L’année hébraïque qui se termine restera gravée dans l’histoire des Juifs de France comme celle où pour la première fois, sur le sol français des enfants ont été assassinés parce qu’ils étaient juifs. Mais outre le traumatisme provoqué par la tuerie de Toulouse, l’année a été marquée par plusieurs épreuves et par deux élections… Rétrospective.


Novembre : Décès du grand rabbin David Messas zal : la communauté orpheline
Pour la première fois depuis de longues années, un grand rabbin de Paris disparaît durant son mandat. Autant dire que la disparition du grand rabbin de Paris David Messas zal le 20 novembre dernier (23 ‘Hechvan) a plongé la communauté dans une soudaine et profonde tristesse. Bien qu’il n’ait jamais caché la maladie dont il souffrait depuis plusieurs années, Rabbi David Messas avait, il est vrai, pour principe de ne pas laisser le mal entraver son action à la tête de la plus grande communauté juive d’Europe. Au point qu’on avait fini par croire qu’il l’avait vaincue.
Personnalité charismatique, doué d’une rare capacité rare à trouver les mots adaptés à chaque auditoire, le grand rabbin Messas, 77 ans, a accompagné durant ses quinze ans de mandat la formidable croissance du judaïsme en Ile-de-France. À Hamodia, il avait ainsi plusieurs fois confié la satisfaction de constater la reconnaissance dont jouit désormais la cacherout du Beth-Din de Paris dans laquelle il s’était beaucoup investi. Ce bilan, ainsi que le respect et l’affection sincère que lui témoignaient fidèles et responsables communautaires lui avaient d’ailleurs valu d’être réélu à l’unanimité en 2001.
Né à Meknès au sein de l’une des plus prestigieuses lignées du judaïsme marocain, ce talmid 'ha'ham ne manquait jamais une occasion de rappeler la mémoire de son père, le rav Chalom Messas zatsal, ancien grand rabbin de Jérusalem et l’un des principaux poskim du monde sépharade. Un modèle dont il s’inspirait dans sa mission de guide communautaire, commencée à 24 ans en dirigeant l’école Ozar Hatorah du Maroc, puis à la tête de plusieurs institutions éducatives et communautés, jusqu’à son installation à la tête du Consistoire de Paris en 1995.
Lors de ses obsèques à Jérusalem, l’importance de la foule et le nombre de prestigieuses personnalités rabbiniques israéliennes et françaises, témoignaient de la place centrale qu’occupait celui qui avait fait de « l’amour pour tous nos frères juifs » allié à la rigueur des mitsvot, la ligne directrice de son action.

Février : Affaire Zeitouni : l’indignation

Une fausse note. Lorsque le soir du dîner du CRIF, le 9 février dernier, les proches de Lee Zeitouni manifestent devant la salle où commencent à affluer le gratin politico-médiatique, les responsables de la communauté juive ne cachent pas leur agacement. Roï Peled, le fiancé de la jeune femme décédée, qui a organisé la manifestation, les met en effet en porte à faux vis-à-vis des autorités françaises. Malgré toute leur bonne volonté, ces dernières ne peuvent en effet légalement extrader les responsables présumés de la mort de Lee Zeitouni. Depuis plusieurs semaines, les responsables du CRIF tentent donc de convaincre la famille de la victime de porter plainte en France. En vain : emmenés par Peled, les Zeitouni exigent que le procès se tienne à Tel-Aviv, là où l’accident a eu lieu.
Mais ce drame très médiatisé provoque également un réel malaise au sein de la communauté. Les chauffards, Éric Rubic et Claude Khayat affichent en effet leur amour d’Israël. Pourquoi alors ne se livrent-ils pas à la justice israélienne ? Afin de les y pousser, le grand rabbin de France décrète même à leur encontre une sorte de 'hérem qui les exclut des offices. Une décision exceptionnelle qui restera sans effet.
Difficile il est vrai de croire que les deux hommes puissent être sensibles aux appels à leur sens de la morale et de l’honneur. Au fil de l’enquête, et notamment d’un reportage choc de la télévision israélienne, se dessine le portrait d’escrocs spécialisés dans les arnaques à la TVA, qui utilisent Israël comme base de repli. Après la vente d’encarts publicitaires, les pompes à chaleur, c’est avec le CO2 que des gangs formés par des membres de la communauté ont fait fortune, spoliant sans vergogne l’État ou des particuliers. Un phénomène qui pèse sur l’image des Juifs de France dans l’opinion israélienne.

Mars : La che’hita : enjeu électoraliste

Soudain, au plus fort de la campagne présidentielle, des candidats ont évoqué le dossier de la che’hita. Comme si désormais le principal problème était de savoir si le bétail était étourdi ou non avant d’être abattu. Il a en effet suffi d’un reportage télévisé sur le sujet et une déclaration – erronée – de Marine Le Pen sur l’abattage qui serait « 100 % hallal en ile de France » pour que le débat dérape. Le candidat Sarkozy a en effet embrayé directement, réclamant l’étiquetage de la viande abattue rituellement. Régulièrement débattue par les instances européennes, cette mesure serait une catastrophe économique pour l’industrie de la viande casher qui craint de ne plus pouvoir écouler dans le commerce général, les parties de l’animal interdites aux Juifs. Et pour ne rien arranger, le premier ministre François Fillon apporte lui même sa touche à l’offensive contre l’abattage rituel en appelant benoitement les religions, à « réfléchir » à « des traditions ancestrales qui ne correspondent plus à grand-chose ».
Pour les responsables de la communauté juive, qui n’avaient pas vu partir le coup, le choc est rude. Depuis que les défenseurs de la cause animale ont lancé, il y a quatre ans, une offensive tous azimuts au Parlement européen, la France s’était, en effet, imposée comme une alliée indispensable, bloquant tous les projets de réglementation de l’étiquetage ou l’étourdissement préalable.
Catastrophés, les responsables communautaires demandent alors à être reçus à Matignon où on leur explique qu’il y a eu un « malentendu » et que l’abattage rituel continuera à être protégé au nom de la liberté de culte. Un engagement qui se traduit dans les faits par l’adoption d’un décret gouvernemental, en décembre 2011, visant à couper l’herbe sous le pied des adversaires de la che’hita en limitant les abus en matière d’abattage rituel. Rédigé en collaboration avec le Consistoire, ce texte fait depuis figure de modèle de marche pour les autres communautés juives européennes.

19 Mars : Toulouse : une tuerie qui restera gravée dans l’histoire

Il y aura, dans l’histoire du judaïsme français, un avant et après Toulouse. Le 19 mars au matin, lorsque Mohamed Mérah gare son scooter devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse et abat de sang froid, le rav Yonathan Sandler, 30 ans, ses deux garçons Gabriel, 4 ans et Arié (5 ans), ainsi que Myriam Monsonégo, 9 ans, la communauté juive plonge dans l’horreur. La France est sous le choc et la classe politique multiplie les signes de soutien et la condamnation de l’antisémitisme. Nicolas Sarkozy et François Hollande se rendent à Toulouse. De la levée des corps organisée à Ozar Hatorah jusqu’à la cérémonie de recueillement en la synagogue de la Victoire au départ des cercueils pour Israël pour y être enterrés, la France honore la mémoire des victimes juives et envoie le lendemain son chef de la diplomatie Alain Juppé à Jérusalem pour assister aux obsèques. Jihado-délinquant, Mohamed Mérah est passé à travers les mailles des services de renseignements qui l’avaient pourtant à l’œil. Mais était-il un « chien fou », un terroriste solitaire ou le symptôme des ratés de l’intégration des l’islam au modèle français ?
Ces questions, à l’issue de la tuerie, les représentants de la communauté juive commencent à les poser tout haut. D’autant que les semaines qui suivent seront marquées par une hausse vertigineuse des actes antisémites : +40 % ! Des adolescents sont passés à tabac à la sortie de l’office de Chabbat, un jeune portant une maguen David est roué de coups dans un train, les institutions juives reçoivent des appels anonymes promettant de faire payer aux Juifs la mort de Mohamed Mérah : le carnage commis par ce dernier a libéré la haine antisémite d’une partie de la communauté maghrébine.
Et les Juifs dans tout ça ? Comme après chaque catastrophe, un renforcement drastique des mesures de sécurité a été annoncé : les bâtiments communautaires sont plus que jamais les endroits les plus protégés de France. Et le salon de l’alya organisé en mai à Paris a enregistré une affluence record.
Six mois plus tard, à Toulouse, les leaders juifs tentent de remettre une communauté traumatisée sur le chemin de la « normalité ». Ils ont finalement compris que la solution passait plutôt par une « renaissance ». Symboliquement, l’école Ozar Hatorah a ainsi reçu un nouveau nom. Elle s’appellera désormais Or Hatorah, la lumière de la Torah.

28 Mars : Élection du rav Michel Gugenheim au Grand rabbinat de Paris

Sa victoire ne faisant pas vraiment de doute, restait à en connaître l’ampleur. En étant élu grand rabbin de Paris avec 33 voix contre 44, ce 28 mars, le grand rabbin Michel Gugenheim confirmait qu’il était le candidat naturel à la succession du grand rabbin Messas zal. Débutée sur les chapeaux de roue, la courte campagne électorale – un mois seulement – se terminait ainsi dans une ambiance de gravité, quelques jours après la tuerie de Toulouse.
Le grand rabbin Gugenheim a donc pris la tête d’une maison qu’il connaît parfaitement. Mais comme dayan du Beth-Din, directeur du service des divorces, responsable des certifications agroalimentaires et de la liste des produits autorisés, il ne s’était jusqu’alors occupé que du versant hala'hique de l’activité consistoriale. Le voilà désormais à la tête de la plus importante institution juive d’Europe, véritable paquebot du judaïsme français. La fonction nécessite du doigté, de la ténacité et de la persévérance, en plus de l’indispensable stature rabbinique. Et sur ce point, le rav Gugenheim ne craint pas grand monde : dans une période agitée pour les Juifs de France, entre débats sur la laïcité, hausse de l’antisémitisme et menace sur le che’hita, ce talmid 'ha'ham unanimement respecté – y compris dans le monde 'harédi -, rassure.
Rue Saint-Georges, la transition s’est faite d’autant plus en douceur, qu’il dirigeait en réalité la maison depuis le début de l’année 2012, en tandem avec le grand rabbin Alain Goldman. Mais il ne deviendra officiellement grand rabbin de Paris qu’à l’issue de son intronisation organisée à l’issue de l’année de deuil du grand rabbin David Messas.
En attendant, reste à régler la question de son remplacement à la tête du Séminaire rabbinique que le grand rabbin Gugenheim a dirigé durant trois décennies. Annoncée pour la fin de l’année universitaire, puis pour la rentrée, et enfin pour la fin des fêtes de Tichri, la désignation de son successeur se fait toujours attendre.

6 Mai : Un socialiste à l’Élysée et les Juifs s’inquiètent

François Hollande n’était élu que depuis une poignée d’heures, le soir du 6 mai 2012 qu’une foison de drapeaux algériens, marocains, tunisiens, égyptiens et bien sûr palestiniens étaient agités place de la Bastille où le « peuple de gauche » célébrait la victoire de son candidat. Voilà qui semblait confirmer les inquiétudes de la communauté juive… Les sondeurs qui expliquaient qu’« il n’y a pas de vote juif » n’avaient sans doute pas mis les pieds dans une synagogue ou un centre communautaire dans les semaines précédant le scrutin : cette fois-ci le soutien à Nicolas Sarkozy paraissait quasi total. Malgré quelques faux pas de Sarkozy durant son quinquennat, ce qui importait c’était sa proximité familiale et politique avec la communauté juive ainsi que sa fermeté face à l’antisémitisme et la menace iranienne. Il représentait surtout la seule alternative face à une gauche perçue comme hostile en raison de son inclinaison pour un électorat musulman qui n’a jamais dénoncé l’antijudaïsme exprimé par ce dernier.
Pour avoir révélé l’état d’esprit communautaire dans un entretien au Haaretz, Richard Prasquier, le président du CRIF, sera d’ailleurs vivement critiqué. Mais le score pharaonique réalisé par Nicolas Sarkozy en Israël (92,8 %) prouvera qu’il avait vu juste.
La grande inquiétude des Juifs de France a cependant été apaisée après l’arrivée de François Hollande à l’Élysée. Les Verts qu’il a nommés au gouvernement ne font ainsi pas partie de la mouvance antisioniste du parti écologiste. Quant à la diplomatie, confiée à Laurent Fabius, elle semble devoir suivre la ligne sarkoziste : fermeté face à l’Iran et critiques sans conviction de la « colonisation » israélienne. Mais c’est surtout la nomination de Manuel Valls au ministère de l’Intérieur qui a été perçue comme un signe rassurant. Présenté comme un « dur » en matière de sécurité, ce dernier a d’ailleurs profité du dîner du CRIF Marseille pour exposer sa ligne directrice en matière de lutte contre l’antisémitisme : tolérance zéro ! Bref, pour les socialistes, l’heure n’est plus à l’angélisme des années Jospin, lorsque la place Beauvau refusait de qualifier d’actes anti juifs, les incendies de synagogues…
 Par Serge Golan, en partenariat avec Hamodia.fr