Si le thème de la prière comprend de nombreux chapitres – notamment celui
relatif aux prières quotidiennes ou à celles que l’on prononce sur les tombes
de Justes –, notre paracha de Béhaalotekha parle d’une catégorie revêtant
une importance particulière : il s’agit des prières que l’on prononce pour la
guérison d’une personne malade.

Dans les derniers versets de
notre paracha, la Torah
relate que Myriam et Aharon
proférèrent des paroles de médisance
à l’encontre de leur frère
Moché. Suite à ces propos, D.ieu
s’emporta contre eux et frappa
Myriam de « tsaraat » (une grave
maladie de la peau) en punition
pour ses propos malveillants. Implorant
le pardon divin, Moché
se tourna alors vers D.ieu en suppliant
: « De grâce, Seigneur, guéris-
la, de grâce ! ».

En fait, c’est dans le célèbre « Séfer
‘Hassidim » écrit par rabbi Yéhouda
« ha‘Hassid » (1149-1213) que
l’on trouve la première évocation
formelle du devoir qui incombe à
tout Juif de prier pour les personnes
malades : « Dans la mesure où
tous les membres de notre peuple
sont ‘garants’ les uns des autres,
lorsque l’un d’eux vient à être frappé
par une épreuve, tous sont tenus
de ressentir sa douleur et de prier
pour lui comme il est dit : ‘Tandis
que moi, quand ils [les ennemis
de David] étaient malades, (…) je
mortifiais mon âme par le jeûne
et ma prière se renouvelait dans
mon coeur’, (Psaumes 35, 13). Et
celui qui ne prie pas pour autrui
est considéré comme un fauteur
comme il est dit : ‘Je n’aurai garde
d’offenser D.ieu en cessant de prier
pour vous’ (Samuel-I, 12, 23) »,
(rapporté par le Min’hat Acher, Bamidbar,
chapitre 23).

Cette assertion se retrouve en réalité
dans un passage explicite du
Talmud où l’on peut lire l’enseignement
suivant : « Rabba bar ‘Hinena
l’Ancien dit au nom de Rav :
‘Toute personne qui a la possibilité
d’invoquer la Miséricorde pour son
prochain et qui ne le fait pas est
appelée ‘fauteur’ comme il est dit :
Je n’aurai garde d’offenser D.ieu…’.
Rava dit : ‘S’il est un érudit, il doit
se rendre lui-même malade pour
l’autre, comme il est dit : Je mortifiais
mon âme par le jeûne’ ! »,
(Traité Berakhot, page 12/b).
Prière et « bikour ‘holim »
La prière prononcée au profit
d’autrui – en particulier pour la
guérison des personnes malades
– revêt ainsi une importance si capitale
que selon certains auteurs,
elle constitue la charnière centrale
de la mitsva de « bikour ‘holim »
[les visites rendues aux malades] :
« C’est une très grande mitsva que
de rendre visite au malade, et ce,
afin que l’on en vienne à implorer
pour lui la Miséricorde divine – ce
qui revient à lui rendre la vie »,
(Ramban cité par le Tour Yoré Déa,
335). Tant et si bien que selon le
Rama (Choul’han Aroukh, ibid.
par. 4), celui qui rendrait visite
à un malade sans prier pour lui
n’aurait pas accompli la mitsva de
« bikour ‘holim » !

En réalité, comme le note le Gaon
de Vilna, l’impératif de la prière
dans le contexte de cette mitsva
spécifique se distingue à travers
plusieurs autres lois. Ainsi, le
Choul’han Aroukh (ibid. 4) énonce
que l’on ne doit pas rendre visite
à un malade pendant les trois premières
heures du jour, ni pendant
les trois dernières heures. Cette
exigence – formulée explicitement
par le Talmud (Traité Nédarim,
page 40/a) – s’explique par
le fait que pendant les premières
heures du jour, l’état de santé du
malade a tendance à s’améliorer
sensiblement et par conséquent,
en le voyant à ce moment précis,
on pourrait en venir à omettre
de prier pour lui. Inversement, la
situation des personnes malades
a tendance à paraître plus grave
lors des dernières heures du jour,
si bien qu’« on pourrait en venir à
désespérer d’implorer pour lui la
Miséricorde ».

En outre, on peut lire également un
peu plus haut dans ce même passage
talmudique : « Quiconque rend
visite à un malade le fait revivre
(…) parce qu’il prie pour lui et le
fait ainsi revivre ». L’affirmation du
Rama semble donc être nettement
établie par ces différents extraits
du Talmud qui soulignent combien
le principe de base du « bikour ‘holim
» repose bel et bien sur les prières
que l’on formule pour la guérison
des personnes malades.

Enchaîné par la maladie…

Un autre aspect de la prière pour
les gens malades apparaît également
dans ce chapitre du « Séfer
‘Hassidim » où l’on peut lire, entre
autres : « Nous voyons souvent
qu’une personne prie pour autrui
et voit sa prière exaucée, alors
que lorsqu’elle formule cette prière
pour elle-même, elle n’est pas
exaucée ». Ce constat, note rabbi
Yéhouda ha’Hassid, est d’autant
plus singulier que le Talmud semble
le contredire explicitement :
« Quiconque prie pour autrui
concernant une chose dont il a luimême
besoin voit sa prière exaucée
en premier, comme nous le voyons
chez Avraham qui pria pour le rétablissement
de la maison d’Aviméle’h,
après quoi le verset poursuit :
‘Sarah enfanta’ (…) », (Traité Baba
Kama, page 92/a).

Il se pourrait, conclut rabbi Yéhouda
ha’Hassid, que cette singularité
résulte d’un principe notoire que
le Talmud illustre en ces termes :
« Un prisonnier ne se libère pas luimême
de prison », (Traité Bérakhot,
page 5/b) – autrement dit : une
personne frappée par une épreuve
est généralement impuissante face
à son propre malheur ; son salut ne
pourra alors être suscité que grâce
à une tierce personne.
En conséquence, il s’avère que non
seulement la prière pour le malade
constitue le fondement du bikour
‘holim mais, qui plus est, seules
les personnes qui lui rendent visite
sont en mesure de prier pour lui et
de voir leurs prières exaucées.
Toutefois, de nombreux auteurs
rapportent à ce sujet un extrait du
Midrach dans lequel il est dit au sujet
d’Ichmaël : « ‘Tel qu’il est [ou :
parce qu’il est] là-bas’ : c’est par
son propre mérite qu’il fut sauvé ;
en effet, la prière du malade pour
lui-même est plus bénéfique que
toute autre prière », (Béréchit Rabba
53, 14).

Cet extrait du Midrach incita de
nombreux commentateurs à considérer
que le fameux principe « Un
prisonnier ne se libère pas lui-même
de prison » ne s’applique aucunement
au contexte de la prière dans
la mesure où « les portes des pleurs
ne sont jamais fermées », (Séfer
‘Harédim, chapitre 70), et c’est précisément
à la personne frappée par
l’épreuve qu’il incombe de redoubler
de prières. Le Maharal de Prague
considère également les choses
sous cet angle et affirme qu’à ce
sujet, « il ne saurait être question
de ‘prisonnier qui se libère’, car il
s’agit d’une prière adressée à D.ieu,
et c’est Lui-même qui délivre l’homme
», (Gour Aryé – Béréchit 21, 17).

Que peut-on faire
le Chabbat ?

Les prières pour les personnes
malades sont considérées avec
tant d’importance que selon certains
auteurs, elles pourraient
être même éventuellement un
motif suffisant pour transgresser
le Chabbat !

Le ‘Hida témoigne ainsi à plusieurs
reprises détenir une
authentique tradition selon laquelle
Rabbénou Péretz – un célèbre
« Baal haTossefot » ayant
vécu en France au Moyen-Age
– aurait lui-même écrit une amulette
le Chabbat pour la guérison
d’une femme en couche alors en
danger de mort.

Le Ramah (rabbi Méïr Haboulafia)
autorisa lui aussi d’écrire une
amulette, par le biais d’un nonjuif,
destinée à un malade dont
les jours étaient comptés. Dans le
« Kaf ha’Haïm » (306, 77), l’auteur
rapporte une question qui se posa
pendant une période d’épidémie,
alors qu’un homme avait fait
écrire le Chabbat une lettre par
un non-Juif et l’avait dépêchée
le jour même au frère d’une personne
agonisante, en demandant
à ce dernier de prier et d’organiser
une étude pour le mérite du
malade. Dans cet ouvrage également,
la conclusion rapportée par
l’auteur tend à autoriser la chose
comme une évidence.

Ces décisions cruciales ne firent
toutefois pas l’unanimité.
De grands décisionnaires comme
rav Chlomo Kluger ou l’auteur de
l’ouvrage « Choël ouMéchiv » rejetèrent
catégoriquement ce genre
de permissions et établirent que
le but de ces démarches ne saurait
aucunement légitimer une transgression
du Chabbat (sources citées
par le Min’hat Acher, ibid.).
Toujours est-il que ces différents
aspects de la prière pour les malades
laissent clairement se dégager
le principe qui en est à l’origine :
« Tous les membres du peuple juif
sont ‘garants’ les uns des autres »,
et de ce fait – comme l’énonce le
« Séfer ‘Hassidim », « tous sont tenus
de ressentir la douleur de leurs
prochains et de prier pour eux ».

Yonathan B endennoune


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