Sur l’autel du Droit de l’homme et du citoyen, l’homme moderne brandit l’un des crédos de la démocratie : la liberté d’expression, censée offrir à chacun le droit d’exprimer tout ce que bon lui semble. En fait, cette idéologie apparaît déjà dans le livre des Psaumes (12, 5), qui parle de « ces hommes qui proclament : ‘Par notre langue nous triomphons, nos lèvres sont notre force’ », et dont la doctrine repose sur cette question : « Qui est donc notre maître ? ».
La volonté du Maître
La Torah enseigne à l’homme à maîtriser ses paroles et à ne pas proférer des paroles allant à l’encontre de la morale. Bien plus : aux yeux de la Torah, l’homme doit même apprendre à maîtriser ses pensées et sa volonté, et ne jamais se laisser entraîner par elles. A cet égard, le verset dicte : « Vous ne vous égarerez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux » (Bamidbar 15, 39) – laissant entendre que toute volonté n’est pas forcément bonne. Dans le même esprit, la Torah nous défend de « convoiter » (Chémot 20, 14), d’« envier » (Dévarim 5, 18), de « garder rancune » (Vayikra 19, 18). Ceci nous apprend que l’homme doit savoir maîtriser parfaitement toutes ses pensées et tous ses sentiments, au point de ne même pas éprouver la convoitise ou la rancune qu’impliquent certaines situations.
Les maîtres de la ‘hassidout remarquent à ce sujet que le mot ratson [la volonté] est dérivée du verbe « courir » [rats], dans la mesure où les désirs humains sont des choses éphémères et changeantes, susceptibles de partir aussi facilement qu’elles sont venus.
Après votre cœur et après vos yeux
Ceci apporte un éclairage au verset de notre paracha : « Vous ne vous égarerez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux », que Rachi commente en ces termes : « L’œil voit, le cœur convoite et le corps accomplit la faute ». Ceci constitue en effet l’ordre naturel des choses : les yeux captent l’information extérieure et la transmettent au cœur. Celui-ci la traduit dans un langage émotif et stimule ensuite le corps pour réagir en conséquence. Et de fait, le Talmud confirme que c’est là l’unique processus menant à la faute : « Le mauvais penchant n’a d’emprise que sur ce que les yeux voient ».
Cependant, une question persiste : si tel est bien l’ordre chronologique des choses, pour quelle raison le verset fait-il précéder l’impression du cœur au regard des yeux : « à la suite de votre cœur et de vos yeux » ?
Le Malbim résout ce problème à l’aide de l’explication suivante : « Si la tentation et les désirs n’avaient pas d’emprise sur le cœur pour en ôter la crainte du Ciel, nul ne se laisserait impressionner par les spectacles offerts à ses yeux. Si l’œil est sensible à la tentation, c’est la preuve que celle-ci s’est déjà insinuée dans les sentiers du cœur, et que la convoitise est déjà présente dans le cœur pour en extraire la crainte du Ciel ».
Dans le même esprit, le Lev Sim’ha disait que « tout dépend de la volonté du cœur » (Chela’h 5740) ; d’après lui, ceci constitue le fondement de cette célèbre discussion que l’on trouve dans les Maximes de Pères : « Rabbi Yo’hanan demanda à ses disciples : ‘Quelle est la voie juste que l’homme doit se choisir ?’ », à quoi Rabbi Elazar ben Ara’h avait répondu : « Un bon cœur ». Cette réponse avait tant plu au maître qu’il s’était alors exclamé : « La réponse de Rabbi Elazar ben Ara’h est la meilleure d’entre toutes, car elle englobe toutes vos réponses ». Car de fait, la clef de toute chose est située dans les replis du cœur.
Le Lev Sim’ha explique que c’est précisément sur ce point que les explorateurs, envoyés en Terre d’Israël par Moché, avait failli. En effet, la racine de leur médisance ne résidait pas tant dans leur témoignage, mais bien dans l’intention qui les accompagna tout au long de leur périple. Rachi le souligne explicitement : « Le verset juxtapose leur retour à leur départ, pour t’apprendre que de la même manière qu’ils revinrent de leur voyage avec de mauvais conseils, ainsi sont-ils partis avec de mauvais conseils » (Bamidbar 13, 26). Autrement dit, avant même d’avoir vu les frontières d’Erets-Israël, ces hommes savaient déjà ce qu’ils voulaient en tirer ! Car lorsqu’on veut voir le mal, on ne peut voir que le mal.
Fais de Sa volonté ta volonté
Par conséquent, lorsque la Torah nous enjoint de ne pas suivre les chemins de notre cœur et de nos yeux, il n’est pas seulement question de ne pas agir contrairement à la volonté divine, mais également de ne pas vouloir une chose à laquelle elle s’oppose.
Mais en vérité, il existe un niveau encore supérieur : celui où les seules volontés d’un homme sont celles de son Créateur. A ce moment, il n’est plus question de ne pas vouloir l’objet d’une faute, mais même d’annuler tout désir pour se conformer uniquement à la volonté divine. C’est là le niveau incommensurable qu’atteignirent les enfants d’Israël au pied du mont Sinaï, lorsqu’ils proclamèrent : « Nous ferons et nous entendrons ».
Par cette déclaration, les Hébreux affirmèrent que leur toute première réaction à l’écoute d’un ordre divin sera de « faire », c'est-à-dire de ne laisser aucunement leur volonté personnelle s’immiscer entre la volonté de D.ieu et sa réalisation concrète. C’est pourquoi cette déclaration historique est attribuée aux anges, dans la mesure où ceux-ci, dénués de libre-arbitre, ne peuvent concevoir de désobéir à l’ordre divin. Cette spontanéité est le secret d’un dévouement total à la volonté divine, et trouve ses fondements en notre for intérieur, dans les tréfonds de notre cœur. Par Yonathan Bendennnoune,en partenariat avec Hamodia.fr