
PARACHATH BE‘HOUQOTHAI
Si vous marchez selon Mes statuts et vous gardez Mes commandements. (26, 3)
Ce verset signifie, selon Rachi, que nous devons nous donner de la peine dans l’étude de la Tora. Dans l’introduction de son Sifra de-Tsni‘outa, Rav ‘Hayim de Volozhin rapporte sur son Maître, le Gaon de Vilna: «IL était très souvent visité par des maguidim (“inspirateurs célestes”), qui voulaient lui communiquer des secrets de la Tora sans qu’il ait à s’efforcer pour les découvrir et les connaître. Mais il les éconduisait et n’était pas prêt à les écouter. Quand l’un d’eux insista pour lui livrer son message, le Gaon lui répondit qu’il n’aspirait pas à acquérir la Tora sans y peiner, et qu’il ne voulait donc absolument pas recueillir ce que ces agents célestes voulaient lui transmettre.
Si vous marchez selon Mes statuts. (26, 3)
Selon l’enseignement du Midrach (Wayiqra Rabba 35, 1), ce verset est à mettre en rapport avec ce qui est écrit ailleurs (Tehilim 119, 50): «J’ai ramené mes pas vers Tes témoignages.»
Un adepte de la Haskala («Emancipation») vint trouver un jour le ‘Hafets ‘Hayim pour lui poser la question suivante: Pourquoi se fatiguait-il tant à publier des ouvrages à caractère éthique et s’échinait-il de la sorte à communiquer de la yireath Chamayim («crainte du Ciel») à ses coreligionnaires? Ne valait-il pas mieux rédiger des récits tirés de la vie, ou s’intéresser à des sciences contribuant à l’organisation et à la bonne marche de la société? Cela lui vaudrait assurément plus de gloire, et certainement plus d’argent!
Le vénérable Sage lui répondit par une métaphore: Un homme se rendait à pied dans la ville voisine en portant un grand sac sur ses épaules. Vint à passer une voiture somptueuse, attelée à de magnifiques chevaux. Prenant en pitié le marcheur sur le point de crouler sous son bagage, le voyageur lui proposa de se joindre à lui. «Merci de votre aimable proposition! lui répondit le piéton, mais je ne puis y répondre, pour une raison très simple: Nous ne nous dirigeons pas vers la même destination. Vous progressez vers le lieu dont je viens, alors que j’avance moi-même vers votre provenance…»
Se consacrer aux considérations de ce monde peut effectivement être plus rentable et lucratif, conclut le ‘Hafets ‘Hayim, mais je ne marche pas sur cette voie. Bien au contraire, je m’en éloigne autant que possible!
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Si vous marchez selon Mes statuts. (26, 3)
A l’époque où Rav Mechoulam Igra servait comme Rav et juge rabbinique à Tismenitz, deux hommes d’une ville voisine vinrent lui demander d’arbitrer le différend qui les opposait. Après avoir écouté attentivement leurs arguments, Rav Mechoullam leur demanda de bien vouloir revenir le lendemain. L’affaire était complexe, leur dit-il, et il devait prendre le temps de bien l’analyser avant d’émettre sa sentence. En sortant de chez lui, les deux plaideurs, estimant qu’ils n’avaient pas le temps d’attendre jusqu’au lendemain, décidèrent de présenter leur cas au Rav de leur ville.
Ayant écouté leurs développements respectifs, il leur demanda bien vouloir attendre dans une pièce attenante. Sur ce, le Rav entra dans une autre chambre, lui aussi, et pria Hachem, en sanglotant, de bien vouloir le guider et lui permettre de juger correctement cette affaire d’une grande complexité qui venait de lui être présentée, car il ne savait pas de quelle manière la résoudre, et craignait que cette incompétence ne le fît passer aux yeux de sa communauté comme inapte à poursuivre son activité rabbinique. Du Ciel, ses prières furent entendues, et il eut l’inspiration soudaine de consulter un certain ouvrage de responsae, où figurait exactement la même question ardue. Le rabbin en conçut une immense joie, et s’empressa d’aller trouver les plaideurs et de leur communiquer sa décision.
Quelque temps plus tard, les deux hommes durent se rendre une nouvelle fois à Tismenitz. Bien que leur cas eût déjà été jugé, ils se dirent que, par correction, ils devraient quand même aller trouver Rav Mechoulam et entendre ce que lui-même avait décidé et de quelle manière il avait réglé leur litige. Ils vinrent donc le trouver, et commencèrent par s’excuser de n’être pas revenus alors comme il leur avait dit, et lui demandèrent ce qu’il avait statué à leur sujet. Rav Mechoulam leur communiqua sa sentence qui, en tous points, était l’exacte réplique de celle émise par le Rav de leur ville, ce qui fit sourire les deux hommes. Intrigué par leur réaction, Rav Igra leur demanda ce que sa décision avait de drôle. Les plaideurs ne purent se dérober… Ils lui avouèrent donc que, pris par le temps, ils avaient été contraints de soumettre leur cas à tel Rav, qui avait émis exactement la même décision, et ce quelques minutes après les avoir entendus…
Rav Mechoulam en fut profondément impressionné. Un Rav capable de trancher une question si complexe avec une telle promptitude est assurément un génie! se dit-il. Il se devait donc de l’honorer et de lui rendre visite.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Quand Rav Mechoulam arriva auprès de ce rabbin, celui-ci s’empressa de lui demander ce qui lui valait la visite d’un Gaon et Maître de cette stature. Rav Igra lui confia qu’il avait été profondément impressionné par la manière dont il avait si rapidement réglé le différend complexe qui opposait les deux hommes. Le Rav lui confia alors comment les choses s’étaient passées, et que, incapable de régler leur dispute, il avait épanché son cœur vers Hachem pour qu’Il le guide et lui dévoile la décision à rendre.
Ayant entendu le fin mot de l’histoire, Rav Mechoulam en perdit son émerveillement, et déclara laconiquement: «Nous tous sommes capables de pleurer pour être guidés, mais la bonne façon d’agir consiste à peiner dans l’étude et l’acquisition de la Tora!»
Il prit congé du rabbin et rentra chez lui…
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Parmi les grandes personnalités rabbiniques qui servirent les communautés juives d’Europe de l’Est au dix-neuvième siècle, Rav Naftali Tsevi Yehouda Berlin – le Netsiv – fut la figure emblématique de la «peine» et du travail acharné dans la Tora. Toute sa vie, depuis ses premières années, fut une succession ininterrompue de persévérance et d’acharnement dans la Tora.
Lors d’une fête de Soukoth, le Netsiv remarqua que Rav ‘Hayim Soloveitchik – mari de sa petite-fille – renâclait à utiliser son ethrog («cédrat»). Il lui demanda de s’en expliquer. Rav ‘Hayim lui répondit que le ethrog provenait d’Erets Yisrael et que l’on était à l’issue d’une année de Chemita. Bien qu’il ait été cultivé sur un terrain appartenant à un non-Juif, c’était bel et bien un ethrog de Chemita et il préférait s’abstenir de prononcer dessus la bénédiction d’usage.
«S’il en est ainsi, réagit le Netsiv, le même problème se pose pour moi.» Sur ce, il rentra chez lui.
Au milieu de la nuit, un élève de la yechiva de Volozhin vint frapper à la porte de Rav ‘Hayim. «Votre grand-père vous appelle…» Effrayé au plus haut point, Rav ‘Hayim s’habilla aussi rapidement que possible et, le cœur battant la chamade, s’empressa d’aller chez le Netsiv, qu’il trouva absorbé dans une pile de livres. Quand celui-ci l’aperçut, il lui livra tout ce qu’il avait appris sur un tel ethrog; il tenta de lui démontrer sa parfaite cacherouth et de lui enlever tous ses doutes.
Rav ‘Hayim l’interrompit poliment, pour lui signaler qu’il n’avait pas encore prononcé la bénédiction de la Tora – qui s’impose avant l’étude – et qu’il aimerait donc le faire avant d’entendre les conclusions du Maître. A peine eut-il commencé de réciter la berakha qu’il entendit le Netsiv sangloter et verset d’abondantes larmes. Quand il eut terminé la bénédiction, il s’empressa de lui demander la raison de ses pleurs.
«Comment ne pleurerais-je pas alors que le jeune homme que vous êtes et dont nous espérons tant n’est pas assis à étudier la Tora à quatre heures du matin? Vers où la prochaine génération se dirige-t-elle?!»
*
Des années plus tard, quad Rav ‘Hayim Soloveitchik racontera cette histoire à son fils, Rav Yits‘haq Zeèv, il ajoutera: «On parle habituellement de la régression des générations. Pour ma part, je dis que cette baisse ne se produit pas seulement entre une génération et la suivante, mais au sein de notre génération elle-même – entre le Netsiv et moi-même, par exemple.
Celui-ci n’a pas compris comment il est possible d’être un grand maître en Tora si l’on dort à quatre heures du matin, au point qu’il en a pleuré à chaudes larmes!»
Et nous, que dirons-nous?…