La communauté de Vincennes organisait cette semaine une cérémonie pour marquer le terme de l'année de deuil pour les quatre victimes juives de l'attaque de l'épicerie. Reportage.

C'est une cérémonie singulière qui se tenait, mardi 29 décembre, en la synagogue Beth Raphaël, à Vincennes (Val-de-Marne). La hazkara qui réunissait ce soir la une cinquantaine de fidèles, rue Céline Robert, ressemblait en apparence à ce qui rythme le quotidien d'un lieu de culte juif. Des prières, des psaumes, un discours ou deux. Le temps est au recueillement et ce temps de passage fait traditionnellement sortir la famille du défunt d'une année de deuil éprouvante, lente et filante à la fois.
Douze mois. Si l'on se réfère au calendrier hébraïque, douze mois, voilà ce qui nous sépare de l'attaque de l'épicerie Hypercacher. À trois cents mètres de la synagogue, quatre hommes sont morts sous les balles d'un terroriste, Amedy Coulibaly, et personne ici n'a oublié. Yohan Cohen. Yoav Hattab. Philippe Itshak Braham. François- Michel Fradji Saada. Mardi, la communauté de Vincennes sortait symboliquement du deuil en honorant la mémoire des victimes d'une vague de terreur qui lança une année terriblement morose pour la France. "Nous ne sommes pas très nombreux malgré la gravité des événements que nous commémorons et c'est peut-être mieux ainsi" analyse à la tribune Joël Mergui, président du Consistoire central et du Consistoire de Paris. "J'avais dit aux familles des victimes lors de la cérémonie du mois, à la synagogue de la Victoire: " Pardon de vous voler ce moment d'intimité ". Aujourd'hui, les familles ne sont pas là et elles ne savent peut-être pas que nous nous réunissons".

Quête de sens
Les proches des victimes ne sont pas là en effet et pourtant c'est vers elles que les esprits se tournent dans la synagogue. On imagine leur peine, on pressent leur douleur face à l'absence d'un père, d'un frère, d'un fils ou d'un conjoint. On imagine leur souffrance tendue vers l'attente du moindre surgissement de sens face à cette horreur qui s'est abattue sur eux sans prévenir, une veille de shabbat.

Le grand rabbin Hay Krief a osé se confronter à cette question du sens qui, si elle concerne en premier lieu la famille, s'étend a la communauté, religieuse comme nationale. Que s'est-il passé ce 18 Tevet 5775, une date désormais marquée d'une pierre noire dans la mémoire collective du peuple juif ? " On est complètement impuissant face à ce genre de situation. C'est un scénario hors du commun qui nous interpelle " estime le rabbin. Dans un discours maîtrisé et délivré sans notes, Hai Krief a tenté de trouver dans l'épisode biblique de Caïn et Abel une référence en mesure d'éclairer le drame du 9 janvier. Etudier, essayer de "décoder ce qui s'est passé" à partir des Textes, "on doit cela à nos frères" insiste le grand rabbin. "Il faut qu'on fasse pour eux un peu plus chabbat, qu'on mange un peu plus cacher" ajoute Joël Mergui.

Famille(s)
Alors que les cérémonies vont se multiplier dans les premiers jours de l'année, avec comme point d'orgue un rassemblement unitaire le 9 janvier devant l'Hypercacher, le président de Beit Raphaël, Bruno Smia a organisé la cérémonie, porté par un sentiment de nécessité. En premier lieu en raison du nombre de membres de la communauté présents dans l'épicerie lors de la prise d'otages. " Mais je l'aurais organisé même si j'étais président d'une synagogue à Marseille. La manière dont ils sont morts, le fait qu'ils aient été tués dans un Hypercacher, tout cela fait que les victimes sont devenues comme des membres de nos familles ". D'une voix posée, il décrit les difficultés des rescapés de la tuerie qu'ils fréquentent à la synagogue, leurs appréhensions face aux sollicitations des médias, l'effet dévastateur des attentats de novembre qui ont fait remonter à la surface des souvenirs qu'ils tentait péniblement d'écarter. " Ils ne repassent plus devant l'Hypercacher " assure-t-il.

Dimanche 10 janvier, Bruno Smia assistera à la plantation de quatre oliviers dans un nouveau jardin de la ville de Saint-Mandé, à l'occasion d'une cérémonie d'hommage organisée par le maire de la ville, Patrick Beaudouin. Commémorer. Penser l'événement. Célébrer la vie, en dépit de tout. Peut-être faut-il un an pour cela. Pour comprendre ce qui nous arrive. Peut-être. 

En partenariat avec Actualité juive