A l’entrée de Jérusalem, surplombant une colline de la Ville sainte, trône un bâtiment large et imposant, dont les briques délavées portent les marques de plusieurs décennies d’âge. Il s’agit de l’« Orphelinat Diskin », fondé par l’un des grands maîtres de Jérusalem, le Maharil Diskin.
Rav Yéhochoua Leib (Maharil) Diskin zatsal (1817-1898) – dont l’anniversaire de décès tombe le 29 Tévet – eut une vie d’une telle richesse qu’elle relève davantage de l’épopée. Depuis la Pologne et la Lituanie, où il dirigea les communautés de plusieurs villes dont l’illustre Brisk, jusqu’à la Jérusalem de l’« ancien yichouv », son parcours fut véritablement hors norme. Nous nous contenterons donc modestement de survoler un cours passage de son enfance.
Un génie précoce
Rav Yéhochoua Leib naquit dans une famille prestigieuse : son grand-père, connu sous le nom de rav Leib ‘Hassid, avait été un élève du Gaon de Vilna, et son propre père, rav Binyamin Diskin, fut considéré comme l’un des grands décisionnaires de son temps
Lorsque rav Yéhochoua Leib eut l’âge de pénétrer dans le monde de l’étude, rav Binyamin décida de prendre lui-même en charge l’instruction de son fils. Rapidement, il s’aperçut qu’il n’avait pas affaire à un cerveau ordinaire : le jeune élève était doué d’un esprit hors du commun, capable de maîtriser des thèmes qui dépassait généralement largement le niveau d’un enfant. Véritable ilouy, il assista très jeune son père au Tribunal rabbinique et quand son âge le lui permit, il lui arriva même de le remplacer au tant que dayan.
La renommée de ses exceptionnelles aptitudes se répandit comme une traînée de poudre et trop rapidement à son goût, on lui confia la responsabilité d’un cours dans la yéchiva locale, dans la ville de Volkovisk. Un grand érudit de la ville de Volkovisk, rav Ben-Tsion Shtrenfeld, témoigna à son sujet : « Je peux certifier que déjà à l’époque où il vécut à Volkovisk [où il n’était qu’adolescent], il connaissait par cœur le Talmud avec tous les commentaires des Tossefot, ainsi que le Talmud de Jérusalem ». Et à cette époque, lorsqu’on parlait de connaître « par cœur », on employait évidemment cette expression au sens littéral…
Déboire d’un génie
Dans une petite commune proche de Volkovisk, les gens de la ville – dont beaucoup se considéraient comme de sérieux « érudits » – avaient une bien piètre estime de leur rav. Leur relation était si tendue que certains s’évertuèrent à le faire limoger de son poste, même au prix de pratiques fort peu « orthodoxes ». C’est ainsi qu’un jour, plusieurs hommes de la ville étudièrent conjointement une décision peu connue du Maguen Avraham, et virent là une opportunité inespérée de mener leurs projets à terme.
Le jour même, ils allèrent soumettre au rav de la ville une question halakhique complexe, dont la réponse résidait dans ce passage du Maguen Avraham. Le rav, qui n’avait rien d’un grand décisionnaire, ne trouva pas cette source et donna une réponse erronée. L’« erreur fatale » fut aussitôt dépêchée à rav Binyamin Diskin, dans la ferme intention qu’il prenne les mesures qui s’imposent. Lorsque rav Binyamin reçut la missive, il fit convoquer le rav pour qu’il tente de s’expliquer.
Le pauvre homme se retrouva ainsi dans la salle d’attente du rav de Volkovisk, l’air pitoyable, sans la moindre idée de la manière dont il pourrait expliquer sa bourde. Vint à passer alors le jeune Yéhochoua Leib, le fils aîné du rav qui n’était alors pas encore bar mitsva. Voyant l’aspect déconfit de l’homme, le jeune garçon s’enquit de ce qui l’amenait jusque là. Informé de l’affaire, le jeune Yéhochoua Leib se résolut à prendre la défense du pauvre homme, et lui proposa d’ajourner au lendemain son entretien avec son père.
Pendant la nuit, le jeune homme s’immergea dans la sougiya [thème talmudique] en question, tourna et retourna le problème dans tous les sens et investit sa formidable intelligence à y clarifier plusieurs zones d’ombre. Au bout de plusieurs heures d’étude intensive, il parvint à mettre en évidence un raisonnement, complexe mais justifié, démontrant que dans certains cas de figure, la décision du Maguen Avraham ne s’appliquait pas ! Empoignant sa plus belle plume, il coucha par écrit sa longue démonstration.
Le lendemain matin, le rav « inculpé » se présenta à la maison des Diskin. Aussitôt, le jeune Yéhochoua Leib lui remit sa dissertation et lui proposa de la recopier avant de la remettre à son père. Sans trop de complexes, l’homme s’exécuta, puis alla se présenter à rav Binyamin et lui remit en main propre les explications qui avaient « motivé » sa décision. Rav Binyamin remercia l’homme, et l’invita à revenir plus tard, après qu’il aura pu prendre connaissance de son texte à tête reposée.
A la lecture de la thèse, le rav de Volkovisk fut vivement impressionné : l’auteur de ces lignes faisait preuve d’une maîtrise d’une grande rareté. Heureux de découvrir qu’il avait affaire à un homme de grande envergure, rav Binyamin fit rapidement rappeler l’homme, impatient d’apprendre à mieux le connaître.
Lorsque celui-ci arriva, il fut reçu avec de grandes marques de respect. Rav Binyamin engagea avec lui la discussion, l’interrogea sur sa ville d’origine et sur ses fonctions actuelles. Au bout d’un moment, la fameuse question qui les avait amenés à se rencontrer fut enfin abordée. Vivement intéressé par les différents arguments invoqués, le maître de céans demanda à son hôte davantage de précisions. Mais en seulement quelques instants, rav Binyamin comprit qu’il y avait là mystification : l’auteur n’était manifestement pas à la hauteur de sa thèse !
Et il n’en fallut guère plus au rav pour comprendre de quoi il en retournait : sur le champ, il convoqua Yéhochoua Leib et lui administra une gifle tonitruante…
Yonathan Bendenoune [en partenariat avec le Hamodia]