« L’Éternel Se révéla à lui dans les
plaines de Mamré, tandis qu’il était assis à
l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour », (Béréchit,
18, 1). Ce premier
verset de notre paracha renferme de nombreuses interprétations, citées
notamment par Rachi. En reprenant chacune d’elles séparément,
nous nous
apercevrons qu’en fait, elles convergent toutes vers un même principe.
VOICI LE commentaire de Rachi
sur le premier verset de notre
paracha : « ‘L’Éternel Se
révéla à lui’ – pour rendre visite au
malade. Rabbi ‘Hama bar ‘Hanina
dit : ‘ce jour était le troisième jour
après sa circoncision, c’est pourquoi
le Saint béni soit-Il vint s’enquérir
de sa santé’. »
Rachi poursuit : « ‘Dans les plaines
de Mamré’ – parce que Mamré lui
avait donné un bon conseil concernant
la brit mila, D.ieu apparut à
Avraham dans son domaine. ‘Il était
assis’ – le verset écrit : ‘ … ’, comme
s’il était dit au passé : ‘Il s’assit’ .
[Lorsque D.ieu lui apparut], Avraham
voulut se lever mais Il lui dit :
‘Reste assis, et Moi Je Me lèverai. Tu
seras ainsi un symbole pour tes descendants
puisque Je Me tiendrai au
sein des juges pendant qu’eux siègeront,
comme il est dit : ‘L’Éternel
siège au sein de l’assemblé de D.ieu’.
‘A l’entrée de sa tente’ – pour voir s’il
y avait des voyageurs qu’il pourrait
inviter.
‘Pendant la chaleur du jour’ – le
Saint béni soit-Il avait fait sortir le
soleil de son enveloppe pour épargner
à Avraham le tracas des invités.
Mais lorsqu’Il s’aperçut que
l’absence d’invités lui causait de la
tristesse, D.ieu envoya à lui les anges
sous une forme humaine ».
Or en méditant sur ce commentaire
de Rachi, on ne manquera pas de
noter plusieurs difficultés :
1. Avraham fut un personnage qui,
toute sa vie durant, se dévoua corps
et âme pour son Créateur : il se laissa
jeter dans une fournaise ardente,
il abandonna son lieu de naissance,
et plus tard, il fut prêt à sacrifier
son unique enfant pour répondre à
l’appel divin. Pourtant, lorsqu’il reçoit
ici l’ordre de la circoncision, il
a recours aux conseils de Mamré !
Qu’est-ce qui l’incita donc à prendre
conseil concernant cette mitsva de
la brit mila en particulier ?
2. Quel lien existe entre cette révélation,
pendant laquelle Avraham
est autorisé à rester assis en présence
de la Ché’hina, et cette période
de convalescence suite à sa circoncision
? Par ailleurs, que signifie le
fait que la Présence divine réside
parmi les juges au moment où ils
arbitrent un litige conformément
aux règles de la Torah ?
3. Pourquoi Avraham éprouve-t-il
de la tristesse du fait de l’absence
d’invités ? Certes, il ne fait aucun
doute qu’il aspirait profondément,
de par sa constante dévotion à l’altruisme,
à prodiguer le bien autour
de lui. Mais pourquoi éprouver
tant d’affliction à ce moment précis,
alors qu’il peinait à se remettre
de la plaie de la brit mila ?
4. Enfin, cet épisode nous enseigne
également que l’hospitalité
prévaut sur l’accueil de la Parole
divine (voir Rachi sur le verset
3). Or, comment Avraham sut-il
lui-même qu’il convenait d’agir
ainsi ?
Vivre parmi le commun
des hommes !
De fait – comme le démontre le
« Chiour léYom haChabbat » du
rav Mordékhaï Miller à partir d’un
commentaire du ‘Hidouché haRim
–, cette hospitalité hors du commun
qu’offrit Avraham aux anges
s’avère être intiment liée à l’épisode
de sa circoncision décrit à la fin de
la paracha précédente.
Jusqu’à ce jour, Avraham avait découvert
par lui-même l’existence
d’un Créateur unique, et riche de
cette science, il s’efforçait d’en
faire profiter l’humanité tout entière.
Ce message divin qu’il avait
découvert, il tentait de le véhiculer
à son entourage afin de rapprocher
les hommes « des ailes de la Ché’hina
». Or dans l’absolu, chaque nouveau
« prosélyte », s’il se montrait
suffisamment sage et sensible,
pouvait atteindre à son tour une
connaissance de D.ieu aussi lumineuse
que celle d’Avraham.
Mais à ce niveau, la brit mila
constitua une véritable rupture :
cette alliance conclue entre D.ieu
et la postérité d’Avraham créa
entre eux un lien indéfectible, au
point où la nation issue d’Avraham
se démarquerait à jamais, dans son
essence, du restant de l’humanité.
Passant de l’acquis à l’inné, la nation
consacrée à D.ieu vit le jour
avec la circoncision : c’est par cette
mitsva que son essence et sa destinée
furent à jamais distinguées
comme une « réalité à part » !
Relation – implication
Cette dignité nouvelle suscita chez
Avraham autant de satisfaction
que d’appréhension… C’est ce que
rappelle le ‘Hidouché haRim lorsqu’il
écrit : « Avraham se constitua
comme le pilier de la générosité et de
l’altruisme. Or, ceci réclamait de sa
part un effort important pour s’extraire
de son haut niveau spirituel et
se rabaisser à celui des idolâtres qu’il
accostait. Néanmoins, rien ne l’avait
jusqu’alors distingué d’eux à l’échelle
physique. Mais le jour de sa circoncision,
il comprit qu’il se dissocierait
désormais de toute l’humanité et il
craignit que de ce fait, il se retrouve
démuni de sa vocation d’altruisme.
Séparé du restant du monde, il redouta
d’être dorénavant incapable de
communiquer avec le commun des
êtres humains, du fait de son appartenance
à une ‘ nouvelle nature’
générée par la circoncision ».
Parce qu’Avraham était profondément
attaché à l’humanité, sa
plus grande appréhension fut donc
de se voir coupé d’elle et d’en être
détaché en raison de son éminent
degré spirituel. Car si c’était le cas,
sa vocation s’en verrait proprement
anéantie ! Ce qui explique pourquoi
Avraham jugea nécessaire,
avant d’entreprendre sa circoncision,
de demander conseil à son
ami Mamré. Évidemment, il ne fut
jamais question de faire dépendre
son choix des recommandations
de cet homme. Néanmoins, sa démarche
consista à l’impliquer et à
l’associer à sa décision, de manière
à maintenir leur relation en dépit de
la nouvelle identité qu’il s’apprêtait
à acquérir par là.
« Le père d’une grande
nation »
Peu avant sa circoncision, « D.ieu
l’avait fait sortir en plein air, et dit :
‘Regarde le ciel et compte les étoiles
(…)’ », ce qui suggère – toujours selon
Rachi – qu’Il l’avait « fait sortir
de ses présages astrologiques ». Depuis
lors, Avraham ne dépend plus
en rien du système « naturel » du
monde, car il intégra un mode de
vie tout à fait exclusif et autonome.
Mais pour éviter de se couper totalement
de la nature et du commun
des hommes, notre patriarche s’escrime
à y conserver une attache.
C’est cette volonté qu’il exprime,
à quelques jours de sa circoncision,
lorsqu’il s’assied à la porte de
sa tente, à la recherche désespérée
d’invités : par ce geste, Avraham
veut savoir s’il appartient encore à
ce monde et si le contact avec ses
semblables est encore possible… Il
ne s’agit pas seulement là d’un zèle
passionné pour l’hospitalité, mais
plutôt d’une tentative de rétablir le
contact avec un monde qu’il vient
de quitter. D.ieu lui envoie alors
trois anges ayant pris la forme
d’idolâtres ordinaires, justement
pour le rassurer et lui montrer que
la communication avec des hommes
aussi « rudimentaires » reste
pour lui encore possible.
C’est à cette occasion qu’il est donc
signifié à Avraham la possibilité de
continuer à « parler à D.ieu » tout
en restant assis ; autrement dit : il
peut connaître un niveau spirituel
extrêmement élevé, tout en « restant
assis » ici-bas et en évoluant
parmi le commun des hommes
sans en être totalement détaché.
Cette idée renvoie à celle des juges
auxquels la Ché’hina s’associe
pendant leurs délibérations. Lorsque
des juges débattent d’un litige
ou de tout autre problème bien
concret, ils « participent à la Création
du monde », selon l’expression
des Sages. Pourtant, malgré
le caractère très élevé de leur rôle,
il leur incombe de rester proches
de la réalité et d’être à l’écoute
des
faits les plus ordinaires afin d’y
percer la vérité. C’est pourquoi
D.ieu annonce – par l’entremise
d’Avraham – que lorsque des juges
délibèrent d’un problème, ils restent
bien « assis » dans le tribunal
pendant que la Présence divine les
y rejoint.
Ce message, Avraham le perçut très
distinctement : il comprit que les
mitsvot et l’attachement aux plus
hauts niveaux spirituels ne doivent
pas être une entrave dans la relation
d’un homme avec ses semblables.
Imprégné de cette leçon, il sut qu’au
moment où l’opportunité de recevoir
des invités se présenta, il lui
incombait de partir à leur rencontre,
quitte même à interrompre un instant
de prophétie !
Car c’est de cette manière que
l’homme sage sait trouver l’harmonie
entre une vie spirituelle intense,
et une relation humaine et
prévenante avec ses semblables.
YONATHAN BENDENNOUNE
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