Le Livre « des juges »
Le livre des « Juges »
Nous commençons ici une série d’articles consacrés au livre du Tanakh appelé Séfèr Choftim (« Livre des “Juges” »)
Le livre des « Juges »
Nous commençons ici une série d’articles consacrés au livre du Tanakh appelé Séfèr Choftim (« Livre des “Juges” »)
VI
Révélation et miracles – le principe du Kuzari
Section 1
Je vais maintenant présenter un argument-clé en ce qui concerne la croyance dans les miracles. Cet argument a été formulé au départ par le Kuzari, un ouvrage classique de philosophie juive, écrit par Rabbi Yehouda HaLévi. La Bible mentionne de nombreux événements miraculeux; il est nécessaire de pouvoir vérifier ces rapports : tout d’abord, pour vérifier si la Bible peut servir de source historique précise, et ensuite, comme indication du rôle de D.ieu dans l’Histoire. Par conséquent, cet argument joue un rôle crucial dans l’évaluation générale des indices en faveur de la vérité de la Torah.
Du fait de la complexité de l’argument, je vais le présenter à deux reprises : tout d’abord de manière incomplète, dans ses grandes lignes, et dans un deuxième temps seulement dans tous ses détails. Pour commencer, prenons un miracle qui est décrit comme se produisant aux yeux d’un grand nombre de personnes, dans notre cas une génération tout entière : par exemple, la révélation au Sinaï. Il y a des gens qui croient que la révélation au Sinaï s’est vraiment passée. Je ne vais bien sûr pas assumer que, dès lors que certaines personnes y croient, la révélation a dû se produire : cela équivaudrait à éviter la question. Toutefois, c’est un fait avéré que des gens y prêtent foi.
Or, s’ils y croient, c’est parce que la génération précédente leur a inculqué cette croyance. De même, cette génération antérieure croyait parce que la génération précédente le leur avait enseigné. Donc, nous avons là une chaîne de générations de croyants ayant son origine dans le passé. Ceci est un fait. La question est : comment cette chaîne a-t-elle pu commencer ? Qui étaient les premiers croyants ? Comment sont-ils arrivés à partager cette conviction ?
En simplifiant toujours beaucoup (ce n’est pour l’instant qu’un survol), il existe deux possibilités. La première est que l’événement en question se soit vraiment passé au Sinaï, que des gens y aient assisté, et que ceci ait été le fondement de la tradition; ou bien alors l’événement ne se serait pas passé, mais quelqu’un aurait inventé toute l’histoire et en aurait convaincu les gens.
L’argument du Kuzari commence par examiner la deuxième alternative, celle qui veut que l’événement ne se soit pas passé, mais que l’histoire ait été inventée et se soit par la suite répandue. L’argument démontre que cette deuxième alternative n’est pas crédible. Il n’est pas raisonnable de croire que le récit a été fabriqué avant de se diffuser. Une fois la seconde alternative effectivement réfutée, il ne reste plus que la première alternative, c’est-à-dire la possibilité que l’événement s’est passé et a été observé. Voilà brièvement la structure générale de l’argument.
La réfutation de la deuxième alternative procède de la façon suivante : imaginez quelqu’un créant un récit de toutes pièces, et essayant d’en convaincre les gens. Discutant avec un groupe de personnes, il prétendrait que dans le passé leurs ancêtres se seraient tous tenus au pied d’une montagne et auraient entendu D.ieu leur parler. L’orateur ne parlerait pas de gens en Chine ou au Tibet, mais des ancêtres de l’audience : il prétendrait que D.ieu Se serait révélé à tous leurs ancêtres simultanément, et ce faisant aurait fondé une nouvelle religion.
Quelle est la question que ses auditeurs vont lui opposer ? Le problème évident est le suivant : si l’événement a été vécu par tous leurs ancêtres, comment se fait-il que personne n’en ait connaissance à part l’orateur ? Que s’est-il passé avec la mémoire de cet événement ? Tout le monde a simplement oublié ? Ils s’intéressaient plus aux résultats de football ? Personne n’en a jamais parlé ? La religion tout entière s’est purement et simplement évaporée ? Il n’est tout simplement pas crédible de dire à une nation entière que leurs ancêtres collectifs ont été témoins d’un événement sans précédent et qu’il a été oublié. Il serait impossible d’expliquer pourquoi la mémoire de l’événement a disparu. C’est pourquoi, dit le Kuzari, une telle personne qui inventerait une histoire et essaierait de la "vendre" n’aurait jamais de succès.
A titre d’illustration, imaginez que quelqu’un vous dise maintenant qu’il y a 500 ans l’or poussait sur les arbres en Roumanie. Ceci aurait duré 20 ans, jusqu’à ce qu’une maladie tue tous les arbres à or. Le croiriez-vous ? Est-ce que vous vous sentiriez obligé de chercher une encyclopédie et de regarder sous "histoire roumaine" ?Je ne pense pas que vous ayez besoin de vérifier l’histoire de la Roumanie, parce que si une telle chose s’était produite, vous en auriez déjà entendu parler. Cela aurait été tellement spectaculaire que tout le monde serait au courant. Les livres en seraient pleins; des romans auraient été écrits sur le sujet; il y aurait des projets de recherche botanique pour chercher ce qui est arrivé aux arbres à or et tenter de les reproduire. Ce n’est pas le genre de choses que tout le monde oublie.
Ou bien, pour vous donner un exemple qui n’implique pas de miracle, imaginez qu’on vous dise qu’en 1690 les colons européens en Amérique du Nord aient conquis toute l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud. Vous rejetteriez cette affirmation pour les mêmes raisons : si c’était vrai, vous le sauriez certainement déjà.
De la même façon, la révélation de D.ieu à tous les ancêtres d’une nation n’est pas le genre d’événement qui puisse aisément être oublié; donc, si une personne a inventé une histoire et essaie de la propager, il ne sera pas capable d’en convaincre son audience, parce qu’il ne sera pas à même d’expliquer pourquoi personne d’autre ne se souvient de cet événement incroyable. Ceci signifie que l’alternative "inventer et convaincre" n’est pas crédible. Et si cette alternative n’est pas crédible, nous nous retrouvons avec une seule explication, qui est que l’événement s’est réellement passé et que des gens en ont été témoins. Voici la structure générale de l’argument, dans ses grandes lignes et en simplifiant.
Il nous faut maintenant passer à un exposé plus détaillé, qui nous prendra considéramment plus de temps. Le point de départ reste inchangé : nous sommes en présence d’une chaîne de générations, chaîne qui remonte dans le temps et dont les membres ont la conviction que les miracles suivants se sont réellement passés : la Révélation au Mont Sinaï, le passage de la Mer Rouge, les plaies d’Egypte, la manne, et d’autres encore. Aujourd’hui, ce groupe se constitue de centaines de millions de personnes (une partie des Juifs, certains Chrétiens, certains Musulmans, etc.) La question est la suivante : comment est née cette conviction ? Il n’est pas important qu’il y ait des non-croyants; il y aura toujours des sceptiques. Il y a même des gens qui ne croient pas à l’Holocauste ! (Ce point fait l’objet d’un traitement ci-dessous). Ce qui est important, c’est le fait qu’il y ait des croyants, en nombre considérable, et nous voulons arriver à expliquer le fait de leur existence. Il est un fait psychologique et sociologique avéré que ces gens croient aux miracles, mais comment cette croyance est-elle apparue ?
En termes modernes, le principe que le Kuzari utilise est le suivant; lorsque vous le lirez, faites s’il-vous-plaît très attention à tous ses détails. Soit E un événement possible qui, s’il s’était réellement passé, aurait laissé des preuves de sa survenance très nombreuses et faciles à obtenir. Si les preuves n’existent pas, les gens ne vont pas croire que E s’est passé.
Considérons un événement possible, c’est-à-dire un événement dont nous ne savons pas s’il est survenu ou non. Imaginons qu’il s’agisse d’un événement qui, s’il s’était passé, aurait laissé derrière lui une quantité énorme d’indices faciles à obtenir. Si donc nous ne trouvons pas ces indices, nous ne croirons pas à l’occurrence de l’événement.
C’est ce que dit le principe. Posons-le en termes plus simples : quelqu’un essaie de me convaincre qu’une guerre fictive, ou un tremblement de terre, ou quelque chose de ce type s’est produit. S’il a raison et que l’événement (la guerre, le tremblement de terre, etc.) s’est réellement passé, je devrais en fait déjà être au courant; je ne devrais pas avoir besoin qu’il me le dise. A ce moment-là, le principe affirme que je ne le croirai pas. Faute d’indices, la personne n’arrivera pas à emporter mon adhésion.
Bien sûr, quand je dis que "les gens ne croiront pas", je n’entends pas par là que personne ne va être convaincu. Après tout, il y a des gens qui croient aux soucoupes volantes, ou bien qu’ils sont Napoléon, ou encore que la Terre est plate ! Ce que je veux dire, c’est qu’il sera impossible de convaincre la vaste majorité d’une nation d’accepter une vue à propos de leurs propres ancêtres quand personne ne s’en souvient.
Voici un bon exemple : une éruption volcanique au milieu de Manhattan en 1975. Si cela s’était réellement passé, nous aurions aujourd’hui une masse colossale d’indices facilement accessibles. Si une éruption volcanique avait réellement eu lieu en 1975, il y aurait des rapports dans les journaux, des livres, des indications de la lave sous le béton à New York, etc. Et je peux alors soutenir le raisonnement suivant : "Si mon interlocuteur a raison et qu’il est correct qu’une éruption volcanique a vraiment eu lieu, je devrais déjà être au courant. Je ne devrais avoir besoin de personne pour me le dire." Ainsi, nous ne nous laisserons jamais convaincre par une personne qui prétendrait qu’une éruption aurait eu lieu.
La même chose vaut pour l’idée de l’or qui aurait poussé il y a 500 ans sur les arbres de Roumanie. Même si l’événement s’était passé il y a 500 ans dans un endroit aussi reculé que la Roumanie, la mémoire sociale d’un tel événement aurait laissé une quantité gigantesque de preuves faciles à trouver. Et nous pouvons faire la même observation : si vraiment l’or avait poussé sur les arbres, nous devrions le savoir avant que cette personne ne vienne nous en parler.
Voilà le type d’événements dont nous parlons, un événement qui, s’il s’était passé, aurait laissé une quantité énorme et aisément accessible de preuves de sa survenance. J’insiste là-dessus, parce que les contre-exemples que les gens mentionnent sont le plus souvent des erreurs en ceci qu’ils ne respectent pas cette définition.{mospagebreak}
Section 2
L’application de ce principe à des miracles publics s’ensuit directement. En effet, un miracle public, et plus particulièrement un miracle décrit comme étant survenu à une nation tout entière, est un type d’événement qui, dans l’hypothèse où il se serait passé, aurait laissé une abondance de preuves de sa survenance faciles à obtenir. La preuve se présenterait sous la forme de la mémoire sociale, exactement comme la preuve que nous aurions de l’or poussant sur les arbres de Roumanie. Les gens n’oublient pas ce genre de choses. Par conséquent, un miracle, public au sens large (une nation entière), est un type d’événement qui, s’il s’était passé, aurait laissé une quantité énorme de preuves de sa survenance faciles à obtenir. Si l’événement ne s’était pas passé, et que par conséquent les preuves manquaient, vous ne pourriez pas en convaincre les gens. Ceci est la manière dont le principe du Kuzari s’applique aux miracles.
Il me faut maintenant exposer les restrictions de cet argument : le principe pose en fait une limite à la crédulité humaine. Au cours de l’Histoire, les gens ont prêté foi à toutes sortes de choses démentes. Le principe dit qu’il y a une limite à la folie des hommes. Ils peuvent croire en bien des choses, mais pas en n’importe quoi. Il y a une limite : un événement qui, s’il s’était passé, aurait laissé une quantité énorme de preuves de sa survenance faciles à obtenir, et qui en fait ne s’est pas passé, et par conséquent les preuves ne sont pas là.
Prenons quelques exemples : au Moyen-Age, les gens en Europe croyaient aux dragons. Est-ce que cela ne prouve pas que vous pouvez "vendre" tout et n’importe quoi ? En fait, réfléchissez au type de croyances qu’ils avaient à propos des dragons. Voici quelque chose en quoi personne n’a jamais cru : un dragon serait allé au centre ville de Londres en plein jour, aurait brûlé des centaines de personnes avec son souffle enflammé, aurait détruit des immeubles avec sa queue, et aurait ensuite plongé dans la Tamise. Et pourquoi pas ? Si vous pouvez convaincre les gens de n’importe quoi, si vous pouvez inventer une histoire et la faire gober par les crédules, pourquoi personne n’a-t-il jamais souscrit à cela ?
Quel genre d’histoires croyaient-ils à propos des dragons ? Le Chevalier Galahad revient chevauchant de la forêt, son armure est bosselée, il est blessé et il saigne. "Qu’est-il arrivé au chevalier ?" "J’ai rencontré le dragon". Eh bien, peut-être que oui et peut-être que non. L’interlocuteur n’a aucun moyen de vérifier. Même si cela s’était réellement passé, l’événement n’aurait pas laissé une quantité énorme de preuves de sa survenance faciles à obtenir. Puisque cette condition n’est pas respectée, il est possible de convaincre de tout et n’importe quoi. Aussi longtemps que l’audience n’a pas les moyens d’avoir accès aux preuves même si l’événement s’était passé, l’audience doit décider si elle croit le témoin ou pas. S’il est grand, beau, s’il écrit des sonnets, s’il est bon à la joute, peut-être le croira-t-on. Pourquoi ? Parce qu’il décrit un événement qui, s’il était survenu, aurait été inaccessible. Lorsque vous décrivez l’inaccessible, vous pouvez vendre n’importe quoi.
Autre exemple : Achille descend de la montagne et dit : "Je viens de rencontrer Athéna, et elle m’a donné une nouvelle stratégie militaire". Si vous êtes Grec dans le camp en bas, vous n’avez aucun accès à l’information. Vous ne savez pas ce qui s’est passé au sommet de la montagne. A ce point, tous les paris sont ouverts. Dans ce cas, vous pouvez convaincre les gens, sans aucune restriction. C’est seulement dans le cas d’un événement qui respecte les conditions du Kuzari, un événement qui, s’il s’était passé, aurait laissé une quantité énorme de preuves de sa survenance faciles à obtenir, qu’il est impossible de convaincre. C’est ce que dit le Kuzari.
Prenez, par exemple, les "miracles" chrétiens. Bien des gens pensent que si nous avions une bonne raison de croire aux miracles nous serions gênés par les prétentions chrétiennes à des événements miraculeux. Il y a deux erreurs dans cette idée.
Premièrement, nous n’avons aucune obligation envers les miracles chrétiens. En ce qui nous concerne, peut-être que ces miracles se sont bel et bien passés, parce que les miracles ne prouvent rien dans le Judaïsme. Il est dit dans le Deutéronome, Chapitre 13, qu’il y aura des faux prophètes qui feront des miracles ! Donc, si quelqu’un essaie de prouver qu’il a un message de D.ieu en marchant sur l’eau du lac, cela ne prouve rien du tout. Il se pourrait qu’il soit l’un des faux prophètes faiseurs de miracles. Ainsi, je n’ai aucune raison d’être lié par les miracles chrétiens. Si par hasard ils étaient survenu, ils tomberaient sous le coup du chapitre 13 du Deutéronome.
Deuxièmement, les miracles chrétiens étaient essentiellement des affaires semi-privées, observées par quelques milliers de personnes tout au plus. Quelques milliers de personnes, quand vous écrivez l’histoire 50 ans après, ne sont pas du tout l’équivalent de l’ensemble des ancêtres d’une nation. L’audience se posera la question : "Si cela s’est réellement passé, est-ce que nous devons assumer que tout le monde y a cru à l’époque, et que cela a créé une mémoire sociale qui serait disponible pour nous aujourd’hui ? Peut-être n’y ont-ils simplement pas cru ? Peut-être a-t-on considéré l’événement comme l’équivalent des nombreuses histoires mystérieuses grecques et simplement oubliées ?" Peut-être bien, et alors le principe du Kuzari ne peut s’appliquer. C’est seulement dans le cas d’une audience convaincue qu’ils auraient su si l’événement s’était passé que le principe s’applique. Dans ce cas, l’audience n’aurait pas nécessairement été convaincue.
Peut-être que l’analogie suivante aidera à mieux comprendre : imaginez que vous ayez passé la journée d’hier à la bibliothèque. Un ami veut vous convaincre que vous êtes allé nager à la place. Il est peu probable que vous acceptiez cette histoire. Votre raison sera la suivante : si vous étiez réellement allé nager hier, vous vous en souviendriez certainement ! Le fait que vous devriez vous rappeler si cela s’était passé alors qu’en réalité vous ne vous souvenez pas est assez pour que vous rejetiez l’affirmation de votre ami. Par contre, si votre ami vous dit que vous aviez inconsciemment posé vos lunettes sur la radio, il se peut que vous le croyiez. Vous raisonnerez : même si je l’avais fait, je ne m’en souviendrais probablement pas. Donc, le fait que vous ne vous souveniez pas n’est pas une raison suffisamment bonne pour rejeter le récit. Nous avons utilisé le même raisonnement pour les événements nationaux.
Certaines personnes confondent le principe du Kuzari avec son contraire. Ils disent que nous sommes en train de prétendre qu’une énorme quantité d’indices faciles à obtenir est très puissante, suffisamment puissante pour écarter toute opposition, suffisamment pour régler tous les problèmes. Mais alors, que faire des gens qui aujourd’hui ne croient pas en l’Holocauste ? L’Holocauste s’est passé il y a seulement 50 ans. Il y une énorme quantité de preuves de sa survenance, et faciles à avoir. On peut parler aux milliers de survivants qui sont encore de ce monde. Il y a des livres, des disques, du matériel photographique, des camps de concentration que l’on peut visiter, et pourtant certaines personnes ne croient pas en l’Holocauste. Est-ce que cela ne prouve pas qu’une quantité énorme d’informations faciles à obtenir ne résout pas tous les problèmes ?
La réponse est que oui, c’est bien ce que cela montre, mais ce n’est pas ce que le principe du Kuzari dit. Le principe du Kuzari traite d’un événement qui, s’il s’était passé, aurait laissé une masse énorme d’indices faciles à obtenir, et qui en fait ne s’est pas passé, et en conclut que l’on ne peut le faire accroire aux gens.
Comment pourrait-on montrer que le principe est faux ? Il faudrait trouver un événement qui ne s’est pas passé, mais auquel les gens croient néanmoins. Ceci prouverait l’erreur du Kuzari. Il faut trouver un événement pour lequel on serait en droit de s’attendre à trouver des indices, que les indices manquent parce que l’événement ne s’est pas passé, et auquel les gens croient. Avec l’Holocauste, vous avez juste le contraire. Il s’agit d’un cas qui s’est passé et auquel les gens ne croient quand même pas. Ce n’est pas un contre-exemple au principe, bien au contraire.
Certains disent : "D’accord, c’est une distinction logique subtile, cela s’est passé, cela ne s’est pas passé, les gens croient, les gens ne croient pas, mais à la fin, est-ce que cela ne revient pas au même ? Est-ce que cela ne montre pas que les preuves ne résolvent pas toutes les questions?"
La réponse est que non, cela ne revient pas au même. Il y une différence essentielle entre le principe du Kuzari et le cas de l’Holocauste. En effet, chacun doit effectuer une sélection soigneuse lorsqu’il prend en compte une assertion. Des fois les preuves sont montées de toutes pièces, des fois elles ne sont pas pertinentes, des fois elles sont mal interprétées. Nous sommes toujours en train de peser, rejeter, accepter et réinterpréter. C’est seulement après cela que nous décidons quelle conclusion tirer des preuves. En parlant de l’Holocauste, des fous disent que nous savons que les preuves sont quelquefois fabriquées ou trompeuses, et que dans ce cas toutes les preuves sont fabriquées ou trompeuses. En d’autres termes, ils prennent une partie normale de la vie cognitive humaine et l’étendent bien au-delà des limites appropriées. Ils disent que quelquefois vous devez rejeter une partie des indices proposés en faveur d’une proposition, et dans le cas de l’Holocauste ils veulent que l’on rejette l’ensemble.{mospagebreak}
Section 3
Vous pouvez imaginer qu’un tel phénomène se passe en marge de la société. Mais dans le cas du principe du Kuzari, c’est juste le contraire qu’il faudrait trouver : pour contredire le principe du Kuzari, nous devons croire en quelque chose pour lequel toute preuve manque. S’il était vrai qu’il devrait exister des preuves, mais qu’il n’y a pas de preuves, jamais nous n’accepterons de croire. Cela ne fait pas partie de notre vie cognitive normale. Nous ne sommes jamais confrontés à un cas où les indices devraient être juste devant nos yeux, n’y sont en fait pas, et que nous fassions abstraction de ce manque et choisissions de croire. Ainsi, les sceptiques de l’Holocauste ne représentent pas une objection pertinente face au principe du Kuzari.
[Certaines personnes se demandent si nous n’avons pas esquivé l’objection en définissant l’événement de manière positive, c’est-à-dire comme la survenance de l’Holocauste. Il n’y aucune raison pour ne pas considérer la non-survenance de l’Holocauste comme un événement en soi. Comment éviterions-nous alors l’objection ? Voyons plus précisément…
La non-survenance de l’Holocauste (la Deuxième Guerre Mondiale sans le massacre de 6’000’000 Juifs) est un événement possible. S’il s’était passé – si la Deuxième Guerre Mondiale n’avait pas inclus le massacre de 6’000’000 Juifs -, il y aurait quantité de preuves faciles à obtenir de cet événement. La preuve en serait que les histoires de la 2ème guerre mondiale ne mentionneraient pas l’Holocauste. L’absence de l’événement des récits historiques serait une preuve convaincante que l’événement n’a pas eu lieu. Puisque la preuve manque – les récits de la 2ème guerre mondiale mentionnent bel et bien l’Holocauste -, le principe de Kuzari dit que les gens ne devraient pas croire en l’événement. C’est-à-dire qu’ils ne devraient pas croire en la non-survenance de l’Holocauste.
Je pense que cet raisonnement est correct : le principe du Kuzari prédit en effet que vous ne pouvez pas convaincre les gens que l’Holocauste ne s’est pas passé. Mais cette prédiction se trouve être fondée ! Plus de 90% des Américains aujourd’hui croient en l’Holocauste. Le principe du Kuzari ne dit pas que nul n’acceptera l’idée de la non-survenance de l’Holocauste; vous pourrez trouver des gens qui croient en n’importe quelle folie ! Le principe dit qu’une société tout entière n’acceptera pas de croire en un événement quand elle n’a pas les preuves qu’elle devrait avoir si l’événement s’était passé. Ce n’est pas le cas pour l’Holocauste. Et même si (D.ieu préserve) un grand nombre d’Américains en venaient à ne pas croire en l’Holocauste, cela ne serait toujours pas pertinent au regard de notre utilisation du principe du Kuzari, puisque l’Holocauste n’a pas été vécu par leurs ancêtres. Puisque pour eux il s’agit là d’un événement étranger, il est possible qu’ils puissent s’expliquer pourquoi ils n’ont pas les preuves attendues. Mais ceci n’aura aucune conséquence sur la capacité des descendants des témoins eux-mêmes à expliquer le manque de preuves pertinentes.]
Examinons maintenant le principe proprement dit : de quel genre de règle s’agit-il ? A la base, il s’agit d’un principe de psychologie empirique. Il décrit les conditions de naissance des croyances et conclut que sous certaines conditions une conviction ne peut pas éclore: les gens ne croiront pas aux événements que le principe du Kuzari interdit.
Pourquoi devrions-nous accepter ce principe ? En définitive, toute la démonstration repose dessus; ne pourrions-nous pas le contredire ? En tout cas, une manière en particulier est exclue. On ne saurait soutenir le raisonnement suivant : "Vous prétendez que simplement parce qu’il s’agit un événement qui, s’il s’était passé, aurait laissé une masse énorme d’informations faciles à obtenir, vous ne pouvez en convaincre les gens ? Je ne pense pas que cela soit correct. Je peux très bien imaginer qu’un clergé avec beaucoup d’influence, qu’un leader très puissant ou qu’une personne dont on pense qu’elle a des pouvoirs magiques puisse convaincre les gens. Je ne crois pas qu’il y ait des limites à ce que la populace peut croire. Je pense que je pourrais écrire un roman très convaincant défendant cette idée, et le faire publier."
Est-ce que votre seule capacité à imaginer un tel scénario contredit le principe ? La réponse est non. C’est un principe qui décrit des personnes réelles dans le monde réel; il ne dit rien à propos de votre imagination. Les gens peuvent inventer toutes sortes de choses, certaines même impossibles. Les gens ont voulu trouver la quadrature du cercle, qui se trouve être mathématiquement infaisable. Je connais des gens qui imaginent des machines tournant sans perte d’énergie. Certaines personnes en fabriquent chaque année; la deuxième loi de thermodynamique dit que c’est impossible, mais eux essaient quand même.
Ce que êtes capable ou incapable imaginer n’a aucun intérêt ici. La vraie question est : est-ce que les gens dont le monde réel acceptent vraiment ce type de croyances ? La seule manière de contredire le principe du Kuzari est de trouver des cas réels – des cas réels de communautés qui en sont venues à croire en des événements qui, s’ils s’étaient passés, auraient laissé derrière une quantité énorme de preuves faciles à obtenir, mais ne se sont pas passés, et par conséquent les preuves n’existent pas. Je n’ai jamais rencontré d’exemple de ce type d’événement, ni quoi que ce soit qui y ressemblerait même de loin.
Je vais vous donner des exemples supplémentaires d’objections erronées. Certaines personnes disent : "Est-ce que la majorité des Allemands ne croyaient pas que les Juifs avaient poignardé l’Allemagne dans le dos au cours de la 1ère Guerre Mondiale ? Est-ce qu’ils ne croyaient pas que les Juifs avaient le contrôle du commerce international et des banques ?" Bien sûr qu’ils le croyaient, mais mettez-vous à la place d’un marchand ou d’un conducteur de bus allemand moyen. On vous dit 30 ans après que les Juifs les ont poignardé dans le dos au cours de la 1ère guerre mondiale (même la description est importante. Quand quelqu’un vous frappe par derrière, vous ne le voyez pas). De quel genre de trahison parlent-ils ? Est-ce qu’ils disent par exemple que pendant la guerre les Juifs se sont couchés devant les tanks allemands et les ont empêchés de bouger ? Non, ce n’est pas ce qu’ils disent, parce qu’ils savent que s’ils le prétendent, personne ne va les croire. Après tout, les soldats de cette guerre étaient encore en vie. Ils savaient que cela ne s’était pas passé. Non, ils "nous ont poignardé par derrière". Ils ont caché leurs traces et personne ne les a jamais attrapés. Parce que si vous prétendiez que cela s’est passé en public, personne ne vous croirait.
Encore une fois, mettez-vous à la place d’un marchand ou d’un conducteur de bus allemand moyen. On vous dit que les Juifs contrôlent le commerce international. Pouvez-vous en obtenir la preuve ? Bien sûr que non, il n’y a aucun moyen pour vous de vérifier cette assertion. Même si c’était vrai vous ne pourriez en avoir la preuve. Dans ce cas, les gens sont prêts à croire n’importe quoi. Tant que vous avancez une prétention qui, si elle était vraie, ne pourrait être vérifiée par le public, celui-ci doit décider si vous êtes crédible ou non, et les gens peuvent faire de terribles erreurs.
C’est pourquoi la prétention des nazis que "plus le mensonge est gros, plus il est facilement accepté" est fausse. C’est une erreur, parce qu’un mensonge vraiment énorme consisterait à mentir à propos de quelque chose que tout le monde a vécu. Or, ils ne le firent jamais : vous ne pouvez pas mentir à propos de quelque chose que tout le monde a vécu, étant donné que si cela s’était passé, cela aurait laissé derrière une masse énorme de preuves de la survenance faciles à obtenir.
Certaines personnes mentionnent le massacre de la place Tienanmen. Presque tout le monde en Chine est persuadé que les étudiants se sont massés contre les soldats et les ont attaqués, et que les soldats ont tiré pour se défendre. C’est vrai, mais si vous viviez à Shanghai, pourriez-vous savoir exactement ce qui s’est passé à la place Tienanmen ? Comment ? Il n’y a aucun moyen d’information à part ce qui est montré à la télévision chinoise, et elle est contrôlée. A nouveau, la grande majorité des chinois ne pourrait avoir de preuve même si le massacre s’était bien passé comme indiqué. Dans ces conditions vous pouvez leur vendre n’importe quoi.
Donc, le principe affirme que vous ne pas pouvez créer le genre de croyances que nous venons de décrire. Il est simplement fondé sur l’expérience générale de la vie : les gens ne croient pas en ce type de choses; ils ne sont pas aussi crédules. Dès lors, si vous avez un événement, par exemple un miracle public, auquel les gens croient, alors le scénario alternatif que l’histoire a été inventée est discrédité. Ceci étant le cas, la seule chose à faire est d’accepter l’événement comme s’il s’était passé.
Il y a toutefois deux précisions à apporter. Tout d’abord, quand vous vous trouvez en présence du récit d’un miracle, la confiance que vous y portez est beaucoup fonction de la fiabilité de la narration. Peut-être s’est-il passé quelque chose, mais qui nous dit que la description est précise ? Peut-être les gens ont-ils été témoins d’un événement qu’ils ont mal compris. Peut-être y a-t-il eu un problème de perception. Quels sont alors les critères dont j’ai besoin pour porter crédit à la description de l’événement telle que je l’obtiens des témoins ?{mospagebreak}
Section 4
Tout rapport d’un témoin oculaire nécessite que les conditions suivantes soient réunies pour être vraiment fiable. Le calme : si les témoins étaient énervés, inquiets, effrayés, si l’événement les a pris par surprise ou stupéfaits, cela peut jeter un doute sur leur capacité à décrire l’événement de manière correcte. La répétition : les miracles sont rarement répétés. S’ils sont répétés, plus ils le sont, plus cela donne de crédit au rapport des témoins oculaires. La corroboration : combien de personnes ont assisté à l’événement ? S’il s’agit seulement d’une ou deux, la force prouvante est moindre. S’il s’agit de milliers ou de dizaines de milliers, cela devient plus convaincant. L’expertise : vous ne voulez pas d’un témoin qui tire une conclusion dans un domaine qu’il ne connaît pas. Si je visite un laboratoire anatomique, que j’en ressors et que vous me demandez : "Est-ce que le cyclotron fonctionnait ?" Et que je réponds : "En fait, la machine dans le coin avait des lumières rouges et bleues qui clignotaient, mais je ne sais pas si c’était le cyclotron ou la machine à café. Je ne sais pas ce que c’était, je ne m’y connais pas dans ces choses-là !" On n’accepte pas les conclusions d’un témoin dans un domaine où il n’a pas les compétences nécessaires. L’absence d’intérêt personnel : si une personne a un intérêt personnel d’une manière ou d’une autre à raconter l’histoire, vous pouvez la suspecter de n’être pas honnête.
Maintenant, lorsque je dis que tous ces facteurs contribuent à la crédibilité du rapport, est-ce que cela signifie que le rapport ne vaut rien si un ou plusieurs de ces facteurs manquent ? Non, cela veut simplement dire que le rapport est moins convaincant. Mais même dans ce cas, il peut être suffisamment convaincant. L’absence des facteurs cités conduit au doute lorsqu’il y a des indices allant dans le sens contraire. Si les témoins rapportent avoir vu A tuer B, et que nous avons des preuves que A était ailleurs au même moment, nous pouvons utiliser la peur et le choc des témoins à la vue d’un meurtre comme explication du manque de précision de leur rapport. Mais s’il n’y a pas de preuve contraire, nous accepterons leur rapport comme suffisamment concluant (même pour les condamner au tribunal).
Rabbi Yehouda Halévi, qui créa cet argument, l’utilisa spécifiquement à propos du miracle de la manne. Si je parcourais la Bible pour trouver des miracles marquants, je ne crois pas que je choisirais la manne. Ce n’était pas tellement spectaculaire, les Hébreux ont simplement mangé quelque chose qu’ils trouvèrent sur le sol chaque matin pendant trente-neuf ans. La raison de ce choix est que les conditions que nous avons décrites auparavant sont parfaitement respectées.
La scène s’est passée des milliers de fois. Peut-être bien que les premières fois ils étaient surpris ou choqués, mais après la millième fois ou la dix-millième fois, je ne peux m’imaginer qu’ils étaient encore dans une telle situation de choc qu’ils étaient incapables de vérifier calmement ce qui se passait. Vous avez ici une abondance de répétitions. Quant à la corroboration, le miracle se passait au vu et au su d’une nation tout entière; il est impossible de trouver une meilleure corroboration que celle-ci. L’expertise ? Nul besoin d’être un expert pour savoir que vous vous réveillez chaque matin, ramassez une substance sur le sol, la mangez et elle vous nourrit. Ce n’est pas comme tirer des conclusions à propos de cyclotrons.
Le problème de l’intérêt personnel peut également être résolu : nous parlons maintenant d’un événement qui aurait été déformé. Comment est-ce qu’un intérêt personnel aurait pu créer l’histoire de la manne si elle ne s’était pas réellement passée ? Elle n’aurait pas pu être créée après l’événement même si quelqu’un avait décidé de l’inventer, parce que c’est une conséquence directe du principe du Kuzari. Si vous la fabriquez après coup, les gens vont demander comment il se fait que personne ne soit au courant alors que elle est censé avoir été vécue par l’ensemble des ancêtres. Ce n’est pas le genre d’événements que vous pouvez inventer, parce que s’il s’était passé, il aurait laissé une masse énorme de preuves de sa survenance faciles à obtenir, et s’il ne s’était pas passé, il n’y aurait aucune preuve de sa survenance. Donc, vous ne pouvez l’inventer après coup.
Est-ce qu’un intérêt personnel aurait pu produire un rapport erroné au moment où l’événement se passait ? Clairement pas. Nous parlons d’un événement qui s’est répété des milliers de fois, qui a été vécu par un peuple entier. Qui va créer un rapport contrefait lorsque tout le monde perçoit chaque jour que le rapport est faux ? Donc, même s’il y avait un intérêt personnel, il ne pourrait jouer aucun rôle dans la création d’un faux rapport de l’événement. Par conséquent, d’après le Kuzari, la manne est le meilleur candidat d’un miracle crédible. Sa crédibilité est basée sur sa nature publique d’une part, et d’autre part sur le fait que tous les rapports à son propos sont dignes de confiance dès lors qu’ils respectent les conditions que nous avons énoncées.
L’application du Kuzari à d’autres miracles, comme la Révélation au Sinaï et le Passage de la Mer Rouge, est légèrement moins convaincante. Ils ne se sont passés qu’une seule fois, et à un moment où le peuple était dans un état de grande agitation. Par conséquent, il nous faut diminuer notre évaluation de la crédibilité des détails de la description de ces miracles. Ils sont quelque peu moins concluants qu’ils ne l’auraient été si le peuple avait été calme et les miracles répétés. Mais, ainsi que nous l’avons remarqué plus haut, les preuves sont suffisantes même en ce qui concerne les détails, en l’absence de toute preuve contraire. De plus, si nous considérons la description générale de ces miracles – sans tenir compte des petits détails – le principe du Kuzari peut être directement appliqué dans toute sa puissance.
Il y a aussi une sorte d’effet domino : si vous avez un miracle dont vous pouvez attester la réalité, un miracle à propos duquel l’argument est parfait, brisant ainsi l’ordre naturel, il devient alors possible d’accepter le récit d’autres miracles plus facilement. Prenons une analogie : supposons que vous connaissiez une personne que vous croyez honnête dans les affaires, et qu’une fois de l’argent manque à la caisse. Quelqu’un accuse la personne honnête; il est peu probable que vous acceptiez l’accusation même s’il y a des indices qu’il était au bon endroit au bon moment. Vous direz : "Je le sais honnête, il m’est donc impossible de le suspecter".
Maintenant, supposons que vous trouviez une occasion où cette personne a volé, juste une fois. Ceci change la situation : vous savez maintenant qu’il n’est pas complètement honnête. Lorsqu’alors vous avez des indices qu’il était, à une autre occasion, au bon endroit au bon moment, vous les prenez au sérieux. Une fois que vous avez brisé l’image que vous aviez de lui, il devient un suspect potentiel pour toute malversation.
Le raisonnement est similaire dans notre cas : si vous croyez dans la nature d’une manière inconditionnelle, il est très difficile d’argumenter en faveur de l’existence d’une exception. Mais une fois que vous avez prouvé avec succès l’existence d’une irrégularité, il devient plus facile de parler en faveur d’autres. Or, l’argument en faveur de la manne est extrêmement puissant et convaincant, y compris en ce qui concerne les détails, tout comme l’est la description générale des autres miracles nationaux. Par conséquent, les exigences de preuve pour contrôler les rapports des sources juives quant aux miracles privés doivent être revues à la baisse. Ici, nous appliquons le principe qu’un ensemble unitaire d’informations est plus crédible lorsque certaines de ses parties sont testées et trouvées vraies.
Finalement, nous en venons à l’opposition la plus naturelle et la plus forte à l’argument. Considérons à nouveau la Révélation au Sinaï. Nous avons dit qu’il y a deux possibilités : ou bien l’événement s’est passé, ou bien il a été inventé. Mais il ne peut avoir été inventé puisque les gens ne croient pas en un événement dont les preuves nécessaires manquent.
On pourra objecter est que cette classification est par trop simpliste, qu’en réalité il y a une troisième possibilité intermédiaire. L’histoire n’a pas simplement été fabriquée de toutes pièces: quelque chose s’est bel et bien passé, et ce quelque chose a été progressivement transformé au fur et à mesure que l’histoire était racontée, améliorée, embellie. La transformation graduelle de cette information imparfaite est allée de pair avec un désir de prendre ses rêves pour la réalité, de glorifier les ancêtres, et d’autres motivations encore. Ce type d’embellissement graduel est bien connu des anthropologistes, qui l’appellent formation des mythes, et ce phénomène s’est sans l’ombre d’un doute passé avec d’autres nations. Pourquoi est-ce que des récits comme la Révélation au Sinaï, ou la manne, ou la Traversée de la Mer Rouge n’auraient pas à leur base un événement qui s’est réellement passé, et qui a ensuite été progressivement transformé en un récit d’un miracle ?
Il y a deux problèmes avec ce type "d’explications". Un problème général tout d’abord : lorsque vous prenez en compte les détails de ce scénario, il tend à devenir extrêmement peu plausible; c’est seulement en ignorant les détails que le scénario peut avoir un intérêt initial. Lorsque vous demandez les détails de l’événement originel, comment il a été compris par les personnes qui l’ont vécu, comment ils l’ont décrit à leurs enfants, comment les rapports ont commencé à changer, etc., l’histoire devient de moins en moins cohérente avec la psychologie humaine normale. Le deuxième problème est tout aussi fondamental : si vous pensez qu’un événement qui était un phénomène naturel a été graduellement transformé en un événement surnaturel, et que vous pensez que c’est normal, un processus courant pour une société de l’époque, alors il devrait y avoir d’autres exemples. Le principe du Kuzari est un principe empirique : vous pouvez le prouver faux, il vous suffit de trouver des exemples réels. Mais il ne suffit pas d’imaginer un scénario : il vous faut trouver des parallèles réels.{mospagebreak}
Section 5
Prenons l’exemple de la manne comme illustration des deux problèmes. Il y a un livre intitulé The Bible As History[1], par Werner Keller, qui prétend que le miracle de la manne "s’est réellement passé". L’histoire se serait déroulée de la manière suivante : les Juifs quittèrent l’Egypte, et il y a aujourd’hui encore des buissons dans le désert du Sinaï dont le tronc est périodiquement attaqué par des insectes qui y percent des trous. Une sève sucrée et nourrissante en suinte, et les Juifs se nourrirent de cette sève lors de leurs voyages dans le désert. (Il prétend que ceci fait de la Bible une source historique. Bien sûr, ceci la rend en réalité erronée. La Bible ne mentionne ni buissons ni sève, mais bien que les Juifs trouvèrent la manne éparpillée dans le désert tous les matins). La suggestion est donc la suivante : tous les matins ils allèrent se nourrir de la sève des buissons, et plus tard l’histoire s’est transformée progressivement en un récit miraculeux.
Maintenant, ainsi que je l’ai dit, on ne peut faire confiance à la simple imagination. Le problème ici est d’ordre empirique. Tout d’abord, essayons de faire face à la première difficulté en complétant les détails : le peuple qui quitta l’Egypte se nourrit de la sève; pensèrent-ils qu’il s’agissait là d’un miracle ? Probablement pas. Comme ces buissons ont existé depuis plus de trois mille ans, on peut assumer qu’ils étaient déjà là avant que les Juifs ne quittent l’Egypte. Tout le monde en avait connaissance; il s’agissait en somme d’un phénomène normal pour le désert. Il est extrêmement difficile de croire que les Juifs se soient échappés, se soient nourris de quelque chose que tout le monde connaissait bien, et l’ait ressenti comme un miracle. Ils devaient être conscients qu’ils consommaient de la sève !
Ensuite, ils sont entrés dans le pays d’Israël. Qu’ont-ils alors enseigné à leurs enfants ? Leur ont-ils raconté une histoire radicalement différente ? Bien sûr que non. Ils ont vécu eux-mêmes les événements en question; la grande majorité du peuple était alors encore en vie. Ils ne pouvaient pas simplement arrêter de relater l’ancienne version pour en créer instantanément une nouvelle que tout le monde aurait reprise. Non, ils ont certainement enseigné à leurs enfants la même version.
Comment la rupture a-t-elle bien pu se produire ? Nous pouvons imaginer le petit Réouven assis en train d’écouter les histoires de son arrière-grand-père. Comme l’arrière-grand-père est devenu sénile, son esprit s’égare, il se trompe dans les détails, invente quelques vétilles, et ainsi de suite. Réouven va le lendemain jouer avec ses amis et leur dit : "Est-ce que vous savez ce que Pépé m’a dit hier ? Il m’a raconté cette fabuleuse histoire… " Que vont dire les autres enfants ? "Eh, mon père ne m’en a jamais parlé". Ils vont rentrer à la maison et demander à leur père, et leur père dira que l’arrière-grand-père de Réouven a 116 ans. Les gens dans son cas inventent des histoires ! Il est ainsi très difficile d’imaginer comment le scénario du récit progressivement amélioré aurait pu se dérouler dans la pratique, dans le contexte social réel.
Mais il y a plus encore. Nous sommes ici en présence d’un phénomène qui a non seulement été perçu comme étant un événement naturel, mais encore qui continue de se passer. Les buissons existent toujours : des gens continuent de se nourrir de la sève de ces arbustes chaque année. Le scénario mentionné ci-dessus prétend que dans de telles conditions le récit a été progressivement métamorphosé pour devenir celui d’un miracle. Nous voyons maintenant bien où se situe le deuxième problème : je vous mets au défi de trouver un autre exemple. Ce n’est pas suffisant d’en fabriquer un dans votre imagination : il faut prouver l’existence d’un vrai parallèle; trouvez un groupe de personnes qui ont vécu un phénomène comme étant une survenance naturelle, l’ont correctement interprété comme tel, l’ont magnifié pour en faire un récit miraculeux alors que l’événement continue de se produire régulièrement dans leur entourage. Si vous trouvez un tel exemple, vous affaiblirez l’argument proposé ici; mais je ne connais pas de tel parallèle.
La même chose vaut en ce qui concerne n’importe quel explication suggérée : le scénario doit tout d’abord être plausible. La plupart des scénarios ne sont même pas plausibles au départ, mais même quand ils le sont, il faut encore trouver des exemples concrets. Appliquons maintenant ceci à la Révélation au Sinaï.
Voici, en termes de la théorie de la formation des mythes, "l’explication" proposée pour la foi en la Révélation au Sinaï : peut-être le peuple juif était-il dans le désert lorsqu’il y eut une éruption volcanique ou un tremblement de terre. Ces phénomènes sont choquants, déstabilisants, et il est possible qu’ils aient été perçus comme surnaturels. Il y a éventuellement eu des gens pour dire après coup qu’ils ont entendu des voix, eu des visions et ainsi de suite, et tout ceci est devenu l’histoire d’une Révélation. Ceci est le type "d’explications" fournies par la théorie de la formation des mythes. Ici aussi, cette explication souffre à la fois du fait de son manque de vraisemblance et d’une absence de parallèles.
Premièrement, il nous faut remarquer que les tremblements de terre le long de la faille Syrio-Africaine surviennent environ une fois tous les 90 ans. L’assomption qu’un tel événement provoquerait un choc et entraînerait une croyance unique en une révélation publique est naïve: les nombreux tremblements de terre qui se sont passés dans la même zone n’ont provoqué aucun effet parallèle.
Deuxièmement, pour bien ressentir combien cette "explication" est invraisemblable, nous allons distinguer deux étapes. Dans un premier temps, nous allons imaginer que l’histoire parle d’elle-même en mentionnant qu’elle a été transmise de génération en génération sans interruption depuis le moment de l’événement. En d’autres termes, le récit dirait : "Il y a tant et tant d’années, tous les ancêtres de la nation se tinrent au pied d’une montagne et entendirent D.ieu leur parler. Ils reçurent l’ordre de raconter l’histoire de cet événement à leurs enfants, et ces derniers à leurs enfants, et la nation fit comme elle avait été commandée." (Il y a en fait quelque chose qui ressemble à ceci dans la Torah – cf. Deut. 4:9-10, 31:9-13, 19-21. Mais je ne vais pas l’utiliser parce que ce n’est pas suffisamment clair ni remarquable). Maintenant, il nous faut imaginer un processus progressif qui prendrait un événement naturel et en ferait une révélation nationale, terminant avec l’histoire que cette révélation a toujours été connue de la nation. Mais avant que vous arriviez à l’histoire de la révélation nationale, personne ne la connaît ! Comme sommes-nous supposés imaginer une histoire qui dise avoir toujours été connue alors qu’elle a été acceptée graduellement ?
Dans un deuxième temps, supposons que l’histoire ne dise pas qu’elle a été transmise de génération en génération, mais que le lecteur ou l’auditeur assume automatiquement que tel a été le cas. Nous avons alors exactement le même problème que dans le dernier paragraphe : comment une histoire dont l’auditeur assume qu’elle a été transmise de génération en génération peut elle être transformée progressivement ? C’est tout l’argument du Kuzari : un récit d’une révélation nationale ne peut être oubliée, et l’auditeur à qui une histoire est racontée le sait, et utilisera cette connaissance dans son évaluation de l’histoire et dans sa décision d’y croire ou non. Le problème d’arriver à compléter les détails de la métamorphose progressive est un grand obstacle à l’hypothèse de la théorie de la fondation des mythes quant à la Révélation au Sinaï.
Maintenant, le deuxième problème, c’est-à-dire le manque de parallèles historiques : si la croyance en une révélation au Sinaï est la résultante, suite à un événement naturel, du processus décrit par la théorie de la formation des mythes, et que c’est un processus qui est dans l’ordre des choses, alors on est en droit de s’attendre à ce qu’il se produise plus d’une fois. Nous ne sommes pas le seul peuple de l’histoire à avoir été témoins de tremblements de terre ou d’éruptions volcaniques, ou qui ont subi des tornades, des raz-de-marée ou tout autre événement qui puisse être considéré comme surnaturel. Si une croyance en une révélation publique peut être causée par un événement naturel, cette évolution aurait dû se produire plus d’une fois. Il est extrêmement suspect de dire que nous sommes en présence d’un effet produit par une cause naturelle, normale, cohérente avec la psychologie humaine et un environnement humain ordinaire, mais qui ne s’est produit qu’une seule fois dans l’histoire du monde !
Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne une croyance comme celle de la révélation au Sinaï, et ce pour trois raisons. Premièrement, une croyance en une révélation publique est la plus solide f
Il est très important, en hiver, de quitter son travail et ses autres activités à l’heure voulue pour l’entrée du Chabbath.
Selon la halakha, nous devons allumer les lumières de Chabbath entre ce que l’on appelle pelag ha-min?ha et dix-huit minutes avant le coucher du soleil, ni avant ni après.
Jusqu?à quelle heure est-il possible de prier Min?ha ?
La prière de Min?ha a été instituée en remplacement du sacrifice quotidien de l?après-midi apporté au Temple de Jérusalem…
La pertinence de la religion
Section 1.
La question que nous voulons examiner est de savoir si la religion est pertinente. En réalité, cette question est incohérente; elle n’a aucun sens. Toutefois, si je soutenais cette idée d’entrée de jeu, j’ai bien peur que vous ne compreniez que je ne serais pas à même de répondre à la question posée. Donc, je vais opter pour la stratégie suivante : je vais tout d’abord prétendre répondre à la question, puis je vais vous expliquer pourquoi elle n’est pas légitime.
Vivre avec la vérité pour guide.
Préface à la deuxième édition révisée.
De gros progrès ont été apportés au manuscrit au cours de la dernière année et demie. Trois changements sont plus particulièrement évidents : tout d’abord, des résumés ont été insérés sur presque chaque page, de manière à ce que le lecteur puisse avoir une synthèse permanente des idées que je mentionne. En fait, on m’a suggéré qu’il est possible de lire uniquement l’ensemble des résumés du début à la fin et de ne faire ainsi dans un premier temps que survoler le manuscrit afin de se familiariser avec les sujets abordés; ceci me semble être une excellente idée. Ensuite, les commentaires techniques ont été placés entre crochets [] et écrits dans une taille de caractères plus petite. Ces commentaires sont destinés à ceux qui ont des connaissances en philosophie, en mathématiques ou en sciences – et à ceux à l’esprit intellectuellement aventureux. Ils peuvent être sautés sans rien manquer d’essentiel à l’argumentation. Enfin, le titre a également été modifié de manière à refléter ma meilleure appréhension de ce que le texte se base sur les principes d’une vie responsable.
Il est plus difficile de percevoir le soin apporté à raccourcir les formulations, à rendre l’expression des idées plus cohérente, à réorganiser le flot de l’argumentation et à corriger les erreurs. Je pense que pour la première fois cet essai se rapproche du statut d’œuvre écrite; il est toutefois encore sur le chemin de devenir un livre, et doit être considéré comme une deuxième ébauche. Beaucoup de travail reste donc ainsi encore à fournir : les chapitres IV (Prédictions réalisées) et V (Archéologie) ont besoin d’être considérablement plus développés; une quantité conséquente de documentation doit être apportée; la qualité de la rédaction pourrait être largement améliorée… Il s’agit donc encore d’un chantier; je peux seulement prier que D.ieu me permettra de continuer tout comme il m’a permis d’arriver aussi loin.
C’est pour moi un plaisir que d’avoir à remercier l’aide apportée par mes collègues et étudiants à Ohr Somayach, et en particulier par le Jewish Learning Exchange de l’été 1995. Leur attention critique a révélé un certain nombre de problèmes et d’erreurs grossières qui ont ainsi pu être corrigés. D’autres contributions se sont révélées précieuses : Taffy Gould a eu la gentillesse de mettre son expertise dans le domaine de l’édition à notre service; Jon Erlbaum est repassé sur la plus grande partie du manuscrit, revoyant minutieusement tant la forme que le fond. [La troisième édition a bénéficié de la lecture attentive de Eli Linas et de Michael Kauffman. Je leur suis très reconnaissant de leurs efforts. – Rosh ‘Hodesh Nissan, 5757]. Etant donné que j’ai suivi leurs conseils de manière sélective, je demeure seul et unique responsable des erreurs résiduelles.
Rabbin David Gottlieb
‘Hanouca 5756 Jérusalem
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Préface
Joshua Hermelin m’a rendu un très grand service en transcrivant trois de mes conférences. Les idées qui sont exposées ici sont complexes et controversées : il n’était donc pas idéal de devoir dépendre d’une simple transmission verbale si on voulait procéder de manière méthodique. C’est un grand avantage que de posséder maintenant une version écrite que chacun peut lire à son propre rythme, revoir, consulter de manière répétée, et utiliser pour comparer simultanément différentes parties. J’espère la faire distribuer lorsque les conférences seront présentées à l’avenir.
Mention doit être faite que ceci est une transcription d’idées présentées oralement. Si je devais les coucher moi-même sur le papier, le texte qui en résulterait serait considérablement différent. Il y a encore beaucoup de répétitions, de reformulations, et d’utilisations de formules similaires mais non identiques; dans un texte écrit, plus d’attention doit être portée à la précision, à la cohérence du texte et à son économie. Plus important encore, certains problèmes ne reçoivent qu’un développement très limité, la cause en étant les limitations de l’audience à laquelle les conférences étaient spécifiquement données. Par exemple, la mention de l’argument de Pascal (et la théorie des jeux en général) nécessite un traitement beaucoup plus élaboré (ce que j’ai fait en privé, mais jamais présenté publiquement). De même, la partie consacrée à l’archéologie a besoin d’être beaucoup plus largement développée. En conséquence, le lecteur ne doit pas regarder ce "texte" comme une argumentation achevée, mais bien plutôt comme les grandes lignes de cette argumentation; il peut ainsi évaluer sa logique interne et essayer d’anticiper comment elle finira, mais la dimension réelle n’y est pas encore (un travail de rédaction est en cours pour l’écrire dans les règles de l’art).
En dépit de ces restrictions, la possibilité d’avoir à disposition une version écrite de ces conférences est un grand pas en avant pour rendre les idées qui y sont présentées accessibles à une "quête de vérité" réfléchie, selon l’expression de Joshua. Si les conférences continuent d’avoir de l’impact, ce sera dû dans une mesure significative à ses efforts.
C’est un plaisir que d’avoir pu bénéficier des commentaires de ceux qui ont lu ce texte, en particulier le professeur David Wiederker et le docteur Yisroel Asher. J’ai une dette particulière envers le Rabbin Eliezer Shapiro pour sa patience et son aide experte dans la préparation du manuscrit.
Rabbin David Gottlieb
Rosh ‘Hodesh Iyar 5754 Jérusalem
© 1997 Dr Rabbin David Gottlieb – Tous droits réservés
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Note préliminaire à la traduction anglaise.
Avant que vous, lecteur, ne vous embarquiez pour un fascinant voyage à travers les événements remarquables de l’histoire du peuple juif, voyage dont le but sera de vérifier si la Torah dit vrai, et si par conséquent le Judaïsme est authentique, il est important de réfléchir au préalable à l’objectif et à l’état d’esprit qui sont les vôtres à l’approche du plus important des sujets. Certaines personnes sont incapables de percevoir la vérité des choses, bien qu’elles s’y essayent de leur mieux. Aussi, avant de continuer, il vous faut examiner comment vous évaluez les nouvelles informations qui vous parviennent; il est crucial, et ce tout particulièrement dans le domaine dont nous allons traiter, que vous approchiez ces informations avec un esprit totalement ouvert, parce que dans le cas contraire il est à craindre que vous les rejetiez instinctivement. A titre d’exemple, veuillez s’il-vous-plaît passer quelques instants à considérer la question suivante : est-ce que vous associez au terme "mariage" des impressions positives ou des impressions négatives ? Autrement dit, est-ce que le mot "mariage" induit en vous un sentiment de joie ou un sentiment de désespoir ?
Laissez-moi illustrer par le biais d’un exemple ce que j’essaie d’exprimer lorsque je parle de l’état d’esprit approprié que toute personne doit nécessairement posséder avant de commencer à lire cet essai : admettons que E soit un événement qui provoque une réponse émotionnelle chez l’observateur; supposons en plus qu’il existe une certaine vérité objective quant à ce qu’est E vraiment. Maintenant, considérons deux personnes, A et B, telles que dès le départ A sera ouverte d’esprit quant à E, tandis que B ne le sera pas. Il est très probable que A sera à même de percevoir la réalité de ce qu’est E, alors que B s’en révélera incapable. Ceci est ma proposition de base.
Par exemple, supposons que l’événement en question soit un mariage; un mariage est un événement fortement chargé en émotions, laissant généralement des impressions fortes dans le cœur et l’esprit des spectateurs. Je pense qu’il est juste de dire que les mariages sont des occasions joyeuses; ceci est la vérité objective qui est attachée à un mariage. Maintenant, deux personnes assistent à une cérémonie; la première, A, n’a pas de préjugés négatifs contre les mariages et arrive à la cérémonie avec un état d’esprit objectif, capable de distinguer la vérité attachée à cet événement, c’est-à-dire le bonheur. La deuxième personne, B, n’a pas eu les meilleures expériences du monde en termes de bonheur conjugal. B a divorcé trois fois et, à sa dernière tentative de se marier, a été laissé seul à l’autel. Il est ainsi patent que B ne saurait être considéré comme quelqu’un possédant l’objectivité nécessaire pour apprécier la vérité du mariage, c’est-à-dire le bonheur. Très certainement, A sera capable de percevoir la joie du mariage – sa vérité -, alors que B s’en révélera incapable, habité qu’il est par ses sentiments négatifs envers l’institution matrimoniale; par conséquent, quelle que soit la clarté de la vérité exprimée à travers un mariage, B ne sera pas à même de la saisir. Son manque d’objectivité faussera sa perception de la réalité.
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Le texte que vous lisez actuellement suit exactement le même schéma. En effet, le sujet en est la vérification historique de la Torah et, dans un certain sens, D.ieu, un sujet connu pour avoir provoqué chez les hommes des réponses émotionnelles très puissantes tout au long de l’Histoire. Il y a dans cet essai une certaine vérité, ou plus précisément des indices et des apports logiques qui permettent de vérifier la vérité de l’hypothèse. On peut approcher le texte avec un esprit soit ouvert, soit fermé. Certaines personnes décident a priori qu’il n’y a pas de D.ieu et, confrontées à des indices de l’existence de D.ieu et de l’exactitude de la Torah, diront "tout cela est remarquable, mais cela ne fait toujours pas de moi un croyant". Ces personnes ne sont pas en quête de vérité : elles ont déjà leurs vues sur l’existence ou non de D.ieu, et il est vain de chercher à leur prouver quoi que ce soit. S’il y a une table dans la pièce, que je m’exclame "oh, quelle belle table que voilà !" et que vous répondez "les tables n’existent pas. Néanmoins, il m’arrive d’halluciner de temps en temps et de penser que je vois une table. Lorsque cela m’arrive, je vais immédiatement me coucher et j’essaie de me reprendre", je ne crois pas qu’aucune preuve que je pourrais vous donner de l’existence des tables soit à même de vous ébranler vers la vérité. Si vous vous cantonnez à ce système de pensée, rien de ce que je peux faire ne vous convaincra que les tables existent.
Certaines personnes tenteront d’objecter à ce que nous venons de dire ; elles feront valoir l’argument suivant : "fort bien, tout ceci est très raisonnable si vous croyez au postulat originel, soit qu’un événement a une certaine vérité. Mais peut-être que je conteste ce point de départ, et peut-être bien que je ne pense pas qu’aucun événement ait une vérité spécifique. Il est possible que je ne croie pas que les mariages soient des événements joyeux". A une telle personne, je n’ai qu’une seule réponse à donner : en réalité, vous croyez bel et bien que les événements ont une certaine vérité dans leur essence ; votre intuition vous souffle que tel est le cas. Au début de cette introduction, je vous avais demandé, apparemment hors propos, si les mariages provoquent chez vous des sensations de joie ou de tristesse. Qu’avez-vous répondu à cette question ? Vous avez répondu qu’un mariage vous donne d’extraordinaires sensations de joie et de bonheur. Ainsi, sur la base de vos propres sensations et de votre propre intuition, le postulat se trouve vérifié. Nous ne voulons pas soulever des objections pour le simple plaisir de disserter académiquement, ni pour satisfaire à un quelconque besoin de ne pas entendre la vérité : gardez cela pour la foule de ceux qui veulent rester "politiquement corrects", en Amérique ou ailleurs. Nous voulons constater que, dans certaines circonstances, une option a plus de support matériel en sa faveur qu’aucune autre. Et, sur la base de votre propre intuition, la proposition suggérée est parfaitement exacte. Je ne suis pas en train de parler à votre place ni de vous souffler ce que vous pensez : ce sont vos pensées, votre esprit, votre cœur, votre intelligence, vos émotions et votre intuition qui sont venues conforter cette thèse.
Je peux seulement espérer que j’ai été capable de vous transmettre, à vous lecteur, l’importance d’un état d’esprit adéquat, avant que vous entamiez cette tâche stimulante qui se trouve devant vous. Il est très facile de tromper les autres, voire soi-même, et de (se) faire croire que l’on a objectivement analysé certaines informations ou événements. Mais, si une personne est réellement capable de prendre du recul pour aborder un problème avec distance, elle a franchi le pas le plus décisif vers la croyance. Dans son livre "The Closing of the American Mind", Allan Bloom écrit que "si un étudiant arrive – et c’est la distanciation la plus difficile et la plus inhabituelle qui soit – à prendre un certain recul critique envers ce en quoi il croit, en venir à douter de la valeur ultime de ce qu’il aime, il aura fait le premier pas et le plus difficile vers la conversion philosophique". Une personne peut afficher ce qu’elle veut à propos de l’objectivité, mais si elle n’a pas une approche vraiment objective dans son analyse, elle ne renoncera jamais à aucune de ses croyances. Seul vous êtes à même de déterminer l’état d’esprit que vous possédez. Quel qu’il soit et quoi que vous décidiez quant à votre façon de procéder, il est important de toujours garder à l’esprit ce que nous venons de discuter dans cette introduction. Si, à quelque moment que ce soit, vous vous trouviez en train de rejeter catégoriquement un argument pour des raisons qui ne sont pas absolument adéquates à vos yeux, revenez-en à cette introduction et essayez de déterminer si vous êtes complètement objectif dans vos pensées et dans votre analyse de ce qui est écrit. Je peux vous assurer qu’un soin immense a été placé dans la rédaction de cet essai, et que les déficiences apparentes de l’un ou l’autre des arguments peuvent souvent êtres résolues par une simple réflexion de votre part.
En vous souhaitant bonne chance dans votre quête de vérité,
Joshua Hermelin
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