Lorsqu’on lit le passage des explorateurs envoyés par Moché, on peine à comprendre quel fut exactement l’objet de la polémique. Si l’on s’en tient au sens littéral des versets, leurs réticences paraissent pour le moins justifiées : « Mais il est puissant, le peuple qui habite ce pays ! Leurs villes sont fortifiées et très grandes, et nous y avons même vu des descendants d’Anak (…) Le pays que nous avons parcouru dévorerait ses habitants… » (Bamidbar 13, 28-32). Si l’on ne tient pas compte des nombreuses interprétations midrashiques, rien ne permet d’affirmer qu’ils calomnièrent la terre par des accusations mensongères : ils rendirent compte de faits objectifs, et leurs appréhensions étaient, à cet égard, légitimes.

D’ailleurs, lorsqu’on observe la réponse de Kalev et de Yéhochoua, il apparaît qu’ils ne contestèrent pas le témoignage de leurs compagnons de route : « Montons et prenons-en possession, car nous en sortirons vainqueurs ! » Tous semblaient donc s’accorder à affirmer que les habitants de Canaan étaient effectivement des géants, abrités derrière des villes puissantes et fortifiées. Dans leur réponse, Yéhochoua et Kalev n’affirmèrent pas avoir vu « autre chose », ils exprimèrent simplement leurs confiance en D.ieu : « Si l’Eternel nous veut bien, Il saura nous faire entrer dans ce pays et nous le livrer. » Or là, il s’agit bel et bien d’une approche subjective : les faits ayant été établis sans équivoque, c’est dans la manière personnelle d’envisager l’avenir que le débat eut lieu. Et dès lors, il semble difficile d’accabler ces dix explorateurs, sur une appréciation dépendant uniquement de la subjectivité. Comment expliquer donc la gravité de leur punition ?
En réalité, il se pourrait que dans un tout autre contexte, ces hommes n’auraient pas été punis aussi sévèrement. La particularité de ce débat tint du fait que c’est d’Erets-Israël dont il était ici question. Cette terre, on le sait, est « un pays sur lequel veille l’Eternel ton D.ieu, et qui est constamment sous l’œil de l’Eternel depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin » (Dévarim 11, 12). En clair, cela signifie que dans cette terre, toutes les références auxquelles nous sommes habitués changent. Lorsqu’on sait que cette terre est considérée par D.ieu comme un lieu d’exception, c’est donc l’exception qui règne en ce lieu. Le débat entre Yéhochoua, Kalev et les autres explorateurs ne portaient donc pas sur une appréhension subjective de cette terre, car en ce lieu, les faits objectifs ne fonctionnent pas de la même manière : la présence de géants ou de villes fortifiées n’entraient absolument pas en ligne de compte pour la conquête, car ce pays évolue sous le mode de « l’irrégularité ». C’est le message que Yéhochoua s’efforça de véhiculer au peuple, en scandant : « Leur force les a abandonnés et l’Eternel est avec nous » – à cet endroit, la force des hommes ne dépend pas de leur puissance, mais seulement de la volonté divine.
Récit
L’histoire suivante raconte les circonstances hors du commun ayant permis de sauver les Juifs d’Erets-Israël d’un terrible décret, et met en évidence le cadre exceptionnel dans lequel évolue la terre de nos ancêtres. Ce récit est raconté par le protagoniste en personne, rav Raphaël Bekhar Chmouel Méyou’hass, dans une brochure spécialement dédiée à ce récit, du nom de Méguilat You’hassin.
En 1723, alors que l’Empire ottoman dominait la plus grande partie du bassin méditerranéen, un nouveau gouverneur fut nommé à la tête de Jérusalem. Cet homme d’une grande cruauté manifestait une animosité farouche envers les Juifs. Après avoir fait emprisonner bon nombre des dirigeants communautaires – dont le Richon Létsion, Rabbi Moché Méyou’hass –, il parvint à leur faire signer un acte de redevance pour la somme faramineuse de 91 mille grouch, dont ils devaient s’acquitter en pas plus de 91 jours. Et ce, en dépit de l’extrême pauvreté dans laquelle vivaient les Juifs d’Erets-Israël.
Le Richon Létsion décida alors d’envoyer son propre petit-fils, rav Raphaël, alors âgé d’à peine vingt-huit ans, à Constantinople pour intercéder auprès du Sultan. Dans son Méguilat You’hassin, rav Raphaël raconte que dès le début du voyage, il bénéficia d’une grande aide divine. Le jour même où lui et son compagnon arrivèrent au port de Jaffa, ils trouvèrent un bateau sur le point de lever l’ancre en direction de la capitale ottomane. Arrivés sur place, les deux hommes se rendirent directement chez rav Yéhouda Rozanes, le célèbre auteur du Michné LaMélekh, auquel ils racontèrent le but de leur visite. Celui-ci décida de s’impliquer personnellement pour cette cause, et accompagna ses visiteurs chez un Juif très influent de la ville, Gibili Zouanana, qui avait ses entrées chez le Sultan. Ce dernier accepta de loger les délégués de Jérusalem, dans l’attente d’obtenir une audience.
Le soir de son arrivée, rav Raphaël fut éveillé au beau milieu de la nuit par de violentes secousses, semblables à celles d’un séisme. Il en fit aussitôt part à son compagnon, mais ce dernier assura n’avoir rien senti. Rav Raphaël retourna se coucher, mais il se sentit soudain enveloppé dans une obscurité profonde. Apparurent alors à ses yeux trois anges destructeurs, et il entendit l’un d’eux déclarer : « Nous ne pouvons nous attaquer à cette maison à cause de la mitsva d’hospitalité, qui épargne ses habitants de la mort. » Mais un autre ange rétorqua : « Il s’agit d’un décret et il n’est pas en notre pouvoir de l’annuler, sauf si les hôtes et les invités prennent la fuite. »
A ces mots, rav Raphaël fit réveiller le maître de maison, et lui dit : « Prenez tous les membres de votre famille et fuyez cet endroit ! » Aussitôt dit, toute la maisonnée prit la fuite et traversa le Bosphore. En arrivant sur l’autre rive, on s’aperçut soudain qu’on avait oublié de réveiller l’une des servantes. Au matin, on alla la chercher mais celle-ci était morte dans son sommeil…
Animé d’une grande reconnaissance envers son invité, le notable juif redoubla d’efforts pour obtenir une audience dans les plus brefs délais et c’est ainsi que, par la grâce du Ciel, le décret put être annulé.
Mais le récit de rav Raphël Méyou’hass ne s’arrête pas là. Pour retourner à Jérusalem, il embarqua dans un bateau qui faisait voile sur Alexandrie. De là, les deux hommes louèrent les services d’un ânier, avec qui ils traversèrent le désert en direction d’Erets-Israël. En route, neuf brigands les attaquèrent. Ils tuèrent les ânes, détroussèrent les hommes de tout ce qu’ils possédaient et les rouèrent de coups. Décidé à ne pas laisser de traces derrière eux, l’un des brigands leva son sabre au-dessus du coup du jeune rav pour lui trancher la gorge. Mais, selon les propres termes de ce dernier, « D.ieu intervint en ma faveur, par le mérite de mes saints ancêtres et aussi par celui de Jérusalem, la ville sainte : à peine abattu sur mon cou, le sabre de ce brigand se brisa en deux. Après lui, les huit autres l’imitèrent, mais leurs sabres se brisèrent tous l’un après l’autre. Quant à moi, je ne sentis rien, mon cou étant devenu comme du marbre… » A cette vue, les brigands décampèrent, pendant que rav Raphaël se tourna vers D.ieu pour Le supplier de lui venir encore en aide, car il se retrouvait seul dans le désert, ignorant son chemin et ne possédant pas la plus petite gourde d’eau.
C’est alors que les brigands opérèrent une soudaine volte-face. Retournant sur leurs pas, ils décidèrent de rendre au jeune Juif tout ce qu’ils lui avaient pris, dans l’espoir qu’il daigne leur pardonner. Ces hommes étaient saisis d’un tel effroi « qu’ils ne parvinrent pas à me parler, car ils étaient animés de la crainte de l’Eternel. Ils réussir seulement à pousser des cris de supplication : ‘De grâce, pardonne-nous !’ » Après qu’ils lui eurent restitué tous ses biens, les brigands s’en allèrent. A ce moment, apparut devant rav Raphaël un homme au visage lumineux, comme embrasé par des flammes. Il lui demanda où il souhaitait se rendre, et lorsqu’il lui annonça sa destination : « Je me retrouvai en un instant à Jérusalem, dans la ville du Sanctuaire ! »Par Yonathan Bendennnoune, en partenariat avec Hamodia.fr