Après 45 ans de travail, le Rabbin Adin Steinsaltz vient d’achever la traduction du Talmud en hébreu moderne. Le 45e volume de cet énorme travail est sous presse et les 2711 pages traduites. En effet, Adin Steinsaltz explique que le Talmud, pièce centrale du judaïsme est à l’origine un texte très difficile à lire et à comprendre. Il est formé de la Guemara écrite en araméen qui explique les textes de la Mishna, écrite elle en vieil hébreu. Pour un hébraïsant d’aujourd’hui, lire ces textes c’est comme pour un anglais, lire Shakespeare dans sa version originale ou un francophone lire des textes de Rabelais en vieux français. Si la plupart des caractères se ressemblent dans les deux écritures, l’ancienne et la moderne, cela ne suffit pas pour pouvoir en appréhender complètement le sens ou les nuances.
Mais le travail d’Adin Steinsaltz va bien au delà de la simple traduction. En effet, quand il a commencé son projet en 1965, la seule version du Talmud disponible alors était celle de Vilna, écrite sans voyelles et sans ponctuations. Le texte central était bordé des commentaires de Rachi, écrites dans une écriture particulière. Seules les personnes les plus érudites arrivaient donc à lire ce texte qui restait inaccessible au plus grand nombre. Adin Steinsaltz a donc ajouté des voyelles et de la ponctuation pour en rendre la lecture plus facile. Il a aussi proposé dans une colonne séparée, une traduction directe en hébreux simple et moderne. Mais la lecture seule n’étant pas suffisante, il a de plus rajouté des commentaires basés parfois sur les sciences modernes ou s’appuyant sur quelques graphiques et illustrations pour en rendre la compréhension plus aisée. Ses livres ont ainsi par la suite été aussi traduits en anglais, russe, français et espagnol.
Pour ceux qui ont étudié dans les livres de Steinsaltz, une rencontre avec le personnage pourrait être un petit choc. En effet, autant ses commentaires sont réputés pour être concis et précis, autant l’homme aime à parler longuement. Mais pour le principal intéressé, ce contraste n’est pas une coïncidence. En effet il dit que son travail a principalement consisté à se brider lui-même pour discipliner son style et sa pensée. Pourtant il connait bien le monde de l’écriture. Il a d’ailleurs même écrit des romans policiers. Mais pour lui s’embarquer dans un tel projet était une façon de garder les pieds sur terre, de ne pas se laisser aller à écrire des choses qui partent dans tous les sens.
Un des grands challenges de ces 45 ans de travail a été de s’adapter au fur et à mesure aux changements de façons d’étudier. En effet, un étudiant d’aujourd’hui ne lit pas les textes et ne les étudie pas de la même manière qu’un étudiant d’il y a plusieurs décennies. On est devenu bien plus curieux. « Si le Talmud mentionne un nom ou un objet alors mon arrière grand-père ne se posait sans doute pas mille questions pour savoir de qui ou de quoi il s’agissait. Savoir qu’il s’agissait d’une pièce de vaisselle ou d’un animal par exemple suffisait. Mais aujourd’hui cela ne suffit plus. On veut en savoir plus » raconte-il. Donner les bonnes explications l’a alors mené en dehors des sentiers habituels des talmudistes, à la rencontre de toute sorte de personnages, comme par exemple celle, dont il se souvient bien, avec un spécialiste des volailles. Un autre défi a été d’expliquer les règles de base de la logique du Talmud. Si beaucoup de juifs qui étudiaient le Talmud avant étaient passés par un enseignement juif, ce n’est plus le cas aujourd’hui et certaines bases doivent être connues pour comprendre par exemple les liens qui sont faits entre différents textes et commentaires.
Mais le travail d’Adin Steinsaltz n’est pas reconnu dans tout le monde juif. Certains lui reprochent par exemple d’avoir trop « vulgarisé » le Talmud et d’en avoir enlever la difficulté d’approche qui doit faire partie du processus de l’étude. Pour certains, chaque mot doit conduire à un questionnement et si tout est compréhensible directement, une part du sens est enlevé. Mais ces critiques ne le découragent pas. En effet, il projette de s’attaquer maintenant au Talmud de Jérusalem, 1554 pages, qu’il juge injustement délaissé. Pour parler de ses plans il évoque justement la Michna et rabbi Tarfon « Nous ne sommes pas obligé de terminer la tâche, mais nous ne sommes pas libres de renoncer à elle. »