L’expression particulière du premier verset de notre paracha – « Ils prendront pour Moi une offrande » – a connu de nombreuses interprétations. Celle qui suit fut proposée par le rav Yossef Dov Soloveitchik (1820-1892), l’auteur du « Beth haLévi » et le père de la lignée des rabbanim de Brisk.
COMME NOUS le constatons particulièrement en cette période, personne ne peut véritablement affirmer « posséder » de l’argent. Celui-ci s’avère si volatile et tributaire des aléas financiers que l’on est en droit de se demander ce que signifie réellement « avoir » de l’argent…
Si la Torah nous enjoint dans notre paracha de « prendre » d e l’argent et de l’off r i r pour l’édification d u Tabernacle, mais non pas de le « donner », remarque le Beth ha- Lévi, c’est précisément en vertu du fait que l’unique possession que nous ayons sur terre est celle de ce que nous donnons !
En effet, l’homme riche est comparable à une mouche enfermée dans un grand bocal à sucre. En dépit de son formidable privilège, explique cet auteur, l’insecte ne peut néanmoins pas se targuer de disposer de cette immense quantité de sucre : quoiqu’il puisse en jouir tout son soûl, il se sait néanmoins prisonnier de la boîte même qui contient son magnifique trésor… Ainsi en est-il de la richesse chez l’homme : elle semble lui appartenir et il est persuadé de détenir par son biais le pouvoir et toutes les jouissances au monde, mais en réalité il n’en dispose pourtant pas du tout. Le seul bien qu’il possède réellement, c’est celui qu’il cède à autrui.
C’est à ce sujet que dans le Talmud (Traité Baba Batra, page 11), il est relaté au sujet du roi Mounbaz qu’il dilapida sa fortune en l’offrant à la charité ; il expliqua son attitude en déclarant : « Mes ancêtres ont amassé des fortunes pour d’autres, moi je les amasse pour moi-même ! ». Un peu plus loin dans son commentaire, le Beth haLévi formule une remarque aussi intéressante que pertinente : lorsqu’un homme offre une somme d’argent à un pauvre, il accomplit par cet acte de nombreuses mitsvot, notamment celle de faire la charité et celle de « soutenir le nécessiteux ». Il apparaît donc que la personne indigente n’est pas moindre que tous les « objets de mitsva », comme par exemple le fruit de l’étrog par lequel on accomplit la mitsva des Quatre espèces. Or, bien que ce cédrat ne détienne plus aucun type de sainteté après que la mitsva soit révolue, il n’en reste pas moins qu’au moment de son accomplissement, le cédrat s’imprègne entièrement de la sainteté de la mitsva et, de ce fait, il est rigoureusement interdit à cet instant précis d’en faire un usage profane. Ainsi en est-il de tous les objets par lesquels on réalise la Volonté divine, qui recèlent une sainteté tout au moins au moment-même de l’accomplissement de la mitsva. Intermédiaire incontournable des différents commandements liés à la charité, la personne indigente se révèle donc elle même « objet de mitsva » ! Et par conséquent, conclut pertinemment le Beth haLévi, « celui qui ferait don de son argent avec dédain enfreindrait inévitablement une interdiction rigoureuse de la Torah… ».
Y. BENDENNOUNE