Aimer la justice, haïr l’iniquité !
Dans l’esprit collectif de notre peuple, le personnage d’Avraham incarne
le pilier de l’amour et de la bonté.
Tant et si bien que toutes les preuves d’altruisme existant jusqu’à
ce jour émanent en substance de l’impulsion imprimée
par le premier Patriarche de la nation juive.
Avraham est en effet considéré
dans la tradition juive
comme le « père de la bonté »,
ce qui amena nos Sages à dire des
hommes généreux qu’ils sont « des
altruistes, fils d’altruistes, qui entretiennent
l’alliance d’Avraham notre
ancêtre » (Traité talmudique Kétoubot,
page 8/b). Ailleurs, nos Sages affirment
aussi que « la bonté est présente
dans le monde du fait d’Avraham »,
(Béréchit Rabba 60, 2). Cette sentence
est chargée de significations, notamment
celle exprimant qu’Avraham fut
à proprement parler « l’inventeur » et
l’initiateur de la vertu de bonté et, de
ce fait, toute nouvelle manifestation
de générosité se rattache à celui qui
en quelque sorte « breveta » cette valeur
dans le monde !
« Avec l’homme généreux,
Tu es généreux ! »
Si Avraham incarne ainsi la vertu
de Bonté, ce n’est pas seulement du
fait qu’il faisait sans cesse preuve
d’un « don de soi » exceptionnel.
Car ce qui caractérisa plus que tout
Avraham, c’est l’amour de la bonté
qui rythmait tous les battements de
son coeur. Cette aspiration profonde
à remplir le monde d’une si grande
bonté fut ce qui lui permit d’accomplir,
toute sa vie durant, tant d’actes
généreux.
Le verset des Psaumes « Avec l’homme
généreux [‘hassid], Tu es généreux
! » (18, 26) se rapporte, selon
nos Sages (voir le Midrach Cho’her
Tov, ibid.), à Avraham en particulier,
car sa propre générosité fut celle
qui suscita l’amour et la bonté du
Créateur à son égard. Or, la « bonté »
[‘hassidout] évoquée dans ce verset
peut s’interpréter selon deux approches
: d’une part, ce terme renvoie
effectivement aux manifestations
d’altruisme proprement dit. Mais par
ailleurs, c’est également à une forme
de « piété » qu’il est fait référence
ici,
celle qui se manifeste lorsque l’homme
agit « plus scrupuleusement »
encore que ce que n’exige la plus
parfaite des éthiques.
De fait, ces deux qualités dominaient
chez Avraham d’une manière qui dépasse
notre entendement ! Personne
ne peut en effet concevoir qu’un
vieillard âgé de 99 ans et éprouvé
par les séquelles de sa circoncision
puisse encore se mettre à la recherche
active d’invités potentiels. Mais
comme nous l’avons dit, la bonté la
plus authentique ne saurait se résumer
à un étalage d’actes généreux :
elle doit toujours être motivée par
un amour et une recherche avide de
combler son entourage de bienfaits.
Et c’est ce désir qui brûlait en lui qui
amena Avraham à devenir le plus
parfait symbole d’altruisme.
Des origines constitutives
Cette disposition à « aimer la bienfaisance
» possède des origines dépassant
totalement la simple « affabilité
envers autrui ».
De fait, l’homme ayant été créé à
« l’image de D.ieu », il s’avère que
sa nature est empreinte des Qualités
de son Créateur. Or, nous savons
que D.ieu est absolument « Bon », et
que Sa charité remplit le monde. Par
conséquent, les impulsions d’altruisme
présentes chez l’être humain se
rattachent en fait à sa réalité constitutive,
et c’est elle qui lui permet de
faire preuve d’une bonté dépassant
totalement le cadre de sa nature
simple et prosaïque. De ce fait, un
homme qui serait totalement dénué
de cet « amour de la bonté » témoigne
d’un détachement total de son
essence la plus élevée.
Avraham s’avança
et parla…
Dans ce contexte, la prière que formula
Avraham en faveur des habitants
de Sodome revêt un cachet
particulier. Dès l’instant où le Saint
Béni soit-Il annonce à Avraham le
sort qui attend les habitants de Sodome,
notre patriarche s’épanche en
prières pour tenter de les en épargner.
Ainsi, sa longue prière en forme
de plaidoirie fut-elle constituée
non seulement de supplications et de
paroles de persuasion, mais même
d’une certaine forme d’impudence
(voir Rachi, 18, 23).
En outre, depuis qu’il s’était voué à
se rapprocher chaque jour davantage
de son Créateur, Avraham n’avait eu
de cesse de s’éloigner des influences
funestes des peuples idolâtres qui
l’entouraient. La fameuse injonction
divine « Le’h le’ha » l’enjoignant de
« partir de son pays » était elle-même
destinée à cette fin, et il réalisa plus
tard que tant qu’il ne se séparerait
pas de Lot, son neveu, l’esprit divin
ne résiderait pas sur lui (voir Rachi,
13, 14). Or, malgré l’aversion profonde
qui se développa donc en lui
envers toutes les formes de mal, il
eut cependant à coeur d’implorer la
Miséricorde divine en faveur des habitants
de Sodome.
En effet, Avraham n’ignorait pas
combien les moeurs des gens de cette
contrée étaient dépravées ! Cette
ville symbolisait la plus parfaite
antinomie des principes que luimême
véhiculait autour de lui. Non
seulement ses habitants ne pratiquaient
d’aucune manière la charité
et l’altruisme, mais qui plus est, ils
avaient institutionnalisé l’égoïsme
à son plus haut degré. En vertu de
leurs lois, il était en effet formellement
proscrit de pratiquer dans
le périmètre de cette région toute
bonté envers autrui, et quiconque
outrepassait cette loi s’exposait aux
punitions « légales » les plus draconiennes…
Si bien que n’importe quel
homme animé d’une grande piété
aurait peut-être demandé à D.ieu de
détruire cette ville !
Mais Avraham, pour sa part, n’en fit
rien : pour l’homme de bonté qu’il
était, le seul espoir qui l’animait était
de voir ces êtres humains épargnés
de l’anéantissement. C’est en ce sens
qu’Avraham était considéré comme
un ‘hassid. Et ce, à double titre, ainsi
que l’explique l’ouvrage « Messilat
Yécharim » écrit par le Ram’hal :« Il
convient pour l’homme ‘hassid de
chercher, à travers tous ses actes, à
apporter le bien à sa génération toute
entière, en lui offrant du mérite et en
la protégeant. Car toute génération
profite des actions du Juste qui vit
parmi elle (…), et le Saint Béni soit-Il
ne souhaite pas la mort des impies
(…). Le Juste doit agir en ce sens non
seulement par ses actes, mais aussi
par ses prières, c’est-à-dire qu’il invoque
dans sa prière le pardon pour
ceux qui en ont besoin, et ramèner
au repentir ceux qui sont éloignés »,
(chapitre 19).
Les fautes, mais non les fauteurs !
Le verset des Psaumes (45, 8) « Tu
aimes la justice, tu hais l’iniquité ;
voilà pourquoi D.ieu ton D.ieu t’a
consacré » fait justement référence,
selon nos Sages, à cette prière que
formula Avraham pour les gens de
Sodome. Le Midrach (Béréchit Rabba
49, 9) explique en effet : « Le Saint
Béni soit-Il dit à Avraham : ‘ Tu as
aimé la justice ’ – tu as voulu disculper
Mes créatures – ; ‘ Tu hais l’iniquité
’ – tu refusas de les voir coupables
– ‘ voilà pourquoi ton D.ieu t’a
consacré’ ».
Or, de prime abord, cette exégèse
manque de clarté : comment dire
d’Avraham que par son attitude, il
montra un « mépris » pour l’iniquité
? Au contraire, si tel était le cas,
le patriarche n’aurait-il pas plutôt dû
prier pour la mort des mécréants de
Sodome ?
L’issue de ce dilemme réside certainement
dans la réponse qu’avait faite
Brourya, la femme de rabbi Méïr,
le jour où celui-ci priait que ses voisins
mécréants – qui ne cessaient
de l’importuner – meurent. Brourya
réprimanda alors son mari en lui
faisant remarquer que le verset dit
bien « Que les fautes disparaissent de
la terre » (Psaumes, 104, 35), et non
que « les fauteurs » disparaissent…
Il convient donc de bien distinguer
l’homme qui commet une faute, du
caractère condamnable et parfois
exécrable de la faute elle-même ! Et
c’est pourquoi on peut dire d’Avraham
qu’il haïssait « l’iniquité » à proprement
parler, ce qui ne l’empêcha
pourtant pas d’éprouver toujours de
l’amour pour les gens de Sodome qui
n’étaient somme toute que des « fauteurs
».
Adapté par Y. Bendennoune à
partir d’un article du rav M. Reiss
paru dans Hamodia en hébreu
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