de l’adopter. Son absence réduit donc de manière significative l’authenticité de leur dogme.
Chaoul : Pourquoi cette absence précisément est-elle si funeste ?
El‘hanan : Parce que la base même d’une telle religion – la mission reçue par son fondateur – s’érige sur son histoire personnelle établie sans aucun témoin ni aucune preuve substantielle. (Personne n’a vu Mahomet quand il rencontra l’ange Gabriel, selon la croyance des Musulmans. Selon leur récit, il était le seul présent durant ces entrevues, et c’est lui qui est venu en faire le compte rendu. De même, personne n’a vu l’initiateur du christianisme recevoir quelque mission divine ; on peut tout au plus affirmer qu’il est lui-même venu le raconter…) N’est-il pas compréhensible que l’on puisse douter de l’authenticité d’un tel récit ? N’importe qui peut raconter ce qu’il veut. Pour peu qu’il soit doué et charismatique, il parviendra à convaincre des masses entières de la véracité de ses dires. Adhérer à une confession qui s’érige sur une telle base, c’est agir sous l’effet d’une foi aveugle, dont le roi Chelomo affirme : Le sot croit n’importe quoi… (Michlei/Proverbes 14, 15).
Cela n’a absolument rien à voir avec une religion qui a pour support une révélation publique et qui débute avec le récit établi par des multitudes affirmant avoir vu Dieu et entendu Ses paroles, etc. Une collectivité entière ne peut, de conserve, forger un récit et le relater avec exactitude comme si ses membres en avaient tous été témoins.
La Torah “savait” parfaitement que personne n’arriverait à fabriquer une telle histoire. Dans le quatrième chapitre du livre de Devarim, les versets introduits par les mots : Lorsque tu auras engendré des enfants et des petits-enfants, et que vous aurez vieilli dans le pays annoncent le malheur et la grande dispersion qui s’abattront sur le peuple hébreu. Le Texte ajoute : Dans ta détresse, quand t’auront trouvé toutes ces choses, à la fin des jours, tu reviendras jusqu’à Hachem, ton Dieu, tu écouteras Sa voix […] Car demande, de grâce, aux jours premiers qui étaient avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre, depuis l’extrémité des cieux jusqu’à l’extrémité des cieux : A-t-il été comme cette grande chose, ou a-t-il été entendu comme elle : Un peuple a-t-il entendu Dieu parlant depuis le milieu du feu comme toi-même as entendu et as [sur]vécu ? (4, 25-33)
En d’autres termes, la Torah s’adresse au Juif de chaque génération, lui promettant que dans aucun lieu de l’univers – depuis l’extrémité des cieux jusqu’à l’extrémité des cieux – tout au long de l’histoire humaine – depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre jusqu’à la fin des jours, il ne s’est plus produit et il ne se produira plus un événement comme celui du Sinaï où Il Se révéla à un peuple…
Chaoul : Celui qui ne croit pas en l’existence de Dieu n’éprouve aucune difficulté à affirmer qu’Il ne Se révélera à aucun peuple ! Quant à celui qui croit en Son existence tout en étant convaincu qu’Il ne S’intéresse pas aux hommes, il pourra tout aussi aisément assurer qu’un tel Dieu ne Se manifestera à aucun peuple !
El‘hanan : Effectivement ! Mais si les choses sont ainsi, comment, à ton avis, ce même Dieu S’est-Il manifesté au peuple d’Israël au mont Sinaï si, selon ton argument, Il n’existe pas ou s’Il ne “S’abaisse” pas à S’intéresser aux humains ? (Veuille-t-Il nous préserver d’une telle idée !)
Chaoul : Qui ne croit pas en Lui ne croit évidemment pas plus en Sa manifestation ! L’agnostique ne peut admettre la révélation sinaïtique !
El‘hanan : Personne ne niera cependant que des millions de gens, au fil de millénaires, ont eu la conviction qu’un pareil événement s’est bel et bien produit.
Chaoul : Certes, mais il n’est guère difficile d’inventer de toutes pièces une telle histoire et de persuader les masses de son authenticité…
El‘hanan : Nous verrons qu’il est impossible de composer un récit pareil et de convaincre les multitudes de sa véracité. Mais à ce stade, avant de nous lancer dans cette démonstration, contentons-nous de quelques points importants :
Si vraiment il était loisible d’élaborer un tel “mythe”, qui mieux que l’auteur de ces versets – fabulateur, selon notre incroyant – sachant qu’il est possible de forger l’histoire, aurait pourtant pris le risque d’attester que personne au monde ne parviendrait à fabriquer un tel récit et à le diffuser ? Le Texte n’assure pas seulement qu’une Révélation de masse ne se produira jamais plus ; il donne aussi sa parole que personne ne réussira à inventer une histoire analogue : la Torah atteste que cela n’arrivera pas et ne sera pas entendu ! S’il n’existe aucune possibilité de forger une telle narration et de l’“instituer”, l’auteur n’a pris aucun risque en certifiant qu’une chose pareille ne se produira pas.
D’un autre côté, il est clair que la Révélation du Sinaï a bel et bien eu lieu. En effet, si ce n’était pas le cas, comment alors des multitudes humaines ont-elles pu être convaincues de sa véridicité ? Si cet événement ne s’était pas produit (à Dieu ne plaise !) et qu’il avait été possible de l’inventer de toutes pièces et de convaincre les masses de son authenticité – et si c’est ainsi que le récit de la Torah avait commencé de se propager – l’auteur serait le mieux au fait de cette affabulation. Comment alors se serait-il hasardé à certifier que personne ne l’imiterait et ne réussirait aussi bien que lui dans cette entreprise ? Le fait est que cette prophétie s’est réalisée et que, parmi tous les initiateurs et diffuseurs de nouvelles religions, réellement personne n’est parvenu à créer une histoire de ce genre ! Or, n’est-ce pas infiniment plus difficile de formuler une idée et de créer un précédent que de simplement l’imiter ?
Si elle avait assuré que personne n’émettrait un commandement comme la vache rousse ou comme l’interdiction du cha‘atnez (prohibition d’un vêtement contenant de la laine mêlée à du lin), la Torah n’aurait pas pris un risque aussi grand : s’agissant de mitsvoth dont le motif n’est pas “apparent”, il n’y a aucune raison pour que les promoteurs de religions en tous genres veuillent les adopter. À l’inverse, n’importe quelle confession trouverait grand intérêt à présenter une histoire ressemblant à celle de la Révélation, sans laquelle ses bases paraissent plutôt chancelantes. Un dogme dont le support est la crédulité aveugle ne cherchera-t-il pas à prouver par tous les moyens la véridicité de l’événement par lequel il s’est constitué ? Si une telle possibilité se présentait – en inventant un récit, par exemple – les religions ne seraient-elles pas nombreuses à l’avoir saisie ? Or, le fait est qu’aucune d’entre elles n’a tenté cette démarche[3]…

Une transplantation a-t-elle quelque chance de réussir ?
Chaoul : Permets-moi de revenir sur nos pas, plus exactement à l’argument selon lequel il aurait été facile d’inventer un tel récit et de le “greffer”. On peut aisément démontrer, disais-tu, qu’une telle “transplantation” serait irréaliste et vouée à l’échec. Comment prouves-tu cette affirmation ?
El‘hanan : Chacun de nous se rappelle comment David Ben Gourion – premier ministre “initial” de l’État d’Israël – convia le 10 chevat 5716 (1956), place de la Menora, à Jérusalem, les dirigeants de tous les corps constitués. L’objectif de ce rassemblement était de les informer des décisions gouvernementales en cette heure grave. Quelque cinq mille personnes y prirent part – des maires, des députés, des ministres, des rabbins de municipalités, des présidents de fédérations religieuses, etc. Ben Gourion parla devant l’assemblée et annonça, dans son discours, les mesures prescrites face à l’état d’urgence : chaque matin et dès l’âge de dix-huit ans, tout jeune homme devrait attacher sur sa tête des cubes de cuir noir renfermant des mots calligraphiés et fixer à son vêtement quelques fils… Quiconque serait surpris sans l’un des importants objets susmentionnés serait puni selon la stricte application de la loi…
Chaoul : ???
El‘hanan : Évidemment, tu n’as gardé de cela aucun souvenir et tu n’en as jamais entendu parler. Tu n’as rien appris ni rien lu à son sujet, dans quelle source que ce soit, pour la simple raison que cet événement n’a jamais eu lieu et que je viens de l’inventer. Mais que ferais-tu si quelqu’un racontait à un peuple entier qu’il s’est effectivement produit ? Et si cette personne y ajoutait des détails de son cru aussi prodigieux qu’invraisemblables… Ses paroles paraîtraient-elles plausibles ? Cet individu ne passerait-il pas pour un mythomane avéré ?…
Mais s’il s’agissait d’une personne de confiance, dotée d’un puissant charisme, serait-elle convaincante ?
Chaoul : Absolument pas.
El‘hanan : Même si elle réussissait cette mission impossible et parvenait à persuader ses auditeurs, cela resterait insuffisant ! Pour que son récit puisse faire partie intégrante de l’histoire établie, il ne suffit pas que son public le croie maintenant ; la puissance de l’influence doit se maintenir. Autrement dit, les auditeurs doivent continuer de croire son histoire avec la même force jusqu’à leur dernier souffle, afin qu’ils la transmettent à leurs enfants… et eux tous doivent en être influencés de cette manière. Il ne faudra donc pas que l’un d’eux puisse murmurer à une quelconque oreille que ce récit est inexact. L’impact magique exercé sur les présents par un tel “transplanteur” doit absolument perdurer jusqu’à la fin de leur vie, et ce avec la même puissance qu’au premier instant ! Est-ce possible ? Existe-t-il un précédent dans l’histoire ? Et si quelqu’un arguait que, malgré tout, la chose s’est réellement produite, à qui incomberait la charge de la démonstration, si ce n’est à celui qui prétend que la “greffe” a réussi ?
Mais cela resterait insuffisant. Le narrateur doit impérativement se retirer du tableau.
Pour que les transmetteurs du récit le rapportent en tant qu’histoire déjà connue d’eux-mêmes et non comme celle recueillie d’un tiers (à l’instar du mode de propagation des descriptions du christianisme et de l’islam), l’auteur doit veiller à ce qu’ils ne racontent rien de l’événement au cours duquel il leur en a fait part… Mais quelle serait la réaction des auditeurs si, après ses efforts de persuasion, le narrateur les implorait : “Je vous en prie ! Que personne parmi vous ne révèle que je vous ai raconté cette histoire… Racontez-la comme un événement dont vous aviez déjà connaissance…” Ne subodorera-t-on pas la ruse ? Les auditeurs répondront-ils tous à cette requête ?
Chaoul : Doucement, s’il te plaît ! Tu te laisses emporter par ton imagination ! Évidemment, si son histoire est aussi bizarre que celle que tu m’as racontée, il aura peu de chances de se montrer convaincant. Mais s’il confie un récit établi dans les normes logiques et recevables, ne pourra-t-il, sous certaines conditions, être persuasif ?
El‘hanan : J’ai délibérément choisi, au début, une illustration hors normes, afin que dans l’analogie également, les exemples soient hors normes.
Pour qui insinue que la Torah n’a pas été écrite à l’époque désignée par la Tradition, et qu’elle a donc dû être transplantée dans une période ultérieure quelconque, une telle “greffe” a-t-elle quelque chance de succès ? Le jour où elle aurait été présentée, avec des commandements comme les tefilines, les tsitsith (v. les exemples de la parabole supra), la vache rousse, le cha‘atnez – bref, des prescriptions qui, signifiées et enjointes par des hommes, auraient semblé totalement insolites, les auditeurs s’y seraient-ils soumis sans réserve ?
Seraient-ils restés fidèles au récit jusqu’à la fin de leurs jours, en le racontant tel quel à leurs enfants et à leurs petits-enfants ?
Et surtout : comment le “transplanteur” anonyme aurait-il réussi à s’effacer lui-même de l’histoire ? Car s’il y a un brin de logique chez ceux qui prétendent que le récit de la Révélation sinaïtique ne débute pas par un témoignage direct de masse, mais par quelqu’un qui est venu le livrer, comment donc a disparu le compte rendu de l’événement même de la “transplantation” au cours de laquelle l’histoire a été rapportée pour la première fois ? Le rapport de cet événement devrait être l’un des comptes rendus primordiaux transmis de génération en génération ; où donc s’est-il volatilisé ? Se peut-il qu’un système qui mémorise et prend en compte de si nombreux détails se mette (ou réussisse) à oublier un événement aussi décisif et aussi capital ? Nous savons exactement à quelle date a été achevée la rédaction de la Torah et à quand remonte la clôture du canon biblique ; quand les Michnayoth ont été mises par écrit et le Talmud a été libellé. Nous connaissons d’infimes détails de la vie des Sages de toutes les époques, etc., et un événement pareil – s’il s’est réellement produit – serait tombé aux oubliettes ?! Ne se trouve-t-il aucun groupe – fût-il composé de marginaux – qui l’aurait conservé ? Ne resterait-il nulle pièce à conviction qui en témoigne ou tout au moins qui fasse allusion à quelque chose de tel ?
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[1]. Ceux qui se livrent à des expériences sous l’effet de stupéfiants ou de toute substance psychédélique savent parfaitement faire la distinction entre de tels exercices et des événements qui se produisent dans leur vie une fois éveillés de l’emprise narcotique…
[2]. Cf. Béèr haGola (“Le Puits de l’exil”) du Maharal – Béer 4, p. 69 de l’éd. hébr.
[3]. Dans sa célèbre Iguéreth Teiman, Rambam (Maïmonide) écrit : “Car demande, de grâce, aux jours premiers […] Un peuple a-t-il entendu Dieu parlant depuis le milieu du feu ?…[Devarim 4, 25-33]. Et vous, nos frères par cette alliance et par cette foi, sachez que cette chose est la plus puissante qui ait été dans la réalité, et que le meilleur des témoins [Moché Rabbénou] a attesté qu’il n’y en pas eu et il n’y en aura jamais de pareille, à savoir qu’un peuple entier [hommes, femmes et enfants] a entendu la parole de Hachem et a vu Sa gloire face à Face. Cela s’est produit afin que la foi se fortifie d’une vigueur qu’aucun innovateur ne puisse modifier…”
Maïmonide évoque ensuite le rapprochement établi par le roi Chelomo entre la nation d’Israël et une femme à l’allure parfaite. “Il compare les autres dogmes – qui cherchent à l’attirer vers eux et à la rallier à leur croyance – à des hommes perfides et séducteurs baignant dans la débauche […] pour assouvir leur lubricité. Voilà ce qui nous est arrivé avec ceux-là, qui nous entraînent et nous affriolent afin de nous entraîner vers leurs religions. Peut-être nous laisserons-nous embourber dans les sinuosités de leur passion et dans les méandres de leurs mensonges. [Chelomo], dans sa sagesse, poursuit en évoquant la réponse de la nation, répliquant à ceux-là mêmes qui veulent la séduire et leur montrant que son argumentation est supérieure à la leur : En vertu de quel élément [important à notre avantage] tenez-vous à moi ? Pourriez-vous me montrer comme la me‘holath hama‘hanayim / ‘danse des deux troupes’ ? [Chir haChirim 7, 1]. Cela signifie que la nation [d’Israël] arguera à leur encontre : ‘Montrez-moi donc [qu’il s’est produit chez vous aussi un événement] comparable à la Révélation du mont Sinaï !’ ” Dans ce verset (Devarim 4), la Torah nous certifie qu’un tel événement ne se produira jamais pour aucun peuple.
Titre: Expédition vers les hauteurs du Sinaï
Auteur: Rav Mordekhaï Neugroeschel
Editeur: EMOUNAH
