« Tout le précepte que Je vous impose en ce jour, ayez soin de le suivre afin
que vous viviez (…) », (Dévarim 8, 1) : c’est en ces termes qu’on traduit
– littéralement – ce verset de notre paracha. Mais évidemment, les
commentateurs ne manquèrent pas de s’étonner de la forme singulière de
cette injonction : n’y aurait-il donc qu’une seule et unique mitsva que nous
soyons tenus d’observer afin de « vivre »… ?

Rachi, en premier lieu, rapporte
au nom du Midrach
un élément de réponse à ce
sujet : « Si tu entames une mitsva,
termine-la, parce qu’une mitsva
n’est appelée qu’au nom de celui
qui l’achève ». Selon ce Midrach, il
convient donc d’envisager les deux
premiers mots de ce verset avec
une syntaxe totalement différente
de celle de son sens simple : « Kol
haMitsva (…) », à savoir « L’achèvement
(du verbe ‘vayékhal’ [Il acheva])
de la mitsva est ce que Je vous
impose en ce jour ». Mais comme
nous allons nous en apercevoir,
ce point s’inscrit en réalité dans
tout un mode de pensée auquel fait
allusion la Torah par ces mêmes
mots…

Jamais de bien
au service du mal

Dans son commentaire sur ce verset,
le Or ha’Haïm décela ici une
perspective fondamentale dans
notre approche des mitsvot. Selon
lui, il existe en effet un état
d’esprit courant parmi le commun
des hommes qui, pour autant qu’il
puisse paraître anodin, est toutefois
susceptible de les entraîner
vers une terrible méprise et de « les
éloigner totalement du chemin de
la vie ».

Souvent, remarque-t-il, nous sommes
amenés à éprouver un attachement
particulier pour deux
ou trois mitsvot de la Torah, et ce
sentiment nous incite à observer
ces préceptes avec un infatigable
engouement, comme s’ils constituaient
l’entier accomplissement
de notre vie… Parfois même, certaines
personnes prennent en affection
une mitsva spécifique et en
font leur entière vocation sur terre,
au point de se dévouer pour elle
littéralement corps et âme ! Or, si
cette attitude est en soi hautement
méritoire, il convient toutefois de
savoir que cette « médaille » possède
également un sérieux revers.
En effet, un tel attachement à une
vocation personnelle peut se cantonner
exclusivement à un dangereux
sentiment d’autosatisfaction.
Or si tel devait être le cas, ce n’est
plus tant l’accomplissement de la
Volonté divine qui serait recherché
ici, mais essentiellement la propre
béatitude de celui qui s’y adonne.
Ce processus enclenché, l’homme
est généralement porté à négliger
l’importance des autres mitsvot de
la Torah, voire même à les mépriser…
Certes, éprouver un attachement
identique à l’ensemble des préceptes
de la Torah relève d’une
dimension qui n’est pas concevable
à notre niveau. Cependant, le
Or ha’Haïm nous invite à prendre
conscience d’une idée beaucoup
plus subtile : il ne s’agit pas d’accomplir
toutes les mitsvot de manière
égale mais surtout d’accorder
à chacune d’elles la même importance
et la même valeur.

Et en y réfléchissant de plus près,
il s’avère que cette regrettable
conception des mitsvot est plus
courante qu’elle n’y paraît ! Prenons
l’exemple d’un homme qui se
voue corps et âme à l’étude de la
Torah et qui lui consacre chaque
minute de son temps : lorsqu’on lui
proposera d’offrir un peu de son
temps pour une personne que lui
seul peut aider, la première pensée
qui bien souvent lui traversera
l’esprit sera de tenter de se dégager
de ce devoir, convaincu que
ces considérations sont négligeables
en comparaison de sa raison
d’être personnelle… Et vice-versa :
la personne consacrant toute son
énergie à aller aux devants des besoins
d’autrui est souvent encline
à accorder moins de valeur aux
autres principes de la Torah. Par
conséquent, sans que l’on n’exige
de nous d’éprouver la même ferveur
pour toutes les mitsvot, il est
cependant intolérable que l’une
d’elles puisse devenir prétexte à
dévaloriser l’importance de toutes
les autres…

Or, déclare le Or ha’Haïm, cet état
d’esprit se trouve être « la cause des
épreuves qui frappent les hommes :
c’est lui qui amoindrit leur honneur
et qui accroît leur tourments ».
Voilà pourquoi Moché vient ici
nous mettre en garde d’observer la
Torah comme si elle n’était qu’un
seul et unique précepte, afin que
jamais l’on n’en vienne à discriminer
l’un au profit d’un autre.
Selon le Or ha’Haïm, c’est par cette
même idée que le verset poursuit
en disant : « (…) ayez soin de le suivre
afin que vous viviez (…) » ; nos
Sages enseignent en effet (voir Zohar,
tome I, page 170) que le corps
humain renferme 248 organes et
365 nerfs correspondant ensemble
aux 613 préceptes divins, eux-mêmes
divisés en 248 commandements
positifs et 365 interdictions.
Or que se passe-t-il lorsqu’un seul
de ces organes fait souffrir l’homme
? Il ne manque jamais de se
plaindre comme si sa vie entière
en dépendait ! Pourtant, remarque
cet auteur, comment cette personne
répondrait-elle si l’on venait à
lui dire que ces gémissements ne
sont pas justifiés dans la mesure
où il lui reste 247 autres organes
en parfait état de santé… ?


Une Torah unique !

Ces deux explications – celle du
Midrach rapporté par Rachi et
celle avancée par le Or ha’Haïm
– articulent en réalité une même
notion fondamentale : chaque
mitsva en particulier aussi bien
que l’ensemble des préceptes de
la Torah ne sauraient se concevoir
partiellement. Vivre la Torah de
manière intègre et se conformer à
sa volonté supposent nécessairement
l’accepter inconditionnellement
dans son intégralité.

L’idée qui se dégage de ces commentaires
est que la totalité des
enseignements de la Torah ne forment
qu’une seule et unique entité
parfaitement indivisible. De ce fait,
entamer une mitsva sans l’achever
dénote d’un manque de considération
de cette dimension plénière de
la Torah qui ne peut se concevoir
ainsi « fragmentée ». En approfondissant
dans cette perspective,
nous nous apercevrons que cet
aspect de la Torah constitue l’une
de ses propriétés essentielles : si
une mitsva ne peut se concevoir
partiellement et si les nombreuses
lois de la Torah ne s’envisagent pas
séparément, c’est parce que la Loi
divine conduit l’homme vers une
dimension de perfection absolue
qui est nécessairement unique et
infinie !

613 face à 7…

Les grands maîtres de la pensée
juive s’interrogèrent longuement
sur la nécessité d’une Torah composée
de 613 commandements :
de fait, avant que la Torah ne fût
donnée, les principes divins se limitaient
à sept commandements
d’éthique généraux – les sept Lois
des descendants de Noa’h. Or,
si des hommes tels qu’Adam ou
Noa’h parvinrent à une plénitude
spirituelle au moyen de ces grands
principes moraux, pour quelle raison
ne pourrions-nous pas nous mêmes
nous en contenter ?

Mais comme le rappelle le Malbim
(dans son commentaire sur ce verset),
si nous sommes tenus par un
si grand nombre de préceptes, c’est
que ceux-ci nous initient à une
ouverture spirituelle nettement
supérieure à celle que connaissaient
les hommes avant le Don
de la Torah. Ainsi, grâce à ces 613
mitsvot, sommes-nous aujourd’hui
en mesure d’atteindre des dimensions
incommensurables auxquelles
ne saurait avoir accès celui qui
n’est rattaché qu’aux sept préceptes
élémentaires d’éthique.
Or, comme nous l’avons évoqué,
cette différence constitue l’une
des propriétés fondamentales de
la Torah : en sa qualité d’« Unité
immuable », celle-ci invite en effet
l’homme à un épanouissement qui
le conduit à la Perfection proprement
dit.

De ce fait, la Torah ne se définit
pas comme une série de commandements
distincts renfermés dans
un même « code » car au contraire,
elle est une entité unique et infinie
: c’est « tout ce précepte », intégralement,
qui nous guide sur le
chemin de la plénitude absolue !

Yonathan Bendennoune


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