C’est dans une Pologne meurtrie que s’est déroulée cette année la 22e édition de la Marche des Vivants. Cette visite sur la planète Auschwitz, avec pour compagnons de route des milliers de jeunes Juifs venus de 40 pays a permis d’alterner recueillement et espérance et de comprendre que désormais c’est à la jeune génération de transmettre la Shoah.
Témoignage sur place de Daniel Haïk
De cette visite du souvenir en Pologne, de cette Marche des Vivants 2010 entre Auschwitz et Birkenau, une formule et une image resteront gravées dans notre cœur. La formule percutante a été prononcée, lors de la cérémonie officielle de la Marche devant la rampe de la sélection de Birkenau par la jeune présentatrice : « Nous devons, a-t-elle dit, être les témoins des témoins » a-t-elle dit définissant en quelques mots le devoir des jeunes générations qui survivront aux derniers rescapés. L’image c’est celle de milliers de jeunes Juifs et non Juifs revêtus du blouson bleu et blanc de la Marche, parcourant les allées du camp, certains dans un profond recueillement, d’autres avec plus de décontraction, parfois un sourire aux lèvres qui pourrait être un sourire de victoire et de revanche sur l’oppression nazie, et que l’on pourrait traduire par un vibrant » Am Israël ‘Haï « ….
Notre voyage a débuté dimanche matin, dans une Pologne en état de choc après la tragique disparition de son président Lech Kaczynski et d’une partie de son régime (voir encadré). Face à l’ampleur du drame, les organisateurs de la Marche des Vivants 2010 ont décidé que tous les drapeaux, israéliens et autres qui seraient brandis, porteraient un crêpe noir en signe de deuil et de solidarité.
Nous nous sommes joints à la délégation du grand rabbin de France Gilles Bernheim venu de Paris pour conduire l’ensemble de la délégation française qui comptait cette année plus de 700 membres jeunes et moins jeunes, Juifs et non Juifs, venus des quatre coins de la France et même cette année des Israéliens francophones séduits par le programme que leur proposait, le véritable catalyseur de la Marche pour la France, qu’est Jean Charles Zerbib, actuel représentant du FSJU en Israël. Une marche dont le budget annuel pour la France est évalué à près de 800 000 euros – la moitié est financée par les participants, 30 % par la Fondation pour la mémoire de la Shoah et le reste par divers organismes.
Notre guide Alain Michel nous a fait découvrir le vieux ghetto de Cracovie, et en particulier la petite schüle du Rama, rabbi Moché Isserles, l’une des dernières encore en activité, ainsi que le cimetière mitoyen où reposent le Rama, le Tossefot Yom Tov et le Ba’h. En soirée, nous avons rejoint dans une grande salle, l’ensemble de la délégation pour une cérémonie d’ouverture des commémorations du Yom Hashoah à la fois sobre et particulièrement touchante. Le président français de l’association française de la Marche des Vivants, Élie Benaroch a été sans équivoque : « Face au négationnisme, nous avons décidé de poursuivre le travail de mémoire ». Qualifiant Auschwitz d’abîme de l’humanité, il a dressé un parallèle entre l’antisémitisme de tradition et l’anti-israélisme qui prétend obtenir une forme de légitimité. Dans une intervention remarquée, le grand rabbin de France Gilles Bernheim a repris pour lui une phrase prononcée par un jeune participant : « Le pardon est mort dans les camps de la mort » a-t-il dit avant de préciser que « l’espérance, elle, n’était pas morte et que la mission essentielle de la jeunesse juive aujourd’hui était la transmission ». Citant l’écrivain Robert Antelme, le grand rabbin Bernheim s’est voulu résolument positif et optimiste lorsqu’il a précisé que certains hommes sont restés des hommes en dépit de ce qu’ils ont vécu, à Auschwitz. La soirée a été ponctuée de poèmes et de témoignages. Mais son temps fort a été, sans aucun doute, ces quelques minutes au cours desquelles, spontanément des membres de la délégation française se sont levés pour mentionner le nom de leurs proches disparus dans la Tourmente. Après un émouvant El Malé Ra’hamim, un kaddich récité par le grand rabbin Bernheim, et une Hatikva entonnée dans le calme, la délégation française s’est dispersée.
Le lendemain, dans l’autobus qui nous conduisit de Cracovie vers Auschwitz, Noah Klieger, 84 ans, prit le micro pour évoquer, d’abord, le caractère industriel de l’extermination des Juifs à Auschwitz et ensuite, pour raconter ses deux années de survie dans Auschwitz ainsi que sa participation à cette terrible marche de la Mort au cours de laquelle 37 000 sur 55 000 déportés d’Auschwitz ont péri de froid et d’épuisement : « Je m’étais promis que si je survivais, j’irais vivre en Terre d’Israël et ensuite, je raconterais ce que j’ai vu et vécu. J’ai tenu ces deux promesses, puisque je vis en Israël et je donne deux à trois conférences de témoignages par semaine ». Les gardes du corps qui accompagnent le grand rabbin de France, ne perdent pas une seconde de ce témoignage : « Ne me demandez pas d’expliquer Auschwitz, c’est inexplicable. N’essayez pas de comprendre, vous ne le pourrez pas. Celui qui a survécu à Auschwitz le doit à plusieurs miracles ».
En arrivant à Auschwitz, un double sentiment vous étreint : d’abord la banalité des bâtiments de cette ancienne caserne polonaise qui ne permet pas encore de mesurer que l’on vient de pénétrer sur ce que Primo Lévy a appelé la » planète Auschwitz « . Mais très vite la visite du premier crématoire, puis celle de la potence et enfin celle des blocks 4, 5 et 6 où ont été rassemblés des milliers de valises et de chaussures, des tonnes de cheveux des dizaines de Talit redonnent à ce lieu sa véritable dimension : le théâtre de l’extermination planifiée du peuple juif.
Dans les allées du camp, les groupes de participants à la Marche découvrent également cette horreur à l’état brut. Le block 11 où les détenus étaient torturés, le mur où ils étaient fusillés. Certains groupes se recueillent, d’autres entonnent un chant triste, tous brandissent des drapeaux d’Israël et ceux de leur pays d’origine. Il y a là des jeunes Juifs mais aussi des non Juifs venus de 40 pays, du Mexique à l’Australie.
La Marche doit débuter vers 13 heures. Les 70 groupes se placent selon un ordre établi par les organisateurs. En tête du cortège, les officiels : plusieurs ministres israéliens (Daniel Herkovitz, Yaacov Mergui) et une délégation de six députés de la Knesset, dont un député arabe). Le grand rabbin de France Gilles Bernheim est invité à se placer sur la rangée de tête. On n’attend plus que le grand rabbin Israël Meïr Lau, l’un des piliers de cette Marche mais qui par principe ne dort jamais sur le sol polonais, et Nathan Charansky, le président de l’Agence Juive qui est venu de Jérusalem à la tête d’une délégation. Ils arrivent. L’ambassadeur d’Israël en Pologne prend la parole pour rendre hommage au président Kaczynski et pour exprimer la solidarité d’Israël face au drame qui touche le peuple polonais. C’est le son du chofar se répandant, grâce aux haut-parleurs, dans le camp, qui donne le coup d’envoi de la marche jusqu’à Birkenau. Et l’on ne peut qu’imaginer l’effet qu’aurait produit ce » Kol Chofar » s’il s’était fait entendre durant la Shoah à Auschwitz.
Une heure plus tard, les délégations vont franchir la tristement célèbre porte d’entrée de Birkenau. Entre les rails qui conduisent vers la terrible rampe, des jeunes ont déposé une plaque de bois en forme de matzéva sur laquelle ils ont inscrit le nom de leurs proches disparus. Les hauts-parleurs égrènent des milliers de noms : « Grossman ‘Hanna, Roumanie…. ‘Haïm Cohen, Maroc… Pleni Olga, Yougoslavie….Birenbaum Jacqueline, France… »
Durant la cérémonie officielle, plusieurs personnalités allument six flambeaux à la mémoire des six millions de martyrs de la Shoah. Nathan Charansky qui avoue n’avoir jamais rien su de la Shoah durant sa jeunesse en URSS, appelle les jeunes à ne jamais oublier : « C’est ici que les nazis ont tenté de nous priver de notre identité. Nos parents ont tout fait pour rester juifs malgré les persécutions. Faisons le même choix ». Avec toujours autant de brio, le rav Israël Méïr Lau transmet à son tour son message : « Auschwitz n’a pas été le début mais l’aboutissement. Il y a eu auparavant la Nuit de Cristal, Babay Yar, la conférence de Wansee… Le monde n’a pas bougé et Hitler a compris qu’il pourrait faire des Juifs ce qu’il voulait…Est-ce que le monde a tiré la leçon ? J’en doute ». Et le rav Lau de citer le traitement inhumain réservé à Guilad Shalit qui ne peut recevoir de visite de médecins. Le grand rabbin de France Gilles Bernheim, qui a allumé un flambeau, rappelle les efforts entrepris par les nazis pour assassiner des enfants, sans raison : « C’est cela l’antisémitisme ». La cérémonie se clôture sur le poignant El Malé Ra’hamim du ‘hazan ‘Haïm Adler, sur le kaddich et sur l’Hatikva.
Quelques jeunes Juifs suisses réagissent à chaud : « C’est le chofar au début de la marche qui nous a émus. Mais aussi marcher avec nos frères juifs du monde entier a été une expérience particulière. Nous en avons eu des frissons » explique Raphaël Lévy de Lausanne. L’une de ses camarades reconnaît que cette visite les rend plus responsables : « C’est désormais à nous de transmettre. C’est à nous de perpétuer le message de notre Torah de notre religion. C’est la leçon principale que je tire de ces instants très forts que nous venons de vivre ». [source hamodia]