Clé electronique d’hôtel à chabath
Dans quelles conditions est-il permis, le Chabbath, d’utiliser les cartes servant à ouvrir les portes des chambres d’hôtel ?
Dans quelles conditions est-il permis, le Chabbath, d’utiliser les cartes servant à ouvrir les portes des chambres d’hôtel ?

Échec de la greffe : incompatibilité
Si la Torah avait été donnée à une époque plus tardive que celle avancée par la Tradition, il aurait été très difficile de convaincre le peuple destinataire de la recevoir. En effet, que pourra dire le “donateur” ? S’il déclare : “Elle m’a été transmise aujourd’hui et je l’ai écrite”, il lui sera aussitôt répliqué : “Il y est pourtant bien précisé : Moché écrivit cette Torah…” (Devarim 31, 9). Elle a donc déjà été rédigée par Moché.
Ainsi, le “transplanteur” ne pourra prétendre qu’il vient de l’écrire ou qu’elle vient d’avoir été rédigée. Il devra affirmer qu’elle était déjà écrite. Mais s’il ne veut pas avoir aussitôt droit à la question : “Comment n’avons-nous pas entendu parler de son existence ?”, il devra affirmer qu’elle existait bel et bien mais qu’elle s’est perdue, et qu’il l’a redécouverte ! Peut-être lui sera-t-il alors demandé : “Cette Torah ne contient-elle pourtant pas la promesse qu’elle ne sera jamais oubliée ? Ce sera, quand le trouveront des malheurs nombreux et des calamités, ce Cantique répondra devant lui comme témoin, car il ne sera pas oublié de la bouche de sa descendance… (Devarim 31, 21). Voilà qu’elle l’a quand même été, puisque personne ne se souvient d’elle, hormis vous !…” Et si notre homme racontait encore : “La Torah s’est transmise secrètement au sein de ma famille”, deux arguments pourraient lui être opposés :
a. Lorsque nous lisons, écrit noir sur blanc : Ce Cantique répondra devant lui comme témoin, nous osons espérer que ce témoignage détiendra la force de conviction qui sied à une “déposition” de Dieu. Or, un témoignage assorti d’une transmission aussi limitée est irrecevable, la déclaration d’une seule personne ne valant pas témoignage. Cela signifierait que ce verset ne s’est pas accompli. Ce fait lui-même suffirait à prouver que cette Torah n’est pas d’ordre divin et à inciter les auditeurs à repousser les paroles du “transplanteur lambda”.
b. La Torah affirme encore : Seulement garde-toi et garde vivement ton âme, de crainte que tu n’oublies les choses que tes yeux ont vues, et de crainte qu’elles ne s’écartent de ton cœur tous les jours de ta vie ; tu les feras savoir à tes enfants, et aux enfants de tes enfants, que tu t’es tenu devant Hachem, ton Eloqim, à ‘Horev [Sinaï;] (Devarim 4, 9).
Se peut-il qu’une pareille injonction, écrite en des termes si inflexibles, n’ait été observée par personne ? Et même si elle n’avait pas été respectée, comment le “transplanteur” parviendrait-il à convaincre ses auditeurs de la nécessité d’entamer une telle transmission acharnée ?
Conclusion : “Transférer” la Torah en la greffant dans une période postérieure à celle invoquée par la Tradition est impossible. Puisqu’elle n’a pu être “greffée”, il est clair qu’elle a été écrite à l’époque avancée par la Tradition et qu’elle a été donnée à des hommes qui, ayant vu les événements, avaient la possibilité de les confirmer ou les infirmer. Et puisqu’ils ont effectivement reçu la Torah, nous disposons d’une preuve supplémentaire que la Révélation s’est produite conformément aux descriptions qui en sont faites.
L’unicité de la Torah
Chaoul : Ce que tu viens de dire est fondé sur l’hypothèse selon laquelle la Torah doit avoir été donnée comme une seule entité. Mais qui peut affirmer que c’est exact ? Celui qui n’y croit pas peut toujours répliquer qu’elle a pris forme progressivement, au cours d’une longue période.
El‘hanan : Cet argument a effectivement des appuis parmi les tenants de la “critique biblique”[1]. Les fondations de cette “science” furent posées par des théologiens allemands, dans une nation qui n’était pas dépositaire de la Torah. Or, il est impossible d’étudier la Torah si l’on ne possède pas les clés confiées par la tradition de génération en génération. Heureusement, il est fort aisé de montrer à quel point leurs dires sont dépourvus de logique !
a. Le jour où la rédaction de la Torah a été achevée doit bien avoir été retenu ; comment cette date aurait-elle disparu ?
b. Comment toutes ces prétendues “phases d’élaboration” se seraient-elles effacées de la mémoire collective ?
c. Nous lisons dans le livre de Devarim (4, 2) : Vous n’ajouterez pas sur la parole que Je vous ordonne, et vous n’en retirerez pas ! Après que ce verset fut écrit, il ne subsistait aucune possibilité d’adjoindre quoi que ce soit aux commandements de la Torah. Quiconque aurait tenté d’en insérer aurait aussitôt été rejeté. Cela ressemble un peu au système de protection dont sont actuellement dotés la plupart des logiciels informatiques et grâce auquel, lorsqu’on les fait fonctionner, ces programmes sont verrouillés et imperméables à tout changement ou ajout. Dès lors que cette fonction est déployée, il est absolument impossible d’apporter la moindre modification au fichier. Un verset comme celui précité abolit toute faculté d’innovation et d’ajout de mitsvoth ou d’éléments de mitsvoth.
d. Il y a une cinquantaine d’années, le Rav Mikhaël Yossef Dov Weissmandel zts"l a réalisé des découvertes extraordinaires concernant des messages “enchâssés” dans le texte de la Torah. Généralement, il s’est focalisé sur les informations insérées dans des passages spécifiques, mais deux de ces “codes” – dits “de la Menora” et “des Quatre Espèces” – se déploient sur tous les cinq Livres du Pentateuque et dévoilent, dans le Texte entier, des structures d’une incroyable organisation. Étant impossible de prétendre que ces combinaisons sont fortuites, il est clair que ces passages où elles ont été trouvées doivent avoir été conçus simultanément par le même auteur (cf. le chapitre sur les codes, p. 125 et Appendice n°4 p. 225).
e. La transmission ininterrompue de la Torah de génération en génération montre en soi qu’il n’y a pas lieu de mettre son unicité en doute, puisque les moindres détails liés à l’application des mitsvoth ont traversé ce long enchaînement. Nous-mêmes détenons grâce à elle des connaissances sur chaque commandement – ce que sont ses composantes dictées par la Torah même (midéOraï;ta) et celles d’ordonnance rabbinique (midéRabbanan), l’époque où s’est ajouté cet élément d’application et celle où s’est adjoint celui-là. Par ailleurs, certaines mesures en vigueur depuis la période du don de la Torah – comme la lecture de la sidra le chabath, instituée par Moché Rabbénou – ne sont pas considérées comme émanant de la Torah même…
Puisque nous disposons d’une tradition très précise concernant chaque détail de la loi, l’époque et les modalités de son émergence, si quelqu’un avait présenté la Torah à un moment autre que celui avéré, comment pourrait-on l’attribuer entièrement à Moché, comme l’ayant recueillie au mont Sinaï;, alors qu’elle se serait formée au fil des générations (qu’Il nous préserve d’une telle idée !) ? Cette information aurait-elle pu disparaître ? Aurait-on réussi à la dissimuler tout au long de l’histoire ?
Nous reviendrons ultérieurement plus en détail sur cette idée de la transmission d’information au cours des générations.
Chaoul : Tu disais, au point c., que l’interdiction formulée par le verset : Vous n’ajouterez pas sur la parole que Je vous ordonne, et vous n’en retirerez pas, a le pouvoir de parer à tout ajout ou modification. Comment alors les Sages ont-ils pu, au fil du temps, adjoindre de si nombreuses interdictions aux commandements de la Torah ?
El‘hanan : Nous traiterons plus tard de la Torah orale. Je me préoccuperai pour le moment de la question suivante : Un homme peut-il déclarer : “J’ai ajouté une voiture à ma maison”, ou : “J’ai agrandi notre salle de bains avec une machine à laver ?” À une maison, on adjoint une pièce ; une voiture ou une machine à laver ne sont pas des annexes à un lieu d’habitation. Elles sont d’un autre ordre.
Les Sages n’“ajoutent” pas ; ils œuvrent, en vertu de l’autorité qui leur a été conférée, pour instituer des mesures ou réformes qui ne ressemblent aucunement aux interdictions de la Torah. Depuis des millénaires, nous savons exactement ce qui est prohibé par elle, et ce qui l’est par ordre rabbinique. De par la Torah, il est défendu par exemple de couper une branche d’un arbre le chabath, mais il reste permis de s’y asseoir. Nos Maîtres ont cependant décrété que nous ne devons utiliser l’arbre d’aucune manière. S’ils avaient dit que tirer usage d’un arbre est interdit par la Torah au même titre que ses autres prohibitions, ils auraient enfreint la défense : Vous n’ajouterez pas. Mais ce qu’ils disent est tout autre, et ce qu’ils ont généré (en employant, encore une fois, les pouvoirs qui leur sont attribués), est une prohibition d’un type inédit, différent à tous points de vue des interdictions de la Torah. Le châtiment encouru par celui qui la transgresse diffère d’ailleurs également de la condamnation entraînée par la violation des proscriptions de la Torah. Il ne s’agit donc aucunement d’un “ajout”.
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La précision de la Torah
Chaoul : Peut-on prouver “historiquement” la Révélation du Sinaï; ?
El‘hanan : Permets-moi de te répondre par une autre question : existe-t-il, à ton avis, des événements passés ou des hommes ayant vécu à des époques lointaines que tu puisses considérer comme des faits objectifs, ou comme des personnalités ayant existé et agi dans la réalité effective ?
Chaoul : De nombreux événements et hommes sont perçus par les chroniqueurs comme des faits historiques avérés et nous autres, à leur suite, les considérons également comme tels.
El‘hanan : Peux-tu citer quelques-uns de ces personnages ou événements perçus par les historiens comme des faits incontestés ?
Chaoul : Alexandre le Grand, George Washington, les guerres napoléoniennes…
El‘hanan : Comment les chroniqueurs savent-ils qu’un événement s’est réellement produit ? Prends le plus formel, celui qu’ils considèrent comme ne pouvant aucunement être mis en doute, et examine les raisons pour lesquelles les hommes de science sont convaincus qu’il a assurément eu lieu. Dénombre les critères auxquels l’événement en question doit répondre pour être jugé comme formel, et je m’engage moi-même à démontrer trois choses :
1. Que ces critères sont tous réunis dans la “Révélation sinaï;tique”.
2. Qu’aucun événement historique ne répond à ces critères aussi intensément que la Révélation.
3. Qu’il existe d’autres raisons en vertu desquelles il y a lieu de considérer la Révélation comme un événement historique irrécusable – raisons qui ne s’appliquent à aucune autre occurrence.
Sais-tu quels sont ces critères ?
Chaoul : Avant tout : une continuité historique intensive. En d’autres termes, une information qui se déverse de manière ininterrompue par des canaux de transmission nombreux, variés et indépendants les uns des autres.
2. L’événement en question s’est produit en présence de nombreux témoins.
3. Des documents, ou pièces à conviction – apparaissant généralement dans les fouilles archéologiques – certifient l’événement, tout comme la confrontation des informations émanant de sources diverses.
El‘hanan : Eh bien, nous verrons que la Révélation et les événements décrits par la Torah répondent à toutes ces conditions, et ce avec une intensité inégalable.
Le syndrome du “téléphone cassé”
Chaoul : Comment donc la Torah, qui regorge de détails si abondants, a-t-elle supporté sa longue transmission ? Comment un système si sophistiqué a-t-il pu résister sans dommage à la succession de nombreuses générations et conserver sa précision ?
Prends pour exemple le jeu du “téléphone” dont tu connais certainement le principe : des enfants s’asseyent l’un à côté de l’autre. Le premier chuchote un mot ou une phrase à l’oreille de son camarade assis près de lui, lequel le murmure au suivant, et ainsi de suite jusqu’au dernier participant de la rangée, qui formule à haute voix le vocable ou le message qui lui est parvenu. Il est souvent amusant de constater les bouleversements “cybernétiques” subis par le communiqué à mesure qu’il s’est éloigné de sa source…
Par exemple : l’enfant assis en première place choisit le terme “table”, lequel est entendu “câble”, puis retransmis “cale”, arrive chez le suivant sous la forme de “balle” pour être finalement prononcé “malle” par le dernier de la rangée. Au cours de cette altération plausible et graduelle, la “table” s’est transformée en “malle”.
Qu’est-ce qui, selon toi, aurait pu obvier à de telles falsifications ? Une chaîne de déformations dont chaque maillon est léger et imperceptible ne se déploiera-t-elle pas aussi dans la transmission de la Torah – dans la transcription de l’écrite et dans la communication de l’orale ?
El‘hanan : Pour te répondre, je te propose d’employer précisément l’exemple que tu viens d’utiliser. Organisons une partie de “téléphone”, en lui aménageant cependant des “dispositifs de défense” aptes à prévenir la moindre entorse à l’exacte transmission du message. Nous pouvons ainsi ériger sept systèmes de sauvegarde, dont chacun permette à lui seul d’éviter toute dénaturation lors de la communication du message :
Système de défense n°1 – Chaque enfant transmet, outre le mot, l’objet qu’il désigne. S’il prononce le mot : “table”, il lui incombera de passer une petite table à son camarade. Ce dernier, qui entend le vocable et recueille l’objet désigné, ouï;ra ainsi bel et bien “table”, et non la moindre variante. Même s’il entendait autre chose, il saurait qu’il doit immédiatement vérifier de quoi il s’agit, puisqu’il se rendrait compte de la contradiction entre ce qu’il a entendu et ce qu’il a reçu.
Une partie qui se déroule suivant cette règle ne peut donner lieu à un “téléphone cassé”… On peut présumer que le premier mot parcourra la séquence des participants sans subir d’altération.
Système de défense n°2 – Le premier enfant fait passer un petit billet contenant les têtes de chapitres du message transmis ou une allusion à son sujet.
Système de défense n°3 – Chaque enfant répète cinquante fois le mot à son camarade. Dans de telles conditions, le terme sera assurément transmis avec précision. Même si dix fois sur les cinquante, l’auditeur entend diverses variantes du vocable indiqué, il l’aura entendu précisément dans la majorité des communications.
Imaginons qu’il entende à quarante reprises “chameau”, et dix fois les composantes issues de ce mot – par exemple “chat”, “mot” – l’analyse de ces erreurs le conduira à la conclusion que le terme introduit était bel et bien “chameau”. Si malgré tout le doute le prenait, il demanderait des éclaircissements. Une partie se déroulant selon ces principes ne pourra non plus laisser place à des confusions.
Système de défense n°4 – Nous formerons dix colonnes de cinq enfants chacune. Tous ceux assis au premier rang conviendront de prononcer le même mot. Si les derniers de chaque file émettent le même terme, nous saurons qu’il a été transmis avec précision. Car il est inconcevable qu’une erreur identique se soit glissée dans toutes les rangées.
Système de défense n°5 – Nous nous exercerons pendant dix jours consécutifs, chaque jour avec nos états d’âme et notre niveau de concentration spécifiques. Si durant cette période, les participants sont tous parvenus au même résultat, nous serons assurés et habilités à affirmer qu’aucune falsification ne s’est immiscée en chemin.
Système de défense n°6 – Prévenons formellement les enfants : tout perturbateur sera sévèrement puni, alors que le fidèle transmetteur sera dûment récompensé. La crainte du châtiment encouru et l’attente de la gratification promise stimuleront chacun d’eux à réaliser une retransmission aussi exacte que possible.
Système de défense n°7 – Nous développerons la motivation des participants en soulignant combien la retransmission précise profite à la société, à l’humanité, etc. afin d’accroître leur désir d’exactitude.
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En pratique, chacun de ces systèmes de défense suffit par lui-même à atténuer le risque d’altération au minimum, voire à s’assurer qu’aucune déformation ne s’ingérera. À plus forte raison si nous réussissons à mettre en place une partie où les sept mécanismes agiront simultanément : les enfants prononceront le mot en transmettant l’objet désigné ; répartis en dix rangées, ils répéteront quotidiennement le terme à cinquante reprises pendant dix jours, après que nous aurons suscité chez tous une haute motivation en leur faisant miroiter une récompense et en les menaçant de sévères châtiments, en leur montrant la noblesse de la tâche, son importance et ses enjeux. De surcroît, il leur aura été transmis un petit billet contenant une allusion au mot ou les grandes lignes du message à communiquer. Dans de telles conditions, une méprise devient réellement impossible…
Eh bien, nous verrons que la Torah a été transmise de génération en génération, sous la haute garde de ces sept systèmes (et d’autres encore) de défense empêchant toute dénaturation.
La Torah est transmise d’une génération à la suivante au fil d’une chaîne historique ininterrompue.
La continuité historique, comme nous l’avons dit, constitue l’élément clé de la recherche annaliste. Des événements rapportés de manière incessante sont considérés comme des faits avérés. La biographie d’une grande figure comme Alexandre le Grand se transmet d’une génération à la suivante comme une histoire qui s’est déroulée en présence de multitudes. Si ce personnage était le fruit d’une invention et donc que nul ne l’avait vu, il serait difficile d’expliquer comment on a pu imaginer l’homme et sa chronologie et convaincre les foules de leur tangibilité.
Prenons l’histoire de Mahomet selon laquelle il vit l’ange Gabriel alors qu’il était seul dans le désert, et qui circule de génération en génération, au fil d’une constance historique soutenue. Nous savons, certes, que l’homme a existé – des multitudes l’ont vu ! Nous ne savons cependant rien quant à l’authenticité de son récit, du fait que même d’après leur version, personne hormis lui-même ne le vit rencontrer l’ange Gabriel… Nous savons donc qu’a existé un dénommé Mahomet, nous savons également qu’il a assuré avoir vu l’ange Gabriel. Mais l’a-t-il vraiment vu ? À cela, il faut croire d’une foi aveugle dont l’objet ne peut être prouvé, puisque, encore une fois, personne n’était présent pour pouvoir l’attester.
Évidemment, n’imaginons pas que n’importe quel récit lié à un événement survenu en présence d’une multitude puisse être recueilli d’un cœur entier par les masses et être transmis tel quel d’une génération à la suivante.
La Torah nous est parvenue jusqu’à nos jours suivant une continuité historique intensive qui ne trouve sa pareille dans les annales d’aucune autre nation. Personne au monde ne peut nommer, parmi les diverses générations, des individus ayant eu pour mission et objectif de transmettre l’histoire d’Alexandre le Grand. La continuité historique marquant les récits qui lui sont liés est absolument indéterminée. La Torah parcourt quant à elle une chaîne chronologique nominative et détaillée. Le fil historique de sa diffusion est rigoureusement daté ; nous savons qui étaient les chefs spirituels de chaque génération à avoir transmis la Torah à la suivante. Nous connaissons leurs époques de gloire et d’influence, nous savons à quel moment chacun est décédé et a transmis le sceptre de l’autorité aux dirigeants suivants de la postérité. Une succession historique aussi dense et claire voue à l’échec toute tentative de “transplanter” un récit fictif.
Les noms des dirigeants de la nation – qui furent les chefs de la transmission de la tradition – nous sont connus pour chaque génération. Nous savons aussi de nombreux détails à leur sujet, sur leur caractère, sur les paroles qu’ils avaient coutume d’émettre, sur les événements qui se produisirent à leur époque – y compris ceux qui marquèrent leur vie privée. Des descriptions de leur visage et de leur corps ont même été parfois conservées. Face à une telle profusion de détails, il n’y a aucune raison de supposer qu’un système éminent comme la Torah ait pu subitement être introduit sans laisser d’empreinte.
Cette Torah transmise est elle aussi détaillée à l’extrême. Quiconque prétend que quelqu’un a inventé le récit ne tient pas compte du fait qu’une telle personne aurait dû assumer une mission fort ardue : cet homme aura dû convaincre tous ses auditeurs de l’exactitude de chaque détail. Généralement, les récits historiques reconstitués se caractérisent par des dates “rondes”. Lorsqu’on parle d’anciennes dynasties égyptiennes “reconstituées” par les chercheurs, on avance des chiffres tels que 2000 ou 3000 ans avant l’ère chrétienne, etc.[2]. En effet, comment peut-on venir si longtemps après et accéder à des informations précises jusqu’au chiffre des unités ?
La Torah, en revanche, regorge de nombres exacts ; elle rapporte le décompte précis des hommes d’armée de chaque tribu, quand le peuple hébreu entra dans le désert puis en sortit[3]… Si toutes ces données n’avaient pas été consignées au moment des événements et si elles n’avaient pas été fournies à des personnes qui connaissaient les détails et les nombres précis, comment celles-ci ont-elles convaincu les multitudes de les accepter et de s’y fier ?
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[1]. Pour de plus amples détails sur la réfutation de ces diverses théories liées à la lecture du Texte, il est fort conseillé d’étudier l’ouvrage du professeur Rav David Tsvi Hoffmann : Reayoth makhri‘oth néguèd Wellhausen (“Arguments déterminants contre Wellhausen”), ainsi que l’excellente introduction à son commentaire sur le livre de Vayiqra. Nous recommandons également l’article d’Aron Barth consacré à ce sujet, dans Aux questions actuelles… des réponses juives (Éd. fr. : Fondation Séfèr), ainsi que la série de livres de Rav Yits‘haq Eiziq Halévi Doroth Richonim, ou encore E‘had haya Yecha’yahou de Ra‘hel Margaliyoth.
[2]. Une plaisanterie populaire raconte qu’un touriste, ayant vu un immense dinosaure reconstitué dans la grande salle d’entrée du Musée d’Histoire Naturelle de Washington, demanda au gardien : “Quel âge a-t-il ? — Deux milliards d’années, cinq mois et deux jours”, fut la réponse. Le visiteur ne put réfréner sa stupéfaction : “Comment êtes-vous arrivé à une telle exactitude ?” Et le veilleur de répondre : “Il y a juste cinq mois et deux jours, une délégation de spécialistes est venue, et le professeur responsable a expliqué à ses membres qu’un tel dinosaure avait deux milliards d’années. Puisque cela remonte à cinq mois et deux jours, il a donc aujourd’hui exactement deux milliards d’années, cinq mois et deux jours…”
[3]. Dans le livre de Bamidbar 2, 5-6 : “Et ceux qui campent près de lui [Yehouda] : la tribu de Yissakhar […] et sa légion, selon son recensement : cinquante sept mille quatre cents (!)” Le verset 15 donne le décompte de la tribu de Dan : “Et sa légion, selon son recensement : quarante-cinq mille et six cent cinquante…” Ce dénombrement est ainsi détaillé pour chaque tribu.
Titre: Expédition vers les hauteurs du Sinaï;
Auteur: Rav Mordekhaï; Neugroeschel
Editeur: EMOUNAH
Adaptation française : Gilla PELL.
Le livre est en vente dans les librairies juives.

La Révélation sinaïtique (Fin)
La Torah circule d’une génération à la suivante comme un ensemble théorique associé à des actes pratiqués régulièrement chaque jour, et à des objets accompagnant ces mêmes actes (talith, tefilines, loulav, etc.) (Dispositif de défense n°1).
Cela signifie que si le système de défense de la transmission de l’objet permet une bonne communication, à plus forte raison cela sera-t-il le cas d’un dispositif sophistiqué et combiné comme celui que nous venons de décrire. Chaque matin, nous nous attachons des tefilines identiques à celles que portèrent nos ancêtres. Le jeune garçon atteignant l’âge de la majorité (13 ans) reçoit de son père une paire de tefilines et, pour les mettre, procède de la manière dont il voit faire celui-ci. Cela ne peut être changé. Imaginons qu’un homme arrive à la synagogue et se fixe des tefilines aux lanières d’or… En réponse aux questions étonnées des présents, il s’exclame : “C’est la nouvelle mode !” Il risque tout simplement de se faire renvoyer de la synagogue ! La Michna (Souka 4, 9) rapporte qu’un jour de Soukoth, un prêtre effectua les libations d’eau (lesquelles constituent une offrande spécifique à la fête) sur ses pieds au lieu de le faire sur l’autel. La réaction ne se fit pas attendre : “Tout le peuple le lapida avec des ethroguim”…
Or, il ne s’agit pas d’une seule mitsva, d’un acte isolé, mais d’un ensemble d’actions accomplies perpétuellement, génération après génération. Comment pourrait-on introduire des modifications, mêmes minimes, dans un système dont la transmission passe par une pratique ininterrompue ?
La Torah est transmise accompagnée d’un document écrit contenant son condensé (dispositif de défense n°2).
La Torah est sans cesse étudiée et approfondie au fil de l’histoire (dispositif de défense n°3), conformément à sa propre injonction (Devarim 6, 7) : Tu les inculqueras à tes enfants et tu en parleras…, ou selon celle communiquée par le prophète Yecha’ya (59, 21) : Et Moi, celle-ci est Mon alliance avec eux, dit Hachem : Mon esprit qui est sur toi et Mes paroles que J’ai placées en ta bouche ne s’écarteront pas de ta bouche et de la bouche de ta descendance, et de la bouche de la descendance de ta descendance, dit Hachem, dès à présent et à jamais… Voilà un processus semblable à celui par lequel l’enfant déclare le mot à cinquante reprises. De fait, pas une année ne s’est écoulée dans l’histoire sans avoir été marquée par l’apparition de centaines d’œuvres toraniques ; pas un jour n’est passé sans que des milliers d’enfants aient étudié la Torah avec leurs parents ou leurs enseignants…
Les générations successives parcourues par la Torah ne forment pas une simple chaîne, mais un lacis de chaînes se déployant sur le monde entier (dispositif de défense n°4). Certaines d’entre elles se sont trouvées complètement détachées les unes des autres pendant des siècles, mais en fin de compte, elles ont toutes rejailli avec les mêmes Torah écrite et orale, les mêmes six sections de la Michna, le même Talmud babylonien, les mêmes six cent treize mitsvoth et les mêmes articles de foi. Cela ressemble aux files parallèles formées par les enfants, dans le jeu du “téléphone” : une même déformation ne peut survenir chez tous à la fois !
Les Juifs répètent quotidiennement la même prière, exécutent les mêmes commandements (dispositif de défense n°5), semaine après semaine, mois après mois, exactement comme cet exercice répétitif qui, accompli plusieurs jours durant, donne invariablement le même résultat – ce fait attestant la préservation exacte du message[1].
Ceux qui ont transmis la Torah ont considéré celle-ci avec un sérieux sans égal (dispositif de défense n°6). Rabbi Yichma’el a déclaré à son disciple Rabbi Méir, qui était scribe : “Mon fils, sois vigilant à l’ouvrage, car celui-ci est une œuvre sacrée ! Si tu omettais ou ajoutais une lettre [au Séfèr Torah que tu écris], tu te trouverais en train de détruire le monde entier !…” (‘Erouvin 13a).
Ayant saisi l’importance extrême de leur rôle, les Maîtres chargés de la transmission de la Torah n’ont économisé aucun effort pour la communiquer aussi précisément que possible, et ils y sont parvenus d’une manière exceptionnelle. La Torah est recopiée par des hommes. Or, la reproduction d’un document contenant plus de trois cent mille lettres mène forcément à certaines erreurs ; à plus forte raison en sera-t-il ainsi des transcriptions suivantes. Au terme de nombreuses années, il y a tout lieu de s’attendre à l’émergence de multiples versions, différant les unes des autres par des lettres, voire par des mots entiers.
De fait, dans les livres copiés – y compris dans ceux dont les scribes avaient tout intérêt à se préoccuper de leur parfaite exactitude – diverses altérations se sont glissées. Prenons pour exemple les Évangiles, pierre angulaire du christianisme. Il s’agit d’un livre relativement court – comprenant environ cent quarante mille lettres – âgé de quelque mille neuf cents ans. Or, il en existe actuellement de très nombreuses versions, alors que la Torah – qui ne fait pas moins du double en taille et en âge – a été conservée dans son intégralité, auprès de toutes les communautés, dans toutes les régions de la diaspora, sans aucune différence significative8 !
Plus d’une fois, nous avons entendu parler de Juifs qui se sont montrés prêts à renoncer à tous leurs biens, voire à se jeter dans les flammes pour sauver un séfèr Torah…
Chaoul : Le texte des rouleaux de la Torah est d’une grande précision, et il existe assurément un important dénominateur commun entre les Juifs pratiquants issus de toutes les communautés. Mais que fais-tu de toutes les ma‘hloqoth, les divergences d’opinions ? Comment ont-elles vu le jour ? Ne constituent-elles pas la preuve criante d’une inexactitude cybernétique ?
El‘hanan : Des désaccords existent, certes, mais considérons-les dans leur juste perspective et leur exacte proportion. En effet, malgré ces discordances, 95 % de l’ensemble demeurent dans le consensus, et cette “part du lion” inclut tous les éléments fondamentaux – les treize articles de foi9, les vingt-quatre livres du canon biblique, les six traités de la Michna, le Talmud babylonien, etc. qui sont communs à tous. Les discordances s’appliquent à des détails de la pratique, alors que les fondements de la Torah et toutes les mitsvoth sont adoptés pareillement par tous. Il n’existe aucune discussion quant à la forme ou à la configuration des tefilines, sur les lois de chabath, etc. Les divergences se limitent aux seuls domaines où il n’y a pas eu de décision formelle et où il était clair que des désaccords pourraient surgir.
Le judaïsme a développé une puissante motivation et encouragé une volonté de transmettre le message dans toute son exactitude (dispositif de défense n°7), en exaltant abondamment les qualités de ceux qui s’adonnent à l’étude de la Torah et qui la communiquent avec précision. L’abnégation et les innombrables sacrifices déployés en faveur des moindres détails des commandements ont exprimé cette motivation tout au long de l’histoire juive, dans toutes les régions de la diaspora. Combien de mères juives ont-elles élevé autour de la Torah cette fantastique muraille de protection appelée messirouth néfech – abnégation ?! Combien ont éduqué leurs enfants en leur disant : “Si des ennemis vous déclaraient : ‘Observez les commandements, étudiez la Torah et conformez-vous à toutes ses injonctions. Effacez-en seulement une lettre pour montrer que son intégralité ne vous tient pas tellement à cœur’, laissez-vous mourir plutôt que d’en changer un iota !…”
Maintes occasions, malheureusement, ont été données à notre peuple de prouver son abnégation pour la Torah et son attachement au Dieu d’Israël. Ni les Chrétiens, ni les Musulmans, ni les décrets qu’ils émirent, ni les potentats et leur violence ne réussirent à réprimer ce renoncement. Innombrables sont les descriptions de cet esprit de sacrifice qui accompagnent l’histoire juive. Prenons pour exemple ces quatre cents enfants qui se jetèrent à la mer pour ne pas devoir transgresser de graves interdictions de la Torah, à l’époque de l’exil romain, comme le rapporte le Midrach Raba sur Eikha (Lamentations). Lisons les récits sur l’époque des Croisades et des expulsions en tous genres, pendant lesquelles les sources de subsistance se réduisirent pour les Juifs à leur expression minimale, voire moins, et alors qu’ils auraient pu, d’un simple mouvement de main ou d’un seul mot, se voir offrir tous les privilèges auxquels avaient droit les apostats… Un grand nombre – il ne s’agissait pas seulement de talmidei ‘hakhamim et de grands Maîtres en Torah, mais beaucoup de “simples Juifs” – préférèrent la mort au parjure. Plus près de nous également, dans les sombres jours de la Choa, ils furent des multitudes à continuer de prier, d’étudier la Torah et d’observer les mitsvoth, bravant tous les décrets, les menaces de mort ou les dangers de souffrances plus amères encore que la mort. Rien n’y fit… Dans les plus terribles conditions, les Juifs se sont acharnés à étudier et à pratiquer la Torah10.
Ces récits d’héroïsme ne révèlent pas seulement la trempe de cette nation et sa fidélité à ses valeurs. Ils constituent une preuve de la précision dans la transmission de la Torah : si tant de Juifs n’ont pas renoncé au moindre de ses détails et à la moindre de ses lettres, comment ses commandements auraient-ils pu être mal transmis et dénaturés ? Quiconque désirerait adjoindre un élément à l’une de ses mitsvoth (ou, pire encore, voudrait carrément en générer une nouvelle), se ferait aussitôt rejeter. On ne le laisserait pas ajouter la moindre lettre !
Toutes ces caractéristiques forment ensemble un dispositif de défense inégalable, et confèrent l’assurance de l’impossibilité absolue de changement ou de dénaturation.
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Résumé de la “preuve historique”
Chaoul : Peux-tu me résumer ce qui a été dit jusque-là ?
El‘hanan :
1. La Torah a été donnée lors d’un événement public.
2. Cet événement de masse fut unique et ne s’est jamais répété (la Torah ayant assuré d’avance qu’il ne se produirait jamais plus).
3. La Torah se transmet selon une succession historique publique ininterrompue.
4. Il n’y a eu aucune possibilité d’“implanter” la Torah “quelque part au milieu”, et ce pour les raisons suivantes :
a. Le “transplanteur” aurait dû convaincre les masses d’accepter un système contenant entre autres des lois inhabituelles fort difficiles à comprendre.
b. Il aurait dû les persuader de telle manière que sa force de conviction laisse en leur cœur une empreinte durable jusqu’à leur dernier jour.
c. Comment donc le “transplanteur” a-t-il disparu de la mémoire nationale historique ? Où encore a disparu “l’événement de la greffe” pour que personne ne l’ait consigné ?
d. La Torah est rédigée de telle manière que le peuple ne l’aurait acceptée que de Moché au moment des faits, et non d’un homme qui serait arrivé plus tard.
e. Elle a été donnée comme une seule et même entité.
5. Le syndrome du “téléphone réparé” :
a. Répétition ininterrompue.
b. Chaînes de transmission parallèles.
c. Étude jour après jour.
d. Transmission exacte des commandements actifs, accompagnée d’une étude approfondie.
e. Les principes essentiels sont transmis par écrit.
f. Récompense pour les zélés, et punition pour les négligents.
g. Éveil du sentiment de responsabilité par le développement de la motivation.
h. Abnégation pour que ne soit modifié aucun détail.
6. Il est écrit dans la Torah que sa rédaction fut achevée quand les enfants d’Israël étaient encore dans le désert. Cette Torah, libellée près des événements décrits par elle, et donnée au peuple qui les vécut, constitue un argument supplémentaire selon lequel toutes les conjonctures dépeintes qui apparurent aux yeux du peuple se déroulèrent effectivement de la façon relatée. Tu ne peux en effet raconter à un peuple des événements auxquels il a assisté, à un moment où personne n’a rien vu. Et si cela n’était pas vrai et que les enfants d’Israël n’avaient pas reçu la Torah alors qu’ils étaient dans le désert, cela signifierait qu’il s’agit d’un document contrefait. Or, il n’est pas possible de falsifier une pièce si complexe et si longue sans que cette déformation ne soit découverte et rejetée.
7. Les neumes – signes de cantillation – en guise d’exemple de la précision de la Tradition : dans toutes les communautés, ils sont restés les mêmes.
8. La conformité des mois de l’année dans tous les points de la diaspora – les fêtes y ont toujours été célébrées à la même date.
9. Transmission de la Torah par le biais d’autorités ayant recueilli l’ordination.
10. Le rouleau originel de la Torah fut conservé pendant 850 ans, et lorsqu’il fut dissimulé, la Torah avait déjà été diffusée dans toutes les régions du monde. Il y est dit explicitement que l’on ne peut modifier aucun détail des commandements ou y adjoindre quoi que ce soit. Personne n’a donc rien ajouté au livre après qu’il fut transmis.
11. De multiples mitsvoth ont été enjointes aux enfants d’Israël afin qu’ils se souviennent de la sortie d’Égypte. Or, on ne pourrait guère accomplir des actes “en souvenir” d’un événement que l’on ne se rappellerait aucunement…
12. Les descriptions de miracles transmises de génération en génération – des prodiges auxquels les masses assistèrent et qui se prolongèrent longtemps.
13. La description détaillée des événements présentée par le Texte se révèle comme exacte également sous l’éclairage archéologique. Même plus : une telle précision atteste en soi l’époque de la rédaction de la Torah ; c’est uniquement près des faits que l’on a pu écrire sur eux avec tant d’exactitude.
El‘hanan : Voyons maintenant comment ce qui vient d’être dit constitue un argument logique et répond aux remises en cause du reniement :
À partir du moment où la Révélation sinaïtique est un fait historique, et où les descriptions de la sortie d’Égypte et de la vie dans le désert relatent des événements qui se sont bel et bien produits, nous savons qu’une Force domine la nature et l’histoire (n°13 – descriptions des miracles), et qu’Elle a donné la Torah comme manuel d’utilisation destiné au fonctionnement de l’homme et du monde, d’où le devoir d’observer ces instructions.
Chaoul : Comment saurons-nous que la Révélation et tous les événements constituent des faits historiques probants ?
El‘hanan : Un événement public (n°1) qui se transmet de génération en génération (n°3), dont il a été assuré qu’il serait absolument unique dans toute l’histoire, ajouté au fait que personne n’ait réussi à l’imiter ou à en innover un semblable montre qu’il est impossible de l’inventer, ou que celui qui a assuré que l’on ne trouverait jamais un tel récit savait ce qui se produirait dans l’avenir. Il est absolument inconcevable de commencer une histoire pareille au milieu – la “greffe” aurait échoué (n°4).
Des millions de Juifs par-delà toutes les frontières géographiques et historiques observent les mitsvoth en souvenir des événements qui se produisirent dans le désert (n°11). Or, il est impensable, pour qui ne se souvient pas, de se lancer dans l’accomplissement de tels commandements.
La Torah se présente comme celle ayant été donnée au peuple qui vécut les événements par elle rapportés. Si cela n’était pas vrai, cela signifierait que le document est contrefait. Or, nous avons montré qu’il est absolument impossible de falsifier une pièce pareille (n°6).
Chaoul : Et comment saurons-nous que la description a été transmise avec exactitude sans subir d’altérations ?
El‘hanan : Le critérium du “téléphone salubre” (n°5) garantit que le message est passé avec exactitude dans ses moindres détails – il préserve la justesse de la transmission et de l’histoire biblique telle qu’elle est exprimée dans les paragraphes 7, 8, 9, 10, 11, 13.
Conclusion : La Torah a été donnée au Sinaï, par une Force surpassant la nature et l’histoire, et ses moindres éléments sont précis.
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[1]. Cette idée permet également de répondre à la question souvent posée : quel sens a cette obligation de prier selon un rituel fixe et d’accomplir chaque jour les mêmes actes ? Le phénomène de l’habitude n’est-il pas galvaudant ? N’eût-il pas mieux valu servir Dieu spontanément, et donc de manière sincère ?
Le fait qu’il s’agisse d’actes récurrents constitue en soi un système de défense “cybernétique” assurant que la Torah s’est perpétuée dans son exactitude sans aucune déformation. (Cela était dit en passant, mais n’explique pas la raison majeure d’un service divin fixe.)
8. À l’exception de quelques lettres en plusieurs endroits du Texte, comme dans le terme (Devarim 23, 2) daka qui se termine avec un alef ou un hé, ou dans des mots aux graphies pleine ou défective, ce qui ne change cependant absolument rien à la signification ou au décompte des mots de la Torah.
9. Bien qu’il existe diverses opinions concernant ce qu’il y a lieu de compter parmi les principes fondamentaux de la foi juive (Maïmonide et l’auteur du Séfèr ha‘Iqarim), il n’y a aucune discussion quant au fait qu’ils sont tous justes, précis et impératifs.
10. Nous conseillons vivement à ce sujet les ouvrages haGuevoura haA‘héret de Ye‘hiel Graendtsein, et la série d’ouvrages biQedoucha ouviGuevoura de Yehochoua’ Eibeschuetz. [N.D.T.] De même, en français : Des ténèbres à la lumière de Rav ‘Ezriel Tauber (Éditions Emounah).
Titre: Expédition vers les hauteurs du Sinaï;
Auteur: Rav Mordekhaï; Neugroeschel
Editeur: EMOUNAH
Adaptation française : Gilla PELL.
Le livre est en vente dans les librairies juives.
III
CROYANCE ET ACTION :
LES CRITERES POUR UNE DECISION RESPONSABLE
Section 1
La Torah se présente sous la forme d’un système pourvu de nombreuses qualités : elle est magnifique, elle inspire et pose un défi tout à la fois, elle est morale et profonde, elle sensibilise, et ainsi de suite; et elle est aussi l’expression de la vérité. Or, je ne veux traiter ici que de l’aspect "vérité"; le reste est tout aussi fondé, mais je ne n’en parlerai pas : chacun d’entre nous a la responsabilité de rechercher la vérité, et c’est ce que je veux essayer de faire ici.
Une remarque pour commencer : lorsque nous parlons de la Torah comme étant vraie, il nous faut nous limiter aux parties de la Torah qui sont descriptives, c’est-à-dire aux portions de la Torah qui décrivent des faits : comment le monde a vu le jour; les événements historiques, y compris peut-être ceux de nature miraculeuse; les prophéties, révélations, guerres, famines et migrations; la nature de l’être humain et celle de l’âme; les prédictions qui concernent l’avenir, comme par exemple la venue du Messie et ce qui se passe après la mort; les forces qui affectent l’Histoire; la manière dont D.ieu interagit avec l’Homme, et ainsi de suite. Dans tous ces cas, nous serons à même de trouver des affirmations présentées comme des descriptions de faits. Notre question sera donc la suivante : quelles sont les raisons que nous avons d’accepter ces affirmations comme vraies ?
L’expérience m’a toutefois enseigné qu’il est stérile de débuter une discussion quant à la vérité du Judaïsme avant de convenir au préalable de critères quant à son évaluation. Si je présente des idées, des preuves, des arguments ou des justifications, et que les standards par lesquels la validité de tous ces arguments doit être évaluée ne font l’objet d’aucun consensus, nous n’aboutirons certainement qu’à un dialogue de sourds.
Quel est l’étalon à choisir pour évaluer une preuve ? Il y a un standard pour mesurer la connaissance que nous devons à Descartes, et qui fait l’objet de beaucoup de discussion. D’après Descartes, je ne peux prétendre savoir quelque chose qu’à la seule condition d’être capable de rejeter catégoriquement toute autre alternative que je serais en mesure d’imaginer. Si je dis être sûr de A, la seule manière de conforter mon affirmation est pour moi d’être en mesure de réfuter définitivement toute autre alternative. Donc, si je prétends connaître A, vous pouvez me contredire en proposant n’importe quelle explication différente B. Il suffit que B soit dans le domaine du possible : si je ne peux éliminer B, et l’éliminer totalement, alors il me faut retirer mon affirmation de savoir A. Tel est le standard cartésien.
Or, il nous va falloir rejeter ce critère, et ce sur la base de deux arguments. Ce point est crucial, parce que nous tous avons tous été plus ou moins influencés par la norme cartésienne, et que nous l’utilisons de manière presque instinctive. Lorsque quelqu’un affirme savoir quelque chose et propose un argument pour conforter sa théorie, la réponse naturelle est d’essayer de le réfuter sur la base de Descartes ("N’est-il pas toujours possible qu’une explication différente soit la bonne ?"). Donc, il est important que nous nous entendions dès le début pour rejeter le critère cartésien.
La première raison pour rejeter Descartes est que si l’on vit réellement en fonction de ce standard, on ne sait plus rien du tout ! Toute prétention de savoir quelque chose peut être réfutée en utilisant un critère cartésien rigoureux. Descartes lui-même était gêné par cela. Comment savez-vous que vous n’êtes pas en train de rêver à cet instant précis ? De quelle façon pourriez-vous vous prouver, de manière catégorique, que vous ne dormez pas maintenant ? En vous pinçant ? Ne pourriez-vous pas vous pincer dans un rêve ? Etes vous en mesure de vous prouver à vous-même que vous n’allez pas vous réveiller dans 3 minutes au 22ème siècle, en train de penser : "Ah, voilà ce que j’obtiens à lire des livres historiques. J’ai rêvé que je vivais il y a plus de 100 ans, dans un endroit bizarre où l’air conditionné ne marchait pas correctement", etc. Or, d’après le critère de Descartes, vous ne savez pas que vous êtes éveillé du moment qu’il y a une alternative imaginable qu’en réalité vous dormez.
[Bien sûr, Descartes pensait qu’il pouvait prouver que (la plupart du temps) nous ne dormons pas. Mais aujourd’hui personne ne reconnaît sa preuve comme valide – nous ne pouvons pas prouver que nous ne dormons pas.]
L’exemple de Bertrand Russell consistait à demander si vous savez si l’Univers est en réalité vieux de plus de 5 minutes. Cinq minutes. Vous pouvez argumenter : "bien sûr, je me souviens de ce qui est arrivé hier". Mais je peux toujours suggérer que votre existence a commencé il y a cinq minutes avec tous ces souvenirs enregistrés dans votre cerveau. Si vous dites "et bien, j’ai une cassette du concert des Grateful Dead, et c’est une cassette de 45 minutes, donc forcément que le concert qui a été enregistré a duré au moins 45 minutes", la réponse est que le monde a débuté il y a cinq minutes, avec la cassette et les impressions magnétiques déjà dessus. "Tenez, on trouve des dépôts d’uranium en partie décomposés, et juste à côté les sous-produits provenant habituellement de cette décomposition, dans des proportions correctes." Là encore, on peut répondre que tout n’est apparu qu’il y a cinq minutes, y compris l’uranium et les sous-produits de décomposition. Donc, nous avons une explication alternative potentielle. Vous pensez que l’Univers a des millions ou des milliards d’années, mais on peut défendre l’hypothèse qu’il n’a que cinq minutes, étant apparu avec toutes les caractéristiques dont vous pensez qu’elles indiquent un âge plus élevé. Vous ne pouvez catégoriquement l’exclure. Donc, d’après Descartes, vous ne savez pas que l’Univers a plus que 5 minutes !
Vous pouvez continuer ainsi avec tout ce en quoi vous croyez, et si vous avez une imagination suffisamment inventive, vous pourrez toujours conjurer une alternative quelconque que vous ne pourrez réfuter définitivement, et par là même rejeter toute prétention à une connaissance. Ainsi, le critère de Descartes est stérile. Il est sans espoir. Il nous prive de tout ce que nous pensons savoir. Depuis que Descartes a commencé ce petit jeu, il y a 350 ans, tout le monde a essayé de trouver un différent standard, un autre étalon pour mesurer la connaissance. Il n’y a pas de réponse définitive à Descartes si ce n’est la certitude qu’il a certainement tort, et qu’un jour quelqu’un trouvera un critère acceptable. Ceci est la première raison pour rejeter le standard cartésien.
[Certains considèrent la suggestion de Descartes "je pense, donc je suis" comme une certitude absolue. Mais même cette déduction a ses détracteurs. Pourquoi Descartes assume-t-il l’existence d’un sujet ? Lorsque nous disons "il pleut", le mot "il" ne renvoie à personne ! De la même façon que "il pleut" signifie que la pluie est en train de tomber, peut-être que "je pense" veut simplement dire qu’une pensée existe. La déduction de quelque chose appelé "je" est sans aucune fondation. En fait, même les mathématiques et la logique ont leurs opposants. Il semblerait que rien ne soit absolument établi.]{mospagebreak}
Section 2
Il y a une autre raison pour rejeter Descartes, raison qui s’applique plus spécifiquement au Judaïsme. Quelle que soit la situation en matière de connaissances théoriques, nous utilisons un critère d’évaluation complètement différent quand il s’agit de prendre de manière responsable des décisions d’ordre pratique. Nous n’attendons pas d’avoir une certitude absolue avant d’agir. L’étalon que nous employons pour décider en pratique est basé sur la probabilité, compte tenu des alternatives. Si je dois décider quoi faire dans un cas précis, que je sais que mon comportement doit être fonction des circonstances – en d’autres termes, des faits -, et que je ne peux pas déterminer de manière absolue la situation réelle, il me faut utiliser l’information à ma disposition pour déterminer laquelle des différentes alternatives est la plus probable, et baser ma décision sur cette conclusion. Si j’agis ainsi, je me serai comporté de manière responsable, sinon de manière irresponsable.
[Ce raisonnement présuppose qu’aucun autre facteur ne joue de rôle – notamment, que les résultats respectifs des différents scénarios sont égaux. Je veux simplement illustrer ici l’idée qu’un défaut de certitude ne nous réduit pas à une prise de décision arbitraire.]
Ceci est vrai pour toutes nos décisions : quelle profession pratiquer, où vivre, qui marier, que faire de notre épargne, comment réagir face à la mort, etc. Dans tous les cas, et en particulier si je vous dois quelque chose, vous attendrez de moi que j’agisse de manière responsable quant à l’obligation que j’ai envers vous. C’est la norme à laquelle nous sommes tenus. Nous ne pouvons invoquer le fait que nous n’avions pas de preuve cartésienne pour justifier le fait que nous n’avons pas agi.
Par exemple, si j’emprunte votre voiture, et que vous me dites : "Ecoute, tu peux utiliser la voiture, mais tu dois savoir que les freins ont peut-être un problème. Donc, si tu entends un bruit ou quelque chose, amène-la au garage et fais-la réparer avant d’avoir un accident." Puis vous partez en voyage pour un mois. Lorsque vous revenez, vous remarquez que devant votre maison se trouve ce qui fut un jour votre voiture. Maintenant elle ressemble à un accordéon ! Vous me demandez ce qui s’est passé, et je vous réponds : "eh bien, j’ai eu un accident – les freins ne répondaient plus". Vous me dites :" Mais je t’avais prévenu. Je t’avais dit que les freins pouvaient avoir une faiblesse. Est-ce qu’ils ont fait du bruit ?" Je réponds "Oui, ils ont bel et bien fait du bruit". Vous me demandez : "alors, tu les as fait réparer ?" Je répartis "non, je ne les ai pas fait réparer". Vous demandez "pourquoi pas ?", et je vous dis "En fait, il était toujours possible que le bruit n’indiquait pas que les freins allaient lâcher. Il était possible que le bruit était causé par un ressort distendu ou quelque chose comme cela. Je n’avais aucune preuve qu’il s’agissait des freins."
Je ne pense pas que trouveriez la plaisanterie amusante ! Même si je n’avais aucune preuve, il y avait de fortes chances qu’il s’agissait des freins. Après tout, vous m’aviez averti de leur faiblesse, et nous savons que des freins usés couinent. Compte tenu de l’information que j’avais à ma disposition, l’alternative la plus probable était qu’il s’agissait des freins. J’aurais certainement dû les faire réviser ! Lorsque j’ai une décision à prendre, c’est sur la base de la probabilité la plus élevée (comparée aux autres alternatives) que je dois le faire si je veux me comporter de manière responsable.
Or, il est très important de comprendre que le Judaïsme est à la fois une question de théorie (est-ce que D.ieu existe ? Y a-t-il eu une Révélation au Mont Sinaï ? A-t-Il créé le monde d’une manière spécifique ? Quelle est la nature de l’âme ?) et une question de pratique. Le Judaïsme est un mode de vie. Bientôt il sera Chabbat. Vous devrez décider si vous aller allumer une cigarette ou non. Pendant la semaine, vous devrez décider si vous voulez manger un cheeseburger ou pas. Ce sont là des décisions de la vie de tous les jours. Le critère pour prendre des décisions de manière responsable est de peser les différentes alternatives sur la base de la plus grande probabilité. Une personne qui attendrait que le critère de Descartes soit rempli, c’est-à-dire que toutes les autres alternatives soient catégoriquement écartées, n’agirait pas de manière responsable.
Imaginez un médecin. Vous allez chez le docteur à cause d’un terrible mal au ventre. Le docteur vous dit : "Est-ce l’appendicite ou non ? Ecoutez, c’est peut-être nerveux. Peut-être est-ce un ulcère. Peut-être est-ce psychosomatique. Vous pouvez souffrir de toutes sortes de choses. Est-ce que j’ai une preuve qu’il s’agit de l’appendicite ? Non, je n’ai aucune preuve; la maladie pourrait être autre chose". Entre-temps, le patient meurt d’une rupture de l’appendice. Que dites-vous ? Vous vous dites que le médecin est un irresponsable. On n’attend pas d’avoir une preuve certaine quand la probabilité d’une des alternatives est plus élevée que celle des autres. C’est bien ce critère-là qui détermine la prise de décisions responsables.
Donc, quelle que soit la situation dans un cas théorique, le fait est que nous avons une vie à vivre et des décisions à prendre. Nous devons en particulier prendre position à propos du Judaïsme; par conséquent, notre critère doit être celui de la plus haute probabilité face aux alternatives. Lorsque je prétends ainsi que le Judaïsme représente la vérité, ou qu’un aspect spécifique du Judaïsme est vrai, j’aurai rempli ma tâche si je peux démontrer que cet aspect a la probabilité la plus élevée d’être vrai face aux autres explications potentielles.
Par exemple, admettons que j’argumente en faveur d’une certaine proposition A et que je présente mes preuves; si quelqu’un disait : "Je vois où vous voulez en venir, mais n’est-il pas concevable que A soit néanmoins faux, même compte tenu de vos preuves ?" Ma réponse sera: "Oui, c’est effectivement concevable. Nous ne sommes pas en train d’essayer de réfuter toute alternative concevable, mais seulement celles des alternatives qui semblent plus probables que A. Il ne suffit pas d’opposer à A quelque chose qui soit seulement imaginable; c’est trop facile et ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il faut trouver un concurrent de A ayant plus d’éléments positifs en sa faveur, ce qui est beaucoup plus difficile".
Voici un autre moyen de comprendre cette idée. Supposons que quelqu’un choisisse d’adopter la position d’être sceptique (certains disent que c’est ce que fit Socrates) : "Je ne sais vraiment pas ce qu’est la vérité, mais vous prétendez savoir. Eh bien, je suis prêt à vous écouter : exposez-moi ce que vous croyez être la vérité, et pourquoi selon vous c’est la vérité. Je suis prêt à être convaincu si vous pouvez prouver vos dires. Je ne veux pas accepter ce que vous croyez simplement parce que vous êtes convaincu – il existe bien trop de croyances différentes pour faire cela. Mais si vous pouvez démontrer que vous avez raison, je vous suivrai". Vous présentez vos arguments, vos preuves, et sa réponse est : "Ce n’est pas une bonne preuve, parce que quelque chose d’autre pourrait aussi être vrai".
Où se situe l’erreur du sceptique ? Il vous impose l’entier du fardeau de la preuve. Or, nous pouvons être sceptiques quant à son scepticisme ! Si je lui présente des indices en faveur de la vérité de ce que en quoi je crois, il ne lui suffit pas de simplement indiquer que cela pourrait encore être faux : il doit donner des indices positifs qui indiquent mon erreur. La simple possibilité d’une erreur n’est pas une raison suffisante pour rejeter un argument. Le scepticisme absolu – demander une preuve certaine – est injustifié et déraisonnable. La raison pour laquelle il est injustifié est que nous recherchons des indices sur lesquels baser une action. Nous pouvons demander au sceptique : "Très bien – nous avons donné des indices positifs de notre bien-fondé. Si vous deviez agir, est-ce que ces indices suffiraient ? Bien sûr, nous pouvons encore avoir tort. Mais les preuves sont suffisamment convaincantes pour que nous soyons requis d’agir comme si c’était vrai. Dans le cas contraire, nous nous comporterions de manière irresponsable. Cela nous suffit."
[Si tout ce que avons est une probabilité plus élevée que celle des alternatives, est-ce que cela justifie une croyance absolue ? Que faire alors des principes de la foi juive qui énoncent : "Je crois d’une fois parfaite que …" ? En fait, nous souffrons ici d’un problème de traduction : ma’amin et emouna ne veulent pas dire "foi" en hébreu, mais bien plutôt loyauté – vivre en conformité avec une idée ou un principe. Voici des preuves textuelles : Genèse 15:6; Exode 19:9; Nombres 14:11, 20:12; Deut. 28:66; Psaumes 116:10, 119:66; Job 4:18, 15:15 parmi d’autres. Quand il y a assez de preuves pour justifier une décision d’agir, alors l’action doit être menée avec une parfaite confiance. Lorsque les indices sont en faveur d’une opération chirurgicale, cette opération doit être accomplie sans compromis. La foi juive demande une loyauté complète aux principes pour lesquels nous avons suffisamment d’indications de leur vérité.]{mospagebreak}
Section 3
Notre réponse naturelle à l’argument du sceptique sera la suivante; une personne dira : "Ecoutez, si je prétendais croire en D.ieu, vous pourriez me demandez comment je sais; c’est-à-dire, quelles sont mes preuves, mes indices, mes justifications. Si je prétendais être athée, vous pourriez me demander comment je sais; c’est-à-dire, comment est-ce que je sais qu’il n’y a pas de D.ieu, quelles sont les preuves dont je dispose, quels sont les indices que je peux présenter. Mais je ne prétends rien du tout. Je n’affirme ni savoir que D.ieu existe, ni qu’Il n’existe pas. Je suis agnostique. En tant qu’agnostique, j’admets aisément mon ignorance. Comme Socrates, je dis ne pas savoir. Certainement vous ne pouvez pas me demander de justifier cette position ! Que pourrais-je justifier, une absence de connaissances ? Il se trouve simplement que je ne sais pas, et je suis suffisamment honnête pour l’admettre. Comment pouvez-vous me demander de présenter des justifications, des preuves, des arguments alors que je ne fais qu’avouer mon ignorance ?"
Cette observation est une erreur, ou peut-être devrais-je dire qu’elle induit en erreur. Il est vrai que sur un plan intellectuel, sur le plan de la croyance, il y a trois positions possibles regardant n’importe quelle assertion particulière. Je peux croire A, ne pas croire A, ou être indécis quant à A. Mais quant il s’agit d’agir, il n’y a que deux positions. Soit vous agissez comme si A était vrai, soit vous agissez comme si A était faux. Il n’y a pas de position médiane.
Peut-être pouvez-vous dire à propos de la révélation au Sinaï : "Je ne sais pas, peut-être D.ieu nous a-t-Il vraiment commandés de respecter le Chabbat, et peut-être que non. Je n’ai pas vraiment décidé." Mais le prochain Chabbat, vous aller fumer une cigarette ou pas. Il n’y a pas de juste milieu entre fumer et ne pas fumer. Ou vous vous engagez à respecter les lois du Chabbat ou pas. Il n’y a pas d’échappatoire à ce choix. Or, quand il s’agit de ce choix, on peut vous demander de vous justifier. Et parce que c’est un choix, il doit être pris sur la base de la probabilité la plus élevée face aux alternatives.
Ceci signifie que les actions de l’agnostique vont contredire sa neutralité intellectuelle prétendue. Pour prendre un exemple simple, admettons qu’il y ait une vague rumeur que les conduites d’eau de Jérusalem aient été contaminées par le typhus. Il s’agit seulement d’une rumeur, mais de telles rumeurs ne font pas surface tous les jours. Vous demandez à quelqu’un ce qu’il pense de cette rumeur, et il vous répond : "Eh bien, je ne sais pas vraiment, je suis agnostique. Je ne sais pas si c’est vrai ou faux. Après tout, je ne sais pas qui a lancé cette rumeur. Peut-être est-elle sans fondement." Tout en vous disant cela, il va au lavabo, se verse un verre d’eau du robinet, et le boit. Il peut bien prétendre qu’il n’a pas décidé, mais la vérité est qu’il a fait son choix, ou alors il n’aurait pas bu l’eau !
Vos actions vous engagent envers l’une ou l’autre des alternatives à la question, même si vous prétendez être intellectuellement neutre. La plupart des gens utilisent l’agnosticisme comme une simple esquive. Il est très rare de rencontrer un agnostique qui prenne ses précautions. L’agnostique mangera son cheeseburger à Yom Kippour (le jour juif du Jugement, pendant lequel tous les juifs ont l’obligation de jeûner) sur la plage sans aucune arrière-pensée. Son agnosticisme est simplement un moyen de se protéger contre la critique. " Vous me demandez de me justifier, mais je n’affirme rien du tout, donc je suis libre de manger mon cheeseburger." Ce n’est malheureusement pas aussi simple.
Si réellement vous ne savez pas si le Judaïsme est vrai ou faux, cela devrait se traduire à l’extérieur par une forme de comportement positif. Par exemple, par une prise de précautions, ou par une recherche sérieuse et, dans l’intervalle, pendant ladite investigation, en mettant les chances de votre côté en évitant de manger de cheeseburger. Il est très rare de trouver un agnostique qui fasse cela, ce qui signifie soit que son agnosticisme est un simple prétexte, soit qu’il est le résultat d’une réelle confusion intellectuelle. Un homme qui penserait "puisque je suis agnostique, je n’ai pas d’obligation de faire quoi que ce soit" ferait une erreur, comme vous pouvez le constater dans tout exemple où l’indécision porte sur un point d’importance. S’il était vraiment agnostique quant à l’eau empoisonnée, il n’en boirait pas ! Pour la même raison, il semble que si quelqu’un était vraiment agnostique, il devrait logiquement adopter un mode de vie religieux. En d’autres termes, il devrait vivre sa vie comme si la religion était vraie, de manière à se protéger contre l’énorme perte qu’il souffrirait si tel était bien le cas et qu’il n’avait pas vécu sa vie en conséquence.{mospagebreak}
Section 4
Un dernier point. Certaines personnes sont troublées par une fausse distinction; elles disent : "Ecoutez, c’est un problème de peu d’importance que de savoir où investir son argent, quelle profession choisir, et peut-être même qui marier, toutes ces décisions étant d’une importance limitée. On peut revenir dessus. Si je décide d’investir 10’000 F dans AT&T, et que je les perds, ce n’est pas la fin du monde. Avec un peu de chance, je peux me refaire. Si j’apprends un métier et qu’en fin de compte il n’y a pas de débouchés, je peux toujours choisir une autre profession ou déménager vers un pays où mon métier est demandé. Si je marie quelqu’un et qu’il s’avère que c’était une erreur, je peux toujours divorcer et marier quelqu’un d’autre. C’est une décision limitée, à l’importance limitée, et peut-être puis-je la prendre sur la base de la plus grande probabilité comparée aux autres alternatives. Mais vous me demandez de prendre une décision quant à ma vie entière. Ceci est toute ma vie, je devrais absolument tout changer, mes valeurs, mon comportement, etc. Certainement, pour une telle décision j’ai le droit de demander plus qu’une probabilité élevée. Pour la prendre, j’ai besoin d’une preuve solide, ou à tout le moins une probabilité qui soit extrêmement élevée. Ne puis-je pas avoir un critère plus exigeant quant il s’agit de ma vie entière ?"
Je pense que ce raisonnement est une erreur, et cela pour trois raisons. Tout d’abord, même la décision de mener un mode de vie religieux peut être renversée. Certaines personnes essaient et décident que ce n’est pas fait pour eux. Il n’y ainsi sur ce plan-là pas de différence fondamentale entre cette décision et d’autres. Ensuite, un mode de vie religieux n’implique pas de devoir tout changer. Les personnes pratiquantes ont une famille, un métier, partent en vacances, ont un ordinateur, etc. Bien sûr, certaines activités doivent changer, et les priorités sont différentes. Mais chaque décision dans la vie amène sa part de changements. Il se peut qu’il y ait là une différence quantitative – vivre en conformité avec la religion signifie comparativement plus de changements. Mais cette différence n’est pas suffisante pour justifier un critère radicalement différent quand il s’agira de prendre la décision.
La troisième raison est la suivante : même quand les enjeux sont énormes, du moment qu’ils sont les mêmes pour les deux alternatives, nous utiliserons quand même le critère de la probabilité la plus élevée pour prendre la décision. La seule dimension de l’importance de la décision ne change pas le processus. Vous pouvez le voir dans l’exemple suivant : supposons que vous alliez chez le médecin et qu’il contrôle votre condition physique. Il vous dit que vous avez les symptômes de deux maladies possibles. Vous avez certainement l’une des deux, mais il n’est pas évident de savoir laquelle. Cela peut être A ou B. Dans les deux cas vous avez besoin d’une opération, sinon vous allez mourir dans deux mois. Si vous avez la maladie A vous avez besoin de l’opération A’, si vous avez la maladie B vous avez besoin de l’opération B’. Si on vous administre la mauvaise opération (par exemple, vous avez la maladie A et les chirurgiens pratiquent l’opération B’), vous mourrez également au bout de deux mois. Nous avons ici un réel dilemme. Doit-on pratiquer une des deux opérations, et si oui laquelle?
Maintenant, supposons que compte tenu des symptômes, et en les comparant avec les personnes qui ont déjà eu ces maladies, il apparaît que dans votre cas il y a 52% de chances que vous ayez la maladie A, et 48% de chances que vous ayez la maladie B. Cette une différence de 4%, mais cela ne donne aucune preuve quant à savoir quelle chirurgie est la plus adaptée ou laquelle choisir. Diriez-vous : "Ah, eh bien, je n’ai pas de preuve qu’aucune des deux opérations soit la bonne, et par conséquent je ne veux avoir aucune des deux." J’en doute fort ! Toute indique que dans ce cas vous mourrez dans deux mois !
Diriez-vous : "Mais je n’ai aucune preuve quant à savoir quelle opération est la meilleure, donc je ne sais pas laquelle choisir ?" Si les statistiques montrent que A’ vous donnent 4% en plus de chances de survie, alors ces 4% additionnels, qui sont tout ce que vous pouvez avoir dans ces circonstances, valent la peine qu’on les choisisse. La question ici un problème de vie ou de mort, et non pas simplement d’avantages ou d’inconvénients, mais le critère n’en est absolument pas changé. Le critère pour mon choix est : comment puis-je avoir une probabilité de survie plus élevée ? La différence entre les deux alternatives n’est que de 4%, mais cela n’a aucune importance. Je veux ces 4% supplémentaires !
Parfois je présente l’argument de la façon suivante : supposons que vous soyez suspendu au‑dessus d’une falaise et que, dans l’attente d’être secouru, vous ne vous teniez que par une branche d’arbre, sans qu’il soit clair si la branche tiendra indéfiniment. Elle émet des bruits inquiétants, et il y a une autre branche vers laquelle vous pourriez vous déplacer, mais il n’est pas sûr que la deuxième branche soit plus résistante. Admettons que vous vous y connaissiez en arbres et que vous estimiez que la probabilité que la deuxième branche soit plus solide que la première est de 3% plus élevée que la probabilité de l’alternative inverse. Est-ce que vous vous direz : "Après tout, c’est ma vie. Puisqu’il s’agit de ma vie, j’attends une preuve que la deuxième est plus résistante. Je ne change rien à ma vie sans la certitude absolue que le changement sera pour le mieux." Bien sûr que non. Vous avez 3% de chances de survie en plus sur la deuxième branche. VOUS BOUGEZ ! Vous vous procurez une amélioration de 3% de votre probabilité de survie. Ainsi, le fait que les enjeux soient élevés, dans notre cas les plus élevés possible, c’est-à-dire la survie, ne change absolument rien au critère utilisé pour faire un choix. Le critère du choix reste toujours le même : la probabilité la plus élevée au regard des alternatives existantes.
[Bien sûr, cette analogie ne marche que si les alternatives et leurs conséquences sont définies avec soin. Je suis en train de décrire les deux possibilités – vivre une vie religieuse ou non religieuse – comme offrant des conséquences infinies. Ceci n’est vrai que si les deux proposent des valeurs infiniment précieuses. A ce moment-là, le choix du mode vie devient le choix des vraies valeurs. L’analogie fonctionne ainsi : la bonne opération / la bonne branche conduit à la vie, la mauvaise opération / la mauvaise branche à la mort; vivre en conformité avec la vérité permet d’obtenir un bien infini, en conformité avec son contraire conduit au malheur infini. Dans ce cas, il est correct de suivre l’alternative la plus vraisemblable, même si la différence n’est que minime. Parfois, certains objectent que l’analogie n’est pas valable, car j’ai laissé en-dehors les coûts relatifs des deux alternatives. On peut présumer que changer de branche ne coûte rien, et le prix des opérations n’est pas mentionné. Que se passerait-il s’il en coûtait 100 F, ou 10’000 F, ou 1’000’000 F pour changer de branche, ou pour avoir l’opération A’ au lieu de B’ : certainement, il y a un prix que les quelque pour-cent additionnels de chances de survie ne valent pas ? Dans le cas de la Torah, si les indices de vérité ne sont pas très convaincants, il se peut que le coût d’un mode de vie religieux devienne un facteur pertinent dans la prise de décision. Cette objection admet deux réponses. Premièrement, la décision de sacrifier les pour-cent supplémentaires ne fait peut-être que refléter le fait que certaines personnes ont une valeur limitée de leur propre existence : les gens risquent leur vie pour toutes sortes de raisons triviales! Ensuite, il n’est pas clair qu’un mode de vie religieux représente un coût supplémentaire. Si nous prenons les statistiques de la violence, de la consommation de drogues, de l’alcoolisme, de divorce, de suicide, d’illettrisme, etc., il semble que vivre religieusement pourrait bien être une bonne affaire !]{mospagebreak}
Section 5
Donc, nous allons rechercher la plus grande probabilité de vérité face aux alternatives. La stratégie que nous allons spécifiquement utiliser pour vérifier la Torah a deux facettes, et j’aimerais vous les expliquer. Tout d’abord, certaines parties de la portion descriptive de la Torah peuvent être examinées directement, comme les affirmations à propos d’événements historiques. Certaines d’entre elles sont des prédictions qui ont été faites à propos de temps déjà révolus, de sorte qu’elles peuvent être vérifiées à présent. D’un autre côté, certaines des parties de la portion descriptive de la Torah ne peuvent faire l’objet d’aucune investigation directe, comme par exemple ce qui arrive à l’âme après la mort; ou encore, toutes les prédictions qui doivent être réalisées dans le futur, comme la venue du Messie, et qui ne se sont bien sûr pas encore réalisées. Celles qui peuvent être examinées directement, le seront. Mais qu’allons-nous faire de celles qui ne le peuvent pas ?
La réponse est la suivante. Nous avons un ensemble unitaire et coordonné d’informations. Chaque fois que vous trouvez un tel ensemble, que certaines de ses parties peuvent être vérifiés directement et que d’autres ne le peuvent pas, le fait que la partie vérifiable soit vraie donne de la crédibilité à l’ensemble. Vous ne pouvez pas choisir arbitrairement, et dire : "Je ne crois que ce que j’ai pu vérifier. Le reste, que je n’ai pas testé, je n’ai aucune raison de l’accepter." Au contraire, si la partie testée est vraie, alors la partie non testée sera vraisemblablement fondée également.
Ceci est vrai dans tous les domaines de la vie. Par exemple, en science, n’importe quelle théorie a une infinité de conséquences. Personne ne teste jamais ne serait-ce qu’une petite partie de cette infinité ! Nous ne disons pas : "Voyons, Einstein a prédit que lorsque la lumière passerait à côté du soleil, elle serait légèrement déviée. Nous avons testé la théorie à 14 occasions et nous savons que ces 14 fois les rayons ont bel et bien été courbés. Mais tous les autres cas que nous n’avons pas examinés ? Je n’ai aucune raison de croire quoi que ce soit parce que je n’ai pas encore vérifié." Non, nous disons que la partie qui a été contrôlée est un indicateur de la pertinence du reste également. De la même façon, concernant une encyclopédie, ou un journal, ou toute autre source d’informations : lorsqu’ils vous donnent des informations que vous pouvez vérifier directement, et qu’après vérification ces informations sont exactes, cela donne à l’ensemble une certaine crédibilité. Vous pouvez étendre la crédibilité au tout.
Supposons que quelqu’un dise : "Je ne crois que ce que je peux vérifier moi-même empiriquement. Je n’ai confiance ni dans l’opinion ni dans les travaux de qui que ce soit d’autre. Je ne crois que ce que je vois moi-même." Cette personne ne croira pratiquement en rien dans ce monde. Je demande souvent à une telle personne si elle sait qui sont ses parents. Comment le savez-vous ? Avez-vous procédé à un test d’ADN ? Sans doute que non. Ils sont chers et très rares. Vous leur faites probablement confiance parce qu’ils vous l’ont dit. Mais peut-être qu’ils ont menti. Vous n’avez pas pris d’empreinte digitale de votre mère à votre naissance ! Alors comment pouvez-vous savoir qui est votre mère ? Vous le savez parce qu’elle vous a appris beaucoup de choses, et que d’habitude elle est crédible. Il est toujours concevable que vous ayez été adopté, mais c’est très improbable, et cela vous suffit.
Que penser du passé en général ? Vous ne pouvez pas retourner dans le temps et observer la Révolution. Vous y croyez parce que les gens ont écrit des livres à son propos. Il y a des documents, des lettres, des objets. Ceci signifie que vous faites confiance aux observations, aux rapports de quelqu’un d’autre. Savez-vous qu’il existe un pays appelé Chine ? Comment le savez-vous ? Vous n’avez jamais été en Chine (la plupart d’entre vous). Connaissez-vous le point d’ébullition du mercure ? Comment le savez-vous ? Vous l’avez lu dans un livre, ce qui veut dire que vous faites confiance à son auteur, au scientifique qui a procédé à l’expérience.
Nous sommes toujours en train d’accepter les affirmations d’autres personnes. Nous ne le faisons pas aveuglément : nous savons que certaines personnes mentent. Nous savons également que certaines personnes sont compétentes dans des domaines donnés et incompétentes dans d’autres, et que nous pouvons accepter leurs affirmations dans certains cas et pas dans d’autres. Nous sélectionnons ce en quoi nous croyons. Mais nous ne pouvons faire autrement que de porter une crédibilité d’ensemble à une source sur la base de la vérification de certaines de ses assertions. Sinon, nous ne croyons pratiquement en rien.
Ceci est la manière dont n’importe quelle décision est prise dans la vie. Que j’aie à décider quoi manger, quel métier apprendre, où vivre, ce sera toujours de cette façon que je trancherai. Imaginons une personne qui prenne toutes ces décisions dans la vie sur une telle base, mais qui changerait d’avis quand il s’agirait de religion : "Oh non, pour la religion j’ai des standards différents. J’évalue de manière beaucoup plus stricte. Je veux une preuve indépendante de chaque affirmation." Une telle personne aurait deux poids et deux mesures. Elle utiliserait un type de standard pour une décision normale, mais vis-à-vis de la religion elle utiliserait un standard différent. Cela signifie qu’elle serait biaisée : elle ne ferait qu’essayer de se protéger contre la conclusion. Je demande simplement de cette personne qu’elle utilise les mêmes critères pour la religion que ceux qu’elle utilise quant aux autres décisions.{mospagebreak}
Section 6
Le second aspect de la vérification de la Torah est le suivant : supposons que vous ayez un domaine de la vie donné, et que dans ce domaine vous pensez être à même d’expliquer les différents phénomènes que vous observez. Cela peut être la trajectoire des boules sur une table de billard, certains types de réactions chimiques, les images des nuages de particules dispersées dans une chambre d’expérimentation, le comportement des missiles, etc. Vous avez ce qui vous semble être un catalogue de tous les agents et causes pertinents dans ce domaine. Puis vous croisez un nouveau phénomène qui semble appartenir au même domaine, mais pour lequel votre liste de causes est insuffisante. Je ne veux pas dire que vous ne savez pas encore comment expliquer ce nouveau phénomène. Je veux dire que vous savez qu’aucun des agents que vous connaissez ne peut l’expliquer. Que faites-vous dans ces circonstances ?
Je vais vous donner un exemple. Au début des années 1920, on cherchait à connaître la structure de l’atome. Il y eut une période où l’on croyait que le noyau était composé exclusivement de protons. Or, les protons sont chargés positivement, et les lois de l’électrostatique veulent que les charges de même sens se repoussent. Le problème était donc de comprendre comment tous ces protons pouvaient rester ensemble dans le noyau ? Pourquoi ne se repoussaient-ils pas les uns les autres ?
A cette époque, les deux seules forces non dynamiques qui figuraient au catalogue de la science étaient l’électromagnétisme et la gravité. L’électromagnétisme tend à séparer les protons. Est-ce que la gravité peut les maintenir ensemble ? Ceci est impossible, parce que la gravité est plus faible que la force électromagnétique, et ce de plusieurs ordres de grandeur. Le cas d’école est le suivant : vous avez un aimant que vous tenez au-dessus d’un clou en fer et, alors que vous vous rapprochez du clou, il va tout d’un coup sauter contre l’aimant. Vous pouvez considérer la situation comme une sorte de tir à la corde : d’une part, vous avez l’aimant qui tire vers le haut, et de l’autre la Terre entière qui tire vers le bas, et pourtant l’aimant gagne facilement. Ceci vous donne une idée de la différence qui existe entre gravité et électromagnétisme, en faveur de ce dernier.
Alors, pourquoi les protons restent-ils ensemble ? Il n’y a qu’une seule réponse possible : une autre force existe. La force nucléaire. Nous devons étendre notre catalogue de forces, parce que celles que nous connaissons déjà ne peuvent expliquer le phénomène. Nous avons raté un agent causal qui est responsable du phénomène. C’est la façon dont ça marche dans la vie. Nul besoin d’ailleurs de rechercher des exemples aussi sophistiqués que ceux de la physique nucléaire : par exemple, quelqu’un a été tué; j’ai contrôlé le maître d’hôtel, le chauffeur, le livreur. Ils ont tous de bons alibis. Qu’est-ce que j’en conclus ? Ce doit être quelqu’un d’autre. Comme aucune de ces personnes ne peut être le coupable, je dois trouver quelqu’un d’autre.
Ici, nous sommes en présence d’une structure similaire. Nous allons examiner l’histoire juive; en particulier, nous allons examiner des caractéristiques uniques de l’histoire juive, caractéristiques qui distinguent l’histoire des Juifs de l’histoire de tous les autres peuples. Ceci doit être compris au sens littéral. Bien sûr, l’histoire d’une personne est toujours différente de celle d’une autre personne; sinon ce ne serait pas la sienne, mais celle de quelqu’un d’autre ! Ce que je veux dire, c’est que l’histoire juive a certaines caractéristiques qui la distinguent de celles que toutes les autres nations du monde partagent. Il y a certaines particularités que tous les autres peuples ont en commun, mais à propos desquels l’histoire juive se distingue. Donc, si je regarde l’histoire et que je constate cette situation, il me faut trouver un agent causal qui puisse l’expliquer.
Laissez-moi rendre tout ceci un peu plus parlant pour vous. Imaginez un Martien qui visiterait la Terre, qui découvrirait sa flore et sa faune, y compris et surtout l’humanité, et qui étudierait l’histoire des différentes civilisations pour y découvrir certaines constantes. Peut-être ne seraient-elles pas très profondes ou théoriques, mais quand même : il y a une manière dont les nations réagissent à la famine, à la guerre, à la paix, au succès, à l’échec, à la réalisation culturelle ou à la stagnation, à la création d’un empire et à sa dissolution, etc. Imaginez le Martien contemplant les Chinois, les Romains, les Nigériens, les Esquimaux, les Incas et ainsi de suite. Imaginez qu’il fasse cela pour toutes les cultures et civilisations à part les Juifs, et qu’il établisse des règles pour décrire la façon dont les êtres humains réagissent aux différentes circonstances de la vie.
Ensuite il en vient à l’histoire juive. De manière générale, il y a deux possibilités : soit il va dire : "Oh, c’est plus ou moins la même chose. Ce qui est arrivé aux Juifs au 15ème siècle ressemble à ce qui est arrivé aux Incas au 10ème siècle. Ce qui est arrivé aux Juifs au 19ème siècle ressemble à ce qui est arrivé aux Chinois au 4ème siècle. Vous pouvez trouver des parallèles. L’un dans l’autre, tout cela se ressemble beaucoup." Vous vous attendrez alors à ce que l’histoire juive puisse être expliquée par les mêmes forces, les mêmes puissances et les mêmes causes que celles des autres nations. Ceci est la première possibilité.
L’autre possibilité est que le Martien dise : "Voilà qui est absolument unique. Cela contredit tout ce que à quoi je m’attendais. Ce que je constate ici ne rentre pas dans la structure commune à tous les autres peuples et civilisations. C’est quelque chose de résolument nouveau." Mon argumentation va consister à démontrer que l’histoire juive est quelque chose de fondamentalement différent – qu’un Martien honnête va conclure dans sa perspective qu’elle n’est pas comme l’histoire des autres nations dans les domaines où l’on constate par ailleurs des convergences.
Si cela est vrai, que va en conclure le Martien ? Il devra en déduire que quelque chose de tout à fait unique a produit ces spécificités. Les types de causes qui ont conduit à l’émergence, au développement et à la chute des autres civilisations, qui de manière générale partagent certains éléments communs, ne sont pas responsables du développement de la civilisation juive, parce qu’elle est unique en ce domaine. Donc, il devra ajouter à son catalogue de causes un nouvel agent X. Et en examinant soigneusement les aspects spécifiques de l’histoire juive, il pourra en inférer certaines caractéristiques que X devra posséder pour être capable de produire ce phénomène unique.{mospagebreak}
Section 7
Laissez-moi juste illustrer le déroulement d’une partie de l’argumentation. Je ne suis pas encore en train de présenter mes arguments ni de les défendre, je ne fais qu’illustrer la méthodologie. Les détails, qui seront présentés ci-dessous, nécessiteront de plus amples explications. Considérez la survie du peuple juif au cours des 2’000 dernières années : c’est à mon avis quelque chose d’unique. Aucune autre nation n’a subi de telles pressions, historiques et culturelles, et survécu. Il n’y a rien qui s’approche de près ou de loin à ce que les Juifs ont traversé. Puisque ce phénomène est unique, il a forcément une cause : c’est le fameux X qui doit être ajouté au catalogue des agents historiques.
A quoi doit ressembler X ? Voyons : qu’a-t-il produit ? Tout d’abord, il a maintenu l’existence d’une civilisation dans des conditions qui auraient dû conduire à sa disparition. A quoi cette force doit-elle alors ressembler ? Elle doit disposer d’une énergie ou puissance considérable : ce n’est pas rien que de maintenir une civilisation de millions de personnes sur des milliers d’années.
Ensuite, ce pouvoir doit disposer d’une intelligence considérable. Il maintient une civilisation ! Il permet la subsistance d’un assemblage complexe de comportements humains, de croyances, de valeurs, d’une littérature, d’une certaine vue du monde, etc. Troisièmement, ce pouvoir doit avoir un intérêt particulier dans cette civilisation spécifique. Après tout, c’est la seule civilisation que ce pouvoir a fait survivre.
Donc, à partir de ce seul effet – l’existence d’une civilisation dans des circonstances où d’autres civilisations se sont désintégrées – vous pouvez déduire qu’une telle force doit avoir une certaine quantité de puissance, d’intelligence, et un engagement envers le mode de vie juif. Sinon elle ne pourrait expliquer l’existence de cette civilisation. Or, ceci est une description de D.ieu. Voici en deux mots la manière dont on peut considérer un facteur unique de l’histoire juive, l’expliquer en postulant qu’une force spécifique en est responsable, déduire du phénomène quelques caractéristiques minimales de cette force pour en arriver à une indication de l’existence de D.ieu.

Introduction
Notre calendrier compte deux jours solennels observés par presque tous les Juifs : la Pâque et Yom Kippour.
Le moment le plus émouvant du service de Yom Kippour se situe au crépuscule, lorsque les prières sont sur le point de s’achever. Pour annoncer la clôture de cette journée sainte entre toutes, on fait retentir le Chofar d’une longue sonnerie continue, et l’assemblée répond : " L’an prochain à Jérusalem ! "
IV
Prédictions réalisées
Section 1.
Sur la base des deux derniers chapitres, nous pouvons tirer deux conclusions : (1) Pour agir de manière responsable, il faut rechercher la vérité et utiliser la meilleure approximation que l’on peut en obtenir comme base de son action; agir sur la base de considérations pragmatiques sans égards pour la vérité est irresponsable, tout comme le sont des exigences de disposer de preuves absolues avant d’agir. (2) La somme exacte d’indices qui doit être réunis pour requérir action ne saurait être déterminée avec précision; elle reste sujette à controverse. Ce qu’il nous faut ainsi démontrer en l’espèce, c’est qu’il y a assez d’indices pour se décider, et ce quelle que soit la mesure utilisée pour prendre des décisions responsables. L’argument invoqué ici est celui de la cohérence : si vous gardez vos standards usuels pour agir de manière responsable, il vous faut vivre en conformité avec la Torah .
Nous allons maintenant commencer à passer en revue les différents arguments. A titre préliminaire, j’aimerais toutefois faire deux remarques de mise en garde. Tout d’abord, lorsqu’un argument est présenté, cela pour conséquence de renforcer la crédibilité de l’hypothèse de la véracité de la Torah. Répondre qu’il est toujours concevable que la Torah soit fausse est exact, mais hors propos. Le but n’est pas de réfuter toutes les alternatives concevables, mais simplement de présenter le Judaïsme comme l’alternative la plus probable.
Deuxièmement, à ce stade nous ne faisons que rassembler des indices; ceci signifie qu’aucun d’entre eux n’emportera normalement la décision par lui-même. Pour prendre le parallèle d’un procès pénal, il n’est en soi pas suffisant pour condamner un meurtrier de trouver ses empreintes digitales sur la scène du crime, ni de découvrir dans sa maison une arme similaire à celle qui a donné la mort, ni qu’il ait un motif, ni de l’avoir vu sur place à l’heure du crime. Mais le poids de l’ensemble peut par contre être suffisant. Donc, pour me répéter une fois encore, il ne serait pas pertinent de répondre : "cet indice n’est pas suffisant pour justifier la croyance que la Torah dit vrai". Bien sûr que non, aucun indice ne pourrait suffire à lui seul; seul l’ensemble pèse suffisamment lourd; or, ce ne sera que dans le dernier chapitre que nous procéderons à une synthèse de tous les arguments; d’ici là, il nous faut examiner chacun d’entre eux pour vérifier s’il est pertinent, si c’est-à-dire s’il indique bien que l’hypothèse la plus plausible est que la Torah dise vrai.{mospagebreak}
Section 2.
Aux chapitres 28 à 30 du Deutéronome se trouve une prédiction de ce qui arrivera au peuple juif s’il ne vit pas à la hauteur des attentes de la Torah. Il y est annoncé une conquête militaire accompagnée d’un massacre gratuit de la population, hommes et femmes, enfants et vieillards, etc; sont également prédits un exil conduisant à une dispersion de la population dans le monde entier, ainsi que l’absence de tout gouvernement indépendant pendant toute la période de diaspora mondiale subséquente. Une des conséquences annoncées de cet exil sera que les Juifs seront ramenés en bateau en Egypte pour y être vendus comme esclaves, mais qu’ils n’y trouveront pas d’acheteurs. Néanmoins, et toujours selon le texte, le peuple Juif survivra, ne sera jamais complètement détruit, et retournera finalement vers la Terre d’Israël. Enfin, il est également prédit que le conquérant parlera une langue que le peuple Juif ne comprendra pas.
Ainsi qu’il a été démontré au long du chapitre II, il est crucial que cette prédiction soit spécifique aux Juifs, c’est-à-dire que nul autre peuple ne saurait y croire; si tel n’est pas le cas, il lui est impossible de remplir le rôle d’expérience-clé, car elle ne permet pas d’effectuer une distinction entre les prétentions des Juifs et celles des autres peuples. Par conséquent, il nous faut nous demander pour chacun des détails de cette prédiction si sa réalisation aurait pu être expliquée par une analyse sociologique des conditions de l’époque, ou par une idéologie concurrente – ou bien s’il s’agit de quelque chose que seule une vision juive de l’Histoire permet d’expliquer.
[Bien sûr, si quelqu’un accepte cette prédiction sur la base de nos sources, cela ne saurait compter contre nous ! Si les Chrétiens et les Musulmans acceptent les chapitres 28 à 30 du Deutéronome et prédisent que les Juifs seront exilés en conséquence de leur échec à vivre en conformité avec la Torah, le fait les trois religions sont d’accord sur cette prédiction.]
Examinons maintenant quels sont les détails de cette prédiction qui auraient pu être expliqués par un observateur au point de vue différent de celui de la Torah. Prédire une conquête n’est vraiment pas très difficile : tout le monde est conquis un jour ou l’autre.
La prédiction mentionne également une destruction totale, la décimation de la population et l’exil; ceci était plus rare dans le monde antique. C’était certes possible, mais peu fréquent en pratique, car le but des conquêtes était essentiellement économique. Il s’agissait habituellement d’obtenir des colonies et de les soumettre à taxation; or, il est clair que vous ne pouvez pas taxer une population si vous la massacrez ou l’exilez. Ces considérations n’excluent à l’évidence pas le pillage : bien sûr que les conquérants peuvent prendre tout l’or et l’argent, les pierres précieuses, les tissus de prix, et ainsi de suite, réduire les jeunes hommes forts et robustes en esclavage et prendre les belles jeunes filles dans un but sexuel. Mais ils ne détruiront pas gratuitement le reste de la population, parce qu’ils se priveraient ainsi d’une source de revenus ! Pendant leurs 300 années de règne, les Romains ne firent subir ceci qu’à Carthage et aux Juifs. Ainsi, les prédictions du massacre et de l’exil de la population n’auraient pas vraiment pu être anticipées, car elles n’étaient pas dans la norme du monde antique.
Passons maintenant à la prédiction selon laquelle le conquérant parlera un langage inintelligible. Pourquoi devrais-je le croire a priori ? Généralement, les langues parlées dans les pays voisins étaient comprises. Il y avait assez de commerce et d’autres possibilités de se déplacer pour que chacun puisse se familiariser avec la langue de l’autre; n’aurions-nous pas pu être conquis par un voisin ? Ou bien par un pays parlant une "langue internationale" ? Bien des Juifs comprenaient le grec, qui était similaire à l’époque à ce qu’est l’anglais aujourd’hui. Les contrats, le commerce, la diplomatie, tout était fait en grec. Si une nation parlant le grec nous avait conquis et exilés, la prédiction n’aurait pas été réalisée; mais ce sont les Romains qui nous ont envahis; ils parlaient le latin, langue avec laquelle les Juifs n’étaient pas familiers.
Admettons qu’une nation soit exilée; en vertu de quel facteur doit-elle alors finir éparpillée dans le monde entier ? Pourquoi la dispersion serait-elle une conséquence inéluctable de l’exil ? Tous ceux qui ont été arrachés à leur pays n’ont pas établi finalement des communautés partout; même l’exil babylonien 500 ans auparavant n’a pas entraîné ces conséquences : la plus grande partie de la population a été emmenée en Babylonie, un large groupe est descendu vers Alexandrie en Egypte, mais il y avait encore de nombreuses places dans le monde sans population juive.
Et même si, pour une raison ou pour une autre, il devait y avoir un exil, comment aurait-il été possible de prévoir que certains captifs seraient amenés en Egypte par bateau pour y être vendus, et qu’ils n’y trouveraient pas d’acheteurs ? Il est vrai qu’il y avait là un florissant commerce d’esclaves et que les itinéraires étaient connus, mais qui aurait pu dire que cela allait forcément se passer ?{mospagebreak}
Section 3.
Toujours dans cette hypothèse de prédiction d’un exil mondial : comment aurait-on pu être sûr qu’à aucun moment les Juifs ne seraient à même de former un gouvernement indépendant quelque part dans le monde ? N’oubliez pas que nous parlons d’il y a 2000 ans; à cette époque, le monde n’était pas organisé comme aujourd’hui, avec des cartes et des frontières, chaque millimètre carré de terrain étant réclamé par l’une ou l’autre nation, parfois 2 ou 3. Au contraire, de vastes territoires ne faisaient l’objet d’aucune prétention, n’étant tout bonnement pas civilisés; ils restaient simplement à l’état sauvage; par exemple, c’était le cas de certaines parties de la Russie, de l’Afrique du Nord, de la Péninsule Arabique et de l’Afrique Centrale. Qui aurait pu dire que les exilés juifs ne formeraient jamais de société indépendante dans l’un ou l’autre de ces endroits ?
Chacune de ces prédictions, considérée d’un point de vue neutre et non pas juif, c’est-à-dire de la manière dont un Bouddhiste, un Hindou, un Taoïste, un Confucianiste ou un Athée verrait les choses, n’avait aucune raison de se réaliser; dans cette optique, il est impossible d’expliquer qu’elles aient été par la suite vérifiées.
S’il fallait attribuer une probabilité à chaque détail de cette prédiction, et que l’évaluation était faite sur la base d’un point de vue non-juif, cette probabilité serait forcément très basse. Une destruction totale suivie d’un exil, disons que cela se passait dans 10% des guerres de l’Antiquité; cela signifie qu’un observateur non-juif lui donnerait une probabilité de 1/10. Combien de fois le conquérant parlait-il une langue inconnue ? Nous ne le savons pas : les pays voisins se combattaient les uns les autres, et les langages des grands empires étaient largement connus; disons généreusement que cela arrivait un quart du temps, nous donnant ainsi une probabilité de ¼. Une dispersion mondiale suite à l’exil, pour ce que j’en sais, n’arrivait purement et simplement jamais; si nous voulions être stricts, la probabilité serait de 0 ! Mais soyons généreux et donnons-lui une probabilité de 1/10. L’incapacité d’une nation dispersée à travers le monde à s’organiser en société indépendante, à nouveau, est un événement dont j’ignore la probabilité; admettons qu’elle soit d’un quart. Enfin, la survie dans ces conditions et le retour au pays forment un scénario qui ne s’est jamais passé dans l’histoire du monde – nous devrions lui attribuer une probabilité nulle ! Mais soyons généreux et disons 1/10.
En considérant cet ensemble de prédictions comme une séquence d’événements avant chacun sa probabilité propre, il est aisé d’obtenir la probabilité de réalisation du tout en multipliant les probabilités individuelles. Donc, si nous multiplions 1/10 * 1/4 * 1/10 * 1/4 * 1/10, nous obtenons une probabilité de 1/16000. Ce très petit nombre représente la confiance qu’aurait eue un observateur neutre que la prédiction entière se réalise. Quelles sont les chances qu’une telle séquence d’événements se réalise ? Une chance tous les 16’000 essais. Sur la base des faits dont l’observateur moyen dispose, il n’a aucun moyen pour expliquer comment elle a pu se réaliser.
Et pourtant, les événements décrits se sont bien passés; dès lors, nous avons ce que j’appelais plus haut une prédiction spécifique, une prédiction dont nul autre ne peut expliquer la vérité. Quiconque aurait pris connaissance de cette prédiction avant qu’elle ne se réalise l’aurait traitée de pure fantaisie. Par conséquent, lorsqu’elle se réalise vraiment, elle contribue à établir la véracité du Judaïsme. Elle est un élément de preuve pertinent.
[Quatre remarques techniques à ce stade : (1) De nombreux points de détail du chapitre 28 du Deutéronome ont été délibérément omis. Il y a deux raisons à cela : soit le langage dans lequel ils sont exprimés est trop poétique pour être défini avec précision (nous ne pouvons ainsi pas prouver que le texte voulait bien dire ce qui s’est ensuite passé); soit ces détails sont des prédictions d’événements très vraisemblables dans le cadre d’une destruction et d’un exil; ils ne réduiraient ainsi pas de manière significative la probabilité globale. (2) Certaines des probabilités mentionnées ci-dessus sont conditionnelles : une dispersion mondiale étant donné l’exil; pas d’indépendance étant donnée la dispersion mondiale; la survie et le retour étant donnée la dispersion; c’est seulement quand elles sont comprises de cette manière qu’il est légitime de les multiplier entre elles pour obtenir la probabilité de survenance de l’ensemble. Mes nombres ne sont conçus que comme des estimations (bien trop généreuses) de ces probabilités. (3) Il s’agit de probabilités que ces prédictions se réalisent, pas qu’elles soient faites. Nous pouvons aisément conjurer quantité de raisons pour lesquelles quelqu’un voudrait faire une prédiction effrayante, mais nous serions très surpris si les événements annoncés survenaient vraiment. (4) Puisqu’il existe de très nombreuses nations, il n’est peut-être pas surprenant que l’une d’entre elles endure les malheurs annoncés au chapitre 28 du Deutéronome. Pourquoi trouvons-nous alors étonnant que cela nous soit arrivé ? Parce que nous avons prédit que cela nous arriverait à nous, et c’est ce qui s’est passé.]
Considérez le parallèle suivant : supposez que nous lancions 1000 pièces de monnaie en l’air et que nous prédisions que l’une d’elles tombera 10 fois de suite sur le côté "face"; la réalisation de cette prédiction n’aurait bien sûr rien de surprenant. Mais si nous prenions une pièce donnée et que nous prédisions qu’elle tombera 10 fois de suite sur "face", le fait qu’il y ait d’autres pièces lancées en même temps devient non pertinent – les chances contre cette pièce-là sont toujours de 1024 contre 1, et dès lors la survenance de l’événement annoncé étonne.
La prophétie du chapitre 28 du Deutéronome n’aurait-elle pas pu se réaliser par simple hasard ? Si, sans doute. Je le concède d’autant plus aisément que nous ne suivons pas Descartes; nous ne sommes pas intéressés par une simple possibilité. Nous ne sommes intéressés que par une hypothèse qui soit quelque peu étayée; n’importe quoi peut arriver par hasard, mais la probabilité de la survenance aléatoire de cet événement-ci est de un sur seize mille. Ceci indique que l’auteur, quel qu’il ait été, avait accès à une source d’informations qui dépassait le naturel. Nous ne savons pas pour l’instant ce que cette source était, ni comment la décrire. En ne cherchant à ne dériver que des conclusions minimales, voilà en résumé ce qu’il me semble qu’on peut déduire la prophétie du chapitre 28 du Deutéronome.
Finalement, il me faut répéter une fois encore que je ne suis pas en train d’essayer de prouver la véracité du Judaïsme sur la base d’une seule prédiction. Une prédiction réalisée ne prouve que rarement l’exactitude d’une théorie; je ne fais que signaler la présence d’un argument pertinent. La justification complète ne viendra que plus tard, lorsque nous prendrons en compte tous les éléments dans leur ensemble. Mais il s’agit certainement là d’un élément objectif qui doit nous intéresser : il a au moins le mérite d’indiquer que la quête de vérité justifiable du réaliste n’est pas vaine.

Chapitre Ier
Point de rassemblement d’un peuple
Transportez-vous par la pensée à Jérusalem il y a deux mille ans. La Pâque approche, et des Juifs venus du monde entier affluent pour célébrer cette sainte festivité. Ils accourent de partout, d’abord par centaines, puis par milliers, et à la fin par centaines de milliers. Lorsque arrive la fête, une bonne partie de tout le peuple juif se presse dans cette seule ville. A perte de vue, les versants des montagnes sont couverts de tentes, à côté desquelles les gens vont rôtir leur agneau pascal, geste essentiel du rituel applicable à cette fête à l’époque du Temple.
Selon les prescriptions de la Torah, l’agneau pascal ne peut être préparé qu’en un seul endroit : " Tu immoleras le sacrifice pascal à l’Eternel ton Dieu à dans le lieu que Dieu aura choisi pour y fixer Son Nom " (Deutéronome 16, 2). Il n’y a donc qu’un seul endroit au monde où ce sacrifice pourra être offert. Et ce qui était vrai pour cette offrande l’était aussi de beaucoup d’autres rites importants de la vie juive. Selon la règle fixée par la Torah, ceux-ci ne pouvaient être observés que dans " le lieu choisi par Dieu ", qui n’était autre que Jérusalem.1
Pendant près de mille ans, depuis sa consécration par le roi David jusqu’à sa destruction par les Romains, Jérusalem a été le point focal du peuple juif.2 Elle était le seul endroit où pouvaient être accomplis certains gestes ; en quelque lieu qu’il habitât, le Juif était tenu de se rendre dans cette ville sainte pour s’en acquitter. C’est parce que tant d’actes rituels ne pouvaient être exécutés que dans ses murs que nos Sages l’ont désignée comme lieu plus saint que le reste de la Terre d’Israël. "3
Parmi les plus imposants de ces rites figuraient les trois pèlerinages annuels. Trois fêtes marquent notre calendrier : Pessa’h, Chavou’oth et Souccoth, pendant lesquelles chaque Juif était tenu, à l’époque du Temple, d’ordre exprès de la Torah, de se rendre en pèlerinage au " lieu choisi par Dieu " : " Trois fois l’an, tous tes mâles paraîtront en présence de l’Eternel, ton Dieu, dans l’endroit qu’Il aura élu : à la fête des Azymes (Pessa’h), à celle de Chavou’oth et à celle de Souccoth " (Deutéronome 16, 16).
Pour ces pèlerinages, les Juifs accouraient à Jérusalem de tous les coins du monde. Ils renouaient des liens d’amitié et échangeaient des nouvelles, fortifiant ainsi l’unité du peuple.4 Plus important encore, leur rassemblement se situait dans un contexte de sainteté et de service de Dieu, de sorte qu’il renforçait les participants à la fois religieusement et moralement. C’est ainsi que, pendant ces festivités, aucun des pèlerins ne pouvait être soupçonné d’avoir nui à un autre d’aucune manière.5 Jérusalem unissait ainsi le peuple juif dans un contexte tel que son unité était comme à l’image de celle de Dieu.
Ceci nous permet de comprendre la raison pour laquelle " le site choisi par Dieu " devait nécessairement être une ville. Qu’est-ce qu’une ville ? Lieu de rassemblement d’une population, elle constitue le point de départ de la croissance et du développement d’une civilisation. Le regroupement d’une société humaine au sein d’une cité favorise les échanges et les enrichissements d’idées. Ce n’est donc pas une coïncidence si la civilisation en général s’est développée à partir des villes, dispensatrices des nourritures de l’esprit et de l’âme, les campagnes étant celles des nourritures du corps. Ainsi que le souligne Rabbi Samson Raphaël Hirsch, le mot hébreu pour " ville " – ‘Ir – vient de la même racine que `Our qui veut dire " éveiller ".6 C’est la ville qui éveille l’être humain, pour lui faire exprimer le meilleur de sa créativité. Nous découvrons ainsi dans la Torah que la construction des centres urbains a été à l’origine des plus importantes évolutions de la civilisation.
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Le but ultime du Judaïsme est le développement d’une relation avec Dieu. Pour cela aussi, il fallait une ville. Jérusalem est devenue le lieu où les Juifs du monde entier se rassemblaient, échangeaient des idées et cultivaient ainsi un système de pensée permettant cet épanouissement. Le Temple, ainsi que les nombreux maîtres en Torah qui vivaient à Jérusalem – nous évoquerons dans un des chapitres suivants l’action et l’influence de ces Sages – ont joué à cette fin un rôle prépondérant. D’une manière générale, Jérusalem a été la ville qui a éveillé et motivé le Juif en vue de sa mission. Il n’est donc pas étonnant qu’elle forme, selon l’enseignement de nos Sages, l’achèvement le plus élevé du concept Ville.8
C’est avec la " deuxième dîme " (Ma’asser Chéni) que cette idée trouve sa meilleure illustration. L’ensemble des récoltes obtenues en Terre sainte était l’objet de prélèvements que l’on versait, comme une sorte d’impôt, pour l’entretien des prêtres (Cohanim) et des Lévites, qui jouaient le rôle de chefs religieux et d’enseignants. Les Lévites recevaient un dixième de l’ensemble de la production agricole, tandis qu’une part de moindre importance, appelée Teroumah, était dévolue aux Cohanim.
A ces deux prélèvements s’ajoutait la " deuxième dîme ".9 Celle-là n’était pas distribuée, mais c’est le contribuable lui-même qui devait, soit la consommer à Jérusalem, soit la racheter pour en consommer la contre-valeur dans cette ville. La Torah elle-même en donne la raison : " Et tu la consommeras en présence de l’Eternel, ton Dieu, dans la localité qu’Il aura choisie comme résidence de Son Nom ; savoir, la dîme de ton blé, de ton vin et de ton huile, les premiers-nés de ton gros et de ton menu bétail, afin que tu t’accoutumes à honorer continuellement l’Eternel, ton Dieu " (Deutéronome 14, 23).
Au lieu de remettre cette redevance au prêtre ou au Lévite, le Juif, en la consommant dans la Ville sainte, devenait lui-même un " prêtre ou un Lévite ".10 Il lui fallait interrompre ses activités habituelles, se purifier de la manière prescrite, et rester à Jérusalem jusqu’à consommation intégrale de la dîme. S’il ne pouvait pas se déplacer lui-même, il y envoyait ses enfants. De la sorte, lui-même ou ses enfants s’imprégnaient de l’ambiance de la ville, de l’atmosphère de piété et d’effervescence intellectuelle qui l’emplissait, et ils se développaient ainsi dans les voies de la Torah. C’est ainsi que devenait réalité l’idéal du peuple juif défini comme " royaume de prêtres et nation sainte " (Exode 19, 6). Le système de la " deuxième dîme " tendait à faire de chacun, pendant au moins une partie de l’année, un habitant de Jérusalem et il contribuait à la création d’un mouvement de régénération spirituelle embrassant l’ensemble de la collectivité d’Israël.11
Il existait beaucoup d’autres rites qui ne pouvaient être observés que dans " le lieu choisi par Dieu ". Ainsi, la dîme de tout bétail devait être consommée dans la Ville sainte.12 Les prémices des fruits étaient présentées, au cours d’une cérémonie empreinte de solennité, dans " le lieu que Dieu choisira ".13 Ces pratiques amenaient chaque Juif à de nombreux déplacements à Jérusalem, où il s’imprégnait du renouveau spirituel et de l’influence unificatrice créés par cette ville.
La plupart de ces rites ne s’adressaient qu’aux Juifs établis en Terre Sainte. D’autres, en revanche, concernaient ceux du monde entier. Il en allait ainsi des sacrifices, dont une partie est prescrite au début du Lévitique. Certains pouvaient être offerts comme offrandes volontaires, mais le plus souvent, ils étaient apportés sur l’autel pour l’obtention du pardon d’une faute.
Selon le Ramban (Na’hmanide), la signification essentielle du sacrifice est que, en assistant à l’abattage d’un animal que l’on a offert, on participe à une exécution par substitution : celui qui a fait don d’une bête que le Cohen va égorger et brûler sur l’autel participe à ces gestes comme s’il était lui-même tué et consumé pour avoir contrevenu à la Loi divine.14
De surcroît, Dieu a donné à l’homme le pouvoir de l’intelligence qui lui permet de se perfectionner. Lorsqu’il pèche, c’est comme s’il avait rejeté ce pouvoir. Et comme l’intelligence est ce qui distingue essentiellement l’homme de l’animal, commettre un péché revient à s’identifier à la bête. D’où la nécessité d’offrir celle-ci en sacrifice.
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Notes :
1. Séfer ha’Hinoukh 487. Voir chapitre 6, note 1.
2. D’après la Tradition, David a conquis Jérusalem en l’an 2892 (-868) et elle fut détruite par les Romains en 2892 (69), soit 976 ans plus tard. Voir chapitre 7, notes 22 et 53. Selon Josèphe, c’est pendant 1179 ans que Jérusalem a détenu ce statut (Voir Guerres 6,10 et Antiquités20,10).
3. Kélim 1,8. Cf. Baba Kama 62b, Yad, Beth haBe’hirah 7,14. Voir aussi Ketouboth 13,11 (110b), Isaïe 52,1 et 66,20.
4. Yerouchalmi, ‘Haguigah 3,6, Baba Kama 7,7 d’après le Psaume 122,3. Cf. ‘Haguigah 26a, Isaïe 33,20.
5. Ibid. Cf. Metzoudoth David (Radbaz) 266.
6. S.R. Hirsch sur Genèse 4,17. A noter que Caïn était, à l’origine, un agriculteur et qu’il a construit la première ville pour expier le meurtre de son frère. Cf. Malbim Ibid.
7. Voir Genèse 4,20 à 22.
8. Ketouboth 11b, d’après II Rois 19,34, Tan’houma, Ki Tavo 4, d’après Lamentations 2,15. Cf. Likouté Moharan 280.
9. Cette dîme était prélevée tous les ans, à l’exception de la quatrième et de la sixième d’un cycle de sept ans, où lui était substituée la dîme des pauvres (Maasser ‘Ani). Voir Yad, Matanoth ‘Aniyim 6, Ma’asser Chéni 1,1.
10. S.R. Hirsch sur Deutéronome 14,23.
11. Deutéronome 14,23, Ibn Ezra, Rachbam, Sforno ad loc., Tossafoth, Baba Batra 21a s.v. Ki. Voir ‘Hinoukh 360, Metzoudoth David 256.
12. ‘Hinoukh 360.
13. Deutéronome 26,2. Voir Bikourim 3,1 à 4.
14. Ramban sur Lévitique 1,9. Voir Tan’houma, Vayikra 8.
15. ‘Hinoukh 95.
Titre: « JERUSALEM, OEIL DE L’UNIVERS »
Auteur: Arieh KAPLAN
Editeur: EMOUNAH – NCSY/ORTHODOX UNION
Adaptation française : Jacques KOHN.
Le livre est en vente dans les librairies juives.