Le mot « censure » résonne dans l’esprit du peuple juif comme le nom d’une vieille ennemie, à la fois craintive pour elle-même
et pernicieuse dans ses actes, dont les origines remontent à plusieurs siècles… du temps des premières grandes « disputations
talmudiques » opposant les Sages de notre peuple aux représentants du clergé catholique.
Si pour le peuple d’Israël, l’exil
signifia longtemps un terrible
cortège d’oppressions
physiques et de cruelles épreuves
corporelles, c’est à sa culture, à ses
livres et à son âme que les nations
européennes commencèrent à s’en
prendre dès le XIIe siècle sur le
Vieux Continent.
De manière fort regrettable, c’est
à l’un des membres du peuple
juif, un apostat ayant renié la foi
de ses ancêtres que l’on doit cet
acharnement avec lequel l’Eglise
« rectifia » pendant de longs siècles
– allant jusqu’à en détruire
certains purement et simplement
– tous les textes traditionnels
qui semblaient peu ou prou aller
à l’encontre de ses « dogmes » et
principes. Nicolas Donin, qui fut
l’élève de rabbi Yé’hiel de Paris,
avait en effet été mis en ‘herem
(excommunication) par son maître
et par la communauté juive de
France en raison de son scepticisme
quant à l’authenticité de la
tradition orale. Or par dépit, il se
convertit ensuite au christianisme
et, par soif de vengeance, il écrivit
au pape Grégoire IX en personne
une lettre calomniatrice relatant
les soi-disant « atrocités » dont regorgeait
le Talmud, sous prétexte
de témoigner de sa ferveur pour sa
nouvelle religion.
Dans sa lettre, il dénonça notammment
les « interprétations tortueuses
» des versets de la Torah écrite
et ce qu’il appel des « blasphèmes
contre D.ieu » et particulièrement
contre le messie de la foi chrétienne…
Confiant alors l’administration
de Inquisition à l’Ordre des
Dominicains, auquel appartenait
ce renégat, le souverain pontife
décréta que soient confisqués en
France, en Espagne et en Angleterre
« tous les livres du Talmud ».
Suite à cette confiscation, le roi de
France Louis IX donna l’ordre de
l’ouverture d’un « procès officiel »
destiné à délibérer de l’exactitude
de ces accusations. C’est ce procès
qui deviendra la fameuse « disputation
» de 1240 tenue à Paris et
qui opposa Nicolas Donin à plusieurs
des grands Sages de l’époque,
dont notamment rabbi Yé’hiel
de Paris et rabbi Moché de Coucy.
C’est donc le lundi 2 Tamouz de
l’an 5000 que débuta cette grande
disputation dirigée par la mère du
roi, Blanche de Castille, lors de laqquelle
pas moins de 35 chefs d’acccusation
furent soulevés contre
les Juifs. Mais bien que rabbi
Yé’hiel et ses compagnons soient
parvenus à réfuter avec brio tous
les arguments du prêtre Donin, le
sort des volumes du Talmud français
semblait avoir été déjà scellé,
et deux ans ans plus tard, tous les
ouvrages de la Loi orale – Michna,
Talmud et commentaires talmudiqques
– furent amoncelés dans 24
charrettes et réduits en cendre sur
la place de Grève à Paris…
Ce tragique événement se révéla
en réalité comme l’amorce d’une
tendance, mue par l’insatiable paranoïa
de l’Eglise catholique face
à toutes les formes d’hérésie, qui
allait se poursuivre littéralement
jusqu’à nos jours, puisque l’un des
plus illustres ouvrages de notre
temps, le « Michna Beroura », fut
lui-même aussi l’objet de « correcttions
» de la censure chrétienne
(voir chapitre 46, 4)…
Inspirés par la ferme résolution
du roi français, ce sont ensuite
tous les pays d’Europe qui, l’un
après l’autre, s’en prirent à l’âme
du peuple juif en confisquant, en
brûlant et en effaçant toute trace
de notre sainte Loi orale !
Mais avec le temps, certains pays
commencèrent plus tard à tolérer
l’existence des volumes du Talmud,
en contraignant néanmoins
leurs détenteurs à effacer toutes les
évocations et passages « contraires
aux principes du christianisme
», évidemment en fonction des
interprétations dogmatiques que
les hommes du clergé donnaient
eux-mêmes à ces textes…
Ce fut le cas notamment en Espagne
et au Portugal et, au fil du
temps, cette « solution » atteignit
les côtes italiennes où prit ainsi
forme de ce qui allait devenir la
Censure inquisitoire, développée
en premier lieu par le pape Jules
II dès 1512. Ce dernier nomma
même une « commission d’inquisiteurs
» chargés de contrôler tous
les passages sensibles du Talmud,
et regrettablement secondés par
certains Juifs renégats ayant tout
au moins de vagues connaissances
de ces textes.
C’est ainsi que tous les livres talmudiques
furent confisqués des
synagogues et foyers juifs de
Rome pour être soumis par cette
commission à un contrôle draconien.
Ses conclusions furent acccablantes
: aux dires des inquisitteurs,
il s’avéra que non seulement
l’honneur de Jésus de Nazareth et
du Nouveau Testament était « bafoué » dans les écrits talmudiques,
mais même la Torah de Moché y
était « profanée »…!
C’est ainsi qu’en 1553, l’ordre
tomba de remettre entre les mains
des autorités tout ouvrage talmudique
– la République de Venise
allant quant à elle jusqu’à promettre
une récompense de 400 lires à
tout délateur et le bannissement
à tout contrevenant – et le jour
de Roch Hachana de cette même
année, le pape donna l’ordre de
brûler dans les rues de Rome et
de Venise la totalité de ces « écrits
hérétiques ».
Les répressions pontificales
n’eurent de cesse de s’étendre et
de s’amplifier jusqu’à ce que les
Juifs parviennent – après d’innombrables
démarches diplomatiques
et essentiellement à coup
de « pots-de-vin » conséquents
– à obtenir des « dérogations »
les autorisant à éditer le Talmud
sous la surveillance rapprochée
de censeurs nommés par le Vattican…
C’est ainsi que fut édité,
à Bâle en 1578, le tout premier
Talmud dûment corrigé et élagué
par un censeur du nom de Marco
Marounos, qui prit néanmoins la
liberté de supprimer intégralement
de cette édition l’ensemble
du Traité « Avoda Zara » (sur les
cultes idolâtres).
C’est à cette époque également
que furent instaurés et recensés
par l’Eglise romaine les différents
principes qui devaient servir de
règles de base à toutes les futures
censures. Ainsi, des modifications
furent opérées à chaque
occurrence où apparaissaient
dans le Talmud les mots : « avoda zara » [idolâtrie], « tsélamim »
[statues], « goy » [nation], « nokhri » [étranger] ou « min » [renégat].
Ces dernières appellations
furent généralement remplacées
par l’acronyme de « Acou”m » (signifiant
« Les serviteurs des étoiles
et des astres »).
Les bourdes de l’Eglise
Mais davantage que toute explication
ou réfutation aux nombreux
arguments avancés contre le Talmud,
c’est la Censure ecclésiastique
elle-même qui produisit son propre
démenti en révélant combien son
action était souvent ridicule : les
corrections opérées n’étaient en
fait que le résultat de ses propres
interprétations arbitraires et figées
dans le déni de l’autre.
Ainsi, si le mot « goy » [nation]
ne devait impérativement plus
figurer dans le Talmud, le verset
cité dans le Traité Berakhot fut
alors contraint de proclamer « Qui
est comme Ton peuple Israël,
un acoum unique au monde » !
Ailleurs, un autre censeur voulut
prouver son « érudition » en corrigeant
la michna (Traité Chabbat
64) : « Une femme peut sortir [le
Chabbat] avec des tresses de cheveux
(…) et avec sa péa nokhrit
[perruque] », qui devint ensuite
une « péa acoum » !
Mais ces bévues firent encore
pâle figure face à une autre de ces
« corrections » concernant cet enseignement
du Talmud Berakhot :
« On ne dit la bénédiction de ‘Boré
miné mézonot’ que pour des denrées
à base des cinq espèces [de
céréales] » ; un texte qui une fois
révisé devint : « On ne dit la bénédiction
de «Boré acoum mézonot»
que pour des denrées à base des
cinq acoum»…
Plus tard, les inquisiteurs émirent
des réserves y compris pour
ces mêmes « rectifications », dans
la mesure où ils s’aperçurent que
l’acronyme « acou”m » pouvait
être aussi traduit par « Ovdé Cristous véMyriam » [les serviteurs
du messie et de Marie]. En conséquence,
à chaque endroit où il fut
fait mention de la ville d’Acco… le
nom de la ville fut remplacé par le
mot « nokhri » !
Mais malgré l’évidence de l’inanité
de toutes ses corrections, l’oeuvre
de la Censure perdura à travers les
âges, et après le Talmud, ce furent
de nombreux passages de nos prières
quotidiennes qui furent révisés
et « adaptés » aux caprices de
l’Eglise (voir l’article sur « Alénou
léChabéa’h »). C’est notamment
le cas de l’une des dix-huit bénédictions
de la prière de la Amida
qui débute dans la grande majorité
des rites par les mots « LaMalchinim » (« Que les délateurs n’aient
pas de répit »). Pourtant, en y reggardant
d’un petit peu plus près,
il s’avère que rien n’est moins sûr
que l’authenticité de cette version.
Comme l’indiquent des ouvrages
spécialisés en la matière (voir
Avodat Israël et les travaux réalisés
par le rav Hilman dans « Tsfonot
»), il apparaît clairement dans
tous les manuscrits des livres de
prières aussi bien d’origines séfarade,
ashkénaze ou italienne, dans
le « Ma’hzor Vitry » (rédigé par un
disciple de Rachi) ainsi que dans
des siddourim très anciens datant
de l’époque des Guéonim, que la
version est invariablement « VélaMéchoumadim » – « Que les renégats n’aient pas de répit (… ) », une
expression désignant l’émergence
du christianisme à l’époque de la
rédaction de cette bénédiction,
comme le conçoivent effectivement
certains commentateurs traditionnels.
De surcroît, il s’avère que la version
répandue de nos jours fut autrefois
et vivement réprouvée par les decisionnaires,
dans la mesure où la
loi stipulait alors qu’un officiant
n’évoquant pas le mot « renégat »
dans cette bénédiction était aussitôt
soupçonné de faire partie de
cette obédience (voir Maguen
Abraham sur le Choul’han Aroukh
– 126) !
Comme nous l’avons signalé, le
phénomène de la censure se prolongea
pendant plusieurs siècles
et s’étendit sur tous les pays d’Europe
en atteignant la Russie où la
censure religieuse fut particulièrement
féroce et se maintint jusqu’en
1905. Là-bas, les censeurs firent
preuve d’un zèle exceptionnel
puisqu’ils allèrent jusqu’à interdire
catégoriquement l’édition de l’un
des quatre volumes du Choul’han
Aroukh – le « ‘Hochen Michpat ».
En effet, traitant de nombreuses
questions d’ordre financier,
cet ouvrage n’avait aux yeux des
censeurs pas de raison d’exister
compte tenu du principe voulant
que « la législation du pays fasse
office de Loi » (dina démalkhouta
dina) !
Mais en dépit de toutes ces épreuves,
l’étude de la Torah orale continua
à se perpétuer au sein du peuple
à travers les âges en parvenant
à conserver toute son authenticité.
Car le peuple juif et la Torah de
D.ieu ne forment qu’un ! Et tant
que l’un existera, la seconde continuera
de vivre avec lui à jamais…
Yonathan Bendennoune
(Article inspiré notamment à partir des écrits du rav Maïmon zal).
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