Les trois semaines de deuil que nous venons de conclure fonctionnent selon un processus de gradation : pendant les treize premiers
jours, seulement certaines marques de deuil sont observées qui ne relèvent pour la plupart que de coutumes locales. Mais dès Roch
‘Hodech Av, le deuil s’intensifie et certaines lois nous sont imposées de manière stricte. Vient ensuite la semaine de Ticha béAv
pendant laquelle la rigueur s’intensifie jusqu’à atteindre son paroxysme le jour même de la destruction du Temple…
Il est par conséquent très étonnant
de constater que le jour
du 9 Av, au moment même où
le Temple fut détruit et brûlé par
les ennemis d’Israël en plein milieu
de la journée, les Sages prescrivirent
d’alléger le deuil : à partir de
‘hatsot hayom (vers midi), nous
cessons en effet de nous asseoir à
même le sol et il est alors permis
de mettre le talith et les téfilines,
etc. En outre, c’est pendant la prière
de min’ha que, selon la plupart
des coutumes, on récite le passage
de « Na’hem » qui annonce déjà la
consolation du peuple juif, et c’est
sur cette même impulsion que se
poursuivent les sept semaines suivantes,
puisque dès ce Chabbat
Na’hamou, c’est le thème du réconfort
et de la « consolation » qui
prévaut. Qu’est-ce à dire ?
Tomber pour mieux
se relever !
Le psaume de « Téhila léDavid », que
l’on récite trois fois par jour dans
la prière de « Achré », est composé
de 21 versets qui débutent suivant
l’ordre de l’alphabet hébraïque.
A ce propos, le Talmud Bérakhot
(page 4/b), qui analyse ce texte
sous différents angles, relève l’idée
suivante : « Rabbi Yo’hanan dit :
Pour quelle raison n’y a-t-il pas
dans Achré [de verset commençant
par] la lettre ‘noun’ ? Parce qu’elle
renvoie à la chute de notre peuple,
comme il est dit : ‘Elle est tombée
[nafla] et ne pourra plus se relever,
la vierge d’Israël’ , (Amos, 5,
2). En Eretz-Israël, on interprète
ce verset comme suit : ‘Elle est
tombée et ne pourra plus [tomber
davantage], relève-toi, vierge
d’Israël !’ ».
Or, il est à noter que cette seconde
interprétation est pour le moins
surprenante : en effet, ce chapitre
de la prophétie d’Amos constitue
lui-même une « lamentation sur la
Maison d’Israël » qui annonce la
destruction des grandes villes du
pays et qui se conclut par l’exil du
peuple. Alors comment concevoir
que dans ce contexte, survienne
précisément une telle parole de
réconfort nous assurant que la nation
d’Israël ne tombera désormais
plus…?
Dans l’ouvrage « Imré Noam » (sur
le Traité Bérakhot), l’auteur rapporte
à ce sujet une réponse saisissante
faite au nom du Gaon de
Vilna : « Notre maître expliqua que
ce verset renferme à la fois une
malédiction et une bénédiction, et
il signifie l’idée suivante : Israël
tombera si bas qu’il ne pourra plus
tomber davantage, et c’est en atteignant
ainsi le plus bas des échelons
que vient le signe de l’annonce :
‘Relève-toi, vierge d’Israël’ ».
Autrement dit, même selon l’interprétation
des Sages d’Eretz Israël, ce
verset d’Amos reste – comme toute
sa prophétie – l’annonce tragique de
la chute d’Israël ; mais néanmoins,
une bénédiction se décrypte également
à travers cette malédiction :
lorsque la chute atteint des proportions
telles qu’il est impossible
d’aller plus bas, c’est pour nous l’assurance
que le mouvement ne peut
désormais que s’inverser !
C’est dans cet ordre d’idées, ajoute
l’auteur, que s’explique également
l’enseignement suivant : « Le prophète
Ichaya [Isaïe] formula 18
malédictions contre Israël, et il ne
se rasséréna qu’après avoir prononcé
celle-ci : ‘Le jouvenceau
sera arrogant envers le vieillard’
(3, 5) [qui est la pire d’entre toutes]
». Or, n’est-il pas surprenant
de voir tant d’acharnement chez
le prophète à maudire le peuple
d’Israël ? Éprouvait-il donc tant de
haine à son égard qu’il ne trouva
de répit qu’après avoir proféré la
pire des malédictions…?
En réalité, il nous faut comprendre
que le répit auquel aspirait Ichaya
consistait au contraire à retrouver
l’espoir de la Délivrance pour son
peuple. De fait, toutes ses visions
ne lui avaient laissé entrevoir dans
l’avenir d’Israël que des calamités
plus funestes les unes que les
autres, ce qui le troubla au plus
haut point… Mais lorsque lui apparut
cette dernière prophétie – où
il entrevoyait l’échelon le plus bas
qu’Israël pourrait jamais atteindre
–, il se rasséréna sachant que l’espoir
était à nouveau envisageable
et que seule la rédemption pourrait
désormais survenir.
C’est ainsi que lorsque l’on atteint le
fond du gouffre, c’est bien quand il
devient impossible de tomber plus
bas encore dans le précipice du
destin que l’espoir renaît ! La plus
fatale malédiction peut se révéler
elle-même l’amorce de la bénédiction,
puisque c’est à travers elle
que surgit l’assurance d’un avenir
meilleur. Et si la « vierge d’Israël ne
peut plus se lever », c’est que nécessairement
« elle se relèvera »…
« Qui est bon
et Qui fait le bien »
Dans le Traité talmudique Bérakhot
(page 48/b), on apprend
que la quatrième bénédiction du
Birkat haMazone – celle de « haTov
véhaMétiv » – fut instaurée par le
Sanhédrin de Yavné en hommage
aux « morts de Bétar » ; ceux-ci
font référence à l’épisode où l’armée
romaine mit fin à la révolte
de Bar-Kokhba en y écrasant son
armée. La relation entre la formule
de la 4e bénédiction et cet
événement, nous y explique-t-on,
tient du fait que « ‘D.ieu est bon’
[haTov] – parce qu’Il ne laissa pas
les morts de Bétar se décomposer
–, et qu’’Il fait le bien’ [haMétiv]
– parce qu’ils purent être enterrés
». Or, si cette bénédiction fut
insérée précisément dans le Birkat
haMazone, nous expliquent
les décisionnaires (notamment
le Roch), c’est parce que ce texte
est « entièrement dédié à la reconnaissance
». De plus, le Talmud de
Jérusalem nous révèle qu’au moment
de la destruction de Bétar, le
peu de gloire qui restait au peuple
d’Israël fut alors définitivement
éradiqué, et celle-ci ne se manifestera
à nouveau qu’au jour de la
venue du Machia’h Ben-David :
c’est pourquoi, y apprend-on,
la bénédiction de « haTov véha-
Métiv » fut juxtaposée à celle de
« Boné Yérouchalaïm » puisque
cette dernière vient annoncer la
Rédemption finale.
La relation établie ici entre ces
différents thèmes mérite toutefois
quelques éclaircissements :
d’une part, on nous enseigne que
cette 4e bénédiction fut instaurée
en l’honneur des « morts de
Bétar » dont les corps restèrent
intacts durant plusieurs mois, et
c’est pourquoi elle fut donc insérée
dans cette prière entièrement
consacrée à la reconnaissance ;
mais par ailleurs, on nous enseigne
que les événements de Bétar
signèrent l’anéantissement total
de toute la fierté d’Israël qui ne
reviendra qu’au jour de la venue
du Machia’h.
Mais ici aussi, l’antinomie inhérente
à cette bénédiction s’explique,
comme nous l’avons vu, par
ce cycle invariable de l’existence
permettant à l’homme arrivé au
plus profond du gouffre de relever
la tête ! Après la destruction du
second Temple, le peuple d’Israël
n’avait en effet pas encore dit son
dernier mot : galvanisés par le
mouvement héroïque de Bar-Kokhba,
les Juifs tentèrent d’enrayer
le processus de l’exil. Or, avec
la chute de Bétar, les derniers
soupçons d’espoir furent définitivement
écartés. Mais cet effacement,
comme nous allons le voir,
comprenait lui-même les signes
d’un avenir meilleur…
En réalité, le miracle des cadavres
de Bétar, qui furent donc préservés
de la putréfaction et qui méritèrent
d’être enterrés en toute dignité,
ne constitua pas un simple
« épisode » anecdotique puisqu’au
contraire, il fut le signe avéré de la
fin du mouvement de chute d’Israël.
Lorsque les Sages de Yavné
virent que le dernier soubresaut
de révolte n’avait abouti qu’à une
« montagne de morts », mais que
par ailleurs, ces mêmes cadavres
avaient été l’objet d’un pareil miracle,
ils comprirent que ce terrible
événement comportait une double
signification : après avoir atteint
les abysses de l’horreur qui n’épargnèrent
pas un seul être vivant à
Bétar, la marche funèbre du peuple
d’Israël arrivait à son terme,
et à travers ce miracle survenu au
coeur même de la pire atrocité, un
certain mouvement d’espoir commençait
déjà à renaître.
C’est pourquoi dans la prière du
Birkat haMazone, après la bénédiction
de « Boné Yérouchalaïm »
par laquelle nous implorons D.ieu
de rétablir Son règne sur terre, on
instaura ce texte de « haTov véha-
Métiv » pour signifier que le miracle
de Bétar, censé signifier la
fin définitive de la gloire d’Israël,
comportait lui-même le signe incontestable
d’un nouveau commencement.
C’est cette période
des deux mille dernières années
écoulées que nos Sages désignent
comme étant celle des « jours du
Machia’h ».
À la lumière de cette remarquable
perspective, nous comprenons
à présent mieux le processus des
trois dernières semaines : c’est
après avoir atteint la dernière limite
du deuil et de la consternation
au matin du 9 Av, que
nous pouvons entamer la marche
de la consolation, remplis de
confiance dans notre Créateur
Qui nous guide depuis lors sur les
voies de notre Délivrance finale.
Yonathan Bendennoune
Adapté à partir d’un enseignement
de rav David Cohen, roch yéchiva
de ‘Hévron, cité dans l’ouvrage
« Lessasson Oulésim’ha »
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