« Une victoire teintée
d’inquiétude »

« Ouf ! » Les responsables des communautés juives européennes ont poussé
un soupir de soulagement, mardi 23 juin dernier, lorsque les ministres de
l’Agriculture des 27 États membres de l’Union européenne ont enfin reconnu la
spécificité de la che’hita. Un combat dans lequel le Consistoire central a joué un
rôle non négligeable, mobilisant le grand rabbin de France Gilles Bernheim, le
président du Consistoire, Joël Mergui, ainsi que le grand rabbin de la Moselle,
Bruno Fiszon qui a apporté à cette action son expérience de vétérinaire. Le rav
Fiszon a d’ailleurs accepté d’analyser ce succès pour Hamodia.

– Hamodia : Monsieur le grand
rabbin, après la décision des 27
pays membres de l’UE, peut-on
dire que la che’hita est sauvée ?

– Grand rabbin Bruno Fiszon :
Depuis 1993, une directive européenne
laissait le choix aux États
membres de légiférer comme bon
leur semblait en matière de che’hita.
Le nouveau règlement n’impose
rien mais laisse la possibilité
à chaque État membre d’adopter
une législation plus rigoureuse
par rapport à l’abattage rituel. Or,
le document de départ qui avait
été présenté, début septembre, par
la Commission européenne parlait
d’abattage rituel en tant que
dérogation. Nous avons donc gagné
sur ce premier point essentiel.
Mais la che’hita n’est pas à l’abri
d’une législation plus dure dans
tel ou tel pays de l’Union européenne.
C’est donc une victoire
teintée d’inquiétude.

– Dans l’ensemble, la décision des
ministres européens vous donne
pourtant raison.

– Le document nous donne effectivement
entièrement satisfaction
sur les autres points. Il rejette
ainsi l’interdiction d’abattre
l’animal en position couchée. À la
place, il propose un moratoire de
trois ans au terme duquel les différents
moyens de contentions seront
comparés. Concernant la certification
des cho’hatim, ils auront
– comme tous les professionnels
de l’abattage – l’obligation d’obtenir
un certificat de compétence en
bien-être animal. Nous ne sommes
pas opposés à cette mesure : elle
est de bon sens et l’on peut difficilement
s’y opposer. D’autant que
l’autorité rabbinique continuera à
attribuer les cartes de cho’hatim.
Nous avons également obtenu
satisfaction sur la remise en circulation
dans le commerce des
parties arrière ou des bêtes qui
ne satisfont pas aux critères de
casherout. Des membres du parlement
européen avaient proposé
de les « labéliser » pour indiquer
au consommateur qu’elles étaient
issues de l’abattage rituel. C’était
une mesure terrible qui aurait fait
peser la menace d’une campagne
de stigmatisation. Le cinquième
point c’était l’étourdissement post
che’hita. Pour nous, cela présentait
un problème de saignée incomplète,
ce qui rend la viande
impropre à la consommation. À
notre grande satisfaction, il n’est
pas inclus dans le règlement,
même si les recommandations le
mentionnent. C’est une bizarrerie
juridique, mais cela ne le rend en
aucun cas obligatoire.

– Quel a été le rôle de la France
dans ce combat ?

– La France a été en pointe pour
défendre l’abattage rituel juif et
musulman, tant au niveau des
ministres que du parlement européen.
Je tiens d’ailleurs à saluer
l’action formidable de Joseph
Daul, qui était président du groupe
PPE (droite) à Strasbourg.
Nous avons eu très vite l’appui des
autorités françaises, notamment
grâce à Michèle Alliot-Marie qui
en sa qualité de ministre de l’Intérieur
(avant le dernier remaniement)
a exprimé à Manuel Barroso
son inquiétude face au texte initial
de la Commission européenne
qu’il préside. Sans exagérer, on
peut dire que la France a porté
les droits de l’ensemble des communautés
juives européennes.
Mais elle a souvent été seule. Si
elle a été rejointe parfois par l’Italie,
l’Irlande ou la Pologne, elle a
trouvé face à elle des détracteurs
convaincus de la che’hita comme
le Luxembourg et la Belgique qui
ont été terribles. Les Pays-Bas et
l’Allemagne nous ont également
posé des problèmes. Quant à la
Grande-Bretagne, elle a eu une
attitude très ambiguë.

– Avec votre double casquette
de vétérinaire et de rabbin, vous
étiez tout désigné pour mener le
combat de la che’hita. Mais les
subtilités des institutions européennes
ne vous ont pas posé trop
de problèmes ?

– J’étais effectivement assez novice
dans toutes ces arcanes de
l’Union européenne. Mais on apprend
vite ! Il faut savoir frapper
à la bonne porte, identifier les
personnages clés, comprendre le
fonctionnement des institutions
européennes… En tout cas, cette
affaire a resserré les liens au niveau
des rabbinats européens,
notamment avec les Britanniques,
l’autre grande communauté juive.
Je pense par exemple à ce voyage
à Londres que nous avons fait
avec le grand rabbin Bernheim
pour rencontrer les principaux
dirigeants rabbiniques anglais.
C’était très important de coordonner
notre action et de se mettre
d’accord sur un certain nombre de
points.

– Et les Musulmans ? Ils sont également
directement concernés
par les restrictions à l’abattage
rituel…

– Ce n’est pas trahir un secret
que de dire qu’ils sont très peu
organisés au niveau européen.
En France, nous avons travaillé
avec le Conseil français du culte
musulman (CFCM). Disons que
nous étions un peu plus en pointe
qu’eux sur ce sujet… Mais nos intérêts
et les leurs étaient convergents.
Et puis c’est tout de même
un appui important vu leur nombre.
J’espère que cela a permis de
tisser des liens avec un certain
nombre de représentants modérés
de la communauté musulmane.
Cela pourra nous être très précieux
à l’avenir.
Propos recueillis par
Serge Golan


Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

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