La vague de soulèvements qui déstabilise le Moyen-Orient est enfin arrivée en Israël et l’État hébreu peut, lui aussi, se vanter d’avoir sa propre révolution Facebook. Dans ce cas précis, pas question de détrôner un tyran sanguinaire ou de renverser le pouvoir : il s’agit uniquement de protester contre la hausse du prix d’un fromage, le Cottage en l’occurrence, dont les Israéliens sont extrêmement friands et dont le prix a atteint ces derniers jours les 8 shekels pour un pot de 250 gr !

Tout commence il y a une dizaine de jours, lorsqu’un groupe de consommateurs, excédés par le prix exigé pour un pot de fromage « Cottage » – un des produits de base des ménages israéliens qui en achètent chaque année près de 105 millions de boîtes pour un montant total de 1,4 milliard de shekels – ouvrent sur le réseau social Facebook une page dans laquelle ils proposent un boycott général de ce produit. En quelques jours, cette initiative séduit plus de 80.000 personnes qui s’engagent à ne pas acheter de Cottage à partir du 1er juillet prochain, et ce, tant que les principaux producteurs de produits laitiers du pays ne cesseront pas de synchroniser leur politique de hausse des prix. Quelques jours plus tard, la campagne est avancée et, au lieu d’attendre le 1er juillet, ses créateurs appellent au boycott immédiat de tous les fromages blancs et cottages dont le prix est supérieur à 5 shekels, un prix qui « reflète la réalité économique israélienne » selon eux.
L’initiateur de cette campagne médiatique, Itsik Alrov, un orthodoxe de Bné Brak (voir encadré), rappelle que depuis 2006, le prix d’une boîte de Cottage a augmenté de 56 % ! Pour lui, comme pour de nombreux économistes, il ne fait aucun doute qu’on fait ici face à une sorte de cartel officieux, mené par le géant de l’agroalimentaire Tnouva, qui possède 70 % des parts du marché et fournit en lait les deux autres producteurs de produits laitiers que sont Strauss et Tara.
Après avoir conquis Facebook, la vague de protestation menée par les consommateurs passe ensuite à la Knesset où la députée Kadima Ronit Tiroch décide de surfer sur la vague du mécontentement pour égratigner la popularité du Premier ministre Binyamin Netanyaou à qui elle transmet une boîte de Cottage en plein milieu d’un débat à l’hémicycle, manifestement dans l’intention de montrer au peuple qui est, selon elle, le véritable responsable de la hausse des prix.
Lundi 13 juin, les délégués de Tnouva, Tara et Strauss étaient les invités, quelque peu contraints, de la commission parlementaire de l’Économie. En effet, son président, le député (Likoud) Carmel Chama, avait affirmé quelques jours plus tôt que la société qui ne déléguerait pas son PDG à cette réunion se verrait ‘’boycottée’’ par la commission. Le jeudi précédent, ces mêmes délégués expliquaient à la ministre de l’Agriculture Orith Noked qu’ils ne pouvaient en aucun cas envisager de baisser leurs prix qui sont, selon eux, « en totale corrélation avec les coûts de production en Israël ». Pour ces trois producteurs de produits laitiers, cette vague de protestation est « injuste » : « On nous fait passer pour des suceurs de sang alors que nous n’avons augmenté nos prix qu’après avoir amorti la hausse internationale du prix de la nourriture pour vaches laitières », ont-ils déclaré à la ministre.
Il convient de préciser que l'augmentation sensible du prix du « Cottage » est intervenue depuis que ce produit a été extrait de la liste des produits dont le prix est fixé par l’État. Pour les organisations de défense des consommateurs, deux solutions sont envisageables : revenir à l’ancienne méthode et confier au ministère de l’Agriculture le soin de déterminer le prix des aliments de base ou alors augmenter la concurrence en permettant l’importation de produits laitiers. Une menace qu’a brandie le ministre des Finances, Youval Steinitz, qui a affirmé que cette option déciderait peut-être les trois géantes à changer de politique.
Aujourd’hui, seuls les œufs et le sel font encore partie du panier des produits sous contrôle, ce qui permet aux amateurs d’omelettes et autres œufs au plat de profiter de prix relativement corrects. Mais pour ce qui est du lait, du cottage et du fromage blanc, des yaourts nature, du beurre, du fromage en tranches de type gruyère ou emmenthal et du pain, décider de leur prix est désormais la prérogative des producteurs et plus de l’État.
Une autre menace, brandie cette fois-ci par le ministre de l’Intérieur, Élie Ichaï, consiste à enquêter sur ce fameux cartel officieux des productrices de laitages. Ichaï, qui s’est tourné vers le conseiller juridique du gouvernement afin qu’il mène une enquête, a déclaré qu’il fallait vérifier si « des forces économiques ne s’étaient pas associées officieusement sur le dos des consommateurs ».
Le Cottage est donc en passe de devenir le symbole du ras-le-bol de la population israélienne face à l’inflation du prix des produits alimentaires à laquelle ils font face : « Les gens ne peuvent plus se mesurer aux dépenses courantes puisque les produits de base ont augmenté à raison de plusieurs dizaines de pour cent ces dernières années », affirme Alrov.
C’est officiel : la nourriture coûte cher en Israël

Le Cottage n’est qu’un produit parmi tant d’autres dont le prix a clairement augmenté dernièrement. Ce qui est certain, et désormais prouvé scientifiquement, c’est qu’Israël est un pays cher, pour tout ce qui a trait à la nourriture.
En effet, selon une étude publiée par l’OCDE qu’Israël a rejointe récemment, le coût de la vie en Israël est 30 % plus cher qu’aux États-Unis, 14 % plus cher qu’en Italie et qu’au Portugal, 11 % plus cher qu’en Espagne, 5 % plus cher qu’en Allemagne et 2 % plus cher qu’en Grande-Bretagne et qu’en Autriche.
Un point important : cet index du coût de la vie prend en compte deux facteurs, le prix des locations et le prix de la nourriture. Vu l’inflation subie par le marché immobilier ces derniers temps, il faut donc mettre un petit bémol à cette analyse.
Néanmoins, même en tenant compte de la bulle immobilière de ces dernières années, il est évident, pour les analystes de l’OCDE, que le prix de la nourriture en Israël est en constante augmentation. En effet, l’indice des prix de la nourriture en Israël a été majoré au cours de l’année deux fois plus que la moyenne des pays membres de l’organisation des pays développés (6,1 % d’augmentation en Israël pour 3 % en moyenne).
Verser 8 shekels pour 250 grammes de Cottage : 8 shekels, est-ce le prix à payer pour vivre en Israël ? Pour l’OCDE, la réponse est oui…Par Laly Derai,en partenariat avec Hamodia.fr