Extrait 1 : Les fondements

« La lumière infinie : A propos de Dieu »

1. Les fondements

Parler du judaïsme équivaut à parler de l’homme et de la vie en général. Celui-ci est avant tout un mode de vie, et ses principes atteignent les fondements mêmes de l’âme humaine. Comprendre véritablement le judaïsme, c’est percevoir le secret ultime de l’existence.

Ce qui est le plus important pour l’homme, c’est d’avoir un but. On demande, dans une vieille chanson : « Pourquoi suis-je né, pourquoi suis-je en vie ? Qu’ai-je à recevoir, et qu’ai-je à donner ? » Ces interrogations, l’être humain n’a jamais cessé de se les poser depuis qu’il fait fonctionner son cerveau.

Vous êtes-vous jamais posé ce genre de questions :

Pourquoi suis-je né ?

Quel sens a ma vie ?

Pourquoi suis-je moi ?

Comment dois-je mener mon existence ?

Qu’ai-je à offrir à la vie ?

Ces questions sont de celles qui nous angoissent souvent dans nos premières années. Nous essayons, pendant notre adolescence, de nous inspirer d’une philosophie de la vie. Par la suite cependant, l’exercice d’une profession, les soins à apporter à l’éducation de nos enfants font passer cette préoccupation au second plan. Mais il arrive parfois que notre réveil soit douloureux. Lorsque la tragédie nous frappe, ces interrogations nous fouettent comme des douches glacées. Parvenus à l’âge mur, nous nous tournons vers nos jeunes années pour nous demander : « A quoi ma vie a-t-elle servi ? »

Nous disposons d’une seule destinée, dont il nous incombe de tirer le maximum. Nous cherchons tous, afin de lui donner un sens, à faire ce qui est « vrai ». Rares sont ceux qui affirment : « Je sais que c’est faux, mais je le fais quand même. »

Pressentant confusément que certaines choses sont vraies, et que d’autres sont fausses, nous devinons tous que la vie a un sens. Mais beaucoup d’entre nous ne vont pas plus loin. Même s’ils se posent des questions, ils ne déploient pas d’efforts considérables pour trouver les réponses.

Un homme d’une grande sagesse a dit un jour : « Une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue. »

On peut consacrer toute une existence à la recherche de plaisirs, de célébrité ou de richesses, sans se demander, ne serait-ce qu’une seule fois, si tout cela est vraiment important. Si l’on n’y réfléchit pas sérieusement, on ne saura jamais si l’on a fait ou non ce qu’il fallait faire, et l’on aura gaspillé une vie entière à la poursuite d’objectifs futiles, voire dangereux.

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Le principe essentiel du judaïsme, c’est la conscience d’un but à l’univers et d’un objectif à la vie de l’homme.1

Nos maîtres enseignent : « Il faut avoir le discernement […] de savoir pourquoi on est là et pourquoi on existe. Il faut revoir son passé et considérer où l’on va. »2

L’homme et la nature sont dotés l’un et l’autre d’un but parce qu’ils ont été créés par un Etre qui en a un. Cet Etre, nous l’appelons Dieu.3

Il est impossible d’imaginer un monde qui aurait un dessein et qui n’aurait pas de Créateur. Sans Dieu, l’univers serait sans but et la destinée humaine inutile. Aucune vie n’aurait plus de sens ni d’espérance.

Pour appuyer notre propos, considérons plus attentivement le point de vue opposé et examinons le monde comme le ferait un athée accompli : le monde n’a pas eu de Créateur agissant selon une finalité. La vie en est donc également dépourvue. Le genre humain n’existe par conséquent que par accident, sans plus d’importance qu’une bactérie ou un minéral, de sorte que l’homme apparaît à la manière d’une vile infection ou d’une maladie déposée sur la surface de notre planète.

Si la vie n’a pas de sens, tous nos espoirs, nos désirs, nos aspirations ne forment rien d’autre que la résultante du mouvement des molécules et des cellules de notre cerveau, et nous n’aurons donc plus qu’à adhérer aux propos de ce cynique célèbre qui affirmait : « L’homme n’est qu’une mouche impotente qui vole, comme prise de vertige, sur une immense sphère. »

Dans un monde privé de but, il ne peut exister ni bien ni mal, puisque ces deux concepts présupposent qu’il en a un. Faute de croire en quelque fin ultime, les valeurs deviennent, dans leur totalité, purement aléatoires. La moralité serait alors affaire de convenance, à rejeter toutes les fois qu’elle ne sert pas des objectifs immédiats. Et il n’est pas d’autre philosophie de la vie que celle qui consiste à se dire : « Fais-le, du moment que tu ne peux pas agir autrement ! »

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Si l’existence n’a ni sens, ni dessein, ni contenu, notre attitude envers le monde, envers autrui et envers la société en général ne saurait être définie autrement que par un « Bof ! » désabusé.

Si Dieu n’existe pas, il n’y a pas de but et, par voie de conséquence, tout ce que peut entreprendre l’homme est inutile. C’est ce qu’a voulu dire le Psalmiste : « Si Dieu ne bâtit pas une maison, c’est en vain que peinent ceux qui la construisent ; si Dieu ne garde pas la ville, c’est en vain que la sentinelle veille avec soin » (Psaumes 127, 1).

Mais nous pouvons également envisager le problème dans sa perspective opposée et considérer le monde avec les yeux du croyant. Si nous avons foi en Dieu en tant qu’Auteur de l’univers, la Création comporte alors un but considérable et la vie acquiert une profondeur infinie. L’homme, s’il admet que l’existence a un sens, doit chercher quel a pu être le dessein de Dieu lorsqu’Il a élaboré le monde et s’efforcer de consacrer la sienne à la réalisation de cette fin. Sa vie, dès lors qu’il est apte à lui donner un sens, cesse d’être un simple accident, pour devenir le phénomène le plus riche de signification de toute la Création. Les concepts de bien et de mal acquièrent des dimensions considérables, puisque le bien se définit désormais comme étant ce qui est en harmonie avec le projet divin, et le mal comme étant ce qui lui est contraire. Nous ne sommes rien moins que les associés de Dieu dans l’accomplissement de Son dessein.

Il n’existe personne qui puisse penser, au plus profond de lui-même, que rien n’a de sens. Mais il en est beaucoup qui, se dissimulant derrière une façade de clichés et d’erreurs, perdent de vue la véritable racine de cette finalité. Nous savons tous cependant, dans les tréfonds de notre conscience, que la vie, et en dernière analyse toute la Création, en comportent une.

Le matérialiste d’antan qui restait fermement convaincu que la destinée humaine n’a ni sens ni fin et que l’homme n’est rien d’autre qu’une particule irresponsable ballottée dans un maelström de forces aveugles, était un homme dépourvu de sagesse. Un grand philosophe a un jour ainsi résumé ce genre d’attitude : « Les gens qui passent leur vie à essayer de prouver qu’elle n’a pas de sens constituent un intéressant sujet d’observation ! »

La Bible, sans s’embarrasser de nuances, traite l’incroyant d’insensé : « L’insensé dit dans son cœur : `Il n’est point de Dieu.’ » (Psaumes 14, 1)4

Ce que veut souligner ce verset, c’est à la fois l’erreur et l’égarement de l’incroyant. Il ne voit pas ce qui devrait lui sauter aux yeux. Il est non seulement frappé de cécité, mais aussi enclin à agir sans discernement. Ne reconnaissant aucun but à l’existence, il est porté à opérer à l’aveuglette. Inapte à découvrir la vérité, tout ce qu’il fait peut être erroné. Il est si obtus qu’on ne peut avoir confiance en lui. C’est parce qu’il est insensé et qu’il ne voit pas Sa présence tout autour de lui qu’il affirme que Dieu n’est pas. Ou bien parce qu’il est trop égoïste pour partager son propre monde avec Celui qui l’a créé.

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Nous ne trouvons nulle part dans la Bible un argument philosophique tendant à prouver l’existence de Dieu. Celle-ci est tout simplement présupposée. Pour les Ecritures, il est vain de vouloir convaincre l’athée de son aberration. Il est considéré comme un insensé, incapable de comprendre, ou trop impie pour vouloir le faire.

Il en est de la foi comme de la beauté : elle est dans l’œil de celui qui regarde. Pendant plus de trois mille ans, l’existence de Dieu a sauté aux yeux du Juif, qui n’avait besoin ni d’une preuve ni d’une démonstration.

Le seul fait qu’il y a un univers implique un Créateur. Comme le proclame le Psalmiste : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament proclame l’œuvre de Ses mains » (Psaumes 19, 2). Leur existence même constitue un hymne, chanté à la gloire de leur Auteur.5

De la même manière, le prophète a écrit :

Vous ne savez donc pas !

Vous ne comprenez donc pas !

Ne vous l’a-t-on pas appris dès l’origine ?

Ne saisissez-vous pas ce qu’enseignent

les fondements de la terre ? […]

Levez les regards vers les cieux et voyez !

Qui les a appelés à l’existence ?

Qui fait défiler leur armée en bon ordre ?

Tous, Il les appelle par leur nom…

(Isaïe 40, 21-26).

N O T E S 1. Cf. Messilath Yecharim 1. 2. Zohar ‘Hadach 70d. Cf. Avoth 3,1. 3. Yad, Yessodei Hatorah 1,1-5.

4. Voir aussi Psaumes 53,2.

5. Moré Nevoukhim 1,44.

Titre: La lumière infinie : A propos de Dieu

Auteur: Arieh KAPLAN

Editeur: EMOUNAH – NCSY/ORTHODOX UNION

Adaptation française : Jacques KOHN.

Le livre est en vente dans les librairies juives.