A une table de café, trois jeunes rigolent tout en dégustant leur hamburger en cette fin de vendredi après-midi. Poliment le manager leur dit « Je dois partir dans 7 minutes. Mais revenez quand vous voulez après chabat. » . Voilà une scène presque ordinaire dans ce nouveau centre commercial de Caracas.

Le Centre Galerias Sebucan, a ouvert ses portes fin de l’année dernière, à quelques pas seulement d’une nouvelle synagogue, au milieu de ce quartier juif de la ville. Les propriétaires du centre commercial sont d’ailleurs aussi juifs.

Presque tous les magasins, voire tous, appartiennent à des juifs. Cela en fait un endroit où s’exprime toutes les diversités de la communauté juive du Venezuela. Mais aussi un lieu où les juifs peuvent venir s’y montrer en tant que juifs sans crainte. Bref un petit havre de paix, à l’écart de la violence urbaine qui existe ici un peu partout.

Coby Benzaquen, le propriétaire du Café Hillel explique ce qui l’a motivé à ouvrir un restaurant ici. « La communauté n’avait pas d’endroit où les familles et les jeunes pouvaient sortir en toute sécurité. » Dans un pays qui a vu sa communauté juive diminuer avec les années, qui doit surmonter une importante crise économique qui touche tout le monde, qui est confronté à l’antisionisme virulent de son dirigeant le président Hugo Chavez, un tel projet aurait pu être vu comme une très mauvaise opportunité commerciale. Mais Benzaquen se veut optimiste : « Vous ne pouvez pas abandonner votre qualité de vie à cause de la peur. Le juif est un combattant. Il va toujours de l’avant. »

La communauté juive du Vénézuela a diminué de moitié depuis l’ascension au pouvoir d’Hugo Chavez en 1999. De 20000 personnes, on n’en compte plus que 10000 actuellement. Beaucoup d’entre eux invoquent la montée du crime, la politique et l’antisémitisme au sein du gouvernement comme des raisons pour partir. Malgré la hausse du prix du pétrole, le Venezuela a été l’un des seuls pays d’Amérique Latine à régresser l’année dernière. Benzaquen est alors le premier à reconnaitre que dans de telles circonstances, ouvrir un restaurant cacher est un véritable « pari ». Mais il ne l’a pas fait que pour le business. « J’ai senti que c’était un véritable besoin pour notre communauté » explique-t-il. Quelle joie de voir des jeunes juifs orthodoxes faire du shopping ou des écoliers se balader dans les allées avec leur pull brodé d’une menorah.

Le Centre Galerias Sebucan est le seul en Amérique Latine, avec celui de Buenos Aires à permettre aux propriétaires de magasins de respecter le chabat et les fêtes juives. Pour Adriana Coriat qui fréquente le Café Hillel avec sa fille de 17 ans, le Centre fait partie de « leur bulle juive ». « C’est comme ça que nous survivons ici. Dans notre bulle. » ajoute elle. « Ici les jeunes ne peuvent pas juste sortir dans les rues. C’est trop dangereux. Ce Centre commercial a l’avantage d’être à coté de la maison et d’être un lieu sûr pour les jeunes. » D’après les dernières statistiques, le taux de criminalité au Venezuela est de 48 pour 100000 ce qui est plus haut que dans le reste de l’Amérique Latine. Et dans la capitale il monte à 118, faisant de Caracas une des villes les plus meurtrières du monde.

Menahem Gancz, un jeune professeur de thora, aime à venir dans la librairie du centre commercial, qui propose des ouvrages sur la Kabbale, le Zohar et « les juifs » en général. Dans les autres librairies de la ville, il aurait sans doute couvert sa kippa avec une casquette. Ici il ne le fait pas. « Regardez autour de vous. Il n’y a que des juifs. » dit il avec le sourire.