C’est parfois à travers les gestes et les démarches les plus anodins que se profile la véritable grandeur d’âme. Preuve en est
la fameuse requête des enfants de Gad et de Réouven de s’établir à l’est du Jourdain, exposée à la lumière de ce brillant
développement du « Mikhtav méÉliyahou»…

Dans notre paracha de Matot,
la Torah relate que peu
avant l’entrée de notre peuple
en Eretz-Israël, les tribus de
Réouven, Gad et la moitié de celle
de Ménaché se présentèrent devant
Moché avec une requête particulière
: « Les enfants de Réouven et ceux
de Gad possédaient de nombreux
troupeaux, très considérables. Lorsqu’ils
virent le pays de Yaazer, (…)
ils trouvèrent cette contrée avantageuse
pour le bétail. (…) Ils dirent
[à Moché] : ‘Si nous avons trouvé
faveur à tes yeux, que ce pays soit
donné à tes serviteurs ; ne nous
fais pas passer le Jourdain (…) »,
(Bamidbar, 32, 1- 5).

Or, comme le laisse entendre la
condition posée par Moché, il apparaît
que si ces tribus n’avaient pas
hérité de ces terres situées à l’est
du Jourdain, elles auraient obtenu
une part à l’intérieur d’Eretz-Israël,
à l’instar des dix autres tribus. Un
verset du Livre de Josué l’atteste
d’ailleurs explicitement : « Si le
pays de votre possession vous semble
impur, repassez dans le pays de
l’Éternel, (…) et établissez-vous avec
nous », (Josué, 22, 19). Manifestement,
leur démarche consistait à
se défaire de leur droit sur la Terre
d’Israël – et donc de rompre leur attache
avec ce lieu rempli de keddoucha
– pour s’implanter sur une terre
étrangère.

Par conséquent, il est très étonnant
de constater que l’unique réserve
émise par Moché face à cette requête
consista à demander seulement
que « vos guerriers passent
le Jourdain pour combattre devant
D.ieu », – alors que le fond du problème
semble avoir été totalement
occulté… N’y avait-il pas d’autres
implications autrement plus importantes
dans cette requête de prime
abord regrettable ?


Une génération « éclairée »

Pour résoudre cette remarque, le
« Mikhtav méÉliyahou » nous livre
une explication portant un regard
profond sur la réelle démarche de
ces tribus.

Nous savons que nos Sages qualifient
la génération du désert de
« Dor Dé’a » – c’est-à-dire de génération
« sage et éclairée ». Ce qualificatif,
explique rav Dessler, vient
désigner un remarquable degré de
perception intellectuelle. Nous savons
en effet que l’échelle de la sagesse
– dans son sens le plus large
– comporte trois degrés distincts :
‘Hokhma, Bina et Da’at.
La ‘Hokhma – que l’on associe au
terme générique français de « sagesse
» – est cette perception grâce
à laquelle la substance fondamentale
est clarifiée et qui permet de
donner à toute chose une définition
précise. La Bina – que l’on pourrait
associer à « l’entendement »
– consiste en cette méditation profonde
sur les éléments premiers
permettant d’aboutir à une mise en
pratique de la connaissance ainsi
recueillie. Enfin, le Da’at participe
davantage d’une relation intime
unissant le sujet au concept étudié.
C’est pour cela que la racine étymologique
de « Dé’a » est employée
dans de nombreux contextes où
« l’amour » et le « rapprochement »
sont en jeu, comme par exemple
dans le verset : « Si Je l’ai aimé
[Avraham], c’est parce qu’il prescrivit
à ses enfants (…) », (Béréchit,
18, 19 selon l’explication de
Rachi).

Ainsi, de par cette disposition qui
était l’apanage du « Dor Dé’a » lors
de la traversée du désert, la perception
de D.ieu était si fidèle et profondément
ancrée dans le coeur de
ces gens qu’ils ne s’en détachaient
à aucun moment : leur regard était
constamment éclairé par la lumière
de la Vérité ! Or, il apparaît que c’est
précisément cette remarquable sagesse
qui motiva la requête si particulière
des enfants de Réouven
et Gad…

Parcelles de… sainteté

Le rôle essentiel de l’homme en
ce monde consiste à « sanctifier le
Nom », c’est-à-dire à faire resplendir
la connaissance et la gloire du
Saint Béni soit-Il ici-bas sur terre.
Donc chaque acte, parole ou démarche
permettant de « dévoiler »
davantage une parcelle de sainteté
divine participe à cette vocation.
S’étendant longuement sur ce thème,
les maîtres de la Cabbale nous
firent part de certains éléments qui,
à notre niveau, nous permettront
de mieux saisir notre propre raison
d’être.

Selon l’approche cabalistique, il apparaît
en effet que le rôle spécifique
du peuple juif au sein de l’exil
consiste à extraire les « étincelles
de sainteté » qui s’y cachent et de
les délivrer des forces de l’impureté
qui les enveloppent. Or, précise rav
Dessler, « bien que ces notions se
réfèrent à des concepts élevés dépassant
le cadre de notre perception
commune, nous pouvons toutefois
nous efforcer de les expliquer afin
de les adapter à notre entendement
»…

Le monde dans lequel nous évoluons
est constitué d’une importante proportion
de « hester » – littéralement
de « voilement » de la Présence divine
– dans laquelle l’impureté et
le mal peuvent prendre aisément
racine. En effet, tout élément au
monde à travers lequel il nous est
donné de percevoir l’Existence et
l’Omniprésence du Créateur se rapproche
en cela de sa finalité, et par
conséquent se voit « sanctifié » :
c’est-à-dire consacré à son ultime
réalité. Au contraire, toute chose
qui n’articule d’aucune façon l’expression
de cette Vérité absolue,
voire même qui tendrait à la « dissimuler
» et à l’étouffer, s’éloigne
d’autant du but réel de l’existence
et s’engage dans les chemins hasardeux
de « l’impureté »…

Notre monde se divise ainsi en deux
domaines bien distincts : le domaine
de la sainteté – dont la rareté en
devient d’autant plus une preuve de
perfection –, et celui de l’impureté
qui, malheureusement, ne cesse de
gagner du terrain de génération en
génération.

Toutefois, l’impureté ne saurait être
considérée uniquement comme
une « antithèse » du but authentique
de l’existence – auquel cas elle
ne pourrait tout simplement pas
« être » ! De fait, si nous avons vu
dans la célèbre prophétie d’Ichaya
que « Tout ce que J’ai créé, formé et
organisé, se réclame de Mon Nom et
pour Ma Gloire », (chapitre 43, 7),
c’est qu’il n’existe pas un seul élément
de la Création qui ne soit destiné
à terme à proclamer l’Unicité
du Créateur. Et pour cause : toute
chose, même envahie par l’impureté,
peut cependant devenir l’objet
d’une « sanctification du Nom
divin » pour peu que l’homme, par
la force de ses choix et de son librearbitre,
l’oriente à cette fin.

De fait, le plus infime élément de
la Création est en mesure de « dévoiler
» l’existence de D.ieu et de Le
sanctifier aux yeux du monde entier,
si toutefois l’homme se prête à
en extraire la part de sainteté qui
s’y dissimule. Ainsi, toutes les valeurs
communes à ce bas monde,
qui peuplent si prosaïquement notre
quotidien, peuvent elles-mêmes
devenir des « instruments »
de sainteté si elles sont exploitées
à des fins spirituelles. En outre,
même le « mauvais penchant » recèle
non seulement une proportion
de sainteté, mais son existence tout
entière n’a en fait d’autre horizon
que de permettre à l’homme de le
surmonter et de le détruire pour
faire resplendir la Gloire du Nom
divin !

Cette sainteté qui se dissimule
au creux de l’impureté porte un
nom : il s’agit des « Étincelles de
sainteté », ces fameuses « Nitsotsot
haKeddoucha ». En allant plus en
avant dans cette pensée, rav Dessler
ajoute – au nom de grands ouvrages
cabalistiques – que « l’impureté
se nourrit des étincelles de sainteté
qui se dissimulent en elles ». En
d’autres termes, tout élément impur
ne possède – par essence – de droit à
l’existence qu’uniquement en vertu
de ces parcelles de sainteté qui l’habitent.
Car à défaut de leur présence
(même profondément dissimulée),
l’impureté serait en fait dépourvue
de tout potentiel de « sanctification
du Nom » – auquel cas elle perdrait
sa propre raison d’être.
En conséquence, si l’homme ne fait
pas correctement usage des « instruments
» dont il dispose pour
sanctifier le Nom divin et que –
motivé par sa convoitise matérielle
– il n’exploite pas la sainteté se dissimulant
au creux de son existence,
il met littéralement à mort ces
mêmes étincelles de sainteté, et il
détruit ainsi – que D.ieu préserve !
– son propre rôle dans le service du
Créateur.

Il apparaît donc que chaque Juif
peut trouver, dans sa personnalité
profonde et dans sa proximité directe,
sa part individuelle d’« Étincelles
de sainteté », son but en ce
monde étant de « dévoiler » et de
faire briller au grand jour ses étincelles
personnelles.

Cette dimension constitue en réalité
le propre de l’existence de tout
un chacun : le potentiel de « sanctification
du Nom » que l’on possède
est l’expression de la sainteté de
notre âme qui influe sur notre être
depuis les Hauteurs célestes. Toutes
les circonstances de la vie et chaque
détail de l’existence sont ainsi
générés par un potentiel individuel
de « sanctification » en ce monde ;
et ce sont ses propres « étincelles »
– celles de la sainteté de son âme
– que l’homme doit recueillir et
faire resplendir ici-bas : telle est en
substance son ultime raison d’être
et son unique façon de se réaliser
lui-même.

Faire briller
dans le monde les
« étincelles de sainteté » !

Les tribus de Gad et de Réouven,
nous l’avons vu, faisaient partie de
cette « génération éclairée » du désert.
Aux yeux de ces hommes, leur
part individuelle de « révélation du
Nom » – c’est-à-dire leurs « étincelles
personnelles » – était parfaitement
manifeste ; ainsi, savaient-ils
que ces immenses troupeaux dont
ils avaient été dotés traduisaient
leur rôle en ce monde, et que c’était
bel et bien grâce à ces simples bêtes
qu’ils seraient à même de faire
resplendir leur part personnelle de
Gloire du Nom divin.

En outre, ils découvrirent une relation
profonde entre leurs troupeaux
et les terres à l’est du Jourdain, et ils
comprirent que c’est en cet endroit
précisément qu’ils parviendraient
au mieux à faire éclore leurs objectifs
les plus profonds.

Loin de refuser la Terre de leurs
ancêtres, c’est au contraire par
dévouement pur que ces tribus acceptèrent
de renoncer à leur part au
sein même d’Eretz Israël, et ce, afin
d’accomplir plus parfaitement encore
leur vocation en ce monde.
Leurs intentions étaient donc de
faire resplendir davantage le Nom
divin, et à cet égard, la Torah approuva
pleinement leur démarche !

Yonathan Bendennoune


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