Ainsi que l’explique le rav Horowitz dans son livre « Chné Lou’hot haBrit »
(Torah chébiKhtav, Mil’hamot haChem, 2), la paracha Massé est toujours lue
pendant cette période de trois semaines dénommée « Ben haMétsarim » et
qui sépare le jeûne du 17 Tamouz de celui du 9 Av. En ce sens, elle comporte
les clés de lecture de l’exil du peuple juif…
Les derniers chapitres avec lesquels
se termine le 4e Livre
du Séfer Torah et qui, avant
le 5e Livre (le Séfer Devarim, appelé
aussi le « Michné Torah » – littéralement
: « La Répétition de la
Torah »), lui apportent en quelque
sorte sa conclusion, décrivent les
pérégrinations du peuple d’Israël
avant son entrée dans la terre de
la Promesse.
Or comme on le sait, il y a en tout
42 étapes ou « stations » mentionnées
dans la paracha Massé. Les 12
premières précèdent l’entrée des
enfants d’Israël dans le désert du
Sinaï. Puis les 2 étapes leur faisant
suite sont, respectivement :
« Kivrot haTaava » – où le peuple
hébreu se disqualifia pour la première
fois, sans pour autant laisser
de traces indélébiles de ses exactions
; et « ‘Hatsérot » qui précéda
« Ritma » – d’où furent envoyés les
explorateurs lorsque fut décrété
« un sanglot pour toutes les générations
» (Bkhia léDorot).
Ensuite, de « Ritma » jusqu’à « Hor
haHar », on décompte 20 stations.
Là-bas, Aharon haCohen est rappelé
au ciel le premier jour du mois
de Av, au point qu’immédiatement
après cette date, les enfants d’Israël
firent marche arrière sur 8
étapes, jusqu’aux plaines de Moav,
de l’autre côté du fleuve Yarden, en
face de Yéri’ho.
Or, dans l’introduction au Midrach
Eikha Raba (4), on peut lire : « Rabbi
Abahou a dit en ouverture : ‘Mais
eux, comme l’homme (Adam), ont
transgressé l’alliance’, (Osée, 6, 7).
Le Saint Béni soit-Il déclara : ‘J’ai
fait pénétrer le premier homme
(Adam haRichon) dans le Jardin
d’Eden et lui ai fait connaître Mes
commandements, mais il les transgressa.
Je l’ai donc condamné à la
répudiation (guirouchin) et au renvoi
(chilou’hin), tout comme Je l’ai
apostrophé en lui demandant : ‘Où
es-tu [Eikha] ?’, (Béréchit, 3, 9)…
Puis J’ai fait pénétré mes enfants
en terre d’Israël, comme il est dit :
‘Je vous ai amenés dans un pays
de vignes’, (Jérémie, 2, 7). Je leur
ai fait connaître Mes commandements,
comme il est dit : ‘Ordonne
aux enfants d’Israël (…)’ (Vayikra,
24, 2), mais ils les transgressèrent,
comme il est écrit : ‘Tout Israël a
transgressé Ta Torah’, (Daniel, 9,
11). Je les ai alors condamnés à la
répudiation (guirouchin), comme
il est dit : ‘Je les chasserai de Ma
maison’, (Osée, 9, 15) ; Je les ai
condamné au renvoi (chilou’hin),
comme il est dit : ‘Renvoie-le hors
de Ma face, qu’il s’en aille’, (Jérémie,
15, 1) ; tout comme Je les ai
apostrophés : ‘Où es-tu [Eikha] ?
Assise solitaire, cité naguère si
peuplée (…)’, (Lamentations de Jérémie,
1, 1) ».
D’étapes en étapes…
Le rav Horowitz explique ainsi qu’à
l’aube de sa création, c’est-à-dire
avant la faute, le premier homme
se trouvait être à la tête des cohortes
(« BéRaché haMatot », voir Bamidbar,
30, 2), comme l’enseigne
cet autre Midrach où il est dit que
tous les anges s’étaient alors rassemblés
pour écouter sa sagesse et
recevoir son enseignement (Béréchit
Rabba, 21, 1)… Tandis qu’ensuite,
à l’instar des pérégrinations
des enfants d’Israël dans le désert,
Adam fut soumis à cette sentence
: « Voici l’itinéraire des enfants
d’Israël (…) leurs départs et leurs
étapes (…) », (Bamidbar, 33, 1-2).
Car chassé du Gan Eden, le premier
homme fut alors répudié et sa
réalité unitaire fut pour ainsi dire
à la fois déconstruite en autant de
générations et de dimensions humaines,
mais aussi dispersée sur la
terre qui allait désormais devenir
le lieu de son séjour.
« Mais sache, écrit le rav, que les
étapes de l’exil auxquelles furent
condamnés Adam et ses descendants
– refoulés et dispersés sur
la surface du globe – furent toutes
pour le bien. Car, quoi qu’au
début, le premier homme résidât
au coeur du Jardin d’Eden pour le
garder et le faire fructifier [LéAvda
ouléChamra – Béréchit, 2, 15],
c’est-à-dire pour y accomplir la
Torah et sa dimension spirituelle ;
et bien qu’après avoir fauté, il en
fût répudié et sa réalité éparpillée
partout où l’espèce humaine allait
désormais remplir le monde, malgré
tout, cette dispersion fut pour
le bien ! Puisqu’en effet, elle visait
le déploiement de la sainteté dans
tout l’univers afin que l’on apprenne
à servir le Tout-Puissant. C’est
en ce sens que nous devons lire le
verset qui stipule : ‘Et D.ieu Elokim
le chassa du Gan Eden pour
garder [LaAvod] la terre’, (Béréchit,
3, 23). Car le terme ‘LaAvod’
est le même que celui qui fut
employé précédemment au sujet
du Jardin d’Eden : ‘LéAvda oulé-
Chamra’ [Pour le garder et le faire
fructifier]’, (Béréchit, 2, 15) ! Pour
cette raison, les étapes de son exil
constituent en leur essence celles
mêmes de sa rédemption ! Ainsi en
est-il de la dispersion d’Israël, lui
qui porte le nom d’Adam. Au début,
ils se trouvaient être à la tête
des cohortes [BéRaché haMatot],
ainsi qu’il est dit : ‘Souveraine parmi
les provinces’, (Lamentations de
Jérémie, 1, 1). Or, il est écrit ensuite
: ‘Voici l’itinéraire des enfants
d’Israël (…) leurs départs et leurs
étapes (…) leurs étapes et leurs
départs’, (Bamidbar, 33, 1-2). En
effet, si Israël fut exilé de sa terre,
c’est dans le but d’y revenir ; car
ainsi, la terre de la Promesse sera
comme le Jardin d’Eden. Les différents
exils – en vertu de l’assainissement
(zikoukh) [que les enfants
d’Israël y subiront] – seront alors
à l’origine de la grande Délivrance
future. L’exil d’Israël décrété par le
Tout-Puissant le fut donc lui aussi
pour le bien ».
Le Traité talmudique Psa’him (87/
b) est à cet égard sans équivoque :
« Rabbi Eléazar a déclaré que le
Saint Béni-soit-Il ne décréta la dispersion
d’Israël parmi les nations
que dans le but que viennent s’associer
à lui les convertis, comme
il est dit : ‘Et Je me complairai à
l’implanter dans le pays’, (Osée, 2,
25). Est-ce qu’un homme planterait
en terre une mesure (séa) de graine,
sans attendre d’en récolter 30 fois
plus (kourim) ? Rabbi Yo’hanan
l’apprend d’ici : ‘Je rendrai Mon
affection à celui qui ne l’avait pas,
et à celui qui n’est pas Mon peuple,
Je dirai : ‘Tu es Mon peuple’, et lui
répondra : ‘Mon D.ieu, (Idem.)’ ».
Or, Rachi commente le verset « Et
à celui qui n’est pas Mon peuple, Je
dirai : ‘Tu es Mon peuple’ » ainsi :
« Ceux qui n’appartenaient pas à
Mon peuple, collez-vous à eux, et
ils deviendront Mon peuple ». La
dispersion est donc, en son essence
même, gouvernée par une raison
métaphysique qui lui donne sens.
C’est pourquoi, ajoute le « Chla
haKadoch », on trouve la même
expression et son contraire dès les
deux premiers versets de la paracha
Massé quand il est dit : « Voici
l’itinéraire des enfants d’Israël (…)
leurs départs et leurs étapes (…)
leurs étapes et leurs départs (…) »,
(Bamidbar, 33, 1-2).
La raison dans l’Histoire
Le trajet par lequel l’exil accomplit
sa raison d’être répond donc à un
double mouvement paradoxal de
dispersion et de rassemblement
dont, nous révèle le Maharal de
Prague (au 2e chapitre de son livre
« Netsa’h Israël »), les mots
« exil » (g-l-h) et « rédemption »
(g-a-l) expriment dans la langue
hébraïque le fondement. En effet,
la lettre « alef » – première lettre de
l’« alef-bet » et premier chiffre du
système décimal (1) – représente le
caractère foncièrement unitaire de
la Délivrance. Inscrite dans la réalité
du peuple d’Israël, cette lettre
est le signe que la force de rassemblement
assurant la cohésion de
la dispersion d’Israël au coeur de
l’exil est dans son essence même
liée à l’unité propre de D.ieu. Inversement,
le mot « golah » (l’exil)
est caractérisé par la lettre « hé »,
cinquième lettre de l’ « alef-bet »,
soulignant en ce sens la division
et l’opposition entre Israël et les
nations. Puisque, à la différence
de l’unité qui occupe toujours la
position du milieu, les extrémités
incarnent au contraire l’idée même
de séparation et de dispersion.
Pourtant bien qu’elle représente la
forme symbolique de l’éparpillement,
la lettre « hé » du terme « golah
– l’exil » est elle-même composée
de deux lettres : le « dalèt »,
lettre carrée représentant les quatre
directions fondamentales de
l’espace dans lesquelles a été jeté
le peuple juif à travers son Histoire,
mais avec – en son centre – la
lettre « youd », dont la représentation
graphique est celle d’un point,
symbole parfait de l’unité.
Tant et si bien que l’éparpillement
du peuple juif dans les quatre directions
du monde (représenté par
la lettre « dalèt ») contient en son
centre même le principe actif de
son propre rassemblement (le point
qui est le « youd »)…
La dispersion d’Israël
parmi les nations
cherche son dénouement
dans l’unité à laquelle
elle participe par nature,
comme si l’exil devait
constituer l’expression
de la réalisation du
peuple juif à travers les
siècles !
Après s’être déployée à travers les
différentes civilisations, la dispersion
d’Israël parmi les nations
cherche donc son dénouement
dans l’unité à laquelle elle participe
par nature, comme si l’exil devait constituer l’expression de la
réalisation du peuple juif à travers les
siècles. Car le principe à l’oeuvre dans
l’exil, c’est bien le retour ; ce que le
Maharal appelle par ailleurs : « L’unité
au centre des quatre directions »,
(‘Hiddouché Aggadot » sur le Traité
talmudique Sota, 45/b, page 82/a).
Voilà pourquoi l’exil est en ce sens
l’outil même par lequel se réalise la
rédemption qui, le rassemblant de la
dispersion et de l’oubli de soi, ramène
Israël à son unité. Raison interne de
l’Histoire du peuple juif, l’exil réalise
ainsi son but ultime, à savoir : le retour
des exilés à leur point d’attache
métaphysique, c’est-à-dire comme
accomplissement du projet divin.
Pourtant, on ne saurait conclure sans
rappeler, ainsi que l’explique amplement
le rav Israël Eliahou Weintraub
chlita dans son livre « BéSaarat Eliahou
», que l’exil d’Israël ne saurait
toutefois atteindre son terme tant que
le peuple juif, à cause de l’assimilation
– ou, ce qui revient au même, de
son identification à des valeurs qui
ne sont pas celles de la Torah – n’a pas
encore réalisé sa pleine vocation ; ou
qu’il imagine que sa dimension métaphysique
puisse se satisfaire d’une
législation politique qui, bien que
s’affirmant être la réponse aux affres
de l’exil, constitue au contraire le
dernier avatar de son anti-histoire.
A telle enseigne, rappelle le rav Horowitz
(« Chné Lou’hot haBrit », Massékhèt
Taanit, Torah Or, 20), qu’il
convient de faire remarquer qu’au
lendemain du décès d’Aharon haCohen,
après que les enfants d’Israël
eurent fait marche arrière jusqu’aux
plaines de Moav, il y a tout lieu de
penser qu’ils parcoururent ces 8 étapes
en 8 jours, et que la veille de leur
entrée en Terre d’Israël coïncida très
précisément au 9 Av, c’est-à-dire au
jour de Ticha béAv.
Comme si cette première alya
historique du peuple d’Israël ne
pouvait s’accomplir pleinement
qu’après une profonde réflexion
sur le sens de son exil et sa ferme
décision d’y réaliser le but
pour lequel il fut sorti d’Egypte…
Yehuda Rück
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