Binyamin Nétanyaou et Avigdor Lieberman sont de vieux routiers politiques. Il n’est donc pas pensable qu’ils se soient lancés dans cette union sans en avoir mesuré toutes les conséquences. Pourtant de prime abord, il semble que la démarche va profiter bien plus à Lieberman qu’au Premier ministre. 


Binyamin Nétanyaou est un récidiviste. Ceux qui ont exprimé leur immense stupéfaction, jeudi dernier, à l’annonce de la formation d’une liste commune entre le Likoud et Israël Béteinou ne connaissent pas bien le Premier ministre. En effet, lors de la campagne électorale de 1996, Nétanyaou a pris de cours tous les observateurs en formant une liste commune entre le Likoud, le parti Tsomet (droite laïque) fondé par l’ex-chef d’état-major Rafael Eytan (Rafoul) et le parti Guésher (centre social) créé par David Lévy. À cette époque, l’objectif était presque le même qu’aujourd’hui : former un bloc de droite qui peut obtenir plus de mandats que le parti travailliste. La seule différence notable : à l’époque, et pour la première fois, les Israéliens devaient élire non seulement leurs députés à la Knesset, mais aussi le Premier ministre au suffrage universel direct. Et si Binyamin Nétanyaou avait enclenché alors sa démarche « fusionnelle », c’était avant tout pour s’assurer que ni David Lévy, ni Rafael Eytan ne se porteraient candidats au poste de Premier ministre contre lui. La manœuvre de Nétanyaou avait réussi en partie : l’union de la Droite Likoud-Guésher-Tsomet n’avait obtenu que 32 mandats contre 34 aux travaillistes conduits par Shimon Pérès. Mais, on s’en souvient, pour le poste de Premier ministre, Nétanyaou avait coiffé sur le poteau Shimon Pérès (50,5 % contre 49,5) ce qui lui avait donné l’avantage pour former une coalition.
Il est probable donc que lorsque Nétanyaou a négocié avec Lieberman la présentation d’une liste commune, il avait en tête ce précédent de 1996. Mais on le sait : l’histoire ne se répète jamais. Et la grande question qui demeure après l’annonce de cette union et après sa ratification massive, lundi soir, par la Convention du Likoud, est de savoir si Nétanyaou a vu juste ou bien s’il s’est mépris.
La réponse n’est pas tranchante. Si l’on doit se référer aux sondages (voir encadré), ceux-ci sont mitigés : sur les 4 sondages publiés après l’annonce de l’union Likoud-Israël Béteinou, 3 affirment que le nouveau bloc obtiendrait entre 42 et 44 mandats, c'est-à-dire qu’il conservait ou augmenterait légèrement sa représentation actuelle (42 mandats). Le quatrième prouverait de prime abord que cette démarche était erronée puisque le nouveau bloc de droite ne glanerait que 35 mandats. Toutefois une précision de taille s’impose : dans tous les cas de figure, selon ces mêmes sondages, le bloc Droite-Religieux resterait de loin le plus solide avec environ 67 mandats et c’est donc Binyamin Nétanyaou qui serait convié par le président Pérès à former la prochaine coalition gouvernementale au lendemain des Législatives du 22 janvier prochain. Ces sondages globalement favorables ont sans doute persuadé les membres de la Convention du Likoud de taire leur opposition à ce rapprochement avec Lieberman et d’entériner le plan d’union avec Israël Béteinou.
Mais n’en déplaise à certains proches du Premier ministre qui ont la fâcheuse tendance à réfléchir à travers les résultats de sondages, la politique n’est pas une science mathématique. À propos de ces sondages, le Dr Yossef Burg, ancien leader mythique du PNR avait l’habitude de faire un jeu de mots biblique entre le « Shéker » le mensonge dont la Torah nous incite à nous éloigner, et le Séker le sondage dont les hommes politiques doivent s’écarter. Quant à Shimon Pérès, il répète souvent que les sondages sont comme du parfum qui est agréable à respirer, mais dangereux à boire. De facto, le seul et véritable sondage sera celui des élections. Celles-ci n’auront lieu que dans deux mois et demi et d’ici là il peut se passer de multiples développements qui modifieront la donne. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire.
Une fois les sondages aléatoires mis de côté, la démarche entreprise par Binyamin Nétanyaou suscite un questionnement de fond : lors de la précédente campagne électorale en 2008-2009, M. Nétanyaou avait tout fait pour donner du Likoud une image de parti centriste. Il avait recruté des figures modérées tel que Dan Méridor et écarté les trouble-fêtes radicaux tel que Moché Feiglin. Son objectif était alors d’empêcher un glissement des voix de centre droite, du Likoud vers Kadima. Or cette fois-ci, c’est exactement le contraire qui se produit : c’est avec un leader radical controversé tel que Lieberman qu’il a choisi de composer au risque de se mettre à dos les centristes de droite. Et même si la fin peut justifier les moyens, même si le désir de présider à la plus solide formation de l’échiquier politique prédomine sur des considérations idéologiques, Nétanyaou prend aujourd’hui trois risques sérieux : le premier est de voir une partie de l’électorat centriste du Likoud ne plus se reconnaître dans ce parti et le quitter pour rejoindre des formations comme celles de Yaïr Lapid. Le second est de risquer de voir l’électorat sépharade et religieux du Likoud s’écarter d’un parti qui a laissé échapper Moché Ca’hlon et qui préfère une alliance avec les « Russes » laïques de Lieberman plutôt qu’un rapprochement avec le sionisme religieux. Pas de doute possible : ces électorats se sentent affectés et bernés par la démarche de Nétanyaou. Au lendemain, ils ont protesté en accusant Nétanyaou d’avoir « bradé le Likoud ». Et même si la Convention a validé l’union à une forte majorité, dans les rangs du parti, la colère de certains militants gronde. Si d’aventure, le score de la formation unifiée devait être inférieur à une quarantaine de mandats, il faudrait s’attendre à des turbulences au Likoud. Ce qui nous amène au troisième risque. Celui-ci concerne le leadership de Nétanyaou. Désormais installé au second rang de la liste électorale commune, Avigdor Lieberman se positionne aujourd’hui comme le dauphin du Premier ministre. M. Nétanyaou peut clamer comme il l’a fait lundi soir lors de la Convention du Likoud, qu’il a « l’intention de continuer à gouverner le pays pendant de longues années encore » et qu’il n’a pas d’héritier, l’ombre de Lieberman ne manquera pas de le menacer en permanence. Car si Nétanyaou est habile, le leader d’Israël Béteinou est bien plus rusé que lui. D’ores et déjà, on a le sentiment que les princes du Likoud tels que Guidéon Saar et Guilad Ardan se retrouvent effacés par cette démarche. Il ne fait donc aucun doute que Lieberman attendra patiemment le moment opportun où Nétanyaou sera plus affaibli pour faire une OPA sur le parti fondé en 1973 par Menahem Begin et Ariel Sharon et pour en prendre le contrôle. À moins que Nétanyaou ne sache quelque chose que nous ne savons pas à propos des enquêtes dans lesquelles Lieberman serait incriminé, enquêtes qui plus d’une décennie après n’ont toujours pas abouti…  Par Daniel Haïk, en partenariat avec Hamodia.fr