Extrait 1 : Introduction

Introduction

Notre calendrier compte deux jours solennels observés par presque tous les Juifs : la Pâque et Yom Kippour.

Le moment le plus émouvant du service de Yom Kippour se situe au crépuscule, lorsque les prières sont sur le point de s’achever. Pour annoncer la clôture de cette journée sainte entre toutes, on fait retentir le Chofar d’une longue sonnerie continue, et l’assemblée répond : " L’an prochain à Jérusalem ! "

Jerusaelm, oeil de l’univers

Chapitre Ier

Point de rassemblement d’un peuple

Transportez-vous par la pensée à Jérusalem il y a deux mille ans. La Pâque approche, et des Juifs venus du monde entier affluent pour célébrer cette sainte festivité. Ils accourent de partout, d’abord par centaines, puis par milliers, et à la fin par centaines de milliers. Lorsque arrive la fête, une bonne partie de tout le peuple juif se presse dans cette seule ville. A perte de vue, les versants des montagnes sont couverts de tentes, à côté desquelles les gens vont rôtir leur agneau pascal, geste essentiel du rituel applicable à cette fête à l’époque du Temple.

Selon les prescriptions de la Torah, l’agneau pascal ne peut être préparé qu’en un seul endroit : " Tu immoleras le sacrifice pascal à l’Eternel ton Dieu à dans le lieu que Dieu aura choisi pour y fixer Son Nom " (Deutéronome 16, 2). Il n’y a donc qu’un seul endroit au monde où ce sacrifice pourra être offert. Et ce qui était vrai pour cette offrande l’était aussi de beaucoup d’autres rites importants de la vie juive. Selon la règle fixée par la Torah, ceux-ci ne pouvaient être observés que dans " le lieu choisi par Dieu ", qui n’était autre que Jérusalem.1

Pendant près de mille ans, depuis sa consécration par le roi David jusqu’à sa destruction par les Romains, Jérusalem a été le point focal du peuple juif.2 Elle était le seul endroit où pouvaient être accomplis certains gestes ; en quelque lieu qu’il habitât, le Juif était tenu de se rendre dans cette ville sainte pour s’en acquitter. C’est parce que tant d’actes rituels ne pouvaient être exécutés que dans ses murs que nos Sages l’ont désignée comme lieu plus saint que le reste de la Terre d’Israël. "3

Parmi les plus imposants de ces rites figuraient les trois pèlerinages annuels. Trois fêtes marquent notre calendrier : Pessa’h, Chavou’oth et Souccoth, pendant lesquelles chaque Juif était tenu, à l’époque du Temple, d’ordre exprès de la Torah, de se rendre en pèlerinage au " lieu choisi par Dieu " : " Trois fois l’an, tous tes mâles paraîtront en présence de l’Eternel, ton Dieu, dans l’endroit qu’Il aura élu : à la fête des Azymes (Pessa’h), à celle de Chavou’oth et à celle de Souccoth " (Deutéronome 16, 16).

Pour ces pèlerinages, les Juifs accouraient à Jérusalem de tous les coins du monde. Ils renouaient des liens d’amitié et échangeaient des nouvelles, fortifiant ainsi l’unité du peuple.4 Plus important encore, leur rassemblement se situait dans un contexte de sainteté et de service de Dieu, de sorte qu’il renforçait les participants à la fois religieusement et moralement. C’est ainsi que, pendant ces festivités, aucun des pèlerins ne pouvait être soupçonné d’avoir nui à un autre d’aucune manière.5 Jérusalem unissait ainsi le peuple juif dans un contexte tel que son unité était comme à l’image de celle de Dieu.

Ceci nous permet de comprendre la raison pour laquelle " le site choisi par Dieu " devait nécessairement être une ville. Qu’est-ce qu’une ville ? Lieu de rassemblement d’une population, elle constitue le point de départ de la croissance et du développement d’une civilisation. Le regroupement d’une société humaine au sein d’une cité favorise les échanges et les enrichissements d’idées. Ce n’est donc pas une coïncidence si la civilisation en général s’est développée à partir des villes, dispensatrices des nourritures de l’esprit et de l’âme, les campagnes étant celles des nourritures du corps. Ainsi que le souligne Rabbi Samson Raphaël Hirsch, le mot hébreu pour " ville " – ‘Ir – vient de la même racine que `Our qui veut dire " éveiller ".6 C’est la ville qui éveille l’être humain, pour lui faire exprimer le meilleur de sa créativité. Nous découvrons ainsi dans la Torah que la construction des centres urbains a été à l’origine des plus importantes évolutions de la civilisation.

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Le but ultime du Judaïsme est le développement d’une relation avec Dieu. Pour cela aussi, il fallait une ville. Jérusalem est devenue le lieu où les Juifs du monde entier se rassemblaient, échangeaient des idées et cultivaient ainsi un système de pensée permettant cet épanouissement. Le Temple, ainsi que les nombreux maîtres en Torah qui vivaient à Jérusalem – nous évoquerons dans un des chapitres suivants l’action et l’influence de ces Sages – ont joué à cette fin un rôle prépondérant. D’une manière générale, Jérusalem a été la ville qui a éveillé et motivé le Juif en vue de sa mission. Il n’est donc pas étonnant qu’elle forme, selon l’enseignement de nos Sages, l’achèvement le plus élevé du concept Ville.8

C’est avec la " deuxième dîme " (Ma’asser Chéni) que cette idée trouve sa meilleure illustration. L’ensemble des récoltes obtenues en Terre sainte était l’objet de prélèvements que l’on versait, comme une sorte d’impôt, pour l’entretien des prêtres (Cohanim) et des Lévites, qui jouaient le rôle de chefs religieux et d’enseignants. Les Lévites recevaient un dixième de l’ensemble de la production agricole, tandis qu’une part de moindre importance, appelée Teroumah, était dévolue aux Cohanim.

A ces deux prélèvements s’ajoutait la " deuxième dîme ".9 Celle-là n’était pas distribuée, mais c’est le contribuable lui-même qui devait, soit la consommer à Jérusalem, soit la racheter pour en consommer la contre-valeur dans cette ville. La Torah elle-même en donne la raison : " Et tu la consommeras en présence de l’Eternel, ton Dieu, dans la localité qu’Il aura choisie comme résidence de Son Nom ; savoir, la dîme de ton blé, de ton vin et de ton huile, les premiers-nés de ton gros et de ton menu bétail, afin que tu t’accoutumes à honorer continuellement l’Eternel, ton Dieu " (Deutéronome 14, 23).

Au lieu de remettre cette redevance au prêtre ou au Lévite, le Juif, en la consommant dans la Ville sainte, devenait lui-même un " prêtre ou un Lévite ".10 Il lui fallait interrompre ses activités habituelles, se purifier de la manière prescrite, et rester à Jérusalem jusqu’à consommation intégrale de la dîme. S’il ne pouvait pas se déplacer lui-même, il y envoyait ses enfants. De la sorte, lui-même ou ses enfants s’imprégnaient de l’ambiance de la ville, de l’atmosphère de piété et d’effervescence intellectuelle qui l’emplissait, et ils se développaient ainsi dans les voies de la Torah. C’est ainsi que devenait réalité l’idéal du peuple juif défini comme " royaume de prêtres et nation sainte " (Exode 19, 6). Le système de la " deuxième dîme " tendait à faire de chacun, pendant au moins une partie de l’année, un habitant de Jérusalem et il contribuait à la création d’un mouvement de régénération spirituelle embrassant l’ensemble de la collectivité d’Israël.11

Il existait beaucoup d’autres rites qui ne pouvaient être observés que dans " le lieu choisi par Dieu ". Ainsi, la dîme de tout bétail devait être consommée dans la Ville sainte.12 Les prémices des fruits étaient présentées, au cours d’une cérémonie empreinte de solennité, dans " le lieu que Dieu choisira ".13 Ces pratiques amenaient chaque Juif à de nombreux déplacements à Jérusalem, où il s’imprégnait du renouveau spirituel et de l’influence unificatrice créés par cette ville.

La plupart de ces rites ne s’adressaient qu’aux Juifs établis en Terre Sainte. D’autres, en revanche, concernaient ceux du monde entier. Il en allait ainsi des sacrifices, dont une partie est prescrite au début du Lévitique. Certains pouvaient être offerts comme offrandes volontaires, mais le plus souvent, ils étaient apportés sur l’autel pour l’obtention du pardon d’une faute.

Selon le Ramban (Na’hmanide), la signification essentielle du sacrifice est que, en assistant à l’abattage d’un animal que l’on a offert, on participe à une exécution par substitution : celui qui a fait don d’une bête que le Cohen va égorger et brûler sur l’autel participe à ces gestes comme s’il était lui-même tué et consumé pour avoir contrevenu à la Loi divine.14

De surcroît, Dieu a donné à l’homme le pouvoir de l’intelligence qui lui permet de se perfectionner. Lorsqu’il pèche, c’est comme s’il avait rejeté ce pouvoir. Et comme l’intelligence est ce qui distingue essentiellement l’homme de l’animal, commettre un péché revient à s’identifier à la bête. D’où la nécessité d’offrir celle-ci en sacrifice.

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Notes :

1. Séfer ha’Hinoukh 487. Voir chapitre 6, note 1.

2. D’après la Tradition, David a conquis Jérusalem en l’an 2892 (-868) et elle fut détruite par les Romains en 2892 (69), soit 976 ans plus tard. Voir chapitre 7, notes 22 et 53. Selon Josèphe, c’est pendant 1179 ans que Jérusalem a détenu ce statut (Voir Guerres 6,10 et Antiquités20,10).

3. Kélim 1,8. Cf. Baba Kama 62b, Yad, Beth haBe’hirah 7,14. Voir aussi Ketouboth 13,11 (110b), Isaïe 52,1 et 66,20.

4. Yerouchalmi, ‘Haguigah 3,6, Baba Kama 7,7 d’après le Psaume 122,3. Cf. ‘Haguigah 26a, Isaïe 33,20.

5. Ibid. Cf. Metzoudoth David (Radbaz) 266.

6. S.R. Hirsch sur Genèse 4,17. A noter que Caïn était, à l’origine, un agriculteur et qu’il a construit la première ville pour expier le meurtre de son frère. Cf. Malbim Ibid.

7. Voir Genèse 4,20 à 22.

8. Ketouboth 11b, d’après II Rois 19,34, Tan’houma, Ki Tavo 4, d’après Lamentations 2,15. Cf. Likouté Moharan 280.

9. Cette dîme était prélevée tous les ans, à l’exception de la quatrième et de la sixième d’un cycle de sept ans, où lui était substituée la dîme des pauvres (Maasser ‘Ani). Voir Yad, Matanoth ‘Aniyim 6, Ma’asser Chéni 1,1.

10. S.R. Hirsch sur Deutéronome 14,23.

11. Deutéronome 14,23, Ibn Ezra, Rachbam, Sforno ad loc., Tossafoth, Baba Batra 21a s.v. Ki. Voir ‘Hinoukh 360, Metzoudoth David 256.

12. ‘Hinoukh 360.

13. Deutéronome 26,2. Voir Bikourim 3,1 à 4.

14. Ramban sur Lévitique 1,9. Voir Tan’houma, Vayikra 8.

15. ‘Hinoukh 95.

Titre: « JERUSALEM, OEIL DE L’UNIVERS »

Auteur: Arieh KAPLAN

Editeur: EMOUNAH – NCSY/ORTHODOX UNION

Adaptation française : Jacques KOHN.

Le livre est en vente dans les librairies juives.

Extrait n°3 : Chapitre n°1 (Suite)

(Suite du chapitre n°1)

A un niveau plus profond, l’homme est constitué de deux éléments, l’animal et le divin, ces deux entités s’opposant dans un conflit permanent.16 La part de divin l’attire en direction du spirituel, celle de l’animal vers le physique et le terrestre. Lorsqu’une personne commet un péché, il lui faut donc apporter un animal en sacrifice, élevant celui-ci vers Dieu. En même temps, l’animal contenu dans l’homme, assimilable à celui sur le point d’être immolé, est également sublimé. L’ayant incité à pécher, il est maintenant rétabli dans son assujettissement au divin.17

Toutes ces raisons n’expliquent en réalité que superficiellement la notion de sacrifice, laquelle fait appel aux idées les plus profondes du Judaïsme. Il est manifeste que les rites sacrificiels pourraient apparaître brutaux et barbares s’ils ne se situaient dans une atmosphère religieuse proche de la perfection. Seule une nation parvenue au niveau éthique et spirituel le plus élevé peut en être digne. C’est la raison pour laquelle, compte tenu de la déchéance morale et de la dégénérescence spirituelle du peuple juif, le système sacrificiel a fini par être aboli.18

Les sacrifices ne pouvaient être offerts qu’en un seul lieu, le Saint Temple (Beth haMikdach). Ceci est prescrit explicitement par la Torah : " Au lieu choisi par l’Eternel, votre Dieu, pour y asseoir Sa résidence, c’est là que vous apporterez vos holocaustes et vos sacrifices, vos dîmes et vos offrandes " (Deutéronome 12, 11). A partir du moment où le Temple a été construit à Jérusalem, les sacrifices n’ont pu être apportés en aucun autre endroit du monde.

Offrir un sacrifice hors du Temple de Jérusalem est considéré comme un très grave péché.19 On retrouve ici l’idée selon laquelle ce geste doit être accompli en un lieu d’une extrême sainteté, afin que les rites qui l’entourent ne dégénèrent pas en quelque chose de barbare et de brutal. L’auteur du Séfer ha’Hinoukh écrit que l’abattage sans motif d’un animal, exclusif de la recherche d’une nourriture ou du culte divin au lieu approprié, équivaut à un meurtre.20 C’est ainsi que le système sacrificiel nous enseignait en fait le respect de toute vie, même de celle d’un animal. Les peines les plus sévères étaient prévues contre celui qui aurait abattu un animal hors d’un lieu saint et contrairement à la loi applicable.

Ainsi, selon la Torah, celui qui venait offrir un sacrifice devait l’apporter au Temple de Jérusalem : " Quant aux choses saintes que tu posséderas et à tes offrandes votives, tu les apporteras au lieu que Dieu aura choisi " (Deutéronome 12, 26).21 En outre, il était important que l’offrant soit présent physiquement afin d’appuyer ses mains sur son animal avant qu’il soit dédié. Il était certes permis de transmettre son sacrifice à Jérusalem par l’entremise d’un intermédiaire, mais celui-ci ne pouvait pas accomplir le rite de l’imposition des mains sur l’offrande. Cette dernière, il est vrai, était valable en l’absence de ce geste rituel, mais le pardon n’était pas complet.22 Quant à l’abattage effectif du sacrifice, il ne pouvait, bien sûr, être effectué que par un Cohen.

Ainsi, toutes les fois que l’on commettait un péché nécessitant un sacrifice, on était tenu en fait, pour obtenir son pardon, d’effectuer un pèlerinage à Jérusalem. Une signification particulière était attachée à cette obligation du pèlerinage. Par sa faute, le pécheur avait manifesté que sa relation à Dieu n’était pas parfaite et complète ; aussi lui fallait-il se rendre en ce lieu pour la raffermir. Ce n’est qu’en cette ville qu’il pouvait recouvrer sa plénitude spirituelle, renouveler son engagement et se garder ainsi de récidiver.

Le Temple a été détruit par les Romains en l’an 68 de l’ère vulgaire et les sacrifices ont cessé d’être offerts depuis lors. On pèche aujourd’hui si souvent que si l’on devait apporter un sacrifice pour chaque faute, on le ferait tous les jours. Nous déclarons à Yom Kippour, pendant l’office de Né’ilah : " Nos sacrifices ne finiraient point, nos holocaustes seraient sans nombre s’ils étaient proportionnés à nos fautes. " Comme indiqué plus haut, c’est là la raison essentielle de l’abolition du système sacrificiel. Nous remplaçons aujourd’hui les sacrifices par la prière et par l’étude de la Torah, comme l’a dit le prophète : " Nous remplacerons les taureaux par les offrandes de nos lèvres " (Osée 14, 3).

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Il se dégage de ce qui précède une très importante leçon. Ce n’est pas par l’effet du hasard qu’une seule ville ait occupé une position aussi centrale dans le Judaïsme. La Torah la désigne à maintes reprises comme étant " le lieu que Dieu choisira ", et elle prescrit un grand nombre de rites qui obligeront le Juif à s’y rendre souvent en pèlerinage. Dieu savait que, pour que le peuple juif devienne digne de remplir sa mission, il lui faudrait un tel centre comme point de rassemblement.

Certes, la plupart de ces pratiques ont cessé aujourd’hui d’être observées. Jérusalem n’en a pas moins conservé son statut de point focal du Judaïsme. C’est Dieu Lui-même qui a décidé qu’elle serait une ville sainte, et ce qu’Il a décidé ne peut plus être rétracté. C’est pourquoi son statut de ville sainte n’a jamais cessé d’être en vigueur.24 Dieu considère qu’il est nécessaire qu’un tel point focal existe même de nos jours. Jérusalem continue d’être au cour du peuple juif, et de former le centre de sa mission.

Notes :

16. " Ainsi, l’homme est comme un ange de trois manières, et comme un animal de trois autres " (‘Haguigah 16a). Voir aussi Tan’houma Vayikra 8, Zohar 2,94b, 3,33b. Ramban sur Genèse 1,20, Lévitique 17,24, Ralbag sur Proverbes 12,10, Cha’aré Kedouchah 1,1, Or ha’Hayim sur Genèse 1,21, Lévitique 17,10, Likouté Amarim (Tanya) 1,1 (5b).

17. Etz ‘Hayim, Cha’ar Kitzour Abya 2 (Editions Aslag, Tel Aviv, 5720), 2ème volume, p. 395. Cf. Ramban sur Genèse 2,8, 3,22.

18. Cf. Yoma 9b, 39b, Tossefta, Mena’hoth 13,4, Yerouchalmi, Yoma 1,1 (4b), Bamidbar Rabba 7,10. Voir aussi Isaïe 1,11, Jérémie 7,11, Psaumes 50,12.

19. Yad, Ma’assé Korbanoth 18,2.

20. ‘Hinoukh 186.

21. Yad, Ma’assé Korbanoth 18,1, ‘Hinoukh 453.

22. Lévitique 1,4, 3,2, 3,8, 3,13, 4,4, 4,24, 4,29, 4,33, 16,21, Mena’hoth 93b, Yad, Ma’assé korbanoth 3,6 à 8.

23. Yoma 86b, Chemoth Rabba 38,4, Pessikta 6 (60b), Yalkout 2,479. Voir aussi Mena’hoth 110a, Ta’anit 27a, Meguilah 31a, Roch, Roch haChanah 4,14, Ora’h ‘Hayim 1,5.

24. ‘Hinoukh 95, Yad, Beth haBe’hirah 6,16.

Titre: « JERUSALEM, OEIL DE L’UNIVERS »

Auteur: Arieh KAPLAN

Editeur: EMOUNAH – NCSY/ORTHODOX UNION

Adaptation française : Jacques KOHN.

Le livre est en vente dans les librairies juives.

Extrait 2 : Le respect de la parole donnée

« L’IDEE MAITRESSE »

Le judaïsme : son programme, ses buts, ses fins

21. Le respect de la parole donnée

LES VŒUX / LES PROMESSES /

LES ENGAGEMENTS CHARITABLES

Si un homme fait un vœu au Seigneur, ou s’impose, par un serment, quelque interdiction à lui-même, il ne peut violer sa parole : tout ce qu’a proféré sa bouche, il doit l’accomplir. (Nombres 30, 3)

Quand tu auras fait un vœu à l’Eternel, ton Dieu, ne tarde point à l’accomplir. Autrement, l’Eternel, ton Dieu, ne manquerait pas de t’en demander compte, et tu aurais à répondre d’un péché. Si d’ailleurs tu t’abstiens de faire des vœux, tu ne seras pas répréhensible. Tu observeras tout ce qui sort de ta bouche, et tu procéderas selon tout ce que tu auras voué à l’Eternel, ton Dieu, une offrande volontaire à laquelle tu te seras engagé par ta bouche.

(Deutéronome 23, 22-24)

1°– Les promesses faites à Dieu 1

Nous sommes responsables envers Dieu, non seulement de la manière dont nous traitons notre corps, mais aussi de celle dont nous traitons nos paroles. Dieu attend de nous une attention soutenue à ce que nous disons, même si aucun tiers n’est concerné.

Une promesse faite à Dieu est sacrée. Sa rupture constitue donc un acte de profanation. Il n’a pas besoin, Lui, de nos dons, mais nous avons besoin de donner à Dieu, ou plutôt aux causes qu’Il tient pour importantes : les secours aux pauvres, le soutien de la Torah, de la synagogue, de la communauté.

Le problème que posent les vœux et les promesses est qu’il est facile de les prononcer lorsqu’on est d’humeur à le faire, mais bien plus difficile de s’exécuter lorsque sonne l’heure de payer. Un retard est souvent fatal. On doit donc donner, après avoir promis, dès que possible.

On a le droit de prononcer un vœu quand on est en difficulté, même si les circonstances ne permettent pas de s’en acquitter sur-le-champ.

Notre ancêtre Jacob a prononcé un tel vœu au moment où, alors qu’il était sans le sou, il a entrepris son voyage vers l’inconnu : « Si le Seigneur est avec moi, s’Il me protège dans la voie où je marche, s’il me donne du pain à manger et des vêtements pour me couvrir, si je retourne en paix à la maison paternelle […] alors je construirai la maison du Seigneur, et tous les biens que Tu m’accorderas, je veux t’en offrir la dîme » (Genèse 28, 20-22). Les difficultés nous sont envoyées pour nous mettre à l’épreuve et pour nous faire donner le meilleur de nous-mêmes. Dans de telles circonstances, il est bon de s’engager au maximum pourvu que l’on soit fermement résolu à tenir sa promesse le moment venu.

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2°– Un moyen de combattre le péché et de stimuler l’accomplissement

de nos devoirs

Lorsqu’un Juif, jadis, se découvrait une faiblesse morale, s’il lui arrivait, par exemple, de succomber fréquemment à la gloutonnerie, il formulait le vœu de s’abstenir, pendant une période définie, de certains mets précis. Ceux-ci lui devenaient alors tout aussi interdits que si Dieu Lui-même les avait proscrits dans la Torah. C’était une manière de s’obliger à plus de modération. De la même manière, si l’on se découvrait quelque indolence dans l’accomplissement de certaines mitsvoth, on pouvait s’imposer, par un vœu solennel, certaines tâches destinées à la combattre.

Il est rare, aujourd’hui, que l’on emploie de tels procédés. C’est pourquoi, lorsqu’on formule un engagement, comme celui d’accomplir un acte charitable ou d’accomplir quelque mitsvah ou une bonne action, on nous recommande d’ajouter les mots : « beli nédère », qui veulent dire : « Cette promesse n’est pas à considérer comme un vœu. » Nous estimons avoir accompli notre devoir si nous sommes capables d’observer les commandements de la Torah, sans qu’il faille en plus nous engager dans des résolutions émanant de notre seule volonté.

Le don fait par Adam 2

Le destin d’Adam voulait qu’il mourût le jour même où il a mangé le fruit défendu. Dieu lui a cependant octroyé la faveur de pouvoir vivre un de Ses jours, c’est-à-dire un millier d’années. Or, Adam n’a vécu, en réalité, que neuf cent trente ans. Comment cela se fait-il ?

Les rabbins nous enseignent que Dieu a montré à Adam toutes les générations à venir de l’espèce humaine, toutes les âmes destinées à vivre sur terre, ainsi que le nombre d’années accordé à chacune. Il lui en a aussi indiqué une qui était destinée à mourir à l’instant même de sa naissance, et à laquelle n’était promise aucune durée. C’était celle du roi David. Adam se prit de compassion pour cette âme et il demanda à Dieu s’il était possible de lui faire un don en années. « C’est possible » répondit Dieu. « Dans ce cas, déclara Adam, je lui fais don de soixante-dix années de mon existence, afin qu’elle puisse vivre elle aussi. » « Fort bien ! accepta Dieu. Je te demanderai toutefois de signer un acte écrit confirmant ton engagement. » Ce que fit Adam.

Lorsque neuf cent trente années se furent écoulées, Dieu dit à Adam : « L’heure est venue, Adam ! Tu as fini de vivre le temps qui t’était imparti.

Pourtant, rétorqua Adam, ne m’avais-Tu pas annoncé que je vivrais pendant un jour plein, à savoir pendant mille ans ? –

Ne te rappelles-tu pas avoir offert soixante-dix de tes années à cette âme promise à la mort dès le jour de sa naissance ? » –

Certainement pas ! s’exclama Adam. A-t-on jamais entendu dire que l’on puisse donner à un autre une partie de sa propre vie ? –

Si tu ne t’en souviens pas, le papier que voici, portant ta signature, te le rappellera sans doute. » Nous apprenons de là que ce qui peut, aujourd’hui, apparaître comme un don insignifiant, pourra se présenter demain, lorsqu’il faudra nous exécuter, comme un immense sacrifice.<br>

Notes :

1. D’après H 70.

2. D’après Beréchith Rabba Genèse 5, 1.

Titre: « L’IDEE MAITRESSE »

Auteur: Aryeh CARMELL

Editeur: EMOUNAH

Adaptation française : Jacques KOHN.

Le livre est en vente dans les librairies juives.

4. PREDICTIONS REALISEES

IV

Prédictions réalisées

Section 1.

Sur la base des deux derniers chapitres, nous pouvons tirer deux conclusions : (1) Pour agir de manière responsable, il faut rechercher la vérité et utiliser la meilleure approximation que l’on peut en obtenir comme base de son action; agir sur la base de considérations pragmatiques sans égards pour la vérité est irresponsable, tout comme le sont des exigences de disposer de preuves absolues avant d’agir. (2) La somme exacte d’indices qui doit être réunis pour requérir action ne saurait être déterminée avec précision; elle reste sujette à controverse. Ce qu’il nous faut ainsi démontrer en l’espèce, c’est qu’il y a assez d’indices pour se décider, et ce quelle que soit la mesure utilisée pour prendre des décisions responsables. L’argument invoqué ici est celui de la cohérence : si vous gardez vos standards usuels pour agir de manière responsable, il vous faut vivre en conformité avec la Torah .

Nous allons maintenant commencer à passer en revue les différents arguments. A titre préliminaire, j’aimerais toutefois faire deux remarques de mise en garde. Tout d’abord, lorsqu’un argument est présenté, cela pour conséquence de renforcer la crédibilité de l’hypothèse de la véracité de la Torah. Répondre qu’il est toujours concevable que la Torah soit fausse est exact, mais hors propos. Le but n’est pas de réfuter toutes les alternatives concevables, mais simplement de présenter le Judaïsme comme l’alternative la plus probable.

Deuxièmement, à ce stade nous ne faisons que rassembler des indices; ceci signifie qu’aucun d’entre eux n’emportera normalement la décision par lui-même. Pour prendre le parallèle d’un procès pénal, il n’est en soi pas suffisant pour condamner un meurtrier de trouver ses empreintes digitales sur la scène du crime, ni de découvrir dans sa maison une arme similaire à celle qui a donné la mort, ni qu’il ait un motif, ni de l’avoir vu sur place à l’heure du crime. Mais le poids de l’ensemble peut par contre être suffisant. Donc, pour me répéter une fois encore, il ne serait pas pertinent de répondre : "cet indice n’est pas suffisant pour justifier la croyance que la Torah dit vrai". Bien sûr que non, aucun indice ne pourrait suffire à lui seul; seul l’ensemble pèse suffisamment lourd; or, ce ne sera que dans le dernier chapitre que nous procéderons à une synthèse de tous les arguments; d’ici là, il nous faut examiner chacun d’entre eux pour vérifier s’il est pertinent, si c’est-à-dire s’il indique bien que l’hypothèse la plus plausible est que la Torah dise vrai.{mospagebreak}

Section 2.

Aux chapitres 28 à 30 du Deutéronome se trouve une prédiction de ce qui arrivera au peuple juif s’il ne vit pas à la hauteur des attentes de la Torah. Il y est annoncé une conquête militaire accompagnée d’un massacre gratuit de la population, hommes et femmes, enfants et vieillards, etc; sont également prédits un exil conduisant à une dispersion de la population dans le monde entier, ainsi que l’absence de tout gouvernement indépendant pendant toute la période de diaspora mondiale subséquente. Une des conséquences annoncées de cet exil sera que les Juifs seront ramenés en bateau en Egypte pour y être vendus comme esclaves, mais qu’ils n’y trouveront pas d’acheteurs. Néanmoins, et toujours selon le texte, le peuple Juif survivra, ne sera jamais complètement détruit, et retournera finalement vers la Terre d’Israël. Enfin, il est également prédit que le conquérant parlera une langue que le peuple Juif ne comprendra pas.

Ainsi qu’il a été démontré au long du chapitre II, il est crucial que cette prédiction soit spécifique aux Juifs, c’est-à-dire que nul autre peuple ne saurait y croire; si tel n’est pas le cas, il lui est impossible de remplir le rôle d’expérience-clé, car elle ne permet pas d’effectuer une distinction entre les prétentions des Juifs et celles des autres peuples. Par conséquent, il nous faut nous demander pour chacun des détails de cette prédiction si sa réalisation aurait pu être expliquée par une analyse sociologique des conditions de l’époque, ou par une idéologie concurrente – ou bien s’il s’agit de quelque chose que seule une vision juive de l’Histoire permet d’expliquer.

[Bien sûr, si quelqu’un accepte cette prédiction sur la base de nos sources, cela ne saurait compter contre nous ! Si les Chrétiens et les Musulmans acceptent les chapitres 28 à 30 du Deutéronome et prédisent que les Juifs seront exilés en conséquence de leur échec à vivre en conformité avec la Torah, le fait les trois religions sont d’accord sur cette prédiction.]

Examinons maintenant quels sont les détails de cette prédiction qui auraient pu être expliqués par un observateur au point de vue différent de celui de la Torah. Prédire une conquête n’est vraiment pas très difficile : tout le monde est conquis un jour ou l’autre.

La prédiction mentionne également une destruction totale, la décimation de la population et l’exil; ceci était plus rare dans le monde antique. C’était certes possible, mais peu fréquent en pratique, car le but des conquêtes était essentiellement économique. Il s’agissait habituellement d’obtenir des colonies et de les soumettre à taxation; or, il est clair que vous ne pouvez pas taxer une population si vous la massacrez ou l’exilez. Ces considérations n’excluent à l’évidence pas le pillage : bien sûr que les conquérants peuvent prendre tout l’or et l’argent, les pierres précieuses, les tissus de prix, et ainsi de suite, réduire les jeunes hommes forts et robustes en esclavage et prendre les belles jeunes filles dans un but sexuel. Mais ils ne détruiront pas gratuitement le reste de la population, parce qu’ils se priveraient ainsi d’une source de revenus ! Pendant leurs 300 années de règne, les Romains ne firent subir ceci qu’à Carthage et aux Juifs. Ainsi, les prédictions du massacre et de l’exil de la population n’auraient pas vraiment pu être anticipées, car elles n’étaient pas dans la norme du monde antique.

Passons maintenant à la prédiction selon laquelle le conquérant parlera un langage inintelligible. Pourquoi devrais-je le croire a priori ? Généralement, les langues parlées dans les pays voisins étaient comprises. Il y avait assez de commerce et d’autres possibilités de se déplacer pour que chacun puisse se familiariser avec la langue de l’autre; n’aurions-nous pas pu être conquis par un voisin ? Ou bien par un pays parlant une "langue internationale" ? Bien des Juifs comprenaient le grec, qui était similaire à l’époque à ce qu’est l’anglais aujourd’hui. Les contrats, le commerce, la diplomatie, tout était fait en grec. Si une nation parlant le grec nous avait conquis et exilés, la prédiction n’aurait pas été réalisée; mais ce sont les Romains qui nous ont envahis; ils parlaient le latin, langue avec laquelle les Juifs n’étaient pas familiers.

Admettons qu’une nation soit exilée; en vertu de quel facteur doit-elle alors finir éparpillée dans le monde entier ? Pourquoi la dispersion serait-elle une conséquence inéluctable de l’exil ? Tous ceux qui ont été arrachés à leur pays n’ont pas établi finalement des communautés partout; même l’exil babylonien 500 ans auparavant n’a pas entraîné ces conséquences : la plus grande partie de la population a été emmenée en Babylonie, un large groupe est descendu vers Alexandrie en Egypte, mais il y avait encore de nombreuses places dans le monde sans population juive.

Et même si, pour une raison ou pour une autre, il devait y avoir un exil, comment aurait-il été possible de prévoir que certains captifs seraient amenés en Egypte par bateau pour y être vendus, et qu’ils n’y trouveraient pas d’acheteurs ? Il est vrai qu’il y avait là un florissant commerce d’esclaves et que les itinéraires étaient connus, mais qui aurait pu dire que cela allait forcément se passer ?{mospagebreak}

Section 3.

Toujours dans cette hypothèse de prédiction d’un exil mondial : comment aurait-on pu être sûr qu’à aucun moment les Juifs ne seraient à même de former un gouvernement indépendant quelque part dans le monde ? N’oubliez pas que nous parlons d’il y a 2000 ans; à cette époque, le monde n’était pas organisé comme aujourd’hui, avec des cartes et des frontières, chaque millimètre carré de terrain étant réclamé par l’une ou l’autre nation, parfois 2 ou 3. Au contraire, de vastes territoires ne faisaient l’objet d’aucune prétention, n’étant tout bonnement pas civilisés; ils restaient simplement à l’état sauvage; par exemple, c’était le cas de certaines parties de la Russie, de l’Afrique du Nord, de la Péninsule Arabique et de l’Afrique Centrale. Qui aurait pu dire que les exilés juifs ne formeraient jamais de société indépendante dans l’un ou l’autre de ces endroits ?

Chacune de ces prédictions, considérée d’un point de vue neutre et non pas juif, c’est-à-dire de la manière dont un Bouddhiste, un Hindou, un Taoïste, un Confucianiste ou un Athée verrait les choses, n’avait aucune raison de se réaliser; dans cette optique, il est impossible d’expliquer qu’elles aient été par la suite vérifiées.

S’il fallait attribuer une probabilité à chaque détail de cette prédiction, et que l’évaluation était faite sur la base d’un point de vue non-juif, cette probabilité serait forcément très basse. Une destruction totale suivie d’un exil, disons que cela se passait dans 10% des guerres de l’Antiquité; cela signifie qu’un observateur non-juif lui donnerait une probabilité de 1/10. Combien de fois le conquérant parlait-il une langue inconnue ? Nous ne le savons pas : les pays voisins se combattaient les uns les autres, et les langages des grands empires étaient largement connus; disons généreusement que cela arrivait un quart du temps, nous donnant ainsi une probabilité de ¼. Une dispersion mondiale suite à l’exil, pour ce que j’en sais, n’arrivait purement et simplement jamais; si nous voulions être stricts, la probabilité serait de 0 ! Mais soyons généreux et donnons-lui une probabilité de 1/10. L’incapacité d’une nation dispersée à travers le monde à s’organiser en société indépendante, à nouveau, est un événement dont j’ignore la probabilité; admettons qu’elle soit d’un quart. Enfin, la survie dans ces conditions et le retour au pays forment un scénario qui ne s’est jamais passé dans l’histoire du monde – nous devrions lui attribuer une probabilité nulle ! Mais soyons généreux et disons 1/10.

En considérant cet ensemble de prédictions comme une séquence d’événements avant chacun sa probabilité propre, il est aisé d’obtenir la probabilité de réalisation du tout en multipliant les probabilités individuelles. Donc, si nous multiplions 1/10 * 1/4 * 1/10 * 1/4 * 1/10, nous obtenons une probabilité de 1/16000. Ce très petit nombre représente la confiance qu’aurait eue un observateur neutre que la prédiction entière se réalise. Quelles sont les chances qu’une telle séquence d’événements se réalise ? Une chance tous les 16’000 essais. Sur la base des faits dont l’observateur moyen dispose, il n’a aucun moyen pour expliquer comment elle a pu se réaliser.

Et pourtant, les événements décrits se sont bien passés; dès lors, nous avons ce que j’appelais plus haut une prédiction spécifique, une prédiction dont nul autre ne peut expliquer la vérité. Quiconque aurait pris connaissance de cette prédiction avant qu’elle ne se réalise l’aurait traitée de pure fantaisie. Par conséquent, lorsqu’elle se réalise vraiment, elle contribue à établir la véracité du Judaïsme. Elle est un élément de preuve pertinent.

[Quatre remarques techniques à ce stade : (1) De nombreux points de détail du chapitre 28 du Deutéronome ont été délibérément omis. Il y a deux raisons à cela : soit le langage dans lequel ils sont exprimés est trop poétique pour être défini avec précision (nous ne pouvons ainsi pas prouver que le texte voulait bien dire ce qui s’est ensuite passé); soit ces détails sont des prédictions d’événements très vraisemblables dans le cadre d’une destruction et d’un exil; ils ne réduiraient ainsi pas de manière significative la probabilité globale. (2) Certaines des probabilités mentionnées ci-dessus sont conditionnelles : une dispersion mondiale étant donné l’exil; pas d’indépendance étant donnée la dispersion mondiale; la survie et le retour étant donnée la dispersion; c’est seulement quand elles sont comprises de cette manière qu’il est légitime de les multiplier entre elles pour obtenir la probabilité de survenance de l’ensemble. Mes nombres ne sont conçus que comme des estimations (bien trop généreuses) de ces probabilités. (3) Il s’agit de probabilités que ces prédictions se réalisent, pas qu’elles soient faites. Nous pouvons aisément conjurer quantité de raisons pour lesquelles quelqu’un voudrait faire une prédiction effrayante, mais nous serions très surpris si les événements annoncés survenaient vraiment. (4) Puisqu’il existe de très nombreuses nations, il n’est peut-être pas surprenant que l’une d’entre elles endure les malheurs annoncés au chapitre 28 du Deutéronome. Pourquoi trouvons-nous alors étonnant que cela nous soit arrivé ? Parce que nous avons prédit que cela nous arriverait à nous, et c’est ce qui s’est passé.]

Considérez le parallèle suivant : supposez que nous lancions 1000 pièces de monnaie en l’air et que nous prédisions que l’une d’elles tombera 10 fois de suite sur le côté "face"; la réalisation de cette prédiction n’aurait bien sûr rien de surprenant. Mais si nous prenions une pièce donnée et que nous prédisions qu’elle tombera 10 fois de suite sur "face", le fait qu’il y ait d’autres pièces lancées en même temps devient non pertinent – les chances contre cette pièce-là sont toujours de 1024 contre 1, et dès lors la survenance de l’événement annoncé étonne.

La prophétie du chapitre 28 du Deutéronome n’aurait-elle pas pu se réaliser par simple hasard ? Si, sans doute. Je le concède d’autant plus aisément que nous ne suivons pas Descartes; nous ne sommes pas intéressés par une simple possibilité. Nous ne sommes intéressés que par une hypothèse qui soit quelque peu étayée; n’importe quoi peut arriver par hasard, mais la probabilité de la survenance aléatoire de cet événement-ci est de un sur seize mille. Ceci indique que l’auteur, quel qu’il ait été, avait accès à une source d’informations qui dépassait le naturel. Nous ne savons pas pour l’instant ce que cette source était, ni comment la décrire. En ne cherchant à ne dériver que des conclusions minimales, voilà en résumé ce qu’il me semble qu’on peut déduire la prophétie du chapitre 28 du Deutéronome.

Finalement, il me faut répéter une fois encore que je ne suis pas en train d’essayer de prouver la véracité du Judaïsme sur la base d’une seule prédiction. Une prédiction réalisée ne prouve que rarement l’exactitude d’une théorie; je ne fais que signaler la présence d’un argument pertinent. La justification complète ne viendra que plus tard, lorsque nous prendrons en compte tous les éléments dans leur ensemble. Mais il s’agit certainement là d’un élément objectif qui doit nous intéresser : il a au moins le mérite d’indiquer que la quête de vérité justifiable du réaliste n’est pas vaine.

5. ARCHEOLOGIE

V

Archéologie

Section 1.

La Torah contient de vastes quantités de données historiques. Sur cette base, il est également possible de poser la question de la vérité de la Torah. Des doutes ayant été soulevés quant à la validité de la Bible en tant que source de l’histoire antique, nous nous devons d’en parler quelque peu.

La Bible parle de la vie des Patriarches, de guerres, de migrations, de famines, de mariages, et de toutes sortes d’événements de l’histoire antique. Quelle est la fiabilité de ces récits ? Une méthode populaire pour examiner la fiabilité de la Bible peut être décrite de la façon suivante : la Bible étant ce qui est en question, nous ne pouvons pas assumer qu’elle dise vrai; par conséquent, quand nous trouvons des récits anciens, comme par exemple des hiéroglyphes antiques, des documents Syriens ou Babyloniens, nous sommes à même de les confronter avec la Bible. Si cette dernière donne les mêmes renseignements, c’est une indication et une preuve que la Bible est correcte; dans le cas contraire, nous constatons que la Bible est erronée. Cette méthode d’établir l’exactitude de la Bible en tant que récit historique est objective et neutre.

Trouvez-vous cela juste ? J’espère que non, parce que ça ne l’est pas. Le simple fait que la Bible contredise d’autres récits anciens ne signifie pas encore que la Bible a tort; peut-être sont-ce les autres sources qui sont erronées ! Une simple contradiction prouve uniquement que quelqu’un a tort; pourquoi assumer que c’est la Bible ? Ce serait avoir un biais contre elle. Lorsqu’il y a une contradiction entre la Bible et d’autres sources anciennes, la question est : comment pouvons-nous comprendre au mieux la nature du conflit, et à quelles sources pouvons-nous nous fier ?

Lors de cette évaluation, il vous faut connaître un fait à propos duquel tous les historiens et les archéologues s’entendent : tous les récits anciens ont été écrits en tant qu’œuvre de propagande. Leur fonction était de glorifier les pouvoirs de l’époque, ce qui fait qu’ils ne mentionnaient jamais leurs propres défaites. Après tout, les scribes étaient des employés. Par exemple, vous constatez ce phénomène dans le type d’événements historiques suivants : des hiéroglyphes indiquent que le Pharaon X a rassemblé une large armée et conquis un certain nombre de provinces, et que son fils le Pharaon X Junior a mobilisé une armée encore plus grande et conquis encore plus de provinces. Puis il y a un trou de cent ans dans l’histoire. Que s’est-il passé pendant ces 100 années ? Pour le savoir vous devez aller consulter les archives babyloniennes. C’était l’époque où les Babyloniens battaient les Egyptiens à plate couture. Les Egyptiens ne le mentionnent pas parce que ce n’est pas très flatteur pour leur empire; ils restent purement et simplement muets sur le sujet.

Une bonne illustration de ce principe est la question de l’Exode : pourquoi aucune archive égyptienne antique ne mentionne-t-elle l’Exode ? La réponse est que les Egyptiens n’enregistraient jamais leurs défaites. Donc, comme l’Exode était une défaite majeure, on ne peut pas s’attendre à le voir mentionné nulle part. Son absence de leurs archives n’est ainsi pas un argument contre l’Exode.{mospagebreak}

Section 2.

Dans un débat portant sur l’établissement de l’histoire antique, la question-clé est celle de l’archéologie. C’est l’archéologie qui est supposée découvrir les preuves matérielles que certains événements se sont passés ou non. Je vais donc brièvement passer en revue la situation archéologique pour ce qu’il en est de la narration biblique. La plus grande partie provient d’un livre intitulé Biblical Personalities in Archeology (L’archéologie et les personnages bibliques, N.D.T.), par Léah Bronner.

Il y un siècle, on partait de l’idée que l’histoire biblique était correcte pour l’époque postérieure aux Rois David et Salomon, à peu près. Bertrand Russell écrit dans son livre History of Western Civilization (L’Histoire de la Civilisation Occidentale, N.D.T.) que nous pouvons présumer que David et Salomon ont bel et bien existé. Avant David et Salomon, en l’absence de preuves d’aucune sorte, la vue dominante considérait que les récits bibliques étaient tout simplement des mythes, des histoires inventées pour glorifier des ancêtres légendaires, c’est-à-dire inexistants, de manière à créer une Histoire grandiose pour le peuple. Bien des nations firent cela, tels les Grecs, et on pensait qu’il en allait de même pour les Juifs.

Pour déterminer si l’on est en présence d’un mythe, il y a un signe qui ne trompe pas : la personne qui écrit un récit censé s’être passé longtemps auparavant projette dans le passé ses propres conditions d’existence. Ne sachant pas que 500 ou 1000 ans auparavant la vie était très différente, elle assume que les conditions étaient plus ou moins identiques aux siennes et extrapole sur la base de sa propre expérience. Par la suite, quand l’archéologie découvre que les conditions n’étaient pas celles décrites dans le récit, nous comprenons que nous sommes en présence d’un mythe. Par exemple, on aura pu attribuer aux ancêtres des armes qu’ils n’avaient pas encore inventées, des animaux qu’ils n’avaient pas encore su domestiquer, des itinéraires commerciaux qu’ils n’avaient pas encore tracés, des colonies qu’ils n’avaient pas encore fondées, etc. Ceci est la manière de déterminer qu’un texte est un mythe, et l’assomption quant à la réalité historique du récit biblique avant David et Salomon était qu’il s’agissait simplement de légendes.

Mais, dans le cas de la Bible, l’archéologie a révélé exactement le contraire : une myriade de détails que la Bible fournit à propos de la qualité et des conditions de vie des Patriarches apparaissent être exactes au dernier degré. La précision de ces détails est totalement inexplicable si vous considérez qu’il s’agit d’un processus normal de formation d’un mythe.

C’est ainsi que par exemple toutes les migrations d’Abraham se firent toujours dans le Sud d’Israël, jamais dans le Nord. Or, à l’époque où Abraham a vécu selon la Bible, la partie septentrionale d’Israël n’était pas habitée. Plus tard, au moment où le mythe est censé avoir été écrit, elle l’était. Si donc quelqu’un avait écrit le mythe après coup et avait projeté ses propres conditions d’existence dans le passé, il n’y aurait eu aucune raison pour lui de discriminer contre le Nord d’Israël.

Un autre exemple : les noms d’Abraham, Isaac, Jacob, Laban et Joseph, qui étaient tous communément utilisés au temps des Patriarches, tombèrent en désuétude par la suite. Ils apparaissent sur des inscriptions archéologiques de la période correspondante, mais jamais ultérieurement. Dans la Bible, ces noms ne sont utilisés que dans le Livre de la Genèse. Or, quelqu’un est censé avoir écrit une légende 500 ans après; comment a-t-il réussi à trouver précisément les noms corrects pour l’époque en question ?

En ce temps-là, la coutume voulait que si un couple était sans aucune progéniture, le mari prenait une servante de sa femme comme concubine et en avait un enfant. Si la première femme donnait par la suite également le jour à un enfant, celui de la servante bénéficiait d’une protection légale et ne pouvait être déshérité. Cette protection fut abandonnée dans les siècles postérieurs. Dans la Bible, nous voyons effectivement Abraham et Sarah suivre cette procédure. La loi de l’époque interdisant l’expulsion du fils de la servante, nous comprenons bien pourquoi, lorsque Sarah dit à Abraham de jeter Ishmaël hors de la maison, la Torah dit que ce fut "très mauvais aux yeux d’Abraham" : c’était mauvais parce qu’allant à l’encontre de la loi prévalant à cette endroit. L’expulsion n’était pas prohibée au cours des siècles ultérieurs, seulement dans ce siècle-là : si le texte avait été rédigé 500 ans plus tard par projection dans le passé, il serait impossible d’expliquer comment ce détail véridique a pu être inséré.

Un argument utilisé par les tenants du caractère mythologique du récit biblique est celui de la domestication des chameaux. Les Patriarches sont dépeints comme utilisant des chameaux comme animaux de transport; on pensait qu’il s’agissait là d’un anachronisme : les chameaux ne furent domestiqués que plus tard, mais les générations ultérieures, ne sachant pas que leurs ancêtres n’avaient pas de chameaux, leur en attribuaient, tout comme eux en avaient. Leurs glorieux ancêtres ne pouvaient en aucun cas leur être inférieurs.

Mais il apparaît que l’ignorance est finalement à trouver du côté de l’archéologie. Les tablettes de Canophori, en Syrie du Nord, qui datent du 18ème siècle avant l’ère chrétienne, établissent une liste des animaux domestiques, et le chameau y est expressément mentionné. Une autre découverte archéologique montre un chameau en position agenouillée. Un sceau daté de cette époque a pour illustration un cavalier assis sur un chameau. En fin de compte, le récit biblique, loin d’être une projection anachronique d’une réalité ultérieure, se trouve confirmé.

De nombreux exemples traitent de Joseph. Prenez par exemple le prix d’un esclave : Joseph est présenté par le texte comme ayant été vendu pour vingt pièces d’argent. Or, il est démontré que c’était le prix exact d’un esclave au temps de Joseph, et à nulle autre époque. Les esclaves étaient meilleur marché auparavant, et de plus en plus chers par la suite. Imaginez quelqu’un écrivant ce détail 500 ans après; comment aurait-il pu connaître le prix des esclaves un demi-millénaire auparavant ? Il ne l’a certainement pas trouvé par accident.

De même quant à dormir sur des lits en Egypte : en Palestine, ils dormaient à l’époque sur le sol, tandis qu’en Egypte ils dormaient sur des lits, et c’est pourquoi la Torah mentionne précisément que lorsque Jacob était en Egypte, il mourut sur un lit.

L’investiture de Joseph comme vice-roi d’Egypte suivit la procédure en vigueur à l’époque : il se tint devant Pharaon et eut la tête rasée parce que telle était la coutume des Pharaons de l’époque. Il avait un collier autour de son cou et un anneau à son doigt. Nous connaissons des hiéroglyphes qui décrivent très précisément cette procédure, tout comme la parade dans un char inférieur seulement à celui du roi. Tous ces détails sont vrais.

Les détails, au moins, sont corroborés par l’archéologie. L’assomption normale que le récit a été écrit postérieurement aux faits décrits et projeté dans le passé est ainsi purement et simplement infondée.{mospagebreak}

Section 3.

Je ne veux pas cacher le fait que certaines questions se posent encore : elles doivent être examinées avec attention pour déterminer leur nature. L’Exode, par exemple, est un cas d’école. Si l’Exode vraiment a eu lieu, quelles sortes de traces archéologiques s’attend-on à découvrir ? Nous parlons d’un grand nombre de gens quittant l’Egypte. On s’attend à trouver des ustensiles, des vêtements, des récipients, des armes, tout cela éparpillé un peu partout dans le désert. Et pourquoi pas des os ? Les gens meurent, surtout s’ils restent dans le désert pendant 40 ans. Il est pourtant avéré que l’on ne trouve rien du tout. Jusqu’à présent, aucune preuve archéologique de l’Exode n’a été trouvée.

Est-ce que ceci milite contre le récit de la Torah ? En fait, tout dépend de ce qui est examiné. Etes-vous en train de tester le récit biblique ? Si c’est le cas, il vous faut le faire dans ses propres termes; vous devez l’accepter en entier. Si vous prenez un élément du récit biblique, que vous y greffez des hypothèses non-bibliques et testez le conglomérat, rien de bon n’en ressortira, car personne ne croit en la véridicité ce conglomérat.

Dans le cas de l’Exode, la Torah dit explicitement que les vêtements ne s’usèrent pas durant la période de 40 ans (Deut. 8:4). Donc, si vous fouillez le désert pour y trouver des vêtements éparpillés, vous ne cherchez pas à examiner l’exactitude de la Bible. Elle dit elle-même que vous n’y trouverez rien, que les vêtements n’y sont pas ! En recherchant des habits, vous testez une hypothèse composite, c’est-à-dire qu’il y ait eu un Exode comme dans la Bible, mais en y ajoutant une notion naturaliste que la Bible dénie (N.D.T. : le naturalisme est une doctrine philosophique qui affirme que la nature n’a pas d’autre cause qu’elle-même et que rien n’existe en-dehors d’elle – le Petit Larousse Illustré). Personne ne croit à la vérité de ce mélange ! Si vous voulez tester l’histoire biblique, il vous faut la prendre dans son entier, avec tous ses détails.

De même avec les ossements : la Bible ne donne aucun détail sur la manière dont les gens mouraient, mais la tradition juive (le Midrash) rapporte que chaque année, le 9 Av, les Hébreux creusaient une immense tombe collective dans laquelle tout le monde se couchait; le lendemain, les survivants se relevaient, et ceux qui étaient morts étaient enterrés à cet endroit, lequel devenait leur tombe. Ils ne décédaient donc pas de manière régulière, avec des tombes égrenées sur toute l’étendue du désert.

De plus, le désert du Sinaï est une zone d’une étendue considérable, et le sable se déplace avec le temps. , surtout sur 3000 ans. Où exactement creuseriez-vous ? A quelle profondeur ? A combien d’excavations devrez-vous procéder avant d’avoir une chance de trouver quoi que ce soit ? On ne peut même pas compter sur 39 sites mortuaires, parce qu’il y a des endroits où ils séjournèrent plusieurs années; il y a peut-être 20 sites mortuaires sur toute l’étendue du désert du Sinaï. A combien d’excavations devriez-vous procéder pour obtenir une probabilité raisonnable de trouver l’un de ces 20 sites, chacun ayant à peu près la taille de 3 pâtés de maisons ? Le fait qu’ils n’aient pas encore trouvé les traces recherchées n’a ainsi aucune force probante; ce n’est en tout cas pas un argument contre l’Exode.{mospagebreak}

Section 4.

C’est l’archéologue Kathleen Kenyan qui a conduit les fouilles de Jéricho; elle prétend que la meilleure date que nous puissions donner de l’entrée du peuple Juif en Terre d’Israël est l’an 1400 avant l’ère commune. Constatant un écart de 150 ans entre la destruction de Jéricho et l’entrée du peuple juif dans le pays, elle en conclut qu’on ne peut pas attribuer aux Juifs la destruction de Jéricho. Ils l’auraient simplement imputée à leurs ancêtres, de sorte à les glorifier.

Comment cette archéologue en est-elle arrivée à la conclusion que la ville de Jéricho ne saurait avoir été détruite postérieurement à 1550 avant l’ère commune ? [Pour plus de détails sur ce qui va suivre, voyez la Biblical Archeological Review (Revue d’archéologie biblique, N.D.T.), Mars / Avril 1990, pp. 44-56.] Son argumentation est fondée sur l’absence de toute poterie cypriote importée; un certain type de poterie était importé de Chypre dans cette région pendant toute la période s’étendant entre 1550 et 1400 avant l’ère commune, et elle n’en trouva aucun exemplaire à Jéricho; elle en déduit que Jéricho doit avoir été détruite avant 1550 avant l’ère commune.

Mais cette conclusion est contestable, et peut en fait être attaquée sous 4 angles différents :

(1) Quant à la méthode : les conclusions basées sur une absence sont toujours particulièrement faibles (cf. ci-dessous).

(2) Elle remarque elle-même que Jéricho n’était située sur aucun des itinéraires commerciaux majeurs – est-ce dans un endroit isolé que vous espérez découvrir de la poterie importée ?

(3) Deux sondes ont été enfoncées dans ce qu’elle décrit comme étant le quartier le plus pauvre de la cité. Est-ce là que vous vous attendez à trouver de la poterie importée ?

(4) Elle a totalement ignoré le fait que de la poterie trouvée lors de précédentes excavations a été datée d’époques postérieures à 1550 avant l’ère commune.

N’oubliez pas que le gouvernement britannique l’a pourtant adoubée chevalier pour ses contributions en matière d’archéologie ! Ce n’est pas ici la place de se livrer à des spéculations sur ce qui peut conduire à tenir ce type d’argumentation branlante, mais nous n’avons certainement pas à renoncer nous sentir menacés dans nos vues par des critiques de ce genre !

En réalité, l’archéologie biblique beaucoup évolué au cours de ces 100 dernières années; elle était très critique au départ ("aucun élément de la narration biblique ne s’est vraiment passé, tout n’est que pure invention") puis, petit à petit, morceau par morceau, cet état d’esprit a été contredit par une myriade de détails. Non pas qu’ils aient totalement renoncé à toutes leurs vues originelles : ils tiennent toujours bon sur quelques points, dont ils pensent que la vérité n’a pas été suffisamment établie. Mais nous pouvons à tout le moins déduire deux conclusions : premièrement, la tendance générale est à la vérification progressive; l’archéologie corrobore de plus en plus le récit historique de la Torah. Deuxièmement, nous avons maintenant un aperçu quant à leur vision des choses : ils commencent en étant complètement négatifs et, petit bout par petit bout, admettent à contrecœur que certaines parties ont été vérifiées. En d’autres termes, ils imposent un standard de preuve déraisonnable pour la Bible.

L’archéologie peut parfois établir un fait positif : s’il est avéré qu’une ville a été brûlée, pillée ou détruite, on peut en déduire que cet événement arrivé suite à une action militaire. Il est par contre très difficile pour l’archéologie d’établir un fait négatif, c’est-à-dire que quelque chose n’est jamais survenu. Pour cela, il faut subodorer que si l’événement s’était passé, il en resterait des traces dans tel ou tel endroit; mais cette évaluation se révèle très complexe : comment savez-vous qu’il vous faut chercher dans un endroit donné et pas ailleurs ? Peut-être n’est-ce pas là la place que vous croyez : certaines cités ont été identifiées à 3 ou 4 endroits différents ! Souvenez-vous : les archéologues pensaient que les chameaux n’avaient pas été domestiqués à l’époque des Patriarches tout simplement parce qu’il se trouvait qu’ils n’avaient pas encore découvert tel sceau cylindrique ou tel hiéroglyphe spécifique; une fois qu’ils les eurent trouvés, ils comprirent que les chameaux avaient bel et bien été domestiqués.

Aussi, attention à l’archéologie lorsqu’elle prétend avoir prouvé l’absence de quelque chose; établir qu’une guerre n’a pas eu lieu, qu’une habitation n’a jamais existé ou qu’untel n’a pas été roi est très malaisé. Lorsqu’elle pense avoir prouvé l’existence d’un fait positif, l’archéologie est plus crédible. Bien sûr, même dans ce cas ses découvertes sont sujettes à interprétation et ne sont pas complètement fiables. Quoi qu’il en soit, je pense que nous sommes aujourd’hui à même de dire que l’archéologie ne présente pas autant de problèmes qu’autrefois. Elle est encore en évolution : de nouvelles découvertes sont encore en train d’être faites, des conclusions tirées, et il reste encore beaucoup à apprendre. Les nouvelles découvertes archéologiques prouvent progressivement, mais pour l’instant seulement partiellement, que la présentation de l’Histoire faite par la Torah est corroborée dans la réalité.

Je vais terminer ce chapitre par une idée due à William Albright, idée que je trouve fascinante pour l’éclairage général qu’elle jette sur l’histoire antique. Albright a trouvé une preuve que les Juifs ont influencé les Grecs. En effet, les noms des lettres hébraïques sont des mots hébreux : Alef, Bet, Guimel, Dalet, etc, ont tous un sens en hébreu; les noms des lettres grecques ont de toute évidence un lien avec leurs homologues hébraïques : Alpha, Bêta, Gamma, Delta, etc. Mais ces sons ne veulent rien dire en grec. Comment les Grecs ont-ils choisi ces noms pour leurs lettres ? Albright dit, et ceci a été par la communauté archéologique en général, qu’ils les ont pris aux Juifs. Il est concevable que cela se soit fait par voie indirecte, via les Philistins qui les auraient prises aux Juifs pour les donner aux Grecs, mais l’alphabet viendrait en dernière analyse des Juifs.

Or, si les noms même des lettres de l’alphabet grec leur vient de nous, pourquoi n’en irait-il pas de même d’autres éléments culturels ? Il est établi qu’il y a eu influence et qu’ils nous ont repris quelque chose; or, le nom des lettres de l’alphabet est absolument fondamental. Qui sait ce qu’ils ont pu reprendre d’autre ? Au lieu de réfléchir à la question de savoir comment les Grecs ont influencé les Juifs, un nouveau champ de recherche s’ouvre à nous : celui des influences juives sur les Grecs !